M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DU DÉBAT OUVERT SUR « L'ÉTAT DE L'AFRIQUE » AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES - NEW YORK

99/51 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

NOTES POUR UNE ALLOCUTION

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

À L'OCCASION DU DÉBAT OUVERT SUR

« L'ÉTAT DE L'AFRIQUE »

AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES

NATIONS UNIES, New York

Le 29 septembre 1999

(13 h 45 HAE)

Je tiens à remercier les Pays-Bas d'avoir demandé la convocation de la présente séance consacrée à l'état de l'Afrique. D'un bout à l'autre du continent, les Africains saisissent des occasions d'édifier des communautés dynamiques et stables. La démocratie est en voie de restauration, la société civile est en train de s'enraciner, les perspectives de croissance sont prometteuses. La « renaissance de l'Afrique » est engagée.

Le développement économique et social occupe, évidemment, une place centrale dans ces avancées. L'engagement déjà ancien du Canada d'oeuvrer de concert avec les Africains à cette fin demeure absolument intact. Pas moins du tiers de l'aide au développement prodiguée par notre pays est affecté à l'Afrique. Le Canada a remis toutes les créances des pays africains les plus pauvres au titre de son APD [aide publique au développement]. Cette année, il a contribué à la formation d'un consensus sur un mécanisme permettant d'élargir l'allégement de la dette des pays les plus pauvres. Nous accordons une importance prioritaire à la lutte contre les dangers qui frappent les Africains particulièrement durement, dont le VIH et le sida. Nous souscrivons au concept selon lequel la prospérité à long terme de l'Afrique est tributaire de la poursuite d'un soutien vigoureux de son développement durable.

Toutefois, la liberté d'être à l'abri du besoin est étroitement liée à la liberté de vivre à l'abri de la peur. Les sociétés ne sauraient s'épanouir dans des situations de violence et d'intimidation. Trop de régions du continent demeurent assujetties à l'emprise brutale de conflits armés. La condition des Africains qui vivent ces situations est fragile.

Les habitants de l'Afrique paient un tribut particulièrement lourd du point de vue des menaces à leur propre sécurité. C'est pourquoi les Africains s'emploient à contrer ces menaces directement. Sur un continent où les mines terrestres tuent et mutilent plus de personnes que nulle part ailleurs dans le monde, les Africains ont joué un rôle directeur dans la campagne visant l'interdiction des mines antipersonnel.

Bon nombre des fusils d'assaut et des autres armes légères qui sont actuellement en circulation -- et dont le nombre fluctue entre 100 et 150 millions -- sont parvenus jusqu'aux champs de bataille en Afrique. Les pays de la CEDEAO [Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest] en ont eu assez et ils ont imposé un moratoire sur le mouvement des armes vers leur région.

Les enfants d'Afrique sont les principales victimes des guerres atroces qui dévastent le continent africain. On en conscrit davantage au service de la violence en qualité d'enfants-soldats que sur tout autre continent. Cette année, le Mozambique a réuni les pays d'Afrique et d'autres régions afin qu'ils prennent des mesures à cet égard.

Les Africains se rendent bien compte du fait que les nouvelles économies de guerre -- qui marient la brutalité des seigneurs de la guerre à la cupidité des mercenaires, des trafiquants d'armes et de certains intérêts commerciaux -- imposent un joug terrifiant à bon nombre de leurs collectivités.

Les Africains ont catégoriquement rejeté l'idée de la prise du pouvoir par la force. La décision prise cette année par les dirigeants de l'OUA [Organisation de l'unité africaine] réunis à Alger constitue de ce point de vue un jalon d'une énorme importance.

De toute évidence, les Africains eux-mêmes ont fait de la sécurité des populations un motif d'action. J'ajoute qu'ils ont accompli des progrès. Les autres parties parmi nous devraient veiller à demeurer à l'écoute et à soutenir ce processus, même si certaines des délégations présentes autour de cette table ne souscrivent pas forcément aux objectifs des Africains. Des ressources collectives ainsi qu'une attention égale et une action commune visant à mieux répondre aux besoins de sécurité de l'Afrique s'imposent. Tout ensemble de mesures se situant en-deçà de ce seuil, particulièrement de la part du Conseil, équivaudrait à une abdication des obligations que nous avons en commun.

