M. AXWORTHY - ALLOCUTION SUR LE CANADA ET LE JAPON :PARTENAIRES DU PACIFIQUE DANS UNE ÈRE DE CHANGEMENT - TOKYO, JAPAN
97/20 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
LE CANADA ET LE JAPON :
PARTENAIRES DU PACIFIQUE DANS UNE ÈRE DE CHANGEMENT
TOKYO, Japon
Le 4 avril 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
Introduction
Permettez-moi d'abord de remercier l'ambassadeur Campbell d'avoir organisé ce
déjeuner-causerie qui est, pour moi, une occasion de vous livrer mes impressions
sur la politique étrangère canadienne et la place qu'y occupe le Japon. Je suis
particulièrement heureux de me retrouver ici aujourd'hui puisque le printemps est
la saison du renouvellement et, au Japon, ce temps de l'année où fleurissent vos
célèbres cerisiers. Quelle que soit notre culture ou notre sensibilité poétique,
je pense que cette saison nous rappelle aussi que nous devons remettre
périodiquement en question notre perception des choses; confronter nos
suppositions et nos opinions aux réalités nouvelles; et relever des défis que nous
n'avions pas anticipés mais auxquels nous savons que nous ne pouvons échapper.
Depuis une dizaine d'années, le monde a connu un réalignement géopolitique majeur.
Les plaques tectoniques des relations internationales se sont repositionnées,
libérant des forces d'une très grande amplitude. Un nouveau paysage se dessine,
mais les secousses secondaires se font encore sentir. De nouveaux pays prennent
forme, et des populations peuvent aujourd'hui faire entendre leur voix comme
jamais cela n'a été possible auparavant.
Un élément majeur de ce repositionnement est ce qu'on a appelé la « montée de
l'Asie ». D'ordinaire, cette expression a trait surtout à la croissance de
l'économie de nombreuses nations asiatiques -- une croissance d'ailleurs
franchement spectaculaire. Mais il est aussi survenu des changements significatifs
au niveau des structures politiques et diplomatiques en Asie, des changements qui
ont une incidence profonde sur la politique étrangère. Une intégration de plus en
plus grande, entre autres par le biais du commerce, de l'investissement et de
l'immigration, signifie que les développements en Asie ont un impact direct sur
d'autres parties du monde. Et, réciproquement, ce qui arrive ailleurs a un effet
de plus en plus marqué sur l'Asie.
Pour le Canada, 1983 a marqué un point tournant : pour la première fois de notre
histoire, en effet, nous avons commercé davantage avec les pays du Pacifique
qu'avec ceux de l'Atlantique. Aujourd'hui, non seulement le Japon est notre
deuxième partenaire commercial, mais cinq des dix plus importants partenaires
commerciaux du Canada, après les États-Unis, se trouvent en Asie : le Japon, la
RPC [République populaire de Chine], la République de Corée, Hong Kong et Taiwan.
Et les visites d'Équipe Canada, sous la direction de notre premier ministre, en
Chine en 1995 puis en Asie du Sud et du Sud-Est en 1996 et 1997, ont galvanisé nos
relations de commerce et d'investissement dans la région.
Même avant que le commerce avec le Pacifique ne dépasse nos échanges avec
l'Atlantique, le Canada, en 1979, accueillait pour la première fois un nombre plus
grand d'immigrants asiatiques que d'immigrants européens. Aujourd'hui, plus de
deux millions de Canadiens sont d'origine asiatique. Ces dernières années, plus de
gens de Hong Kong ont choisi d'émigrer au Canada que dans tout autre pays. Grâce
aux relations d'affaires, aux liens familiaux, aux échanges culturels et éducatifs
et aux liens bilatéraux et multilatéraux avec les gouvernements, le Canada
interagit avec ses partenaires asiatiques de façons de plus en plus nombreuses.
Nouvelles formes de coopération
Les Canadiens sont depuis longtemps conscients de la réalité asiatique. Mais les
profondes transformations en cours dans ce continent nous commandent d'actualiser
nos connaissances et notre approche. Nous avons déjà commencé à diversifier nos
relations et notre coopération avec nos partenaires asiatiques dans plusieurs
secteurs non traditionnels :
dans les dossiers politiques, y compris la gouvernance et les droits de la
personne;
dans la mise en place d'un ensemble d'institutions régionales;
dans les dossiers de la sécurité régionale et mondiale;
dans l'examen des questions plus globales touchant à la « sécurité humaine ».
