Le 24 janvier 2005
NEW YORK, États-Unis
2005/4
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L’HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L’OCCASION DE LA
SESSION EXTRAORDINAIRE DES NATIONS UNIES
COMMÉMORANT LA LIBÉRATION DES CAMPS DE CONCENTRATION
Si nous sommes réunis ici aujourd'hui pour prendre la parole devant les représentants
du monde entier, dans une enceinte aussi prestigieuse que l'Assemblée générale, c'est
pour commémorer un événement profondément douloureux. Pour mon gouvernement
comme pour tous mes compatriotes canadiens, il s'agit d'une occasion solennelle,
marquée du sceau de la tristesse.
Mais, à vrai dire, nous ne devrions pas être ici. Car, dans un monde idéal, nous
n'aurions pas à commémorer l'assassinat de 6 millions de personnes.
Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. C'est cette terrible réalité qui est
apparue à nos parents il y a 60 ans.
Dans quelques jours, nous serons à Auschwitz pour commémorer la libération des
rescapés de l'horreur nazie. Les personnes qui ont survécu à l'Holocauste sont
maintenant âgées et de moins en moins nombreuses, à mesure que le temps fait son
oeuvre. Toutefois, nous ne les oublions pas, pas plus que celles qui n'ont pas survécu.
Et leur souvenir restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Nous sommes ici pour rappeler avec force et conviction l'importance de ne jamais
oublier cette période sombre de notre histoire. Et cela, parce qu'elle ne doit jamais se
répéter.
Au Canada, nous sommes fiers de notre rôle dans la lutte contre le fascisme et la
libération des victimes qui ont souffert. Nous sommes également fiers de la contribution
de la communauté juive, y compris les survivants de l'Holocauste, au dynamisme, à la
prospérité et à la diversité de notre pays. Leur apport a aussi favorisé le respect mutuel
entre les Canadiens.
Si la libération d'Auschwitz marque le commencement de la fin de l'Holocauste, elle n'a,
par contre, pas mis un terme au mal qui l'a engendré. Car, aujourd'hui même, dans des
sociétés comme le Canada, où le respect mutuel fait partie de nos valeurs, le monde
fait face à de nouvelles menaces de haine. Ces menaces mettent nos valeurs au défi et
plus que jamais, nous devons réaffirmer nos valeurs communes d'inclusion et
fermement rejeter toute forme de haine.
Cela demeure l'un des plus grands crimes dans l'histoire de l'humanité : l'assassinat
systématique et de sang-froid de millions de personnes, dont une forte majorité de juifs.
Un grand écrivain américain a déjà dit : « L’histoire n’a rien d’historique quand on la vit.
Ce que l’on voit, c’est le désordre et la confusion, le malaise. » Chers amis, il ne faut
jamais s’endormir dans le confort, il ne faut jamais oublier.
Mais comment cela a-t-il été possible? Cela a été possible, selon moi, parce que le mal
absolu, c'est l'indifférence. Celle-ci est en effet un terreau fertile pour la peur et
l'intolérance.
J'aimerais ici parler du pasteur allemand Martin Niemöller, héros de la première grande
guerre et source d'inspiration pour les premiers nazis. Lorsqu'il s'est retourné contre
ces derniers, ceux-ci l'ont emprisonné à Dachau.
Il a fait ce commentaire qui transcende les époques : « Lorsqu'ils ont arrêté les
communistes, je n'ai rien dit, car je n'étais pas communiste. Ils ont arrêté les juifs, et je
n'ai rien dit, car je n'était pas juif. Ils ont arrêté les catholiques, et je n'ai rien dit, car
j'étais protestant. Puis ils m'ont arrêté, et il ne restait plus personne pour me
défendre. »
De nos jours, nous croyons que le mal est paré de couleurs vives, bien voyantes. Mais
il peut aussi prendre une apparence banale, pernicieuse, voire presque anodine. C'est
ainsi qu'Edmund Burke a écrit ce qui suit : « Tout ce qu'il faut pour que le mal triomphe,
c'est que les braves gens ne fassent rien. »
Or, c'est notre capacité à reconnaître le mal, celle de sortir de notre mutisme face à la
haine dont sont victimes les autres, qui nécessite le plus grand courage et la plus
grande clairvoyance. Malheureusement, force est d'admettre que notre civilisation n'a
toujours pas acquis cette capacité.
