M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU SÉMINAIRE SUR LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES CANADA-UNION EUROPÉENNE, LA COOPÉRATION CIRCUMPOLAIRE ET LA DIMENSION NORDIQUE - AYLMER (QUEBEC)
99/53 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU SÉMINAIRE SUR LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES
CANADA-UNION EUROPÉENNE, LA COOPÉRATION
CIRCUMPOLAIRE ET LA DIMENSION NORDIQUE
AYLMER (Québec)
Le 20 octobre 1999
(16 h 25 HAE)
Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à tous les participants au Séminaire sur les relations
transatlantiques Canada-Union européenne, la coopération circumpolaire et la dimension
nordique. Cette conférence ajoute une nouvelle dimension aux relations entre le Canada et
l'Union européenne.
Le fait de définir et de traduire dans la réalité le partenariat Canada-UE au moyen d'approches
nordiques, en plus des approches transatlantiques traditionnelles, ouvre une gamme de
perspectives et d'avenues politiques encore inexplorées et inexploitées en matière de
coopération pratique.
Le Canada est très heureux de collaborer avec la présidence finlandaise à l'examen de cet
aspect de nos relations. Nous félicitons la Finlande pour les efforts importants qu'elle a déployés
afin de faire avancer cet objectif durant sa présidence. Lors de ma rencontre avec la présidence
le mois dernier, à Helsinki, nous avons tous deux souligné la priorité que revêtait la coopération
nordique.
En travaillant ensemble et faisant fond sur la vaste communauté d'organisations régionales --
du Conseil de l'Arctique au Conseil euro-arctique de la mer de Barents -- et en favorisant la
coopération, la cohérence et les synergies entre elles et en leur sein, nous pouvons réaliser de
grandes choses.
Il y a aussi de nouvelles possibilités stimulantes de partenariat avec d'autres pays du Nord,
notamment la Russie et les États baltes, et avec les diverses communautés nordiques,
notamment les populations autochtones.
Voilà pourquoi ce séminaire a une importance particulière : de cette rencontre émergeront des
idées qui aideront à façonner les politiques gouvernementales à l'égard du Nord. La rencontre
vient à point nommé puisque le Canada et l'UE ont récemment posé des gestes importants afin
de donner une dimension nordique à leur politique étrangère.
Dans le discours du Trône, il y a une semaine, le gouvernement canadien a exprimé son
intention de « confirmer le leadership du Canada dans l'Arctique [et d'esquisser] une politique
étrangère pour le Nord visant à améliorer la coopération, protéger l'environnement, favoriser le
commerce et l'investissement et appuyer la sécurité des habitants de la région ».
En fait, bon nombre des enjeux sont axés sur les préoccupations directes de ces habitants. En
conséquence, cette initiative va aussi dans le sens de la priorité que mon gouvernement
accorde aux objectifs de la sécurité humaine dans la politique étrangère du Canada.
Votre séminaire est une étape importante dans le développement d'une vision et d'un plan
d'action qui mènent à une politique étrangère pour le Nord. Je compte aller de l'avant en
examinant les possibilités qu'offrent les secteurs du commerce, de l'investissement et des
transports; en explorant de nouvelles façons de lutter contre les polluants qui menacent la
subsistance, le mode de vie et, souvent, l'existence même de nos communautés nordiques de
même qu'en cherchant de nouveaux moyens de relier nos communautés et de créer des
partenariats entre nos gouvernements pour améliorer la situation de tous les habitants du Nord.
Je crois que nous pouvons, ensemble, développer une façon nouvelle et unique d'aborder nos
défis communs dans le Nord, ainsi que les facettes des enjeux mondiaux qui touchent le Nord
et la « nordicité » que nous partageons.
À cette fin, je travaille à l'élaboration d'un document global sur une politique étrangère
canadienne pour le Nord que je compte avoir terminé avant la fin de l'année. Je crois savoir
que l'UE tiendra, pour sa part, une réunion ministérielle spéciale en Finlande sur la dimension
nordique de l'UE.
Votre séminaire et les nouveaux réseaux de contacts qu'il permettra d'établir apporteront une
contribution significative à ce dialogue et aux travaux qui suivront pour mettre en oeuvre une
politique étrangère pour le Nord.
Comment le Canada envisage l'inclusion d'une dimension nordique dans sa politique
étrangère
Le sentiment de nordicité est depuis longtemps un des éléments centraux de l'identité
canadienne. Même les Canadiens qui n'ont jamais visité le Nord connaissent sa force comme
pilier de l'écosystème mondial, et sa fragilité comme réceptacle involontaire des polluants de la
planète. Ils savent qu'ils sont reliés au reste du monde par le pôle Nord, tout autant que par
leurs liens transpacifiques, transatlantiques et transcontinentaux traditionnels.