Des institutions universitaires, des ONG [organisations non gouvernementales] et
d'autres groupes, de même que le gouvernement, élaborent des projets novateurs et
enthousiasmants dans ces domaines. C'est de ces enjeux plus nouveaux que je
voudrais surtout vous parler aujourd'hui, dans l'optique à la fois des liens du
Canada avec l'Asie et, plus spécifiquement, de ses relations avec le Japon.
Dans le domaine des droits de la personne et de la gouvernance, la Commission
canadienne des droits de la personne aide à renforcer la capacité d'organisations
de même vocation en Inde et en Indonésie. En Chine, le Canada finance plusieurs
programmes et échanges discrets et efficaces, allant de la formation juridique à
la mise en oeuvre de lois relatives aux droits des femmes.
La Birmanie -- un pays où la situation au chapitre des droits de la personne est,
en un mot, déplorable -- est un autre exemple de l'intérêt et de la diplomatie
active du Canada. Les instruments diplomatiques disponibles pour opérer un
changement positif dans ce pays sont certainement limités. C'est en ayant ces
limites à l'esprit que j'ai proposé la création d'un groupe de contact auquel
participeraient, tout spécialement, les voisins de la Birmanie qui sont membres de
l'ASEAN [Association des nations de l'Asie du Sud-Est]. Ce groupe travaillerait de
concert avec le secrétaire général de l'ONU pour encourager la Birmanie à
respecter les résolutions onusiennes. Il importe que nous continuions d'unir nos
efforts à cet égard, particulièrement compte tenu des répercussions de la
situation birmane sur la stabilité de la région.
Vous vous demandez peut-être pourquoi nous nous intéressons tant à ces questions.
Après tout, l'Indonésie est quand même à une certaine distance du Canada et la
Birmanie ne deviendra vraisemblablement pas un grand partenaire commercial. Nous
le faisons parce que les Canadiens exigent que nous agissions ainsi. Notre
public -- et je suis d'accord avec lui -- estime que la violation grave et
persistante des droits des hommes, des femmes et des enfants nous abaisse tous,
peu importe où nous vivons. Comme Camus, nous pensons que, si nous épargnons des
souffrances ne serait-ce qu'à un seul enfant, alors nous aurons accompli quelque
chose de valable.
D'un point de vue juridique, nous croyons que tous les pays doivent être à la
hauteur des obligations contenues dans la Charte de l'ONU. Du point de vue de nos
intérêts fondamentaux, nous croyons que la violation des droits de la personne est
souvent la première atteinte à la primauté du droit. Dans le monde interdépendant
où nous évoluons, le système international ne peut fonctionner que si les lois et
les normes fondamentales sont observées. Et, d'un point de vue pratique, nous
croyons qu'en attirant l'attention sur ces questions, les gouvernements étrangers
peuvent contribuer à atténuer les problèmes.
La crise des otages à Lima
C'est peut-être parce qu'il s'implique dans ces dossiers que les pays se tournent
souvent vers le Canada pour obtenir de l'aide lorsque la primauté du droit est
menacée. Notre participation active aux travaux de la Commission des garants, qui
facilite les négociations entre le gouvernement du Pérou et les terroristes du
Tupac Amaru qui détiennent des otages à la résidence de votre ambassadeur à Lima,
en est un bon exemple.
C'est à cause de la réputation du Canada en tant qu'intermédiaire impartial que le
président Fujimori et le premier ministre Hashimoto ont choisi de se rencontrer à
Toronto pour discuter de la crise. À Toronto, la décision a été prise de demander
à l'envoyé extraordinaire du Japon à Lima durant la crise, l'ambassadeur Terada,
de siéger à la commission en tant qu'observateur.
La gestion de la crise a servi à rapprocher le Canada et le Japon de leurs
partenaires latino-américains. Et, fait particulièrement important, en tant que
pays du G-7, nous avons constamment insisté sur le fait que toute résolution de la
crise devait respecter nos engagements internationaux à l'égard du terrorisme.
La mise en place d'institutions régionales : 1997 et au delà
Le deuxième secteur de coopération que j'ai mentionné concerne la mise en place
d'institutions régionales. En 1997, le Canada a une occasion unique de contribuer
à ce processus en tant qu'hôte du mécanisme de Coopération économique
Asie-Pacifique [APEC], exercice que viendra couronner la réunion des dirigeants de
l'APEC à Vancouver en novembre.
