M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LA FOREIGN POLICY ASSOCIATION« LA CAMPAGNE D'INTERDICTIONDES MINES TERRESTRES ET SON CONTEXTE » - NEW YORK, NEW YORK
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NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LA FOREIGN POLICY ASSOCIATION
« LA CAMPAGNE D'INTERDICTION
DES MINES TERRESTRES ET SON CONTEXTE »
NEW YORK, New York
Le 19 juin 1998
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
En décembre dernier, les représentants de 122 pays se sont réunis à Ottawa pour
signer un traité interdisant les mines terrestres antipersonnel. Il y avait aussi
une trentaine de pays ayant statut d'observateurs, ainsi que des représentants de
l'ONU, d'institutions et d'organisations internationales et non gouvernementales,
des médias internationaux et des survivants des mines terrestres. La conférence de
signature ne ressemblait à aucune autre rencontre internationale à laquelle il
m'avait été donné de participer. Dans une atmosphère où se côtoyaient un esprit de
célébration et une détermination de poursuivre la lutte, une nouvelle forme de
diplomatie semblait émerger.
La campagne d'interdiction des mines terrestres augurait-elle d'une métamorphose
des relations internationales? Elle est certes un produit de son temps -- le
produit des changements majeurs qui depuis peu transforment le paysage
international. Avant de vous parler du contexte et des implications plus globales
de la campagne, toutefois, je voudrais en retracer brièvement les étapes, car le
chemin emprunté est un processus important en lui-même.
Le Processus d'Ottawa
Ce qu'on en est venu à appeler le Processus d'Ottawa est issu de deux
développements reliés : une campagne de la société civile qui s'est amorcée au
début des années 1990 et les efforts faits par certains gouvernements pour donner
plus de visibilité à la question des mines terrestres dans le contexte de l'examen
de la Convention sur certaines armes classiques [CCW]. Ces deux développements ont
convergé en 1996 quand s'est tenue la première d'une série de rencontres
informelles qui ont réuni en marge de l'examen de la CCW les gouvernements et les
ONG [organisations non gouvernementales] favorables à l'interdiction des mines
terrestres.
En décembre 1996, le Canada a accueilli une réunion formelle à laquelle ont pris
part 50 gouvernements favorables à l'interdiction, 24 gouvernements observateurs
et un grand nombre de représentants d'organisations non gouvernementales. À la fin
de la réunion, j'ai mis la communauté internationale au défi de revenir à Ottawa à
la fin de 1997 pour y signer une convention bannissant les mines terrestres une
fois pour toutes. Le Processus d'Ottawa était né, et une période d'activité
intense s'amorçait.
Un noyau de pays engagés -- l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique,
le Canada, l'Irlande, le Mexique, la Norvège, les Pays-Bas, les Philippines et la
Suisse -- a enclenché un processus qui a abouti à la rédaction et à la négociation
de la Convention. La campagne a pris de la vitesse à mesure que d'autres pays s'y
sont joints. La décision prise par la Grande-Bretagne et la France, à la suite
d'élections, de se rallier à la campagne a franchement dynamisé le processus.
Parallèlement, nous avons travaillé avec des organismes non gouvernementaux à
donner à la campagne beaucoup de visibilité afin de mobiliser des appuis au sein
des populations.
Résultat : en décembre 1997, 123 pays ont signé une convention visant à éliminer
l'utilisation, la fabrication, le stockage et l'exportation de mines terrestres
antipersonnel; ce nombre dépassait même les chiffres que les partisans les plus
optimistes avaient avancés au début du processus. L'interdiction représentait une
nouvelle norme de désarmement international. C'était une étape importante -- mais
certes pas la dernière -- pour mettre fin à la crise humanitaire causée par ces
armes de destruction massive à retardement. Et, dans cette optique, la communauté
internationale y est allée d'engagements de près d'un demi-milliard de dollars
américains pour détruire les stocks, déminer et venir en aide aux victimes.
Le Processus d'Ottawa était exceptionnel à plus d'un égard. Une coalition unique
formée de gouvernements, de la société civile et de groupes internationaux a
collaboré étroitement pour faire de la Convention une réalité. La Convention a
établi des précédents pour la rapidité avec laquelle elle a été élaborée et
négociée, et pour le nombre de signataires -- elle est en voie d'en établir
d'autres pour la rapidité avec laquelle elle entrera en vigueur. Je crois savoir
que, dans un jour ou deux, un 20e pays ratifiera la Convention; nous serons ainsi à
mi-chemin des 40 ratifications requises pour son entrée en vigueur et très bien
positionnés pour atteindre cet objectif avant la fin de l'année. Mais, surtout,
cette Convention a été le premier accord de désarmement international à interdire
une arme largement et activement utilisée partout dans le monde.
