MME STEWART - ALLOCUTION À LA CONFÉRENCE D'AMSTERDAM SUR LE TRAVAIL DES ENFANTS - AMSTERDAM, PAYS-BAS
97/11 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE CHRISTINE STEWART,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
À LA CONFÉRENCE D'AMSTERDAM SUR LE TRAVAIL DES ENFANTS
AMSTERDAM, Pays-Bas
Le 26 février 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
J'aimerais tout d'abord remercier le gouvernement des Pays-Bas et l'Organisation
internationale du travail [OIT] d'avoir organisé cette conférence. Le travail des
enfants est un sujet qui retient de plus en plus l'attention de la communauté
internationale, chaque jour plus déterminée à mettre un terme aux pratiques
fautives. Je félicite nos hôtes de la détermination qu'ils manifestent dans cette
lutte contre un problème mondial.
Je les complimente aussi pour l'importance accordée à la consultation. En
réunissant gouvernements, organisations syndicales et patronales, ONG
[organisations non gouvernementales], ainsi que représentants d'organisations
internationales et d'enfants travailleurs -- tous ayant un important rôle à jouer --
ils accélèrent les progrès.
Le travail des enfants est un problème complexe, aussi bien dans sa définition que
dans la façon d'y remédier efficacement. C'est pourquoi il est important de réunir
la plus vaste gamme possible d'opinions et d'expériences dans le cadre de réunions
comme celle-ci.
Nous devons reconnaître que les formes sous lesquelles se présente le travail des
enfants ne sont pas toutes synonymes d'exploitation ou d'abus. Mais celles qui
privent l'enfant de son droit à accomplir pleinement son potentiel mental et
physique, et qui l'exposent à un travail dangereux, contreviennent à un droit
humain fondamental. De plus, elles volent au pays sa plus précieuse ressource de
développement économique, c'est-à-dire une main-d'oeuvre adulte, instruite et en
santé.
Cette raison amène le Canada à soutenir une approche où on reconnaît que le
problème du travail des enfants appartient aussi bien au dossier des droits de la
personne qu'à celui du développement. En d'autres termes, un problème qui requiert
une réponse multidisciplinaire fournie par une vaste alliance formée d'autorités
nationales et internationales, de la société civile et d'organisations non
gouvernementales.
Situation nationale
Nos hôtes nous ont demandé de parler de notre situation nationale. Au Canada, le
gouvernement a fait des droits de l'enfant une priorité tant dans son programme
national que dans sa politique étrangère. Comme il est dit dans le discours du
Trône de la dernière session parlementaire :
Toujours déterminé à faire avancer les droits de la personne et à faire respecter
la dignité humaine, le gouvernement fera des droits de l'enfant une priorité du
Canada et cherchera à créer un consensus international pour éliminer
l'exploitation des enfants par le travail.
Sur le plan intérieur, notre objectif est de respecter les engagements pris dans
la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous devons absolument veiller au
bien-être de nos enfants.
Au Canada, les questions relatives au travail sont de compétence à la fois
fédérale et provinciale. En effet, les lois des deux paliers de gouvernement
interdisent généralement l'embauche d'un enfant mineur pendant les heures d'école
ainsi que dans certaines situations qui pourraient être néfastes à sa sécurité, sa
santé, son éducation et son bien-être. Il arrive de plus en plus toutefois que des
enfants échappent à l'observation et travaillent en dehors du secteur formel.
Malheureusement, il n'existe pas de données précises sur le nombre d'enfants qui
travaillent au Canada, et l'information est difficile à obtenir. Nous collaborons
avec nos homologues provinciaux, les syndicats, les ONG vouées à la protection des
enfants, et avec d'autres intervenants pour brosser un tableau plus complet. Cela
est triste à dire, mais nos grands centres urbains, comme ceux des autres
principaux pays occidentaux, recèlent eux aussi leur lot de travailleurs mineurs
et d'enfants des rues exploités à des fins sexuelles commerciales.