Les enjeux nordiques sont variés, allant des questions de souveraineté et de défense jusqu'à la
promotion de la diversité culturelle en passant par le développement industriel et commercial,
les nouvelles relations commerciales et voies de communication, la protection de
l'environnement, la recherche et l'éducation ainsi que la santé et le développement social.
La communauté circumpolaire regroupe aussi certains des partenaires de politique étrangère
les plus importants du Canada, qu'il s'agisse de l'Union européenne, des États-Unis ou de la
Russie.
Toutefois, notre approche a été largement ponctuelle. Il est clair que nous n'avons pas exploité
pleinement le potentiel de cet aspect de la réalité politique, économique, culturelle et
géographique du Canada. Jusqu'à tout récemment, nous n'avions fait que de modestes efforts
pour intégrer notre nordicité dans notre politique étrangère et pour souligner le lien entre notre
sécurité et notre prospérité d'une part et notre capacité de gérer les enjeux nordiques d'autre
part.
Voilà pourquoi, il y a deux ans, les parlementaires canadiens ont, par l'entremise du comité des
affaires étrangères et du commerce international, jeté un regard neuf sur le Nord et préparé un
rapport global sur le Canada et la région circumpolaire.
Cet exercice a enclenché un processus de consultations et de discussions approfondies. L'an
dernier, à la réunion ministérielle du Conseil de l'Arctique à Iqaluit, j'ai rendu public un
document intitulé « Vers une politique étrangère canadienne visant le Nord ».
Nous avons organisé un forum national pour recueillir les points de vue des universitaires, des
experts et de la société civile sur le Nord. Notre ambassadrice aux affaires circumpolaires, Mme
Mary Simon, a rencontré des représentants des gouvernements territoriaux et provinciaux, des
leaders autochtones, des membres d'organisations autochtones et d'autres habitants du Nord
pour prendre en compte leurs perspectives.
Cette approche a permis de dégager les éléments principaux de la politique, que sous-tendent
quatre grands objectifs : protéger la sécurité et la souveraineté territoriale du Canada dans le
Nord; assurer le bien-être des Canadiens vivant dans le Nord et la santé de l'environnement
nordique; contribuer à la stabilité de la communauté circumpolaire ainsi qu'à la sécurité et au
bien-être de ses citoyens; et, ainsi, aider à renforcer les piliers économiques, culturels et de
sécurité de notre politique étrangère.
Le Canada cherchera à atteindre ces objectifs en favorisant l'intégration d'une dimension
nordique dans sa politique étrangère globale; une coopération internationale qui contribue au
développement durable dans le Nord canadien et circumpolaire; et une saine gouvernance
circumpolaire grâce à la coopération multilatérale.
Nous savons que nous ne pouvons y arriver seuls. Je sais aussi, pour avoir abondamment
consulté mes homologues européens et discuté avec les États-Unis et la Russie, que ce vaste
programme d'action n'est pas unique au Canada.
Mes collègues comprennent d'instinct lorsque je leur dis que les communautés du Nord
canadien s'inquiètent de la fragilité de leur environnement, des occasions trop limitées qui
s'offrent aux jeunes et aux enfants, particulièrement en ce qui concerne l'éducation, l'emploi, les
échanges culturels et le développement des affaires et qu'elles en ont assez de l'approche
nord-sud traditionnelle utilisée pour résoudre les problèmes propres au Nord.
Lorsque je leur dis que les habitants du Nord sont prêts à interagir avec les communautés qui
les entourent, qu'ils sont prêts à entamer un sérieux processus de dialogue et d'engagement
pour trouver des moyens efficaces de venir à bout de ces défis communs, mes collègues me
répondent qu'on leur a fait les mêmes commentaires.
Voilà pourquoi l'heure du Nord a maintenant sonné. L'inclusion d'une dimension nordique dans
nos politiques étrangères est un développement tout à fait logique.
Les efforts actuels de coopération multilatérale
Durant la dernière décennie, on a assisté à une activité sans précédent de coopération ainsi
que de création et de renforcement des institutions dans le Nord circumpolaire, afin d'y
encourager la coopération pour relever les défis et répondre aux aspirations de ses habitants.