La phase suivante : faire de l'interdiction une réalité
Au Canada et ailleurs, l'attention se porte maintenant sur la phase suivante : la
ratification, l'universalisation et la mise en oeuvre intégrale de la Convention.
Les activités liées au déminage sont un élément central de la mise en oeuvre : il
est urgent de débarrasser les terres des mines de sorte que les gens puissent
rentrer chez eux et retrouver leur gagne-pain et il est crucial à long terme
d'assurer la réhabilitation des victimes -- y compris leur réintégration sociale et
économique -- de sorte qu'elles puissent mener une existence productive et valable.
Le Canada a engagé 100 millions de dollars sur les cinq prochaines années à ces
fins.
À lui seul, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international
consacrera plus de 6 millions de dollars cette année pour promouvoir la
ratification et l'universalisation et aider l'ONU à se doter de la capacité voulue
pour coordonner les opérations de déminage dans le monde. En collaboration avec
les Forces canadiennes, nous nous servirons d'une partie de ces fonds pour en
aider d'autres à détruire des stocks de mines antipersonnel. Nous aiderons nos
partenaires de la société civile à appuyer la Convention et à suivre son
application. De plus, le Canada participera à l'énorme tâche qui consiste à
enlever les millions de mines toujours enfouies au Mozambique, en Angola, en
Amérique centrale, au Cambodge, en Afghanistan et ailleurs. Au nombre de nos
projets initiaux de déminage, l'Agence canadienne de développement international
consacrera une somme de 10,5 millions de dollars sur trois ans à un programme de
renforcement des initiatives de déminage au Mozambique.
Alors que nous cherchons à rallier d'autres appuis, l'annonce récente par les
États-Unis que ce pays signera la Convention d'ici à 2006 a eu de quoi réjouir. Il
faut y voir un signe manifeste de la légitimité et de la crédibilité acquises par
la Convention. J'ai cependant des réserves quant à la condition principale dont le
gouvernement américain a assorti sa signature, à savoir trouver des solutions de
rechange aux mines antipersonnel. Une telle position est troublante parce qu'elle
continue de considérer l'élimination de ces engins comme un problème d'ordre
militaire plutôt que comme un enjeu humanitaire. Si c'est effectivement ce qui
empêche les États-Unis de signer la Convention, j'espère qu'ils consacreront
beaucoup de ressources et d'énergie à trouver ces solutions de rechange, en fait
le même niveau d'énergie qu'ils se sont engagés à mettre au service du déminage
humanitaire.
Les États-Unis disent qu'ils ne peuvent signer la Convention d'Ottawa à l'heure
actuelle en raison de leurs « responsabilités uniques ». Selon moi, une partie des
responsabilités planétaires des États-Unis consiste à reconnaître que le monde a
changé et que les vieilles façons de procéder ne valent plus.
Le contexte plus global
Le succès du Processus d'Ottawa est, en soi, un indicateur clair de ce changement.
Pour exceptionnel qu'il soit, le processus ne s'est pas matérialisé comme par
magie, mais plutôt sous l'effet des vagues de fond créées par la chute du mur de
Berlin, qui ont refaçonné le paysage mondial. Ce n'est, je pense, que la première
manifestation d'une réaction internationale embryonnaire à ces changements et aux
tendances à plus long terme qui les sous-tendent. Paralysée dans un premier temps
face au « nouveau désordre mondial », la communauté internationale commence
maintenant à développer de nouveaux outils et de nouvelles façons d'opérer.
En gros, selon moi, quatre tendances -- et quatre réactions correspondantes -- ont
donné naissance au Processus d'Ottawa :
premièrement, l'évolution de la nature des conflits -- les violentes guerres
intestines qui ciblent principalement les populations civiles ont remplacé les
traditionnelles guerres entre États comme source majeure de l'instabilité
mondiale;
deuxièmement, des frontières internationales de plus en plus perméables par
lesquelles passent -- légitimement ou non -- les personnes, l'information, les
marchandises, les ressources naturelles et l'argent;
troisièmement, avec la mondialisation et la révolution des technologies de
l'information émerge un collectif mondial -- l'équivalent Internet du village
planétaire de Marshall McLuhan;
quatrièmement, une diffusion du pouvoir international entre les acteurs étatiques
et non étatiques qui a conduit à une démocratisation de la politique étrangère,
phénomène dû en partie à la place de plus en plus grande occupée par ce que le
théoricien américain Joseph Nye a appelé le « pouvoir doux ».
