M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA SÉANCE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES CONSACRÉE AUX ARMES LÉGÈRES - NATIONS UNIES, NEW YORK
99/50 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DE LA SÉANCE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES
NATIONS UNIES CONSACRÉE AUX ARMES LÉGÈRES
NATIONS UNIES, New York
Le 24 septembre 1999
(14 h 15 HAE)
La prolifération, l'abus et l'accumulation excessive des armes légères préoccupent au plus haut point
le Conseil de sécurité. Je souhaite remercier les Pays-Bas d'avoir pris l'initiative d'attirer l'attention du
Conseil sur cette question d'une importance cruciale.
La semaine dernière, le Conseil s'est saisi du rapport du secrétaire général sur la protection des civils
dans les situations de conflit armé. Ce document constitue un plan directeur visant à faire de la
sécurité des populations un volet central des travaux du Conseil. Tel était l'objectif que poursuivait le
Canada lorsqu'en février dernier, il a prié le Conseil de demander ce rapport.
Il est littéralement impossible de protéger les civils si on n'endigue pas le mouvement des armes
légères. De nos jours, ces armes sont les principaux instruments de guerre. On s'en sert pour tuer,
pour mutiler et pour terroriser des gens -- pour la plupart, des personnes innocentes et, pour la
majorité d'entre elles, des civils. Au cours de la dernière décennie seulement, 46 des 49 conflits qui ont
assombri notre monde ont été menés principalement ou exclusivement au moyen d'armes légères.
Les répercussions de ces conflits sur les civils ont été dévastatrices. Les faits parlent d'eux-mêmes :
les civils représentent aujourd'hui plus de 80 p. 100 des victimes des conflits armés; ces conflits
entraînent chaque année la mort de plus de 1 million de personnes, bilan attribuable aux armes légères
dans une proportion de 90 p. 100. Si nous faisons des estimations prudentes, il s'ensuit que la mort de
plus de 700 000 personnes, chaque année, est imputable directement aux armes légères. Elles
constituent véritablement des armes de destruction massive.
Puisqu'elles sont facilement accessibles, il est devenu plus facile de faire la guerre, ce qui accroît très
considérablement les coûts humains des différends civils et ethniques.
Elles sont légères et d'utilisation facile, ce qui abaisse le seuil de la violence et de la terreur. De ce fait,
il devient facile, pour des gouvernements corrompus et des seigneurs de la guerre, de transformer de
jeunes enfants innocents en machines à tuer d'une efficacité à vous glacer le sang.
Partout dans le monde, elles mettent en danger les militaires, les policiers et le personnel humanitaire,
dont la tâche consiste justement à venir en aide aux victimes des conflits. Ces armes rendent le
développement économique impossible.
Les défis que pose la lutte contre ces armes sont complexes, mais ils se résument à une question
d'offre et de demande, et, pour parler franchement, au courage politique d'agir.
La demande d'armes légères est alimentée par ceux dont les ambitions provoquent la misère humaine.
Ils reçoivent l'aide et l'encouragement d'intérêts commerciaux louches, qui tirent profit du marché des
conflits. L'un des échecs de la mondialisation réside dans le fait qu'elle a permis la mise en place d'une
nouvelle économie de la guerre, dans laquelle, en échange de diamants et d'autres ressources
naturelles, certaines sociétés fournissent aux seigneurs de la guerre les ressources financières dont ils
ont besoin pour mener leurs actions. Cet argent se retrouve aux mains d'autres intérêts commerciaux
louches, qui ne sont que trop heureux de faire des bénéfices au moyen du commerce illicite des armes.
Ces entreprises doivent voir la réalité au-delà de leurs intérêts étroits et à court terme; il faut qu'elles
commencent à se rendre compte des conséquences réelles de ce commerce sur la vie des populations.
En d'autres termes, il faut qu'elles prêtent leur concours à la solution de ce problème.
