M. KILGOUR - ALLOCUTION DEVANT LE CONSEIL CANADIEN POUR LES AMÉRIQUES ' VERS LA CRÉATION DE LA ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE DES AMÉRIQUES ' - CALGARY (ALBERTA)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
DEVANT LE CONSEIL CANADIEN POUR LES AMÉRIQUES
« Vers la création de la Zone de libre-échange des Amériques »
Le 26 novembre 1999
CALGARY (Alberta)
Je suis ravi de rencontrer de nouveau le Conseil canadien pour les Amériques. Lorsque je m'adresse aux
membres de cette organisation, je sais que je prêche devant des convertis. Nous manifestons le même
enthousiasme à l'égard de nos relations fécondes avec les Amériques. Vous appréciez les débouchés
commerciaux créés dans cet hémisphère qui compte 800 millions d'habitants et affiche un PIB global de
10 billions de dollars américains. Un grand nombre d'entre vous déployez déjà des efforts là-bas, dans la
pampa, les montagnes ou la jungle de l'Amérique latine afin de frayer de nouveaux chemins aux
entreprises canadiennes.
L'intégration progresse dans l'hémisphère et certains d'entre vous participent à cette progression. C'est
pourquoi nous pouvons tous nous réjouir des récentes étapes parcourues sur la longue route qui nous
conduira à la Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA] d'ici 2005.
Plus tôt ce mois-ci, afin de marquer la fin de son mandat de 18 mois à la présidence des négociations de
la ZLEA, le Canada a organisé, à Toronto, une conférence réunissant les ministres du Commerce des
34 pays participants. En tant que Canadiens, nous pouvons être fiers du leadership dont nous avons fait
preuve pour faire avancer le processus de négociation. Nous avons effectué un long parcours depuis le
printemps de 1998, lors de l'ouverture des négociations au Sommet des Amériques, à Santiago, et de la
tenue de la réunion des ministres du Commerce, au Costa Rica.
La conférence des ministres du Commerce organisée ce mois-ci s'est terminée par une déclaration qui
présente, en 32 points, les progrès réalisés à ce jour et fixe les orientations pour l'avenir. Ce qui importe
surtout, c'est que les participants se soient entendus sur un ensemble de mesures de facilitation du
commerce qui auront des effets positifs sur les entreprises qui font des affaires dans les Amériques, non
pas en 2005, mais dès 2000. Ces mesures simplifieront le dédouanement et rendront les règlements plus
transparents. Il s'agit d'un progrès tangible et d'un jalon d'une importance capitale.
La conférence a également permis de rédiger un message en termes percutants provenant de tout
l'hémisphère. Ce message doit être envoyé à la Conférence de l'OMC [Organisation mondiale du
commerce], qui se tiendra à Seattle la semaine prochaine, afin de demander l'élimination des subventions
à l'exportation des produits agricoles ainsi que d'autres pratiques ayant un effet de distorsion sur les
échanges. Il révèle que les pays des Amériques peuvent parler d'une seule voix dans les grands dossiers
qui touchent le commerce international.
Il a également été convenu à Toronto de continuer à faire participer la société civile au processus de
négociation dans l'ensemble de l'hémisphère. Les pays n'ont pas tous manifesté le même enthousiasme
que le Canada et les États-Unis à l'égard de la participation de la société civile. Il est pourtant admis de
plus en plus que les citoyens doivent prendre part au processus pour que la ZLEA soit une réussite. Nous
sommes conscients que la politique commerciale comporte effectivement une dimension sociale et que
l'on se préoccupe véritablement dans différents milieux de l'incidence de la mondialisation. Si nous
voulons faire avancer le processus, nous devons être prêts à participer à un débat franc et loyal. Lorsque
mon collègue le ministre du Commerce international, M. Pierre Pettigrew, a rencontré des représentants
de la société civile à Toronto, plusieurs de ses homologues de l'hémisphère, de plus en plus conscients
de la nécessité de ce dialogue, se sont joints à lui.