Réactions aux tendances internationales
Comme les observateurs de la scène internationale ont déjà longuement décrit ces
tendances, je ne m'y attarderai pas. Je voudrais plutôt consacrer un peu plus de
temps à mettre en lumière quatre aspects importants des réactions internationales
qui se dessinent à leur égard. Ces quatre aspects sont :
une approche centrée sur la sécurité humaine;
un accent renouvelé mis sur les normes humanitaires;
de nouvelles formes de partenariat;
une utilisation maximale du « pouvoir doux » grâce à une combinaison
d'instruments diplomatiques anciens et nouveaux.
Auparavant, les ministres des Affaires étrangères se souciaient d'abord et avant
tout de la sécurité et de l'intégrité de l'État. Toutefois, au fur et à mesure que
les frontières deviennent poreuses et que succèdent au bras de fer de la guerre
froide une multitude de conflits interétatiques, les décideurs internationaux
traitent de plus en plus de dossiers qui touchent directement la vie quotidienne
des gens. Que l'accent soit mis sur le crime international, la pollution
transfrontière ou les violations des droits de la personne, notre cadre
fondamental d'analyse et d'intervention est passé de l'État à la collectivité,
voire même à l'individu. C'est en réaction à ces développements qu'une approche de
la « sécurité humaine » est apparue, une approche qui définit les objectifs de
sécurité en termes humains beaucoup plus qu'en termes étatiques.
Dans ce contexte, les normes humanitaires et le droit humanitaire au plan
international acquièrent une nouvelle importance. À une époque où les conflits
internes prennent de plus en plus pour cibles des civils, les vieilles normes
concernant l'utilisation de certaines catégories d'armes et le traitement des
individus en temps de guerre ne constituent plus une protection suffisante.
La campagne contre les mines terrestres montre comment on peut, en abordant un
problème dans une perspective de sécurité humaine, appliquer les principes
fondamentaux du droit humanitaire dans un nouveau domaine de façon à régler une
grave crise humanitaire. Au début de la campagne, on a posé comme prémisse que la
vie et la santé de millions de civils l'emportaient sur les considérations
militaires et les intérêts de sécurité nationale. Sur cette base, nous avons pu
établir une nouvelle norme en matière de désarmement international : une
interdiction pure et simple des mines terrestres motivée par le fait que de telles
armes comportaient intrinsèquement un grave risque pour les populations civiles.
Si nous pointons la lunette de la sécurité humaine sur d'autres domaines comme la
prévention des conflits, la protection environnementale ou les droits de la
personne, il devient clair que les instruments existants de la diplomatie
internationale sont insuffisants. Au Rwanda et en Bosnie, par exemple, la
communauté internationale n'a pu réagir efficacement à des conflits internes
complexes. À la lumière des enseignements de ces échecs, elle cherche de nouvelles
approches, jusqu'ici avec un succès inégal.
Grâce à des solutions ponctuelles créatrices, on a tout de même trouvé de
nouvelles approches coopératives des problèmes de sécurité humaine. Peut-être
l'aspect le plus frappant du Processus d'Ottawa a-t-il été le partenariat
inhabituel et réussi établi par les gouvernements, les organisations
internationales et la société civile.
Le dialogue, le lobbying et la promotion entre les gouvernements et la société
civile sur les enjeux internationaux ne sont pas nouveaux. Ce qui distingue le
Processus d'Ottawa, c'est que les gouvernements et la société civile ont collaboré
directement et avec un succès remarquable au sein d'une équipe. Le processus était
ouvert à tous -- les ONG, les gouvernements, la Croix-Rouge et même les
particuliers -- et il n'était l'otage de personne. Pour adhérer, il suffisait
d'accepter une seule conclusion impérative, soit que l'unique façon de traiter
efficacement les mines terrestres était de les interdire purement et simplement.
Beaucoup d'attention a été accordée aux membres non gouvernementaux de la
coalition, et à juste titre puisqu'ils ont joué un rôle crucial, attesté par la
remise du prix Nobel de la paix à la Campagne internationale contre les mines
terrestres [CIMT] et à sa coordonnatrice, Jody Williams. Mais les gouvernements
ont joué un rôle tout aussi important, bien que parfois moins visible. La façon
dont les acteurs ont uni leurs forces et travaillé ensemble a constitué la
véritable clé du succès.