Nous constatons qu'il se prend des mesures encourageantes. Le Canada et un certain nombre d'autres
membres de l'Accord de Wassenaar se sont employés à garantir que toutes les parties respectent le
moratoire de la CEDEAO [Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest] sur les armes
légères. Voilà ce que j'entends par comportement responsable. Lorsqu'un groupe de pays a le courage
de dire « NON » aux armes légères, nous devons avoir la décence de respecter leur décision.
Il nous faut aussi réfléchir à de nouvelles façons d'aborder le problème des armes légères. Celles-ci
sont omniprésentes, mais elles ne servent à rien sans munitions. Nous devrions examiner les moyens
de repérer, de contrôler ou de marquer les munitions, ce qui constitue un moyen de lutter contre l'effet
mortel de ces armes.
Nous devrions envisager des mesures unilatérales, comme la destruction des stocks excédentaires.
L'Afrique du Sud l'a fait parce que, faisant ainsi preuve de clairvoyance, elle savait qu'il lui fallait
détruire ces armes avant qu'elles ne puissent tuer.
De toute évidence, il faut adopter une approche globale et systématique. Telle était la conclusion du
Groupe d'experts des Nations Unies sur les armes légères. Dans la foulée de ces travaux, une
proposition a été soumise à la présente Assemblée générale en vue de la convocation d'une
conférence sur le trafic illicite des armes légères au cours de 2001.
Le Canada souscrit vigoureusement à cette proposition. Il tient à ce que cette conférence change
vraiment la situation. C'est pourquoi il importe que nous profitions de la conférence et, fait plus
important encore, de la période de temps qui nous sépare de sa tenue, afin de modifier nos mentalités
et nos comportements. Le Canada est disposé à accueillir une réunion préparatoire afin de situer ces
travaux dans le cadre d'une démarche concrète.
Cela dit, nous ne saurions attendre l'an 2001 avant d'agir. Les besoins sont trop pressants. Au
contraire, l'année 2001 devrait nous donner l'occasion de dresser le bilan des résultats obtenus et de
planifier la poursuite de l'action. Or, pour obtenir des résultats, il faut que nous nous mettions à
l'oeuvre dès maintenant.
D'après le Canada, nous devrions nous attaquer à ce problème en suivant une approche pragmatique.
C'est pourquoi mon pays a soutenu le microdésarmement au Mozambique et au Salvador, les efforts de
désarmement, de démobilisation et de réinsertion en Sierra Leone, ainsi que la préparation d'un
protocole sur les armes à feu au sein du Conseil économique et social. Même dans le cadre de l'OTAN,
nous avons appelé les nouveaux membres à veiller à ce que leurs tentatives de modernisation ne se
traduisent pas par un mouvement indésirable d'armes vers d'autres régions; nous avons averti les
candidats à l'adhésion que leur comportement dans ce domaine serait pris en compte dans la prise de
décisions relatives à l'élargissement de cette organisation.
En réalité, s'agissant d'armes légères, il est fréquent que de petits pas permettent de faire de grandes
avancées. Plus tôt cette année, le Canada et la Norvège ont parrainé une réunion de praticiens du
microdésarmement en provenance de la Sierra Leone, du Salvador, du Mozambique et de l'Albanie.
Cette réunion avait pour objectifs la mise en commun d'expériences et la définition des moyens par
lesquels les gouvernements et d'autres protagonistes peuvent accorder un soutien à ces praticiens.
Les expériences dont ils ont fait état sont à la fois saisissantes et encourageantes.
D'abord et avant tout, ils ont insisté sur le fait que pour être efficace, la démarche de désarmement, de
démobilisation et de réinsertion doit être bien planifiée et coordonnée, de concert avec d'autres
composantes du système des Nations Unies et d'ailleurs, qui sont susceptibles d'entrer en action. Fait
important entre tous, il importe qu'elle bénéficie du soutien sans réserve des parties qui sont le plus
directement touchées.
