Le 14 mars 2005
GENÈVE, Suisse
2005/13
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA CONFÉRENCE DU DÉSARMEMENT
Les délégués à la Conférence du désarmement sont plus que de simples représentants
à une instance multilatérale déterminée : ils constituent en effet une communauté de
diplomates qui se consacrent à toutes les questions de non-prolifération, de contrôle
des armements et de désarmement dans l’ensemble du système des Nations Unies et
au-delà. Je sais que, malgré la paralysie qui afflige la Conférence du désarmement
depuis huit ans, beaucoup d’entre vous participent de manière constructive aux
activités de désarmement dans toute une gamme de secteurs, depuis les armes
légères et les armes de petit calibre jusqu’aux armes de destruction massive.
Bon nombre de ces activités ont d’ailleurs porté fruit, et nous sommes encouragés par
les résultats enregistrés ces derniers temps en matière de coopération multilatérale et
de sécurité humaine, tels le Protocole relatif aux restes explosifs de guerre de la
Convention sur les armes classiques, le Plan d’action adopté au Sommet de Nairobi
pour mieux guider l’application de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines
antipersonnel, et les échanges d’information pratiques lors des réunions d’experts et
des réunions annuelles des États parties à la Convention sur les armes biologiques et à
toxines.
Ces réalisations et les autres progrès accomplis par les diplomates affectés ici ne
peuvent atténuer notre déception de voir que l’organe principal, la Conférence du
désarmement, n’a pas réussi à amorcer un travail de fond. Je conviens avec votre
président et votre secrétaire général que le soutien politique plus important accordé à
ses « nobles causes » aidera à relancer la Conférence et à la sortir de l’impasse dans
laquelle elle se trouve depuis longtemps. Pour que puisse progresser la coopération
multilatérale dans des dossiers de toute première importance comme le désarmement
et la non-prolifération nucléaire et la non-arsenalisation de l’espace, il faut qu’une
valeur politique positive soit attribuée à de tels progrès et, de plus, que le manque de
progrès soit sanctionné par un coût politique. Pour sortir de cette ornière, nous
pouvons, par exemple, attirer l’attention du public sur l’impasse dans laquelle se trouve
la Conférence du désarmement et sur les conséquences négatives de cette paralysie
pour nos intérêts en matière de sécurité individuelle et collective.
Il faudra toutefois beaucoup plus que la présence de quelques ministres des Affaires
étrangères à la Conférence de cette semaine pour arriver à un réel changement. En
fait, il faudra que l’on comprenne, dans certaines capitales, qu’en continuant
d’empêcher un accord sur un programme de travail de la Conférence du désarmement,
ces pays nuisent davantage à leurs objectifs de sécurité qu’ils ne les servent.
Malheureusement, dans un organe dont les 65 membres prennent leurs décisions par
consensus, il est trop facile de faire obstruction et très difficile de réunir l’appui
universel nécessaire pour adopter un programme de travail. Le Canada, multilatéraliste
convaincu, a toujours essayé d’être une force constructive dans la présente enceinte,
et nous avons fait preuve de souplesse en modulant nos préférences de manière à
tenir compte du point de vue des autres dans l’intérêt commun. Nous demandons aux
membres de la Conférence du désarmement de faire preuve de la même souplesse.
J’ai déjà mentionné des dossiers importants dont la Conférence du désarmement a été
saisie mais qu’elle s’est avérée incapable de traiter comme le devrait un organe de
négociation multilatéral. La négociation d’un traité sur l’interdiction de la production de
matières fissiles [FMCT], l’examen de l’état actuel du désarmement nucléaire, la
prévention de l’arsenalisation de l’espace sont autant de questions qui se répercutent
sur notre sécurité. Or, tous ces dossiers ont été négligés sur le plan diplomatique alors
même que se produisaient de nouveaux développements politiques et militaires
inquiétants autour de ces questions. La Conférence du désarmement offre justement
un forum idéal pour progresser dans tous ces dossiers. Nous devons toutefois
tempérer nos idéaux d’une dose de réalisme et éviter de laisser l’inaction se substituer
à l’action. Si les obstacles qui empêchent la Conférence du désarmement de se
pencher sur ces questions ne peuvent être surmontés, nous croyons qu’il faut explorer
la possibilité de faire appel à d’autres filières multilatérales pour les traiter.
Il y a quelques jours, le 5 mars, nous avons célébré le 35e anniversaire de l’entrée en
vigueur du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires [TNP]. Ce traité, auquel
188 États sont parties, est l’accord de sécurité international qui réunit le plus grand
nombre d’adhérents, et il sert de fondement au régime multilatéral de désarmement et
de non-prolifération nucléaires. En mai prochain aura lieu à New York la Septième
Conférence d’examen du TNP. Elle marquera une croisée des chemins pour le traité,
dont l’autorité et l’intégrité ont été plusieurs fois sérieusement bousculées ces dernières
années.