Toutefois, l'essentiel est peut-être que les ministres du Commerce aient donné aux négociateurs, dans les
32 points de la déclaration qu'ils ont présentée, des directives claires sur les orientations qu'ils
souhaiteraient suivre pour la prochaine étape. Les ministres ont mandaté expressément leurs hauts
fonctionnaires pour rédiger une version préliminaire de l'accord de la ZLEA en vue de la prochaine
conférence des ministres du Commerce qui se tiendra dans un an et demi. Il s'agit d'un projet
passionnant. Les négociateurs entreprendront ce travail en janvier, lorsque les neuf groupes de
négociation de la ZLEA se réuniront à nouveau, à Miami, pour discuter de diverses questions portant sur
un vaste éventail de secteurs. Se réuniront également les trois groupes spéciaux qui se penchent sur des
questions d'ordre plus général, à savoir la société civile, le commerce électronique et les économies de
petite taille. Après avoir posé les fondements d'un cadre institutionnel solide, le Canada cède maintenant
la place à l'Argentine, qui assurera à son tour la présidence des négociations pendant les 18 prochains
mois. L'Argentine sera l'hôte de la prochaine conférence des ministres du Commerce, qui se tiendra à
Buenos Aires en avril 2001 -- ouvrant la voie au troisième Sommet des Amériques qui aura lieu peu après
à Québec.
La création de la ZLEA est un projet ambitieux, qui revêt toutefois une importance capitale. Pour que le
commerce et les relations commerciales s'épanouissent dans tout l'hémisphère, il faut à tout prix établir
des règles claires, cohérentes, prévisibles et transparentes. Cet exercice vise à renforcer le cadre
commercial fondé sur des règles. Il ne s'agit pas d'une tâche facile. Les 34 démocraties que compte
l'hémisphère comprennent des pays riches et pauvres, grands et petits, développés et en développement
-- du géant américain aux petites nations insulaires des Antilles. Pour concilier les intérêts de pays aussi
différents, il faut être véritablement à l'écoute des autres et prêt à accepter des compromis. Le Canada est
sensible aux besoins particuliers de ses voisins.
L'un des principes fondamentaux des négociations est que l'accord définitif doit être adopté en tant
qu'« engagement unique » par tous les pays. Cela signifie que les États ne peuvent pas faire leur choix
parmi les divers chapitres et dispositions de l'accord. La règle du « tout ou rien » s'applique dans ce cas.
La ZLEA vise à maximiser l'ouverture des marchés par l'entremise d'un accord équilibré et complet. Elle
ouvrira de nouvelles possibilités dans certains domaines, tout en respectant les règles de l'OMC. Bien que
la ZLEA et l'OMC soient deux processus distincts, ceux-ci ne peuvent servir à poursuivre des objectifs
opposés. Il est vrai que l'accord de la ZLEA traitera de certaines questions qui ne sont pas visées
actuellement par les accords de l'OMC, notamment d'un régime commun d'investissement, de la
passation des marchés publics et de la politique de concurrence. À ce titre, force est de constater que la
ZLEA ouvre de nouveaux horizons.
Il est essentiel qu'une nation commerçante comme le Canada dispose de marchés ouverts dans tout
l'hémisphère. Aujourd'hui, un emploi sur trois au Canada dépend du commerce. Alors que les exportations
ne représentaient que 30 p. 100 de notre PIB il y a cinq ans à peine, cette proportion s'élève maintenant à
43 p. 100 -- soit un pourcentage nettement supérieur à celui atteint dans n'importe quel autre pays du G-8. Depuis 1993, notre performance commerciale a presque doublé par rapport à notre croissance
intérieure. Nous devons à l'accroissement des exportations une très grande partie des 1,9 million
d'emplois créés au Canada depuis 1993. Étant donné que chaque milliard en exportations soutient
environ 11 000 emplois au Canada, le commerce est la clé de notre bien-être économique. Le succès des
négociations de la ZLEA constitue un enjeu particulièrement important pour le Canada.
Des accords régionaux tels que la ZLEA contribuent à l'édification et à la mise en place d'un cadre qui
repose sur les réalisations et l'élan de la libéralisation du commerce au cours des dernières décennies.
Des mesures unilatérales et des accords commerciaux infra régionaux ont déjà permis d'accomplir des
progrès considérables. Il importe à présent de faire profiter l'ensemble de l'hémisphère de ces avantages.
À peu près au moment où ont débuté les négociations de la ZLEA, on m'a demandé si les petits blocs
commerciaux régionaux constituent un pont qui mène à l'intégration économique dans l'hémisphère ou
bien un obstacle qui s'y oppose. Ma réponse n'a pas changé : le Canada est incontestablement dans le
camp de ceux qui croient que les blocs commerciaux infra régionaux constituent un pont important, qui
non seulement donne accès à une zone de libre-échange des Amériques, mais permet aussi d'améliorer
l'ensemble des relations dans l'hémisphère ainsi que le contexte du commerce mondial. Nous préconisons
la « coexistence » de la ZLEA avec les accords infra régionaux parce qu'ils posent les jalons de
l'intégration régionale et de l'instauration d'un régime multilatéral plus ouvert.
