Le 18 février 2005
MONTRÉAL (Québec)
2005/10
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L’HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT L’INSTITUT D’ÉTUDES CANADIENNES
DE L’UNIVERSITÉ McGILL
C'est un plaisir d'être des vôtres ce matin. Je pense que vous avez fait un excellent
travail — avec vos thèmes, vos tables rondes et vos conférenciers — pour bien cerner
les questions et les débats qui entourent le rôle du Canada dans le monde.
Je suis particulièrement impressionné de voir que vous avez réussi à faire déplacer
trois ministres fédéraux pour vous parler le même jour! Évidemment, étant le premier à
prendre la parole, il me revient de répondre à la question : « Pourquoi est-ce que cela
vous prend tant de temps pour publier votre Énoncé de politique internationale? »
Pendant les quelques moments que je vais passer avec vous ce matin, j'aimerais vous
faire part de quelques réflexions sur ce que j'estime être un des grands défis auxquels
est confrontée la politique étrangère du Canada.
L'Examen de la politique internationale auquel s'est livré le gouvernement au cours de
l'année écoulée a porté sur de nombreuses questions. Cependant, comme je ne peux
malheureusement vous dire à l'heure actuelle ce qui a été décidé, et que je ne
confirmerai ni ne nierai ni ne commenterai les histoires que vous pourriez avoir lues ou
entendues au sujet du résultat de l'examen de la politique (ou de qui la rédige),
permettez-moi de vous parler de quelque chose qui, d'après mon expérience, est tout à
fait déterminant.
Je veux parler, plus précisément, de ce que j'appellerais la politique du choix.
Il y a sept ans, dans un livre intitulé Pour une politique de la confiance, j'écrivais qu'en
2005, le Canada serait confronté à des choix stratégiques qu'il ne pourrait ignorer.
J'expliquais ensuite que nous serions, certes, particulièrement bien placés pour jouer
un rôle international dans un système mondial en mutation, mais que nous aurions à
nous battre pour maintenir et améliorer notre image et préserver notre spécificité dans
un contexte international plus fluide.
Rassurez-vous, je ne suis pas entré en politique pour jouer au devin. Mais nous voici
en 2005 et peut-être que les lignes que j'ai écrites il y a sept ans ne sont pas si loin de
la vérité! Aujourd’hui, nous sommes effectivement confrontés à des choix stratégiques
importants, tant nationaux qu'internationaux.
Mon expérience à l'ACDI [Agence canadienne de développement international], au
poste de ministre du Commerce international et, maintenant, des Affaires étrangères,
me convainc encore plus que notre « personnalité » internationale nous permettra de
jouer un rôle fort utile en cette ère de mondialisation et de menaces asymétriques où
les États fragiles ou en déroute sont plus nombreux que jamais et où un seul État joue
un rôle prééminent, à savoir les États-Unis.
Je viens de rentrer du Moyen-Orient. Je ne voudrais pas tirer de grandes conclusions
d'une visite aussi brève — comme cet homme qui, après trois jours passés en Chine,
avait écrit un livre intitulé Analyse de la Chine – hier, aujourd'hui et demain —, mais j'ai
été frappé par l'intérêt porté au rôle du Canada.
Malgré le défilé de visiteurs de haut niveau qui m'avait tout juste précédé, il était évident
que mes hôtes étaient heureux de voir le Canada s'investir. Partout, on m'a assuré que
l'on nous considère comme un partenaire fiable et fidèle.
Tous — Israéliens, Palestiniens, Libanais, Jordaniens et Syriens — nous accordent leur
confiance. Ils estiment que notre position politique, qu’ils jugent presque à nulle autre
pareille, repose sur l'équité et la primauté du droit — en particulier, du droit international
— et que nous nous attachons à travailler avec toutes les parties pour trouver des
solutions justes et pratiques.
Ils souhaitent que le Canada soit présent et qu’il offre le meilleur de ses compétences
en matière de gouvernance, de sécurité et de développement économique et social. Ils
souhaitent une participation tant du gouvernement que du secteur privé.
Quand je pense à cette expérience et à bien d'autres, il ne fait absolument aucun doute
dans mon esprit que, dans un monde rempli de défis aussi difficiles que complexes, où
les acteurs sont nombreux et les opinions sur ce qui doit être fait, apparemment
innombrables, nous devons être prêts non seulement à répondre aux intérêts d'autrui,
mais aussi à nous « battre » pour faire entendre notre différence, si nous voulons que
le Canada reste un acteur mondial apprécié et précieux, et que l'on continue de le
considérer comme tel.