Des mesures plus actives visant à limiter l'utilisation de ces armes mortelles, à prévenir d'emblée la
nécessité du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion, seraient encore plus pertinentes.
Dans ce but, le Conseil doit se renseigner sur l'abus des armes légères et des armes de type militaire,
dans le cadre de son examen de conflits spécifiques, et faire de la correction de ces abus l'axe central
de son action visant à rétablir la stabilité.
Le cas échéant, le Conseil devrait imposer des embargos sur les armes et d'autres sanctions ciblant
les commerces illégaux qui financent l'acquisition de ces armes. Fait qui importe le plus, le Conseil ne
doit pas seulement demander, mais assurer la mise en oeuvre intégrale et efficace de ces mesures.
Telle est la motivation qui donne l'impulsion à l'action du Canada en sa qualité de président du Comité
des sanctions en Angola : tarir la source illégale de financement par les diamants qui soutient l'effort
de guerre mené par l'UNITA, réduire l'accès aux réserves de pétrole qui lui permettent d'exploiter sa
machine de guerre et, fait qui est probablement le plus important, réduire l'acquisition des armes qui
rendent possible la poursuite de cette guerre meurtrière.
Si nous réussissons à endiguer le mouvement des diamants, cela aidera le Conseil de sécurité à
concevoir des modèles susceptibles de s'appliquer à d'autres conflits.
Ainsi, l'action visant à lutter contre la propagation des armes légères nécessite une réorientation de
nos modalités d'application des sanctions. On ne peut pas et on ne doit pas recourir aux sanctions
globales comme moyen bon marché d'assurer la paix et la sécurité. Il s'agit d'un instrument quelque
peu émoussé. Comme nous le savons, les instruments émoussés blessent, mais pas toujours ceux que
l'on cherche à atteindre. Il importe que nous rendions les sanctions aussi tranchantes qu'une lame de
rasoir. Elles devraient être pointées vers les auteurs du conflit : ce sont eux qui devraient souffrir, et
non pas des personnes innocentes.
Manifestement, nous avons à notre portée des moyens de rendre opérationnel un programme d'action
contre les armes légères.
• Le Conseil peut agir en adoptant des mesures se situant dans l'optique que j'ai décrite : sanctions,
mandats des opérations de maintien de la paix, programmes de désarmement, de démobilisation et de
réinsertion.
• L'Assemblée générale peut renforcer le Conseil et l'inciter à mettre en oeuvre les résolutions qu'il a
votées et à aller plus loin.
• Les organisations régionales peuvent renforcer la stabilité et la sécurité au moyen d'accords sur le
commerce licite et illicite de ces armes, ainsi que sur leur trafic.
• Les États membres peuvent agir individuellement afin de se doter du cadre juridique leur permettant
de contrôler l'importation et l'exportation des armes légères, et ils peuvent détruire la part de ces
armes qui dépasse leurs besoins légitimes.
• Les ONG [organisations non gouvernementales] et la société civile peuvent oeuvrer en partenariat
avec les gouvernements afin de promouvoir la mise en oeuvre de mesures visant à rehausser la
sécurité des personnes en endiguant la propagation et l'utilisation des armes légères, et en
s'employant à édifier des sociétés qui n'accordent aucune importance à la possession et à l'utilisation
illégales d'armes.
Les armes légères représentent un grave problème. De par leur caractère diversifié, elles demandent
des actions sur plusieurs fronts : pratique, financier, technique et culturel.
Nous devrions prendre ici-même l'engagement de parvenir à une division mondiale du travail afin de
mener notre lutte sur tous les fronts : du Conseil de sécurité à chacun des gouvernements, et sur le
plan des organisations communautaires, de manière à contrer la menace que font planer les armes
légères. J'ai la conviction que si nous unissons nos efforts et faisons preuve de détermination, nous
pouvons atteindre nos objectifs.
Merci.