Le gouvernement du Canada a pris des mesures pour s'attaquer au problème. Un
nouveau sous-comité parlementaire du développement humain durable a choisi le
travail des enfants comme premier objet de ses réflexions. Son rapport, rendu
public la semaine dernière, contient de nombreuses recommandations intéressantes
portant sur l'utilisation de l'aide publique au développement, l'implication du
secteur privé, le soutien à la participation de la société civile, et sur la
participation des jeunes. Le gouvernement produira une réponse complète à ce
rapport dans les prochains mois. Dans son tout dernier budget, présenté il y a
deux semaines, le gouvernement a annoncé un régime national de prestations pour
enfants dans le cadre duquel une prestation fiscale pour enfants améliorée serait
mise en place. Pour leur part, les provinces et territoires réorienteraient leurs
dépenses afin de fournir de meilleurs services et prestations aux familles pauvres
ayant des enfants, et particulièrement à celles des travailleurs à faible revenu.
Le Canada estime également que les mesures nationales peuvent aider à protéger les
enfants d'autres nations aussi bien que de la nôtre. L'an dernier, le gouvernement
a présenté un projet de loi permettant de poursuivre en justice les citoyens et
les résidents permanents du Canada qui, pendant un déplacement à l'étranger, se
livrent à des activités sexuelles avec des enfants. Cette loi constituera un
nouveau et puissant levier dans la lutte contre le « tourisme du sexe ». Le
ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lloyd Axworthy, a en outre nommé le
sénateur Landon Pearson au poste de Conseiller aux droits de l'enfant. M. Pearson
a pour mandat de recommander comment le Canada peut le mieux donner suite à ses
engagements internationaux envers les enfants.
Situation régionale
Sur le plan régional, le Canada, en collaboration avec les États-Unis et le
Mexique, ses partenaires de l'Accord de libre-échange nord-américain [ALENA],
s'intéresse de près à la question du travail et des conditions de travail des
jeunes dans le cadre de son programme d'activités coopératives. Par ailleurs, un
des 11 principes de l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du
travail, un des deux accords additionnels de l'ALENA, nous oblige à protéger les
droits des enfants et des jeunes gens.
La première de nos activités coopératives, une conférence tripartite sur le
travail des enfants et des jeunes en Amérique du Nord, a pris fin hier à
San Diego, en Californie. Les participants ont exploré des moyens nouveaux de
mettre fin à la participation inappropriée des enfants à la population active. Ils
ont également discuté des façons dont les pays de l'ALENA peuvent réduire les
risques pour la santé, la sécurité et l'éducation des enfants et des jeunes qui
font légalement partie de cette population active.
Je vais vous donner un exemple du genre de projet innovateur dont il a été
question à cette conférence : le Conseil du patronat du Québec et la Centrale de
l'enseignement du Québec, deux organisations qui ne voient pas toujours du même
oeil les questions du travail, ont dressé un code de conduite des employeurs, dont
l'application est volontaire. Le code améliorera les conditions de travail des
jeunes de moins de 16 ans, garantit que les tâches scolaires ne seront pas
reléguées au second rang, et limite à un maximum de 15 le nombre d'heures de
travail par semaine pendant l'année scolaire. La plupart des parties intéressées
ont bien accueilli ce code.
Nous travaillons aussi directement avec nos partenaires régionaux sur le dossier
des enfants au travail. Pendant ma visite à Cuba en janvier, nos deux
gouvernements ont convenu que Cuba serait l'hôte, à La Havane en avril prochain,
d'un atelier sur les droits des femmes et des enfants. Le Canada et Cuba ont
beaucoup en commun dans ce domaine, mais peuvent aussi partager leurs expériences
et apprendre l'un de l'autre. La planification de cet atelier est en cours.
Situation multilatérale
Sur la scène multilatérale, l'attention se porte davantage sur le problème du
travail des enfants, et on redouble d'efforts pour chercher à le régler. Il faut
s'en réjouir. Le récent rapport de l'UNICEF sur l'état des enfants dans le monde,
qui cette année avait pour thème le travail des enfants, vient aussi encourager
les initiatives de la communauté internationale.