Le Conseil nordique a renforcé son rôle. Le Conseil des États de la mer Baltique a été créé pour
promouvoir le développement de la démocratie et favoriser le développement économique. Le
Conseil euro-arctique de la mer de Barents a été institué pour servir de forum de coopération
parmi ses membres sur une vaste gamme de questions. Le Conseil de l'Arctique, quant à lui, a
vu le jour il y a trois ans; les gouvernements et les organisations autochtones y joignent leurs
forces pour résoudre des problèmes communs dans la région arctique, spécialement en ce qui
concerne le développement durable.
Chaque organisme a prouvé son utilité. À titre d'exemple, grâce au Conseil de l'Arctique, on
assiste à l'émergence de plusieurs initiatives emballantes comme l'Université de l'Arctique, une
« université sans murs », un programme de travail sur les enfants et les jeunes de l'Arctique et
le développement d'un système d'échanges électroniques d'informations concernant les
évaluations de l'impact environnemental.
Les organismes multilatéraux ne sont toutefois pas les seules voies de la coopération. Le
resserrement des relations bilatérales avec les voisins du Nord a beaucoup contribué à relever
les défis et à exploiter les occasions qui se présentent.
Ce n'est pas une coïncidence si, plus souvent qu'autrement, il existe une communauté
d'intérêts, de valeurs et d'objectifs dans les forums multilatéraux, de l'ONU à l'OSCE
[Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe], entre les membres de notre
communauté nordique -- la Finlande, la Norvège, le Danemark, la Suède et l'Islande.
La fin de la Guerre froide a ouvert de nouvelles avenues de coopération avec la Russie et avec
les États baltes. Il aurait été tout simplement impensable d'envisager une communauté
circumpolaire quand nous nous préoccupions davantage de la trajectoire de missiles balistiques
intercontinentaux au-dessus du pôle que des polluants qui l'assiégeaient.
Toutes ces formes de coopération sont valables. Il est cependant capital de coopérer de la
façon la plus efficace possible. Certains chevauchements sont inévitables -- mais nous devons
veiller à ce que nos efforts soient complémentaires et qu'ils ne fassent pas double emploi.
Le rôle et la participation des populations autochtones constituent une caractéristique unique de
la coopération circumpolaire. S'appuyant sur la participation autochtone à d'autres forums
nordiques, le Conseil de l'Arctique a innové au plan international. Pour la première fois -- où
que ce soit sur la planète -- les peuples autochtones et tout particulièrement les participants
permanents, jouent un rôle intégral et continu dans un organisme multilatéral permanent.
Lorsque le Conseil se réunit, il le fait avec la participation active de la Conférence circumpolaire
inuit, du Conseil saami, de l'Association russe des peuples autochtones du Nord et de l'Aleut
International Association.
Simple question de bon sens. Ceux qui ont les plus grands enjeux doivent pouvoir parler d'une
voix claire. Ils doivent jouer un rôle direct. Il leur faut des forums communs pour résoudre des
problèmes transfrontaliers communs.
Outre qu'elle est unique parmi les organisations multilatérales et qu'elle constitue un exemple
important de coopération multilatérale, la participation directe des habitants du Nord -- et
surtout des peuples autochtones -- aux affaires du Conseil de l'Arctique confère à ce dernier
une légitimité et une pertinence particulières.
De fait, la participation autochtone à la coopération circumpolaire montre la pertinence et les
liens de l'expérience et des solutions nordiques au chapitre de l'ensemble de la communauté
mondiale. Ce qui se produit dans le Nord importe au reste d'entre nous, tout comme ce qui se
produit ailleurs importe aux habitants du Nord.
Cette interdépendance commande un programme interactif. Le lien entre le Nord et le Sud
apparaît peut-être le plus clairement sur le plan environnemental.
Des politiques et une action efficaces en faveur de la protection environnementale sont
primordiales pour les habitants du Nord canadien. Leur santé, leurs gagne-pain et leur survie
culturelle sont liés à l'environnement. La dégradation du milieu naturel -- et surtout la présence
de polluants organiques persistants -- menace de nombreux habitants du Nord. Comme nous
le savons tous, la plupart de ces polluants viennent de l'extérieur de la région.
Parallèlement, la région circumpolaire a une importance énorme pour l'intégrité de
l'environnement mondial. Des signes de problèmes environnementaux dans le Nord sont
souvent révélateurs de tendances plus globales qui ont des incidences pour l'ensemble de la
planète.
Il importe donc, dans la recherche de solutions aux problèmes environnementaux de l'Arctique,
de s'associer à d'autres forums et organismes internationaux qui s'occupent de questions
semblables. Et l'expérience et les compétences de la communauté circumpolaire dans la lutte
contre de telles menaces pourraient se révéler utiles dans le contexte mondial.