La question clé que nous nous posons, dans l'Examen de la politique internationale et
ailleurs, est la suivante : comment y parvenir de manière efficace, en nous appuyant
sur notre personnalité internationale? De manière à montrer que nous pouvons
apporter une contribution particulière au monde? En étendant notre portée, sans la
diluer ni n’essayer d'en faire trop?
La réponse du Canada à la tragédie provoquée par le tsunami en Asie du Sud-Est
montre très bien à la fois notre engagement collectif et notre dilemme. Malgré sa
capacité financière relativement modeste, le Canada a contribué 10 p. 100 des fonds
promis par la communauté internationale pour les secours. Cela comprend
200 millions de dollars de dons faits par les Canadiens à titre individuel. Cet élan de
générosité des Canadiens envers les victimes du tsunami est à l'image de notre
sentiment collectif de responsabilité internationale.
Cependant, il illustre aussi un autre point. Quand survient une crise internationale, on
s'attend aussitôt à ce que le Canada réagisse, et ce, souvent au-delà de ses capacités
relatives.
Le Canada figure parmi les pays dont la contribution militaire en Afghanistan est la plus
importante. Ce pays est devenu aussi notre principal partenaire en matière d'aide
bilatérale alors qu'il y a trois ans, nous ne lui apportions aucune aide au
développement.
Depuis la crise haïtienne d'il y a un an, nous fournissons 10 p. 100 de l'aide apportée
par la communauté internationale, y compris une aide importante à la formation de
policiers. Et, j'entends renforcer l'engagement du Canada en Haïti quand j'y retournerai
dans quelques semaines.
En décembre dernier, notre contingent d'observateurs était parmi les plus nombreux à
assister à la naissance d'une nouvelle démocratie en Ukraine.
Nous avons dirigé la planification de la gestion des élections qui viennent de se
dérouler en Iraq, élections qui en ont surpris beaucoup par leur succès.
Nous sommes actifs au Soudan. À propos de ce pays, nous avons agi sur le plan
diplomatique et avons insisté notamment auprès des membres du Conseil de sécurité
pour que la Cour pénale internationale — que le Canada a aidé à créer — soit
autorisée à enquêter sur les crimes de guerre commis au Darfour.
Si je donne ces exemples, ce n'est pas parce que je pense que nous ne devrions pas
agir, loin de là. Il existe de très bonnes raisons humanitaires et de politique étrangère
d'être présent dans ces pays et les Canadiens, collectivement représentatifs de
tellement de communautés du monde, nous font clairement comprendre qu'ils veulent
voir leur pays s'engager.
Cependant, en nous engageant ainsi, nous perpétuons l'idée reçue, renforcée par
l'histoire de notre politique étrangère et notre appartenance à des organisations
internationales, selon laquelle le Canada devrait s'investir dans un large éventail de
questions et essayer de jouer un rôle d’autant de manières que possible.
Mais en agissant ainsi, nous risquons ainsi de compromettre notre efficacité. Tel est
notre dilemme.
On me dit souvent, sur le ton du conseil, de quelles questions et de quels pays le
Canada devrait se tenir à l'écart. Mais on ajoute généralement que nous devrions, en
revanche, nous occuper d'une autre question ou d'une autre région!
Les critiques des pontifes font aussi oublier un point important : nous avons fait des
choix importants. Nous faisons tous les jours des choix de politique étrangère en nous
fondant sur les conseils avisés de notre réseau de missions à l'étranger et de nos
spécialistes des affaires internationales, tant au Canada que sur le terrain.
La décision d'agir, d'envoyer un message, de prêter le nom du Canada à une résolution
de l'ONU, d'apporter un soutien à une nouvelle démocratie, de protéger ceux qui sont
en danger, voilà le genre de décisions que nous prenons continuellement. Additionnées
les unes aux autres, ces décisions définissent la politique étrangère du Canada,
politique que l'on continue de respecter dans le monde entier.
Dernièrement, j'ai supervisé également des décisions importantes en ce qui concerne
la structure et la nature d'Affaires étrangères Canada [AEC] qui, malgré ce qui s'est
passé mardi à la Chambre des communes, s'appelle toujours AEC! Nous avons revu la
structure du Ministère afin de mieux tenir compte de nos rôles et de nos intérêts en
Amérique du Nord ainsi que de notre rôle renforcé dans la sécurité internationale, et de
souligner notre volonté de nous attaquer à des questions véritablement mondiales,
comme l'environnement, les migrations et la santé humaine.
