M. EGGLETON - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA DEUXIÈME LECTUREDU PROJET DE LOI MODIFIANTLA LOI SUR LES MESURES EXTRATERRITORIALES ÉTRANGÈRES - OTTAWA (ONTARIO)
96/36 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE ART EGGLETON,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
À L'OCCASION DE LA DEUXIÈME LECTURE
DU PROJET DE LOI MODIFIANT
LA LOI SUR LES MESURES EXTRATERRITORIALES ÉTRANGÈRES
OTTAWA (Ontario)
Le 20 septembre 1996
Monsieur le Président,
Il y a certains textes législatifs qu'on préférerait ne pas devoir adopter. Les modifications qui ont été déposées à la Chambre aujourd'hui tombent dans cette
catégorie. Le Canada a été contraint de renforcer les clauses de la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères (LMEE) en raison de l'adoption de la loi Helms-Burton par les États-Unis.
Monsieur le Président, personne ne recherche l'affrontement. Personne ne veut risquer d'élargir le différend. Mais certains principes fondamentaux doivent être
respectés -- y compris la liberté de maintenir la politique étrangère et les relations commerciales de notre choix.
Les Canadiens ont le droit de s'attendre à ce que leur gouvernement riposte lorsque notre souveraineté est menacée. Et le gouvernement est pleinement disposé à
accepter cette responsabilité.
Monsieur le Président, la loi Helms-Burton est mauvaise pour nombre de raisons. J'en mentionnerai d'ailleurs plusieurs aujourd'hui. Mais le plus important est que
cette loi est fondamentalement répréhensible parce qu'elle tente d'imposer une approche uniforme et d'enlever aux autres nations la liberté de prendre leurs propres
décisions et d'appliquer leurs propres politiques.
Elle revient à dire : notre politique étrangère doit être aussi la vôtre, nos relations commerciales doivent être aussi les vôtres, nos amis doivent être aussi les
vôtres, et nos ennemis doivent être aussi les vôtres. Et si vous ne l'acceptez pas, nos lois deviendront aussi les vôtres.
Cela, Monsieur le Président, est fondamentalement mauvais!
Il y a plusieurs années, le président Kennedy disait de la relation entre nos deux pays que « la géographie a fait de nous des voisins mais que l'histoire a fait de
nous des amis. » C'est vrai, Monsieur le Président, et nous sommes fiers de cette relation. L'histoire a effectivement fait de nous des amis, mais elle n'a pas fait de
notre pays le 51e État américain.
Nous ne sommes pas assujettis aux lois américaines, et nous ne sommes pas tenus de respecter les règles américaines. Notre politique étrangère et notre politique
commerciale sont établies à Ottawa -- pas à Washington. C'est un principe que notre nation a toujours affirmé et que notre gouvernement va toujours défendre.
Monsieur le Président, le Canada et les États-Unis sont des nations commerçantes -- qui commercent non seulement l'une avec l'autre, mais aussi avec le reste du monde.
Et les Américains ont toujours joué un rôle clé lorsqu'il s'est agi de favoriser et d'appuyer la libéralisation du commerce mondial.
Cet engagement, qui remonte à l'administration du président Woodrow Wilson, a été encore une fois renouvelé par le président Clinton lors du Sommet des Amériques tenu
à Miami en 1994. Sur l'initiative des États-Unis, qui accueillaient ce Sommet, nous avons lancé le grand projet de libre-échange des Amériques, qui vise à renforcer
les liens avec les économies naissantes de l'Amérique centrale et des Antilles.
Les Américains savent que le commerce entraîne une interdépendance mondiale sans précédent. Le libre échange des biens et des capitaux suscite une plus grande
ouverture aux nouvelles idées et aux nouvelles approches. L'histoire nous a appris, encore et encore, que le resserrement des liens commerciaux rapproche les nations.
La libéralisation du commerce et un système de règles claires sont donc des objectifs importants, que le gouvernement a pleinement appuyés.