En se retirant du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la République
populaire démocratique de Corée [Corée du Nord] a totalement ignoré les efforts de
non-prolifération nucléaire et de désarmement. La Corée du Nord, en affirmant
récemment être en possession d’armes nucléaires et en hésitant à reprendre les
pourparlers à six, met en évidence les risques sérieux à la paix et à la sécurité
régionales et internationales que pose son programme nucléaire. Les activités
nucléaires passées de l’Iran, nombreuses et non déclarées, de même que les efforts de
ce pays pour acquérir le cycle complet du combustible nucléaire ont soulevé de
profondes inquiétudes au sujet de son engagement à l’égard de la non-prolifération
nucléaire et du désarmement et de sérieux soupçons quant à ses aspirations au
chapitre des armes nucléaires. La cessation définitive de l'enrichissement d'uranium et
des autres activités sensibles d'un point de vue de la prolifération sont les seuls
objectifs acceptables pour garantir la nature pacifique du programme nucléaire iranien.
Bien que le Canada soutient les efforts diplomatiques qui sont en cours pour tenter de
résoudre cette question, comme l’a indiqué récemment le premier ministre Martin :
« Nous devons être prêts à passer de la parole aux actes en imposant des mesures
plus rigoureuses au besoin ».
Le Canada souhaite que le TNP sorte renforcé de la Conférence d’examen, dans son
pouvoir et son efficacité.
Pour cela, il faudra, croyons-nous, arriver à un résultat équilibré qui reflète des progrès
concrets vis-à-vis des trois éléments majeurs du traité, à savoir la non-prolifération, le
désarmement et l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Nous voulons aussi que
les États parties assument davantage la responsabilité collective du traité et de son
application, en revoyant les dispositions relatives aux réunions.
Ici, à la Conférence du désarmement, l’accent est naturellement mis sur le volet
désarmement du TNP. L’incapacité dans laquelle la Conférence du désarmement se
trouve de commencer à travailler a une incidence directe et importante sur la
Conférence d’examen du TNP. À la dernière conférence d’examen, en 2000, il a été
demandé expressément à la Conférence du désarmement d’entamer immédiatement la
négociation d’un traité interdisant la production de matières fissiles à des fins
d’armement nucléaire et de charger un organisme subsidiaire approprié de traiter la
question du désarmement nucléaire. Cinq ans plus tard, la Conférence du
désarmement n’a pas avancé d’un iota dans ce plan de travail. Cette absence de
progrès dans deux dossiers importants, ajoutée à l’absence de résultats en ce qui
concerne des mesures de désarmement déjà convenues, aura pour effet de diminuer
le volet désarmement de l’équation du TNP. En raison de cet échec, il sera également
plus difficile d’obtenir de nouveaux engagements importants dans le domaine de la
non-prolifération. C’est donc dire que les progrès, ou l’absence de progrès, au sein de
la Conférence du désarmement ont une incidence incontestable sur les questions plus
générales relatives au TNP et sur le maintien d’un consensus quasi universel autour du
traité et de ses objectifs.
J’ai parlé plus tôt de la souplesse et de l’esprit de compromis nécessaires pour arriver à
s’entendre sur un programme de travail au sein de la Conférence du désarmement. Le
Canada a déjà mis ces qualités en application dans ses propres approches. L’été
dernier, nous avons fait valoir qu’un programme de travail simplifié, conjuguant les
négociations relatives au FMCT et des discussions sur le désarmement nucléaire (y
compris la question des garanties négatives de sécurité) et sur la prévention d’une
course aux armements dans l’espace, offrirait une approche réaliste et équilibrée.
Plus récemment, nous avons fait savoir que nous serions aussi d’accord avec l’idée de
quatre comités spéciaux, exposée dans le document de réflexion du président
précédent de la Conférence du désarmement, à condition que cette approche bénéficie
d’un soutien universel. Nous considérons la reprise très prochaine de travaux de fond à
la Conférence du désarmement comme le principal objectif, et nous avons fait notre
part des compromis nécessaires dans ce sens. Nous n’en attendons pas moins de
chacun des membres de la Conférence.
Au sujet du FMCT, par exemple, nous sommes depuis longtemps convaincus que cet
accord marquerait une étape cruciale vers l’élimination des armes nucléaires en
coupant le robinet d’alimentation en matières nécessaires pour les fabriquer. Un ancien
ambassadeur du Canada, le regretté Gerald Shannon, a déployé de nombreux efforts
au milieu des années 1990 dans le but de définir un mandat de négociation pour le
FMCT qui, jusque ces derniers mois, bénéficiait d’un soutien universel dans cette
enceinte. Nous sommes persuadés que ce mandat reste le meilleur point de départ
pour les négociations. Mais, comme notre priorité est précisément de voir à ce que ces
négociations commencent, au lieu de discuter des mérites de tel ou tel mandat donné,
nous sommes prêts à ouvrir les négociations sur le FMCT sans poser de conditions
préalables. Nous espérons que, durant ces négociations, les bienfaits découlant d’un
« traité non discriminatoire multilatéral, véritablement vérifiable à l’échelle
internationale », comme le prévoit le mandat Shannon, deviendront évidents pour tous.