Il y a un élément clé dans ces efforts de la communauté internationale; je veux
évidemment parler des travaux de la Commission des droits de l'homme des Nations
unies sur les lignes directrices concernant deux protocoles facultatifs à la
Convention relative aux droits de l'enfant. L'un porterait sur la vente d'enfants
ainsi que sur la prostitution et la pornographie enfantines; l'autre sur les
enfants en situations de conflit armé. Le Canada appuie sans réserve les travaux
sur ces protocoles facultatifs.
Nous veillons également à donner suite au Programme d'action du Congrès mondial de
Stockholm contre l'exploitation sexuelle des enfants, congrès auquel le ministre
des Affaires étrangères du Canada a participé en août dernier. Comme je l'ai dit à
cette occasion, il est difficile de croire que, au seuil du XXIe siècle, nous en
soyons encore à essayer de régler un problème qui est essentiellement une forme
d'esclavage : le commerce sexuel impliquant des enfants. Comme je l'ai fait
remarquer, nos efforts sur ce front ont comporté le dépôt au Parlement d'un projet
de loi qui permettra de poursuivre au Canada les Canadiens qui se livrent à la
pratique du tourisme sexuel à l'étranger.
À cet égard, j'ai le plaisir de vous informer que le gouvernement du Canada a
ratifié la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière
d'adoption internationale. En établissant la garantie que les adoptions
internationales auront lieu dans l'intérêt de l'enfant, la Convention, et le
système de coopération qu'elle établit entre les États membres, aidera à prévenir
l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants.
L'élaboration d'ententes, à l'échelle internationale, et de lois, à l'échelle
nationale, constitue l'une des dimensions de la campagne visant à mettre fin à
l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine. Mais il existe une deuxième
dimension, tout aussi importante, soit les efforts à engager pour atténuer la
pauvreté et assurer la satisfaction des besoins fondamentaux, et attaquer ainsi
les racines profondes de l'exploitation de la main d'oeuvre enfantine. Quand le
revenu familial augmente et que la pauvreté régresse, les enfants n'ont plus à
travailler pour contribuer à assurer la subsistance de la famille.
Cette approche est au coeur des efforts engagés par le Canada en matière de
collaboration au développement. Le gouvernement du Canada a promis de consacrer
25 p. 100 de son budget d'aide au développement international à la satisfaction
des besoins fondamentaux, notamment dans trois secteurs d'intervention présentant
une importance pour la lutte contre le travail des enfants.
Le premier axe d'intervention consiste à assurer aux enfants, et particulièrement
aux fillettes, un accès à l'enseignement primaire à un coût abordable. Les
programmes d'enseignement primaire jouent un rôle préventif. Si les enfants
doivent fréquenter l'école, cela réduit la probabilité qu'ils soient exploités sur
le marché du travail.
Le deuxième axe d'intervention consiste à rehausser le statut des femmes, à
renforcer leur rôle et leur sécurité économique, et à leur assurer un rôle de
partenaire égal au sein du développement. Ces mesures favorisent directement le
bien-être des enfants.
Le troisième axe d'intervention consiste à promouvoir les principes de bon
gouvernement. Cet aspect est essentiel pour que les gouvernements collaborent avec
la société civile en vue de permettre le progrès social, et appliquent les lois et
la réglementation existantes sur l'exploitation des enfants.
Le Canada participe également à un certain nombre de projets visant à aider
directement les enfants les plus vulnérables là où la main-d'oeuvre enfantine est
exploitée. Ainsi, le Canada appuie l'initiative axée sur l'éducation des fillettes
menée dans plusieurs pays d'Afrique par l'UNICEF, laquelle peut être considérée
comme un programme de prévention.
Les représentants du Canada examinent actuellement la possibilité d'intégrer aux
programmes d'aide extérieure et d'appui au commerce des normes d'évaluation des
répercussions sur les enfants.
Plus que tout autre organisme multilatéral, l'OIT a été au coeur de la lutte
contre le travail des enfants. Nous devrions rendre hommage à ses efforts de
longue date, grâce auxquels elle fait aujourd'hui autorité en la matière, tant en
raison des connaissances qu'elle a accumulées que de l'expérience pratique qu'elle
a acquise.