Coopération accrue
Il ne fait pas de doute que le programme circumpolaire s'articule autour de la coopération sur
des questions qui intéressent spécifiquement le Nord. Cette coopération devrait continuer. Il
s'agit aussi d'élargir des activités, de prolonger des accords, de multiplier les contacts dans des
secteurs déjà visés dans le cadre de relations bilatérales.
En ce qui a trait au partenariat entre le Canada et l'UE, il existe des assises solides sur
lesquelles bâtir. La coopération arctique entre le Canada et l'UE en matière de développement
durable et de protection environnementale a déjà été reconnue.
Un accord sur la coopération économique, une déclaration sur les relations transatlantiques et
une déclaration politique et un plan d'action communs sont déjà en place. Nous avons lancé en
1998 l'Initiative commerciale Europe-Canada afin d'accroître la coopération commerciale aux
plans bilatéral et multilatéral. En outre, un nombre croissant d'accords sectoriels, portant entre
autres sur les sciences et la coopération, l'éducation et la formation et le piégeage sans
cruauté, témoignent de la vitalité de nos contacts.
Ces accords, aussi bien généraux que sectoriels, peuvent servir de base à partir de laquelle
étendre la coopération au delà de l'environnement. Parmi les actions conjointes qui pourraient
être entreprises :
• diversifier l'économie nordique et les possibilités économiques offertes aux habitants du Nord;
• accroître le commerce et attirer des investissements étrangers dans la région panarctique;
• renforcer les voies de communication circumpolaires;
• envisager des activités susceptibles d'améliorer le commerce de biens et de services entre les
populations autochtones dans les régions nordiques;
• déployer des efforts communs pour répondre aux besoins d'infrastructure uniques en matière
de santé et au plan social;
• améliorer l'éducation et la mobilité des habitants du Nord;
• coopérer dans les négociations commerciales afin de faciliter l'accès des produits et des
services, y compris ceux qui présentent de l'intérêt pour nos communautés nordiques, afin
d'aider celles-ci à participer pleinement à la nouvelle économie mondiale;
• un objectif transversal, qui englobe ce programme et l'ensemble du Nord, celui de bâtir l'avenir
des jeunes et des enfants du Nord et leur ouvrir de nouvelles possibilités.
Conclusion
Un partenariat septentrional entre l'UE et le Canada ajouterait une nouvelle dimension à nos
relations, une dimension qui procurerait de réels avantages à nos communautés nordiques.
Bon nombre des défis auxquels fait face aujourd'hui le Nord canadien viennent d'au-delà de nos
frontières, tout comme nombre des problèmes auxquels est confrontée la région circumpolaire
ont des origines ou des incidences mondiales.
Tant au Canada qu'au sein de l'UE, on reconnaît que notre sécurité et notre prospérité seront
étroitement liées à une gestion efficace des enjeux nordiques. Pour cela, il faut intervenir de
façon proactive en collaboration avec nos communautés nordiques.
Les problèmes et les défis auxquels est confronté le Nord sont réels : les incidences du
changement climatique mondial, les mouvements transfrontaliers des toxines et des polluants,
la biodiversité. Mais les possibilités sont tout aussi réelles : le développement et la
diversification des économies nordiques, l'établissement de nouvelles liaisons aériennes et
maritimes, l'édification d'une société nordique du savoir.
Il nous faut cependant nous associer pour réaliser le plein potentiel du Nord et pour permettre à
ses habitants de réaliser le leur. Les habitants du Nord et notre communauté de gouvernements
forment une communauté naturelle, un lien solide façonné par la géographie mais aussi par des
expériences, voire souvent des valeurs, communes.
Le défi qui nous attend ici aujourd'hui est de définir les valeurs et les intérêts que nous
partageons, de mieux les cerner, de mieux utiliser la communauté des organisations en place et
le réseau de contacts dans la région circumpolaire et de mettre à contribution nos ressources
collectives pour traduire dans la réalité nos nouvelles visions du Nord.
En décembre, le Canada et l'UE tiendront une réunion au sommet à Ottawa. Un large éventail
de questions transatlantiques et mondiales y seront abordées et je suis confiant que la
coopération nordique fera partie du dialogue. Je puis vous donner l'assurance que les décideurs
de part et d'autre de l'Atlantique prendront bonne note de vos délibérations.
Au nom du gouvernement du Canada, je vous souhaite à tous du succès dans vos travaux
aujourd'hui et j'espère que les nouveaux contacts établis ici déboucheront sur une collaboration
et des engagements toujours plus productifs à tous les niveaux dans la recherche, par le
Canada et l'UE, d'une coopération nordique qui serve tous nos citoyens.
Merci.