Mais des signes récents nous font craindre un relâchement de l'engagement des Américains envers la libéralisation du commerce. Il y a d'abord eu la rhétorique
isolationniste entendue tout au long des primaires présidentielles. Et il y a maintenant la loi Helms-Burton.
Monsieur le Président, ceux d'entre nous qui sont déterminés à abattre les barrières et à créer des débouchés ne peuvent adopter une approche sélective. Nous ne
pouvons défendre une approche en principe, puis la renier dans la pratique.
Et, en tant que leaders du mouvement de libéralisation du commerce, les États-Unis ne peuvent nous dire que « le monde devrait suivre cette voie, sauf lorsque nous
leur disons le contraire ». Ils ne peuvent rejeter un système qu'ils disent fermé et anachronique en adoptant des lois qui imitent ce système. Et ils ne peuvent
s'opposer à l'isolationnisme en isolant certains de leurs adversaires.
Le Canada et les États-Unis partagent sans doute le même objectif à l'égard de Cuba : promouvoir la démocratie, la réforme de l'économie et le respect des droits de la
personne.
Nous divergeons de vues sur la meilleure façon d'obtenir ce résultat. Les Américains préconisent l'isolement de Cuba; nous préférons l'engagement avec Cuba. L'histoire
jugera de la meilleure approche. Je voudrais seulement rappeler que la politique américaine à l'égard de Cuba est appliquée depuis plus de 30 ans. Les présidents
Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan et Bush se sont succédés, mais Castro se maintient encore au pouvoir.
Et pourquoi cette approche particulière à l'égard de Cuba? Les États-Unis ont aussi de profondes divergences avec la Chine, qui ne les empêchent toutefois pas de
maintenir un commerce de plusieurs milliards de dollars avec ce pays. Et personne n'irait suggérer que le fait que les États-Unis poursuivent leur commerce avec la
Chine signifie qu'ils acceptent maintenant mieux certaines politiques chinoises. Pourquoi donc cette double mesure à l'égard de Cuba?
Mais la confusion ne s'arrête pas là, Monsieur le Président. Le 21 juin, le coordonnateur des Affaires cubaines au département d'État, M. Michael Ranneberger,
affirmait que la loi Helms-Burton est conçue pour « décourager l'investissement étranger à Cuba ». C'était franc et simple.
Pourtant, le mois dernier, l'envoyé spécial du président à Cuba, M. Stuart Eizenstat, déclarait lors d'une conférence de presse à Ottawa que les États-Unis ne disaient
aucunement aux Canadiens de mettre fin à leur commerce ou à leurs investissements à Cuba, et qu'ils ne nous mettaient pas de fusil à la tempe. Il suggérait plutôt aux
Canadiens de réaliser des investissements stratégiques susceptibles de promouvoir la démocratie à Cuba.
Il semblerait, Monsieur le Président, que le commerce et l'investissement à Cuba sont acceptables, en autant qu'ils sont approuvés par les États-Unis! C'est ce qui se
produit lorsqu'une politique est décidée à la hâte, sous les pressions et dans le tapage d'une année électorale. Ce n'est pas une façon de se donner une bonne
politique sur le long terme.
C'est un retour à la période où les gouvernements croyaient que le commerce devait être contrôlé en fonction des circonstances et non sur la base de règles convenues.
C'est un retour en arrière plutôt qu'un pas en avant.
Un autre aspect inquiétant de cette loi est qu'elle affecte autant les amis que les ennemis des États-Unis. La loi Helms-Burton a pris un problème américano-cubain et
en a fait une grande question de commerce et d'investissements internationaux.
Deux sections de la Loi sont particulièrement offensantes. Le Titre III permet aux nationaux des États-Unis qui revendiquent la propriété de biens expropriés par Cuba
de poursuivre des nationaux étrangers, et donc canadiens, devant les tribunaux américains. Si la société poursuivie n'a pas d'actif aux États-Unis, le plaignant
américain pourrait tenter de faire appliquer le jugement par les tribunaux canadiens.