À titre d'hôtes, l'occasion nous est donnée de promouvoir le programme de
libéralisation du commerce issu de la déclaration de Bogor et exposé en détail en
1995 sous la conduite du Japon dans le plan d'action d'Osaka. Nous avons aussi la
possibilité de focaliser la réflexion sur certains thèmes que nous avons choisi de
mettre en relief. Grâce à une série d'activités officielles et non
gouvernementales, y compris des salons commerciaux, des séminaires pour gens
d'affaires et un forum de la jeunesse, nous concentrerons notre attention sur la
petite et moyenne entreprise, la jeunesse et divers aspects du développement
durable.
Le premier ministre Hashimoto a proposé que l'APEC élargisse son programme de
façon à y englober des discussions socio-économiques entre les dirigeants
politiques. Le Canada est favorable à cette idée. Nous croyons effectivement que
l'évolution et la maturation de l'APEC exigent que la société dans son ensemble, y
compris des intervenants non gouvernementaux, s'implique dans son programme.
Durant notre année en tant qu'hôte, nous mettons résolument l'accent sur la
participation et la contribution de la base au processus de l'APEC, ainsi que sur
les questions de gouvernance. En plus d'encourager les ONG à prendre part aux
réunions et groupes de travail de l'APEC, nous appuyons une série d'événements
parallèles organisés par les milieux universitaires et les ONG à travers le
Canada.
D'autre part, pour souligner la diversité et la complexité croissantes de nos
relations avec l'Asie, nous avons fait de 1997 l'Année canadienne de
l'Asie-Pacifique. Nous avons déjà donné le coup d'envoi à un programme national
qui, durant un an, comportera diverses activités culturelles, universitaires et
commerciales axées sur l'Asie-Pacifique. Nous voulons de la sorte donner à nos
partenaires l'image d'un Canada en tant que vrai pays du Pacifique et sensibiliser
le public des deux côtés de l'océan aux dimensions asiatiques du Canada.
J'ai récemment eu l'occasion de constater moi-même comment ces événements
enrichissent déjà nos relations. Il y a deux semaines, j'assistais à l'université
Mount Saint Vincent à l'inauguration d'une exposition d'objets d'art exécutés par
des enfant d'Osaka. Avant l'ouverture, le professeur Masako Iino du collège Tsuda
ici à Tokyo a parlé du statut des femmes et des enfants au Japon. Lorsque des
Canadiens et des Japonais se rencontrent sur la côte est du Canada pour discuter
des droits des femmes et que nos enfants s'échangent leur art malgré les grandes
distances qui les séparent, cela augure très bien des dimensions nouvelles qui
émergent dans nos relations.
Paix et sécurité internationales
La sécurité est le troisième nouveau secteur de coopération que nous explorons.
Étant donné les énormes changements dont nous avons été témoins dans
l'environnement de la sécurité internationale au cours des dix dernières années,
le Canada, le Japon et les autres pays qui ne sont pas des superpuissances
s'appliquent aujourd'hui à définir et à réexaminer leur contribution à la sécurité
de la communauté internationale. Selon nous, le Canada a un rôle particulier à
jouer dans des dossiers spécifiques, qu'il s'agisse des préoccupations
traditionnelles au sujet du désarmement et de la sécurité « dure », ou de
questions plus globales liées à la « sécurité humaine ».
Par exemple, nous partageons nos compétences en matière de maintien de la paix
avec des nations asiatiques par l'entremise du Forum régional de l'ASEAN et grâce
à la coopération bilatérale directe, entre autres avec le Japon. Tous ici savent
que le maintien de la paix est un outil primordial de la politique étrangère du
Canada. Un de nos anciens premiers ministres, Lester Pearson, a en quelque sorte
« inventé » le maintien de la paix. Nous avons continué d'appuyer le maintien de
la paix et même d'en façonner la nature en participant à un nombre sans précédent
d'opérations et en travaillant à l'ONU à des propositions visant à améliorer la
capacité d'intervention rapide de l'Organisation.
Si nous avons procédé de la sorte, ce n'est pas pour projeter notre puissance mais
pour contribuer efficacement à la paix et à la sécurité internationales. Et l'ONU
et les parties aux conflits nous invitent continuellement à participer à cause de
notre réputation, qui est fondée sur nos compétences et sur notre renom. À l'heure
actuelle, plus de 2 000 gardiens de la paix canadiens ont été déployés dans
différentes régions du monde.