Compte tenu des succès que le Canada a lui-même remportés dans le cadre d'accords de libre-échange
de moindre envergure, pourquoi ma réponse devrait-elle être différente? Tout d'abord, en 1988, nous
avons conclu l'Accord bilatéral de libre-échange avec les États-Unis. Puis, en 1993, l'ALENA a accueilli le
Mexique. Le Canada espérait inclure le Chili dans l'ALENA, mais après l'échec de la démarche de
l'administration américaine en vue d'obtenir le pouvoir accordé par la procédure accélérée, le Canada a
conclu son propre accord bilatéral de libre-échange avec le Chili. Nous avons également amélioré nos
relations avec d'autres blocs commerciaux infra régionaux, comme le MERCOSUR, l'Amérique centrale, la
Communauté andine et CARICOM.
Non seulement ces blocs commerciaux infra régionaux prolifèrent-ils dans les Amériques, mais des liens
sont également en train de se tisser entre ces diverses communautés. Et, ce qui est capital pour la
réalisation de notre objectif plus général, ces blocs servent d'école aux petits pays, effaçant des
décennies -- voire des siècles dans certains cas -- de protectionnisme et de politiques de développement
autocentrées. Les démarches menant à la conclusion d'accords infra régionaux permettent non seulement
aux négociateurs de chaque pays d'acquérir une expertise technique, mais aussi d'aider les petits pays à
entreprendre le processus d'ajustement nécessaire pour ouvrir davantage leur économie. La libéralisation
du commerce a incontestablement des répercussions plus profondes sur un petit pays comme Trinidad,
qui compte 1 million d'habitants, que sur un vaste pays comme les États-Unis, qui disposent d'un marché
intérieur de 260 millions de consommateurs.
Nous devons toutefois éviter que la constitution de blocs commerciaux infra régionaux ne devienne un
prétexte pour ralentir le processus de création de la ZLEA proprement dite. Il faut considérer ces blocs
comme des jalons qui marquent la route de l'intégration dans l'hémisphère, sans en être l'objectif ultime.
Le Canada a tiré des leçons de sa propre expérience, acquise notamment lorsqu'il a négocié avec les
États-Unis les mécanismes de règlement des différends dans le cadre de l'Accord de libre-échange de
1988. Ces mécanismes ont bien fonctionné, ce qui explique en partie pourquoi nos relations bilatérales
ont été aussi fécondes, bien que nous traitions avec une économie dix fois plus grande que la nôtre. Le
Canada est en mesure de mettre en commun ce savoir avec d'autres pays qui partagent les mêmes
préoccupations. Nous savons, pour en avoir fait directement l'expérience, combien il est important que les
économies de petite taille ne soient pas prises en otage par les plus grandes. De fait, le processus de la
ZLEA offre de nombreuses occasions de partager l'expertise canadienne.
L'ALENA a fait mieux connaître aux sociétés canadiennes les débouchés commerciaux qu'offrent
l'Amérique latine et les Antilles. En concevant des produits et des services destinés au marché mexicain,
les entreprises ont acquis une plus grande expertise qu'elles peuvent mettre à profit dans l'ensemble de
l'Amérique latine. Il est logique de renforcer des relations déjà solides.
Prenons l'exemple de la société Alternative Fuel Systems Inc. de Calgary. Au cours de la prochaine
décennie, cette entreprise convertira au gaz naturel comprimé toute la flotte mexicaine de véhicules
publics, qui comprend plus de 100 000 microbus et taxis qui consomment de l'essence à l'heure actuelle.
Ceux d'entre vous qui ont vécu l'expérience du smog à Mexico seront en mesure d'apprécier combien
cette mesure réduira les niveaux de pollution. Tout en améliorant la qualité de l'environnement, cette
société est également en voie de créer de 400 à 500 nouveaux emplois pour des Canadiens. Le
vice-président de l'entreprise, Arie van der Lee, est d'avis que l'ALENA a contribué de façon importante à
éliminer les obstacles au commerce et à permettre à de tels projets de se concrétiser.
L'ALENA a été un atout majeur pour le commerce du Canada avec le Mexique, son principal partenaire
commercial en Amérique latine. En 1988 seulement, les exportations canadiennes vers le Mexique se
sont accrues de près de 25 p. 100; depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA il y a près de six ans, elles ont
augmenté globalement de 127 p. 100. L'expansion commerciale s'est faite dans les deux sens, et le
Canada est maintenant le deuxième marché d'exportation du Mexique après les États-Unis.