Le rapport récemment publié sous le titre « Child Labour : Targeting the
Intolerable » offre un excellent exemple du travail qu'accomplit l'OIT aussi bien
en matière de prestation de renseignements sur les lois et pratiques en vigueur
que de recommandation de stratégies concrètes pour soustraire des enfants à des
situations d'exploitation comme la servitude pour dette, la prostitution et les
activités et emplois dangereux.
Le Programme international pour l'élimination du travail des enfants mené par
l'OIT se distingue par son approche souple et multidimensionnelle, individualisée
en fonctions des pays et appuyée par des liens au sein des organisations
gouvernementales et non gouvernementales au niveau national. Ces trois éléments
combinés fournissent un outil efficace et bien géré pour s'attaquer aux questions
complexes liées à l'exploitation des enfants, et pour obtenir des résultats
concrets. Le succès remporté par ce programme est mis en relief par son expansion
rapide : en 1992, il chapeautait des initiatives dans six pays; aujourd'hui, il en
chapeaute quelque 450 dans 20 pays grâce au financement versé par 11 donateurs.
L'année dernière, le Canada a accordé 700 000 $ au Programme pour l'élimination du
travail des enfants. Ces fonds servent à financer :
des examens individuels par pays visant à évaluer les progrès accomplis dans la
lutte contre le travail des enfants;
l'analyse des facteurs et des conditions qui facilitent ou qui entravent les
efforts dans cette lutte; et
l'analyse des répercussions de mesures données dans six pays (les Philippines, la
Thaïlande, le Kenya, la Tanzanie, le Brésil et la Turquie).
D'autres études du même genre, financées par d'autres pays, sont en cours en
Indonésie et en Inde. Les connaissances dérivées des études menées dans chacun des
pays faciliteront la mise sur pied d'autres initiatives et serviront à élaborer un
guide des « meilleurs pratiques » à l'usage des organisations nationales et
internationales prenant part à la lutte contre le travail des enfants.
Ces analyses permettront d'étayer les discussions techniques que vous aurez demain
et qui se poursuivront à Oslo en octobre. Elles fourniront des données cruciales
pour la formulation d'un nouvelle convention efficace sur le travail des enfants.
Nous avons déjà tiré de fructueux enseignements du Programme pour l'élimination du
travail des enfants. Les travaux menés au cours des dernières années ont montré
que les problèmes liés à l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine ne peuvent
être réglés que par les pays concernés dans le cadre d'une stratégie globale et
graduelle mobilisant un grand nombre d'acteurs au sein du gouvernement et de la
population. Ce n'est que par un vaste consensus qu'il est possible de mettre fin à
l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine.
Le Canada participera activement à l'élaboration de la nouvelle convention et aux
conférences de l'OIT qui doivent avoir lieu en 1998 et en 1999. Nous élaborerons
nos positions en vue de ces activités en étroite collaboration avec nos collègues
des provinces, les associations patronales et les syndicats. Notre but est de
rendre totalement inacceptable l'exploitation des enfants dans les industries
dangereuses, la servitude pour dettes et la prostitution enfantine, et d'en faire,
comme l'esclavage, une chose du passé.
La conférence d'aujourd'hui marque une étape importante en vue de l'atteinte de
cet objectif puisqu'elle nous permettra de mieux comprendre le problème complexe
que constitue le travail des enfants. Je prendrai connaissance avec intérêt des
comptes rendus de vos discussions techniques. J'aimerais exprimer une fois de plus
ma gratitude à nos hôtes pour cette initiative, et je souhaite également à nos
collègues norvégiens et à l'OIT tout le succès possible dans les efforts qui
mèneront à la conférence d'Oslo en octobre.
J'aimerais, en terminant, évoquer les paroles des aînés de l'une des Premières
nations du Canada, qui s'exprimaient ainsi :
Il existe, au sein de la nation crie, la croyance partagée selon laquelle un
enfant est un cadeau ou un prêt du Grand Esprit, et est confié à notre
responsabilité afin que nous l'élevions et que nous en prenions soin. Puisqu'il
représente un cadeau du Grand Esprit, tout enfant est « sacré » et doit être
traité avec respect et dignité.
Merci.