La prévention et le règlement des conflits ne représentent que le point de départ. Les Africains s'emploient à faire cesser les conflits : l'OUA dans le cas du conflit entre l'Éthiopie et l'Érythrée; la SADC [Southern African Development Community] est active en Angola et en République démocratique du Congo; le processus d'Arusha agit au Burundi. La paix est en cours d'instauration en Sierra Leone à la suite, dans une large mesure, de la médiation de la CEDEAO et d'années d'engagement de la part de l'ECOMOG [Groupe de contrôle de la CEDEAO].

Un soutien international peut raffermir cette action et concourir au renforcement des capacités à l'échelle locale. Ce principe sous-tend l'appui du Canada à l'action du Commonwealth en Sierra Leone. Au Sommet de Moncton, le Canada a annoncé un programme de formation d'une durée de trois ans afin de rehausser le degré de compétences en matière de paix et de sécurité dans des pays de la Francophonie. Nous contribuons au renforcement de l'OUA, et notamment de son centre de gestion des conflits, et nous sommes déterminés à oeuvrer en vue de resserrer encore davantage la consultation et la coopération entre l'ONU, l'OUA et les organisations sous-régionales. Je salue la présence parmi nous du secrétaire général de l'OUA, Dr. Salim Salim, ainsi que des ministres prenant la parole au nom des organisations sous-régionales africaines.

Il ne suffit pas d'instaurer la paix. Il est essentiel de la maintenir, de l'édifier et de la consolider. On fait de plus en plus appel à des Africains pour assurer le maintien de la paix. Les soldats canadiens qui participent aux opérations de maintien de la paix connaissent de première main leurs compétences et leur bravoure. Nous concourons à une action prenant appui sur ces talents en dispensant une formation plus approfondie au Centre Pearson pour le maintien de la paix en Nouvelle-Écosse et à son nouveau bureau de Montréal.

Dans les cas où le conflit a pris fin, on observe que la culture de la guerre cède la place à des sociétés en paix. Les démarches en ce sens doivent bénéficier de l'appui d'autres gouvernements, de la société civile et du milieu des affaires.

Le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants constituent un défi. La situation pénible des enfants touchés par la guerre inspire également de grandes inquiétudes. Prenant appui sur l'action du Mali relative aux armes légères, le Canada et le Ghana organiseront l'an prochain une conférence ayant pour but de délimiter les contours d'une approche intégrée de cette problématique de la paix et de la sécurité en Afrique de l'Ouest.

D'ailleurs, une grande partie de l'Initiative canadienne de consolidation de la paix, dotée d'un budget de 30 millions de dollars, est axée sur le soutien de ces interventions et d'autres efforts; les projets qui en relèvent correspondent aux priorités et aux besoins à l'échelle locale. La semaine dernière, mon gouvernement a annoncé une contribution supplémentaire de 4,5 millions de dollars en faveur de la Sierra Leone afin d'aider les civils, et en particulier les enfants, touchés par le conflit.

Il est également d'une importance capitale, en vue de prévenir les souffrances, de contrôler le marché des conflits qui alimente les machines de guerre locales en Afrique. L'encouragement d'un comportement plus éclairé de la part des entreprises et des pouvoirs publics présente une importance déterminante : c'est le cas, par exemple, de l'action que mènent le Canada et d'autres parties au sein du groupe de Wassenar afin de favoriser le respect du moratoire sur le mouvement des armes proclamé par la CEDEAO.

Le milieu des affaires peut fournir son concours par d'autres moyens. S'il souhaite mobiliser le potentiel économique de l'Afrique, il pourrait se joindre à l'action visant à enlever les mines terrestres qui ne font pas que tuer, mais qui entravent également l'accès aux ressources.

Il incombe au Conseil de sécurité de protéger la sécurité des Africains. Contrairement à ce que d'aucuns font valoir, il dispose du pouvoir et du mandat de prendre des mesures à l'encontre de ceux qui profitent de la misère, de contribuer à l'instauration d'une paix durable, et d'intervenir dans des cas de souffrances largement répandues. Il devrait se prévaloir énergiquement de son mandat et soulager de manière créatrice les souffrances des personnes piégées dans les zones de conflit en Afrique.

Une action plus résolue visant à bloquer des moyens de livrer des conflits armés et à garantir l'efficacité de ces sanctions revêt une importance primordiale. En Angola, c'est l'objectif que poursuit le Canada lorsqu'il propose des mesures plus rigoureuses dans le but de tarir les sources de revenus illégaux obtenus grâce aux diamants, de réduire l'accès aux réserves de pétrole et de limiter l'acquisition d'armes et de munitions -- autant de moyens qui habilitent l'UNITA [Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola] à poursuivre sa guerre meurtrière.