Je suis particulièrement heureux de noter que nous avons pu partager certaines de
nos compétences dans ce domaine avec le Japon, au fur et à mesure qu'il s'implique
davantage dans les efforts de maintien de la paix. Notre coopération a débuté au
Cambodge et elle a atteint un nouveau palier l'an dernier lorsque des « bérets
bleus » japonais ont été déployés pour la première fois, servant aux côtés de
gardiens de la paix canadiens sur les hauteurs du Golan.
Le maintien de la paix n'est pas le seul secteur de la sécurité « traditionnelle »
dans lequel le Canada collabore avec ses partenaires asiatiques, aux niveaux tant
gouvernemental que non gouvernemental. Il a aussi été actif au sein du Forum
régional de l'ASEAN. Nous croyons que cette instance offre au Canada et au Japon
des occasions uniques de favoriser le genre de dialogue qui aidera la région à
s'adapter à une nouvelle donne en matière de sécurité. Et des institutions
universitaires canadiennes ont récemment accueilli la deuxième réunion du groupe
de travail du Pacifique Nord du Comité de coopération en matière de sécurité dans
l'Asie-Pacifique. Comme il s'agit du forum le plus complet du « Volet deux » qui
permet de discuter des épineux problèmes de sécurité en Asie du Nord-Est, ces
réunions sont extrêmement importantes.
Sécurité humaine
Un des domaines les plus nouveaux dans lesquels nous concentrons notre coopération
avec nos partenaires asiatiques est celui de la « sécurité humaine », une sphère
d'activité de plus en plus préoccupante dans cette ère de mondialisation et de
conflits déclenchés par les implosions des États. On y traite de problèmes allant
de la dégradation de l'environnement au trafic de drogues en passant par le
travail des enfants et l'interdiction mondiale des mines terrestres.
Le Canada s'attaque à ces problèmes au moyen de ses programmes d'aide au
développement à travers l'Asie :
depuis les projets de protection de l'environnement en Chine;
jusqu'à un projet de substitution des cultures et de réhabilitation pour les
personnes qui tiraient leur subsistance du commerce de l'héroïne en Thaïlande;
en passant par un fonds de développement de l'enfance doté d'un budget de
500 000 dollars pour aider à combattre l'exploitation des enfants qu'on force à
travailler en Inde.
Nous avons aussi cherché à faire inscrire ces questions à l'ordre du jour des
organisations régionales. À ma demande, par exemple, il sera question du trafic
des drogues à la prochaine conférence post-ministérielle de l'ASEAN.
La campagne internationale en vue d'interdire les mines terrestres antipersonnel
est, pour le Canada, une question prioritaire qui allie les préoccupations
relatives à la sécurité traditionnelle et celles touchant à la sécurité humaine.
Au Cambodge, des experts canadiens forment depuis quatre ans des démineurs locaux
pour aider ce pays à venir à bout de la crise humanitaire dans laquelle il est
aujourd'hui plongé à cause d'une utilisation aveugle de mines terrestres dans le
passé. Mais il ne suffit pas de faire disparaître les effets des crises en cours;
nous devons empêcher que de telles crises ne se produisent au point de départ.
C'est pourquoi le Canada milite avec le Japon et d'autres en faveur d'une
interdiction totale de ces engins.
Il y a quelques années, la communauté internationale ne prêtait guère attention à
cette question. Aujourd'hui, grâce surtout aux efforts d'organismes non
gouvernementaux comme la Campagne internationale contre les mines terrestres et la
Croix-Rouge -- qui tous deux ont été sélectionnés en vue d'un Nobel de la paix --
elle figure en bonne place à l'ordre du jour international. Ces organismes ont
aidé à faire prendre conscience au monde que, ce qui était perçu par le passé
comme une question de désarmement, a en fait les dimensions d'une très grande
tragédie humaine : quelque 500 personnes, surtout des civils et souvent des
enfants, sont tués ou estropiés chaque semaine, semaine après semaine, année après
année.
De l'Asie aux Amériques, les gouvernements prennent conscience du fait que la
prolifération des mines terrestres est un problème grave, qu'il ne disparaîtra pas
et, surtout, qu'il peut être réglé si on veut le résoudre.