Depuis la libération d'Auschwitz, le monde a été témoin de nombreuses atrocités
commises contre d'autres êtres humains. Le Cambodge, la Bosnie-Herzégovine, le
Rwanda, le Darfour. La liste des tragédies perpétrées dans l'indifférence est encore
longue.
La sécurité collective implique nécessairement la responsabilité collective. Mais rien ne
saurait excuser l'indifférence face aux crimes haineux. C'est pourquoi nous avons milité
en faveur de la création d'une cour pénale internationale et de l'adoption d'instruments
juridiques comme les conventions contre les génocides. C'est aussi pourquoi, en
septembre dernier, le premier ministre du Canada a proposé, ici même à l'assemblée
générale, la notion de la responsabilité de protéger.
Les États doivent protéger leurs populations; le rejet de l'indifférence est à la base
même de ce principe. C'est d'ailleurs l'un des principes fondateurs de cette
organisation.
L'année dernière, le secrétaire général a déclaré ce qui suit : « L'expression "Nations
Unies" a été inventée pour désigner les pays alliés qui ont combattu ce régime barbare,
et notre organisation a été créée juste après que le monde entier eut découvert toute
l'horreur des camps de concentration et d'extermination. Il est donc juste de dire que
l'Organisation des Nations Unies [ONU] est née des cendres de l'Holocauste, et ce
serait renier notre histoire que de négliger le problème de l'antisémitisme dans le cadre
de nos activités de défense des droits de la personne. »
Pour changer le cours de l'histoire, pour que les droits de tous soient respectés, pour
protéger les faibles et contenir les forts, nous devons d'abord lutter contre la tendance
bien humaine de ne rien faire devant le mal, aussi longtemps qu'il frappe quelqu'un
d'autre.
Cela ne sera possible que si nous unissons nos efforts et que nous surmontons les
limites de notre propre indifférence.
Dans un monde interconnecté comme le nôtre, nous pouvons voir et entendre
sur-le-champ ce qui se passe partout ailleurs sur la planète. Dans ces conditions,
l'expression « rien de nouveau sous le soleil » n'a pas de quoi surprendre.
Toutefois, nul ne pourra jamais appliquer cette formule à des crimes comme
l'Holocauste. Des crimes aussi horribles et répugnants resteront à jamais des infamies.
Ils nous rappellent que nul ne saurait demeurer indifférent devant l'intolérance, ni
respecter l'empire du mal.
A l'aube du 60e anniversaire de l'ONU, il convient de nous engager de nouveau à
promouvoir la compréhension, le respect et la compassion. Car nous tous réunis ici, en
cette assemblée, avons la capacité, et le devoir, de nous entendre. C'était d'ailleurs là
le souhait des fondateurs de cette organisation.
Or, je suis convaincu que nous pouvons réaliser le souhait de nos précurseurs et
uvrer ensemble à l'édification d'un monde plus sûr, plus prospère, plus généreux et
plus respectueux. En cette année de commémoration, nous devons nous inspirer du
passé et exploiter les possibilités de notre avenir collectif.
Cette journée de commémoration a certes un caractère solennel, mais elle ne
cautionne ni la résignation, ni l'indifférence. Nous devons plutôt réaffirmer notre volonté
de rendre le monde meilleur et de renforcer l'ONU.
En souvenir de Martin Niemöller, et à la mémoire des 6 millions de victimes de
l'Holocauste, nous devons tous nous élever énergiquement, d'une même voix, contre la
haine et l'indifférence, et nous promettre ceci : Plus jamais! Plus jamais!
Plus jamais.