Alors que s'enclenche la deuxième phase du Processus d'Ottawa, cette remarquable
« coalition des volontaires » continue de se développer et de croître. Les pays
donateurs travaillent à coordonner le déminage et l'aide aux victimes et à générer
avec les forces militaires, avec les ONG et avec les populations locales des
synergies jamais vues auparavant. Ce travail peut à long terme amener une
amélioration importante de la coordination des donateurs d'aide au développement
en général.
C'est au niveau de la mise en oeuvre qu'on constate la nature particulière de la
Convention d'interdiction des mines terrestres. La Convention est beaucoup plus
qu'un simple traité qui contrôle ou interdit une arme; elle prévoit un cadre
détaillé et sans équivoque à l'intérieur duquel on peut mener un éventail complet
d'actions intégrées contre les mines. C'est ainsi que les fonds souscrits pour
appuyer la mise en oeuvre de la Convention ne sont pas seulement du financement
accru destiné à appuyer les « activités courantes ». Avant d'entreprendre une
initiative, nous nous demandons d'abord si elle nous aide à mettre en oeuvre la
Convention. S'intègre-t-elle dans notre cadre d'une action universelle coordonnée
qui transcende les barrières artificielles entre les objectifs sur les plans de
l'action humanitaire, du développement et du désarmement?
Il est clair que nous devons mobiliser plus de ressources dans la lutte contre les
mines, mais ce faisant, nous devons donner à nos contribuables et à ceux qui nous
appuient l'assurance que les fonds seront dépensés à bon escient. Cela exige que
nous apprenions et que nous appliquions rapidement les leçons des cinq dernières
années de lutte. Une des forces du Processus d'Ottawa a été sa capacité de lier le
local au mondial. Alors que nous nous employons à garantir que la Convention
devient un véritable agent de changement dans les vies de ceux qui sont affectés
par les mines terrestres, nous ne pouvons perdre de vue l'énorme soutien moral,
politique et financier que la base du mouvement peut fournir à nos efforts
collectifs.
La coalition contre les mines terrestres était certes inhabituelle mais pourquoi
a-t-elle connu autant de succès? Je crois que c'est en grande partie parce qu'elle
a su allier la diplomatie traditionnelle à une promotion technicisée et ainsi
optimiser ses ressources en matière de « pouvoir doux ».
Il n'y avait pas de grandes puissances au sein de la cellule centrale de la
coalition; on y retrouvait cependant des pays respectés représentatifs de toute la
gamme des puissances traditionnelles. Par le passé, ces pays auraient eu une marge
de manoeuvre limitée comme médiateurs en raison des rigidités des alliances et des
divisions de la guerre froide. Dans la conjoncture internationale plus fluide,
toutefois, la cellule centrale pouvait utiliser ses talents, que ce soit pour
communiquer, négocier, mobiliser l'opinion, agir au sein d'organismes
multilatéraux ou promouvoir des initiatives internationales dans le but
d'atteindre les objectifs recherchés.
La coalition façonnait le programme international et faisait preuve de leadership
international, face au manque d'enthousiasme ou même à l'hostilité ouverte de la
part de certaines puissances plus grandes. C'était le « pouvoir doux » à l'oeuvre.
Comment y sommes-nous parvenus? En partie grâce à la diplomatie traditionnelle :
un flot d'appels téléphoniques, de lettres, de démarches, de discussions de
couloir, de consultations informelles et de négociations formelles à tous les
niveaux, des chefs de gouvernement aux fonctionnaires subalternes. En partie en
utilisant des instruments traditionnels de façons nouvelles : par exemple, par une
série de conférences régionales parrainées par les gouvernements avec la CIMT et
la Croix-Rouge et destinées à accroître la sensibilisation à l'enjeu et à rallier
des appuis en faveur de l'interdiction. Et en partie grâce à une campagne de
promotion technicisée qui n'était pas d'un genre qu'on associe habituellement au
monde guindé de la politique étrangère.
La regrettée princesse Diana a contribué de façon inestimable à porter le message
de la campagne dans des millions de foyers et à le faire comprendre et appuyer.
