M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DES ÉTATS PARTIES À LA CONVENTION SUR L'INTERDICTION DES MINES ANTIPERSONNEL

99/33 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

NOTES POUR UNE ALLOCUTION

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

À LA PREMIÈRE ASSEMBLÉE DES ÉTATS PARTIES À LA

CONVENTION SUR L'INTERDICTION DES MINES ANTIPERSONNEL

MAPUTO (Mozambique)

Le 3 mai 1999

(17 h 15 HAE)

En nous réunissant aujourd'hui ici au Mozambique, il me semble que nous bouclons la boucle du dossier qui nous occupe - l'interdiction complète des mines terrestres. Ce sont les histoires d'horreur et de souffrance indicible racontées par les victimes des mines antipersonnel dans les communautés ravagées par la guerre - du Mozambique à l'Amérique centrale en passant par le Cambodge et l'Afghanistan - qui ont placé la question des mines antipersonnel à l'avant-plan des priorités internationales.

L'accueil digne, bienveillant et empreint d'espoir que nous réserve aujourd'hui le gouvernement et le peuple du Mozambique est la preuve de ce que peut accomplir une société quand, avec l'appui du monde entier, elle décide vraiment de reléguer la guerre aux oubliettes et d'entreprendre l'ardu processus de reconstruction et de réconciliation. Ces mêmes histoires de courage et d'espoir reviennent dans d'autres pays au sol truffé de mines.

J'aimerais remercier le gouvernement du Mozambique de nous accueillir à l'occasion de cet événement important. Nul autre endroit n'est mieux indiqué pour la tenue de cette réunion historique. Je sais, notamment, qu'elle est le fruit de l'ardeur au travail et de la détermination dont ont fait preuve de nombreuses personnes pendant des mois, à Maputo comme dans les capitales du monde entier, y compris les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international affectés dans la région ou à Ottawa. Je tiens en outre à vous remercier et à vous féliciter sincèrement de vos efforts.

Le processus a suivi un cheminement tout à fait particulier, en ce sens qu'il a rassemblé des gouvernements et la société civile, des pays du Nord et du Sud, des organisations internationales, des gens de partout bien déterminés à unir leurs efforts pour atteindre un but bien précis : interdire les mines antipersonnel sans équivoque.

Dès les tous débuts, il a été animé par la conviction que nous devions prendre des mesures décisives pour protéger la vie ainsi que le mieux-être des personnes innocentes, précipitées impitoyablement dans les horreurs de la guerre. La façon dont nous nous sommes attaqués au problème des mines a changé notre façon d'envisager les solutions possibles aux crises humanitaires. Le fait que la communauté internationale se soit employée, peu après la réussite de ses efforts pour interdire les mines, à créer la Cour criminelle internationale n'est pas une simple coïncidence. À l'évidence, une nouvelle dynamique se fait jour dans le monde, qui place l'individu -- ses droits, sa dignité et son mieux-être -- au cœur des priorités internationales.

Ceux d'entre vous qui ont visité les champs de mines, hier, ont constaté les conséquences dévastatrices de ces engins sur la vie et les terres des Mozambicains. Malheureusement, je n'ai pu me joindre à vous. Je visitais un camp de réfugiés -- Stenkovic 1 -- en ancienne République yougoslave de Macédoine. C'est ainsi que j'ai parlé à des personnes qui ont fui leur foyer; prêté l'oreille à leur compte rendu des meurtres, des viols, de l'hystérie, de la haine et de la destruction qui ont dépouillé leur vie de tout vestige de normalité et de sécurité. En quittant ces lieux, j'étais conforté dans ma détermination et ma conviction : la communauté internationale n'a d'autre choix que d'agir pour protéger et défendre les personnes lorsque leur vie et leur existence sont menacées.

Mes propos sont forts, je le sais, et ils suscitent la controverse. Mais il faut dire ce qui est, et nous sommes au bon endroit pour cela. Nous faisons partie d'un groupe de pays qui, avec les Nations Unies, le CICR [Comité international de la Croix-Rouge] et les ONG, ont décidé d'agir avec fermeté au nom de tous ces gens dans le monde. Nous sommes parvenus, avec une vitesse extraordinaire, à faire interdire les mines antipersonnel. Nous avons fait acte de courage et d'humanité. La décision que nous avons prise n'a pas eu l'heur de plaire à tous, bien sûr, et nous avons encore des détracteurs. Mais nous savons que nous avons agi comme il se devait, au bon moment et pour les bonnes raisons : protéger la sécurité de l'individu. C'est le même motif qui nous pousse et le même défi qui se pose à nous dans des pays comme le Kosovo, la Sierra Leone et dans beaucoup trop d'autres endroits encore.