Les changements que nous avons apportés reflètent aussi notre volonté d'aider à
modeler un nouveau multilatéralisme.
À ce propos, dans le prochain Énoncé de politique internationale, car il y en aura un, je
crois que nous tiendrons compte des recommandations formulées dans le rapport du
Groupe de personnalités de haut niveau des Nations Unies, qui comprend quelques
propositions fort intéressantes, comme la création d'une commission de la
consolidation de la paix qui aiderait à mieux préparer les Nations Unies à intervenir en
cas de crise et appuierait le principe de responsabilité de protéger dont le premier
ministre est un ardent défenseur.
En fin de compte, il s'agit vraiment de pouvoir choisir de faire preuve de discipline face
aux pressions constantes qui nous inciteraient à répondre à toute crise internationale, à
toute tendance et à toute possibilité internationale par une contribution canadienne
« substantielle », sans égard aux priorités internationales du Canada.
Un fait demeure : la politique du choix a toujours été, et sera toujours, une
caractéristique importante de la politique étrangère du Canada. Je veux être clair sur ce
point. À cette fin, la politique étrangère du Canada doit trouver un équilibre entre les
attentes et les demandes illimitées et des ressources limitées. En conséquence, nous
devons faire des choix difficiles.
Il ne fait aucun doute que nous avons des intérêts à l’échelle de la planète. Mais à mon
sens, nous avons malheureusement tendance dans notre politique étrangère à agir
mondialement sans toutefois faire preuve de discipline.
Consacrer plus d'argent à notre politique étrangère ne suffira pas en soi. À mon avis, si
nous voulons vraiment nous distinguer par notre action, nous devons cibler notre
politique étrangère et lui affecter des ressources particulières. Nous devons nous
concentrer sur des priorités clés qui reflètent les valeurs et les intérêts des Canadiens
tout en répondant aux besoins de la communauté internationale. Et surtout, nous
devons accepter que, même si vous avons quantité d'atouts et d'intérêts dans le
monde, il est essentiel d’établir des priorités parmi ceux-ci, voire à l'intérieur de chaque
intérêt.
Ainsi, nous pourrions faire beaucoup, selon moi, pour aider le processus de paix au
Moyen-Orient. Au cours de ma visite récente, j'ai annoncé un programme d'aide à la
formation judiciaire pour les Palestiniens et l'envoi d'une mission d'information qui verra
ce que nous pourrions faire d'autre pour aider.
Mais je sais déjà par mes entretiens que la liste de ce qu'on nous demande de faire, de
ce que nous pourrions faire et serions bien placés pour faire, et parfois de ce que nous
sommes les seuls à pouvoir faire, est très longue. Il est donc capital de concentrer nos
efforts sur des questions et des objectifs clés pour lesquels la valeur ajoutée
canadienne peut être clairement démontrée et auxquels nous pouvons affecter des
ressources.
À titre de ministre des Affaires étrangères je vais me concentrer sur trois activités
principales.
Premièrement, renforcer le rôle du ministère des Affaires étrangères comme chef
coordonnateur et groupe représentatif des politiques internationales du Canada, ici et
partout dans le monde.
Cela signifie, entre autres, augmenter notre présence diplomatique à l’étranger,
accroître nos effectifs pouvant maîtriser une langue tierce et perfectionner notre rôle
dans la gestion de notre réponse aux crises internationales.
Deuxièmement, déterminer d’une manière sélective, les endroits où le Canada peut
promouvoir la paix et la sécurité dans le monde — au Moyen-Orient, au Sri Lanka, en
Haïti et ailleurs — et diriger une stratégie canadienne dynamique (impliquant plusieurs
ministères et plusieurs intervenants) afin d’y arriver.
Troisièmement, faire en sorte que notre service diplomatique dirige les efforts du
Canada en matière de réforme des institutions multilatérales — et au besoin, en
promeuve de nouvelles, comme le L20 — afin de mieux défendre les priorités
internationales clairement définies, qui sont aussi des objectifs politiques clés du
Canada.
Ces priorités comprennent : la responsabilité de protéger, la poursuite en justice des
criminels de guerre, le renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme, la
sécurité de l’espace, la gestion des maladies infectieuses dans le monde et le
réchauffement de la planète, notamment ses répercussions sur le développement
durable de l’Arctique circumpolaire.
En nous concentrant sur ces priorités, je crois que nous aiderons le Canada à continuer
d’être un interlocuteur unique et respecté partout dans le monde.
Je vous remercie.