Parallèlement, la coalition a utilisé des vidéos, des bulletins de nouvelles, des
téléphones cellulaires et Internet pour consolider les appuis en faveur d'une
interdiction des mines au sein des gouvernements et de la société civile. Si cet
aspect de la campagne vous intéresse, je vous encourage à visiter le « Passage »,
un site Web établi par le Canada (www.mines.gc.ca). Nous avons utilisé ce site
pour diffuser, en RealAudio, les travaux de la conférence de signature dans toutes
les langues de l'ONU -- une autre première pour le Processus d'Ottawa.
Perspectives : une nouvelle diplomatie?
Le Processus d'Ottawa est relativement nouveau et il continue d'évoluer. Je crois
néanmoins qu'il est un indicateur positif d'un nouvelle diplomatie adaptée à une
ère nouvelle. Je ne voudrais pas cependant trop insister. Le processus prouvera
son efficacité par le succès de la deuxième phase de la campagne -- l'entrée en
vigueur et la mise en oeuvre de la Convention -- et par l'utilisation de ces
nouveaux outils dans d'autres domaines.
Parmi les principaux enjeux de sécurité humaine où une approche semblable pourrait
se révéler utile, il y a la prolifération des petites armes, les droits des
enfants, y compris le recrutement d'enfants soldats, les droits de la personne de
façon plus générale et la nécessité d'une Cour criminelle internationale [CCI]
permanente. Je reviens de Rome où j'ai participé à l'ouverture de la conférence
qui décidera de l'établissement d'une CCI. Dans mon allocution, j'ai souligné
qu'une cour indépendante et efficace serait une institution clé de la nouvelle
diplomatie.
Elle aiderait à prévenir certaines des pires violations du droit humanitaire
international. Elle aiderait à donner un nouveau sens et une portée mondiale à la
protection des êtres vulnérables et des innocents. En isolant et en stigmatisant
les auteurs de crimes de guerre ou de génocide et en les mettant à l'écart de la
communauté, elle contribuerait à mettre fin aux cycles de l'impunité et du
châtiment. Sans justice, il n'y pas de réconciliation et sans réconciliation, il
n'y a pas de paix.
J'ai aussi souligné que les États n'ont pas à craindre d'ingérence de la CCI dans
leurs affaires souveraines. Le principe de la « complémentarité » garantit qu'elle
n'exercera sa juridiction que si les systèmes nationaux ne peuvent pas ou ne
veulent pas poursuivre les transgresseurs. Ce sera en un sens l'instance de
dernier ressort -- un ultime recours garantissant que les auteurs de crimes odieux
ne restent pas impunis.
À une époque où l'autonomie et le pouvoir des États décroissent, qui, au bout du
compte, tranche les questions de moralité et de légalité internationales? Les
États? La communauté internationale? Un « collectif mondial »? Une Cour criminelle
internationale aidera à résoudre ce dilemme en nous donnant un organisme ultime
d'appel respecté et objectif. Si nous pouvons établir de nouvelles normes -- comme
l'interdiction des mines antipersonnel -- et de nouvelles institutions -- comme la
CCI -- nous jetterons les fondements d'une nouvelle diplomatie centrée sur les
besoins humains.
Je sais que certains restent sceptiques sur l'issue du Processus d'Ottawa et, de
façon plus générale, sur les notions du pouvoir doux et de la sécurité humaine.
Les tenants d'une « realpolitik » soutiennent que la fin de la guerre froide a
simplement retourné le monde à un équilibre du pouvoir économique et militaire.
Ils tirent peut-être de la fierté de leur approche réaliste mais, de fait, ce sont
eux qui refusent de reconnaître que les réalités internationales ont changé.
Dans un monde où CNN diffuse les images de chaque guerre dans votre foyer, à quoi
sert le pouvoir militaire seul si l'opinion publique limite considérablement les
circonstances dans lesquelles il peut être utilisé? Dans un monde où les ministres
des Affaires étrangères s'assoient pour discuter du réchauffement de la planète,
de la propagande haineuse et du travail des enfants, il est clair que les
applications à somme nulle du « pouvoir dur » ne régleront pas tous les problèmes
auxquels nous faisons face.
À mon point de vue, être un vrai réaliste, c'est reconnaître qu'il faut de
nouvelles approches et de nouveaux outils pour s'attaquer à des problèmes non
traditionnels. Que la démocratisation des relations internationales est une
réalité, une réalité à laquelle il faut applaudir plutôt que résister. Et,
surtout, qu'il faut d'urgence une nouvelle diplomatie face aux défis et aux
possibilités d'une ère nouvelle.
Merci.