La même aspiration humanitaire devrait nous diriger dans les travaux que nous mènerons ici. Bien sûr, nous pouvons, et nous devons, fêter notre première Assemblée aujourd'hui. Nous avons réalisé un traité que personne n'aurait cru possible. Nous l'avons vu entrer en vigueur en un temps record. Nous avons vu des pays du monde entier rallier la nouvelle norme internationale instaurée par ce traité. Fêtons donc -- mais avec retenue, car pendant que nous sommes réunis ici, les mines font de nouvelles victimes, on pose encore des mines. Des mines sont même posées par des pays qui ont signé la Convention, et c'est très inquiétant :

• C'est le cas de l'Angola, signataire de la Convention, dont la population vit pourtant déjà la tragédie des mines antipersonnel posées dans le passé.

• Des rumeurs persistantes font état de minage de zones dans le conflit qui oppose l'Éthiopie et l'Érythrée.

• On pose également des mines au Kosovo, dans le contexte des campagnes sauvages de nettoyage ethnique. Les récits que j'ai eus d'un représentant de Handicap International à Skopje confirment que, même si l'on trouve un règlement politique au conflit, les mines constitueront un grave danger, au point d'empêcher le retour rapide des réfugiés chez eux.

Nous devons saisir l'occasion que nous avons aujourd'hui pour parler de ces actes qui transgressent la nouvelle norme internationale instaurée par le traité. Nous devons rétorquer à ceux qui doutent de la validité du traité.

Pour cela, nous devons travailler au niveau local, faire pression sur les gouvernements en cause pour qu'ils cessent de créer ce désastre humanitaire dans notre voisinage. Nous devons appeler ces mécréants à rendre des comptes, aussi bien à leurs propres peuples qu'à la communauté internationale.

Nous devons également profiter de l'occasion que nous avons ici, à Maputo, pour renouveler notre engagement envers les principes et les obligations que nous avons acceptés en signant et en ratifiant la Convention. Nous ne pouvons permettre à quelques États délinquants de ruiner tout ce que nous avons accompli.

Nous sommes aidés dans notre tâche par le soutien continu de la Convention qui permet continuellement d'obtenir de nouvelles ratifications et d'ajouter de nouveaux signataires. Nous sommes aussi appuyés par le pouvoir de la société civile. Et par une communauté engagée à s'assurer que les gains obtenus par la négociation et la signature de la Convention sur l'interdiction des mines terrestres deviennent réels et continuent à être respectés. La société civile a apporté une incroyable contribution à cet effort en publiant en un temps record le Mine Monitor, qui offre une documentation détaillée sur le problème des mines dans plus de 100 pays. Le Canada est fier d'avoir appuyé rapidement et vigoureusement cet effort, et nous encourageons les autres à participer au financement de cette publication et à lui permettre de devenir l'accompagnateur annuel de notre Convention pour le citoyen.

Nous sommes également confrontés à de nouveaux défis, rendus clairs par l'utilisation continue des mines terrestres dans des zones de conflit comme le Kosovo et l'Angola. Ces mines poseront un obstacle majeur et un fort risque à la réinstallation des réfugiés. Nous devons utiliser cette réunion, ici à Maputo, pour mettre en place à l'ONU une capacité d'action antimines rapide pouvant être mobilisée dès qu'un accord de paix sera signé, ou même avant. Une action antimines rapide et concertée sauvera des vies. Nous devrions pour cela examiner un certain nombre d'éléments :

Je crois que la communauté internationale devrait collaborer avec l'ONU pour examiner les défis posés par l'action antimines postconflit et pour développer une approche systématique et efficace pour traiter de ces urgences humanitaires.

Bilan

Tout en nous tournant vers l'avenir, nous devons aussi réfléchir à ce que nous avons accompli jusqu'à maintenant -- ne serait-ce que pour nous assurer que nous continuons à faire constamment des progrès. La Convention et ses engagements à détruire les stocks, à arrêter les transferts, à enlever les mines et à aider les victimes ont-ils eu un effet dans la vie des gens des États affectés par les mines? Examinons quelques faits :

• À ce jour, 135 pays ont renoncé à utiliser des mines antipersonnel, tous les pays des Amériques sauf deux, la plupart des pays européens et une bonne partie des pays asiatiques. Soixante-dix-sept pays ont déjà ratifié la Convention.

• Le nombre des victimes des mines dans certains des pays les plus durement touchés est en déclin.

• Le commerce des mines antipersonnel -- jadis florissant -- a pratiquement cessé. Il reste moins de dix pays producteurs de mines qui n'appuient pas un moratoire global sur l'exportation de mines antipersonnel ou l'interdiction de facto de les exporter. Même les pays qui n'ont pas encore signé la Convention se sentent d'une certaine façon tenus de respecter la nouvelle norme internationale qu'elle crée.

• Depuis que le Processus d'Ottawa a été engagé, en 1996, 20 pays ont détruit plus de 14 millions de mines stockées. Ce sont là des mines qui ne tueront ou ne mutileront jamais.