Il y a deux mois, le président Clinton a suspendu ce droit de poursuite pour une période de six mois. Il peut changer d'avis en tout temps. La menace de poursuites est
imminente tant que la loi Helms-Burton reste en application.
Le Titre IV de la Loi permet au gouvernement américain de refuser l'admission aux dirigeants d'entreprises qui, selon le département d'État, sont réputées avoir fait
le « trafic » de biens visés par une réclamation américaine. Et l'interdiction s'applique aussi aux familles de ces dirigeants.
M. Eizenstat a affirmé qu'on ne nous mettait pas de fusil à la tempe. Mais il me semble, Monsieur le Président, qu'on nous braque deux fusils -- les titres III et IV.
Les deux fusils sont chargés. Mais celui du Titre III a le cran de sûreté engagé jusqu'à ce que les Américains décident de le relâcher.
La loi Helms-Burton est aussi régressive à d'autres égards. Alors que les nations de l'hémisphère se rapprochent plus que jamais, la loi Helms-Burton tente non pas
d'intégrer, mais d'isoler. Avec des initiatives comme le Sommet de Miami et la Zone de libre-échange des Amériques, nous avons la chance de rassembler les éléments
disparates de cet hémisphère pour former une nouvelle relation fondée sur l'ouverture et sur la libre circulation des idées, des personnes et des produits.
La loi Helms-Burton va à l'encontre de cette tendance et tente d'ériger des barrières plutôt que des ponts; elle crée des rancoeurs plutôt que des relations; et elle
favorise la tension plutôt que la confiance.
Enfin, la loi Helms-Burton est inacceptable parce qu'elle défie les pratiques juridiques internationales depuis longtemps établies pour régler les différends entre
nations concernant les réclamations d'investisseurs étrangers dont les biens ont été expropriés sans compensation.
Ces pratiques établies ont bien servi le monde. En choisissant de les ignorer, la loi Helms-Burton crée un précédent dangereux. Si les États-Unis se comportent
aujourd'hui de cette façon, qu'est-ce qui empêchera d'autres nations d'adopter demain des mesures similaires? Et dans la grande mêlée internationale qui s'ensuivrait,
nous saboterions une bonne partie de nos efforts passés pour assujettir le commerce à des règles internationales.
C'est pour toutes ces raisons que le Canada s'est opposé à la loi Helms-Burton. Nous avons porté l'affaire aux plus hauts niveaux de l'Administration américaine, et
j'ai rencontré mes homologues mexicain et américain pour des consultations en vertu du chapitre 20 de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain].
Le Canada a aussi soulevé la question avec ses autres partenaires commerciaux membres de l'Organisation mondiale du commerce et de l'Organisation de coopération et de
développement économiques. Dans les négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement, nous tentons d'obtenir une protection contre ce type de mesure; et
nous ne relâcherons pas nos efforts en ce sens.
S'inspirant de notre opposition à la loi Helms-Burton, l'Union européenne et le Mexique préparent actuellement des projets de loi similaires à notre LMEE. Et d'autres
nations songent à faire de même.
Ces critiques et ces préoccupations ne sont pas exprimées seulement à l'extérieur des États-Unis. La Chambre de commerce des États-Unis et l'Association nationale des
manufacturiers américains ont incité le président à ne pas appliquer le Titre III de la loi Helms-Burton.
Les États-Unis, disent-elles, profitent autant que quiconque de « règles commerciales fermes, stables et fiables ». En d'autres termes, Monsieur le Président, même les
associations de gens d'affaires représentant plusieurs des sociétés qui pourraient intenter des poursuites aux termes du Titre III sont opposées à son application.
Elles connaissent le danger. Elles savent ce qui est en jeu.