Nous sommes prêts à mettre nos préférences de côté pour entamer de vraies
négociations et nous demandons aux autres membres de faire preuve de la même
souplesse afin que les travaux puissent commencer.
En ce qui concerne le désarmement nucléaire, nous aurions préféré un mandat plus
ambitieux aux termes duquel des mesures particulières et de nouveaux instruments
seraient envisagés. Nous ne sommes pas les seuls à exprimer cette préférence, mais
pour parvenir à un programme de travail qui fasse l’unanimité, un simple mandat de
discussion a été proposé et le Canada est prêt à accepter cette suggestion afin que les
aspects importants de ce thème fassent l’objet de débats.
Pour ce qui est de la prévention d’une course aux armements dans l’espace, le Canada
compte depuis longtemps parmi ceux qui croient qu’il est de plus en plus nécessaire
d’arriver à un accord international interdisant l’arsenalisation de l’espace et que cela
pourrait constituer un exercice pratique de diplomatie préventive. Là encore, afin de
favoriser un consensus, des concessions ont été faites et le mandat de négociation
original a été limité à un mandat de discussion. Cette question est assez importante
pour que nous approuvions l’idée que, dans un premier temps, la Conférence du
désarmement se contente de l’examiner. Malheureusement, la souplesse montrée par
les premiers partisans de la négociation en acceptant une dilution du mandat sur ce
thème n’a pas eu d’écho et la Conférence du désarmement s’est avérée incapable de
créer un comité pour commencer à se pencher sur le sujet.
La non-arsenalisation de l’espace est une question d’actualité portant sur la sécurité
dans le monde réel, et il est certain qu’elle ne va pas disparaître tout simplement parce
que la Conférence du désarmement n’a pas su trouver le moyen de l’examiner en
bonne et due forme. Le gouvernement du Canada a déjà organisé deux symposiums
sur la sécurité dans l’espace à Genève et il enverra des représentants officiels à un
symposium de suivi qui aura lieu ici les 21 et 22 mars, à l’initiative, cette fois, de la
Chine, de la Russie, de l’UNIDIR [Institut des Nations Unies pour la recherche sur le
désarmement] et d’un organisme canadien, la Fondation Simons.
Affaires étrangères Canada finance un groupe international d’experts et aide à orienter
ses travaux en vue de mettre au point un « indice de la sécurité de l’espace », dont
nous espérons qu’il permettra d’établir un bilan annuel de l’état de la sécurité dans
l’espace en attirant l’attention sur les événements qui touchent à cette question. Sur le
plan diplomatique, le moment est venu d’examiner diverses options pour veiller à ce
que la prévention de la course aux armements dans l’espace ne devienne pas un vain
projet dont on oublierait le contenu et l’objet mais qui serait rituellement réaffirmé dans
des réunions de l’ONU.
En septembre dernier, lors d’une allocution prononcée à l’Assemblée générale, le
premier ministre du Canada ne s’est pas contenté de souligner « quelle tragédie ce
serait si l’espace se transformait en un immense arsenal et devenait le théâtre d’une
nouvelle course aux armements ». Il a aussi proposé une solution de rechange en
recommandant que soit prorogée l’interdiction du déploiement d’armes de destruction
massive dans l’espace prévue par le Traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967.
Nous continuons de préférer que la Conférence du désarmement soit l’instance
chargée de ce travail, mais si elle se révèle incapable d’inclure ce sujet dans un
programme de travail et de se mettre rapidement à l’œuvre, nous devrons, avec
d’autres, chercher ailleurs. Si l’espace extra-atmosphérique est infini, notre patience
l’est moins.
Je sais que l’immense majorité des pays représentés dans cette salle historique sont
aussi impatients que la délégation canadienne de reprendre des travaux importants.
À notre sens, nous sommes près d’en arriver à un programme de travail pratique et
équilibré, et il suffirait d’un minimum de souplesse dans certaines capitales pour qu’il
puisse se concrétiser. Il est temps d’agir, et le Canada appuie l’actuel président de la
Conférence du désarmement, l’ambassadeur [Tim] Caughley, dans ses efforts en vue
d’obtenir que les États membres expliquent ce qui les empêche exactement d’appuyer
un consensus sur un programme de travail et quelles autres solutions réalistes ils
peuvent proposer pour y parvenir.
La « noble cause » de la coopération multilatérale en matière de désarmement n’en
demande pas moins.
Je vous remercie.