• Les ressources affectées à l'action antimines s'accroissent. À Ottawa, en décembre 1997, on a annoncé l'affectation d'un demi-milliard de dollars à l'action antimines. Le Canada s'est pour sa part engagé à verser 100 millions de dollars sur cinq ans. Les fonds mondiaux commencent à décaisser des montants. L'an dernier, 10 pays donneurs ont lancé 98 nouveaux programmes d'action antimines dans 25 pays.

Et nous commençons à mieux rationaliser la façon dont nous menons notre action antimines en établissant des priorités pour répondre aux besoins des communautés locales, en aidant à bâtir les capacités des États affectés par les mines pour leur permettre d'assumer eux-mêmes le travail à long terme requis pour rebâtir leurs sociétés, en intégrant dès le départ les ONG à notre action antimines, et en coordonnant nos efforts par le biais du Service de l'action antimines de l'ONU, qui sert de centre mondial de liaison pour une action antimines efficace. Le fait est qu'il est bien plus sensé d'investir dans la tâche pénible, ardue et coûteuse du déminage dans les régions où les gouvernements ont dit qu'ils n'utiliseront plus jamais ces armes.

Innovation et impulsion

Cette rencontre marque le commencement d'une autre étape de la lutte opiniâtre que nous livrons contre les mines antipersonnel. Le défi consiste maintenant à faire converger nos ressources et à maintenir notre partenariat pour mener une campagne soutenue conduisant à l'élimination de ces armes.

Nous devons soutenir nos efforts pour universaliser la Convention.

• Nous devons convaincre ceux qui croient que ces armes sont nécessaires à la protection de leurs frontières qu'il existe des solutions beaucoup plus efficaces, grâce auxquelles un berger ou un enfant ne sera pas pris pour un contrebandier ou un terroriste.

• Nous devons aussi convaincre ceux qui croient que les mines antipersonnel procurent un avantage militaire que, à supposer que cela soit vrai, ce n'est -- au mieux -- que provisoire, et qu'elles se transforment en un fléau persistant et meurtrier pour l'humanité.

C'est ce constat accablant qui a amené 32 des 34 pays des Amériques et 17 des 19 membres de l'OTAN, la plupart des pays d'Afrique et une bonne partie de l'Asie à renoncer aux mines antipersonnel. Il les a aussi conduits à modifier la structure de leurs forces et à trouver des solutions de rechange -- tant en matière de doctrine que de technologie -- qui n'augmenteront pas les risques courus par les soldats, ni ne laisseront un legs meurtrier à des populations innocentes. Non seulement nous devons, mais nous pouvons vivre sans ces armes, tout comme nous nous passons de balles dum-dum, d'armes chimiques et d'autres terribles engins de guerres qui, en raison de leurs très graves conséquences humanitaires, ont été interdits.

Gagner du terrain

Il sera essentiel de conserver l'impulsion imprimée à cette question. Il est important également que nous fassions continuellement participer nos publics et que nous répondions à l'intérêt réel manifesté par nos peuples.

Le financement des gouvernements est important et significatif. Mais d'autres éléments de nos sociétés veulent contribuer à débarrasser le monde de ces armes et à aider les victimes. C'est pourquoi nous nous efforçons d'amener le secteur privé, en partenariat avec les ONG et le gouvernement, à rendre notre effort antimines soutenable.

Le programme de travail intersessions qui nous est proposé prévoit aussi un cadre pour effectuer des travaux plus structurés sur l'action antimines et la mise en oeuvre de la Convention. Il nous permettra par exemple de concentrer le travail sur des questions clés comme l'aide aux victimes et les défis de la réintégration sociale sur le long terme. Nous espérons qu'il sera accepté ici. Et nous espérons que tous les États -- signataires et non signataires -- ainsi que l'ONU, les organisations internationales et les ONG qui partagent les objectifs de notre action antimines participeront à ce travail. Le Canada, comme toujours, est prêt à faire sa part.

Défi permanent

Il y a un peu plus de deux ans, à Ottawa, la capitale de mon pays, nous nous sommes attaqués à une tâche que plusieurs jugeaient impossible. La majorité des gouvernements et des millions de personnes dans le monde ont répondu avec énergie et détermination. Cette réponse a abouti à notre Convention, ouverte à la signature dans la même ville, seulement un an plus tard. Même les rares pays qui n'ont pas encore signé se laissent de plus en plus influencer par l'esprit de la Convention et sa nouvelle norme internationale.

Nous avons maintenant un nouveau défi à relever : mettre en oeuvre pleinement cette Convention, à savoir faire de ce monde un endroit plus humain parce que nous aurons interdit et supprimé cette arme et reléguer celle-ci à un passé violent en ne lui accordant aucune place dans l'avenir prometteur de l'humanité.

Notre bilan pour atteindre et dépasser des objectifs qui semblaient au delà de toutes les attentes est très bon jusqu'à maintenant.

Il ne faut pas s'en tenir là. Nous devons continuer tous ensemble, en établissant des partenariats. Les peuples du monde s'y attendent. Nous devons continuer notre travail pour tous ceux qui, au fil des ans, ont été victimes de mines terrestres.

Je vous remercie.