Toutes ces pressions exercées aux États-Unis et ailleurs sont certes utiles. Mais nous pouvons faire davantage nous-mêmes. Comme apporter les modifications nécessaires
à la LMEE.
Nous croyons que les modifications soumises à la Chambre constituent une riposte appropriée et mesurée, et qu'elles seront efficaces.
La LMEE a été adoptée, en 1985, pour empêcher que les lois ou jugements déraisonnables d'une puissance étrangère soient appliqués au Canada.
Les modifications que nous proposons renforceront la LMEE de deux façons :
elles permettront au procureur général de bloquer tout effort d'un plaignant étranger pour faire exécuter chez nous un jugement rendu en vertu d'une loi comme la loi
Helms-Burton; et
elles permettront aux Canadiens de s'adresser aux tribunaux canadiens si des jugements sont rendus contre eux devant des tribunaux américains. En d'autres mots, les
Canadiens pourront s'adresser à nos tribunaux pour demander de recouvrer ou de « récupérer », à même l'actif du plaignant américain, un montant équivalant à celui que
leur a imposé le tribunal américain.
Prenons l'exemple d'un national américain qui obtiendrait gain de cause à l'issue d'une procédure Helms-Burton engagée contre un Canadien devant un tribunal américain.
Si le Canadien n'avait pas d'actif aux États-Unis, le national américain devrait demander à un tribunal canadien de faire exécuter le jugement. Le procureur général du
Canada aurait alors le pouvoir de prendre un arrêté bloquant ce processus.
Et si le tribunal américain ordonnait au Canadien de verser des dommages-intérêts, ce Canadien pourrait poursuivre l'Américain devant les tribunaux canadiens afin de
recouvrer le plein montant des dommages-intérêts adjugés. Ce montant, plus les frais de cour dans les deux pays, serait prélevé sur l'actif de l'Américain au Canada.
L'un des problèmes que nous avons rencontrés par le passé est que des sociétés canadiennes ont refusé de se conformer à la LMEE parce que les pénalités imposées par le
pays étranger sont plus élevées que celles prévues par notre propre loi.
Pour corriger ce problème, nous accroissons les amendes prévues par la Loi, faisant passer leur montant maximal de 10 000 dollars à 1,5 million de dollars.
Les modifications permettront aussi au procureur général de placer les lois étrangères qu'il juge répréhensibles sur une liste établie aux termes de la LMEE.
L'établissement d'une telle liste donnera une plus grande marge de manoeuvre au gouvernement et permettra d'intervenir plus vite pour défendre des intérêts canadiens.
Monsieur le Président, toutes les modifications que nous proposons sont modérées et de nature défensive. Nous avons espoir qu'elles n'auront jamais à être utilisées.
Mais il est essentiel qu'elles soient mises en place pour permettre aux sociétés canadiennes de se protéger elles-mêmes si elles en avaient un jour besoin.
En terminant, Monsieur le Président, permettez-moi d'inviter à nouveau les États-Unis à se rappeler les principes pour lesquels ils ont combattu et grâce auxquels tant
de progrès ont été réalisés. Je leur demande de se rappeler les avantages que la libéralisation du commerce leur a déjà procurés, à eux et aux autres, et les avantages
encore plus grands que leur promet une libéralisation plus poussée du commerce.
Nous avons parcouru trop de chemin et nous avons réalisé trop de progrès pour nous arrêter maintenant. Nous avons démantelé trop de barrières pour commencer à en
ériger de nouvelles. Nous ne pouvons pas, et nous ne devons pas, sacrifier ces principes à l'opportunisme.
À nous donc de collaborer pour multiplier ces possibilités en élargissant les avantages d'une libéralisation du commerce. Travaillons ensemble pour engager plutôt que
pour isoler Cuba -- et toutes les autres Cuba de la planète -- de sorte que les libertés, les espoirs et les possibilités suscités par la libéralisation du commerce
soient offerts à tous les peuples du monde.
Merci.