J'ai bon espoir que si le Conseil de sécurité en a la volonté, il peut faire en sorte que ces sanctions encouragent l'UNITA à retourner à la table des négociations. Si cette approche est couronnée de succès, nous pourrons certes nous en inspirer pour régler d'autres conflits.

Lorsqu'il s'agit de maintenir la paix, rien ne saurait se substituer à l'action collective du Conseil. Ce principe n'est pas moins vrai, et la demande n'est pas moins présente, en Afrique qu'ailleurs dans le monde. Il se peut que nous soyons confrontés à la nécessité de vigoureuses opérations de paix en République démocratique du Congo et, éventuellement, en Éthiopie-Érythrée.

Chacun de nous doit prendre en charge les risques et le coût de ces opérations. Si on en faisait une responsabilité exclusivement, ou ne serait-ce que principalement locale, en se contentant de passer le chapeau pour voir ce qui y serait déposé, cela serait aussi honteux qu'insuffisant. En Sierra Leone, l'ECOMOG a porté le fardeau suffisamment longtemps. Veillons à ce que la mission qu'acceptera de dépêcher notre Conseil afin de concrétiser la paix porte la couleur bleue : en d'autres termes, elle devrait être autorisée, gérée et financée par les Nations Unies. En outre, veillons à ce qu'elle soit aussi étroitement intégrée que possible avec les forces de l'ECOMOG qui sont encore sur place.

L'expérience amère des Africains qui ont le plus souffert -- les victimes du génocide au Rwanda, d'une famine largement répandue en Somalie, d'une terreur diffuse un peu partout en Sierra Leone, du commerce d'esclaves au Soudan, d'une guerre insensée entre l'Éthiopie et l'Érythrée -- devrait forcer le Conseil de sécurité à intervenir efficacement. Telle est la responsabilité de cette instance, responsabilité qui n'appartient à aucune autre.

On a donné suite à cet impératif humanitaire cette année au Kosovo et au Timor oriental, mais pas en Afrique. Cela soulève des préoccupations légitimes quant au degré d'égalité avec lequel on donne corps à cette norme. Il faut que le Conseil définisse des critères communs déclenchant une intervention humanitaire, les applique de manière cohérente en consultation avec les partenaires régionaux et surmonte les réticences de certaines parties à affecter un certain nombre de leurs ressortissants et de leurs ressources à une action d'aide aux victimes désespérées de la guerre vivant dans des pays éloignés.

La sécurité des Africains devrait nous préoccuper tous. Elle préoccupe mes compatriotes. C'est pourquoi le Canada se consacre au développement de l'Afrique, le meilleur moyen de garantir une paix durable. C'est pourquoi des Canadiens de tous les horizons -- des juges, des policiers, des enseignants, des travailleurs humanitaires -- sont à l'oeuvre en Afrique. C'est pourquoi des Canadiens étaient disposés à diriger une action multinationale au Zaïre afin de protéger des réfugiés terrorisés; c'est pourquoi, aujourd'hui, nous continuons de jouer un rôle dans le cadre des opérations de paix en Afrique. Le Canada est le seul pays non africain qui contribue toujours à la MINURCA [Mission des Nations Unies en République centrafricaine]. Le premier ministre Chrétien réaffirmera cet engagement de notre pays pendant sa visite en Afrique avant la fin de l'année en cours.

Quant au Conseil, les questions africaines accaparent déjà une grande partie de son temps. Il faut mettre l'accent davantage sur la qualité et sur l'efficacité de l'attention qu'il porte à ces enjeux.

À cette fin, une approche des défis qui se posent à l'Afrique en matière de sécurité, une approche qui tient pleinement compte des préoccupations portant sur la dimension de la sécurité humaine, est pertinente. Le secrétaire général Kofi Annan nous a soumis un pénétrant rapport provisoire sur les causes des conflits en Afrique. Les observations formulées par le secrétaire général rehaussent la pertinence d'un programme d'action pour l'Afrique axé sur les populations; ses recommandations mettent en relief la nécessité d'une approche d'ensemble, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur du Conseil. Il appartient aux Africains, aux membres du Conseil et à la communauté prise dans un sens plus large de faire progresser ce programme d'action et de garantir la paix des populations du continent africain.

Merci.