L'investissement canadien au Mexique a quadruplé entre 1993 et 1998. Ce que nous avons accompli
dans ce pays grâce à l'ALENA, nous pouvons aussi le réaliser dans le reste des Amériques à la faveur de
la ZLEA.
En votre qualité de gens d'affaires, ou parce que vous vous intéressez à l'expansion de notre commerce
avec les Amériques, vous pouvez participer directement au processus. Nos consultations avec les milieux
d'affaires ont revêtu des facettes multiples. Le cinquième Forum des gens d'affaires des Amériques a,
bien entendu, eu lieu à Toronto en prélude à la conférence des ministres du Commerce. Environ 1
000 personnes de 26 pays des Amériques y ont assisté. Depuis la tenue du premier forum à Denver, en
1995, cet événement a eu lieu à quatre reprises immédiatement avant les conférences des ministres du
Commerce de la ZLEA. Les recommandations émanant de chacun de ces forums ont ouvert de nouvelles
perspectives importantes pour le processus de la ZLEA.
Convaincre les Canadiens des avantages de la mondialisation pose un défi de taille. Pour réussir à le
relever, il faut faire participer l'ensemble des citoyens au processus. Le ministre du Commerce
international, M. Pierre Pettigrew, a parlé d'« humaniser » la mondialisation. Cela veut dire reconnaître
que les politiques économiques et sociales représentent deux volets d'une même question. Le Canada
vante depuis longtemps les mérites du libre-échange, tout en se prémunissant contre les effets négatifs
d'une économie planétaire. La mondialisation peut devenir un « cercle vertueux » dans lequel les gains
économiques génèrent des avantages sociaux. En même temps, il est essentiel de promouvoir le
développement humain si nous voulons doter les travailleurs des outils nécessaires pour s'adapter à la
nouvelle économie du savoir. En un sens, la mission de la ZLEA consiste en partie à gérer les effets de la
mondialisation.
Le Comité des représentants gouvernementaux de la ZLEA sur la participation de la société civile résulte
d'un projet présenté par le Canada pour améliorer la transparence du processus et permettre au public de
mieux comprendre la ZLEA et de l'appuyer davantage. Le Comité a déjà reçu de nombreux mémoires
présentés par des membres de la société civile. Lors de la conférence ministérielle de Toronto, il a été
décidé que ce processus de consultation devrait se poursuivre. Il est important de tenir compte des
commentaires constructifs émis par divers groupes de notre société, notamment les gens d'affaires, les
syndicats, les groupes de défense de l'environnement et le milieu universitaire.
Le gouvernement canadien a également entrepris son propre processus de consultations élargies avec le
secteur privé et d'autres membres intéressés de la société civile du Canada. Un projet de l'ampleur de la
ZLEA aura de nombreuses répercussions sur la vie des Canadiens. Avant que les citoyens l'appuient, il
faut leur assurer que la ZLEA respectera les valeurs et les intérêts fondamentaux, notamment la
protection de l'environnement, les normes du travail, les droits de la personne et d'autres considérations
d'ordre social.
Il est essentiel que vous participiez au débat public qui s'intensifie sur les avantages de la libéralisation du
commerce. Beaucoup d'entre vous avez déjà bénéficié des échanges commerciaux dans l'hémisphère.
J'espère qu'en faisant partager votre expérience constructive à d'autres personnes, vous les inspirerez.
Vous pouvez rendre ce message encore plus convaincant. Faites-vous entendre et profitez de chaque
occasion pour plaider en faveur de la libéralisation du commerce.
Je vous demande donc de redoubler d'efforts pour façonner l'avenir de cet hémisphère.
Plus tôt cette année, l'auteur colombien et lauréat du prix Nobel de littérature Gabriel García Márquez a
exprimé ce point de vue sur le nouveau millénaire : « N'attendez rien du XXIe siècle; c'est lui qui attend
tout de vous. C'est un siècle qui n'arrive pas tout fait, mais plutôt qui s'offre à vous pour que vous le
façonniez et dont la magnificence ne sera limitée que par votre imagination. »
Au cours du siècle prochain, au fur et à mesure que nous nous rapprochons de nos voisins, le reste des
Amériques jouera un rôle encore plus important dans notre vie. En tant que gens d'affaires qui travaillez
déjà à l'intégration des Amériques, votre leadership et votre inspiration sont absolument indispensables
pour façonner le nouveau siècle.
Merci.