L'automne dernier, le Canada a lancé le « processus d'Ottawa », une « voie
diplomatique rapide » devant mener à la signature d'un accord sur l'élimination
totale des mines terrestres d'ici à décembre 1997. Nous sommes convaincus qu'une
entente internationale interdisant la production, le stockage, le transfert et
l'utilisation de mines terrestres antipersonnel est la seule façon de commencer à
s'attaquer à la tâche monumentale que représente l'élimination de plus de 100
millions de ces mines dispersées dans le monde.
Nous sommes maintenant bien engagés dans le processus d'Ottawa. En 1997, il n'y
aura pas moins de onze grandes conférences internationales, y compris une
conférence qui a eu lieu à Tokyo le mois dernier, sur des aspects du problème des
mines terrestres. De plus en plus de pays, y compris ceux qui sont le plus
durement touchés par les mines, ont affirmé qu'ils étaient disposés à adhérer à
une interdiction totale de ces engins d'ici à la fin de 1997.
Nous savons qu'il reste à obtenir un consensus international sur notre approche et
que l'itinéraire qui nous attend n'est pas facile. Mais ce sont précisément ces
circonstances qui commandent de faire preuve de leadership. Comme l'Australie l'a
démontré à l'égard du CTBT [Traité d'interdiction complète des essais nucléaires],
comme Singapour l'a démontré pour l'OMC [Organisation mondiale du commerce], comme
la Norvège l'a démontré dans le cas du processus de paix au Moyen-Orient, les
puissances moyennes peuvent prendre en mains un dossier et le mener à terme. Le
Canada est fier de jouer un tel rôle dans le dossier des mines terrestres.
Je crois que le Canada a un rôle particulier à jouer en Asie à titre de puissance
moyenne. Il y a quelques semaines, j'ai parlé devant un auditoire américain du
rôle du Canada comme membre de la communauté mondiale. Les États-Unis sont peut-être, comme l'a dit le président Clinton, la « nation indispensable »; pour ma
part, le Canada est la « nation à valeur ajoutée ».
Le Canada a la capacité voulue pour agir comme intermédiaire respecté sur un
éventail de questions, où nous pouvons faire jouer nos talents et notre
expérience. Cela vaut particulièrement dans le domaine de la sécurité humaine. Il
est de plus en plus clair que la préservation de la sécurité humaine -- les droits
de la personne et les libertés fondamentales, la primauté du droit, la bonne
gouvernance, le développement durable et la justice sociale -- est aussi importante
pour la paix mondiale que le contrôle des armes et le désarmement. Le Canada
s'emploie à développer de nouveaux outils de consolidation de la paix qui aideront
à protéger la sécurité humaine.
Le Canada et le Japon
Être une puissance moyenne, c'est entre autres accepter qu'on ne peut atteindre
ses objectifs seul. Le Canada, en raison de son histoire, de son immense
territoire et de sa population peu nombreuse ainsi que de la nécessité de se bâtir
une identité distincte de celle de ses voisins américains, a dû dès le départ
développer les outils et les talents qu'appellent l'interdépendance.
Le Japon, qui partage bon nombre de nos valeurs en ce qui concerne le
multilatéralisme et l'adhésion au système international, est l'un de nos meilleurs
partenaires sur la scène mondiale. Peu de relations bilatérales peuvent être aussi
exemptes de tensions importantes que la relation entre nos deux pays. Ce n'est pas
qu'il n'existe pas de problèmes d'accès aux marchés ou de réglementation. Nous ne
sommes pas toujours d'accord. Mais pour deux pays qui ont des histoires et des
psychologies nationales aussi différentes, nous entretenons des rapports
remarquables.
Du point de vue du Canada, le Japon représente un partenaire clé en Asie et ce,
pour diverses raisons. J'ai déjà parlé de nos liens commerciaux; près de la moitié
de nos échanges transpacifiques se font avec le Japon. Nous sommes aussi très
conscients du rôle que joue le Japon, aux termes de son accord de défense avec les
États-Unis, comme pilier de la stabilité régionale.
En outre, si les tendances récentes se poursuivent, le Japon deviendra, dans les
faits, le plus gros contributeur de l'ONU sur une base régulière. L'ONU est un
instrument central dans la poursuite des intérêts canadiens. Au bout du compte,
tout processus de renouveau à l'ONU devra prendre en compte les intérêts et les
objectifs tant du Canada que du Japon.
L'aide au développement est un autre domaine d'intérêt commun puisque le Japon est
le plus important donateur et que le Canada est aussi très actif dans ce domaine.
Après avoir commencé à collaborer à des projets au Viêt-nam, nous avons coopéré en
Indonésie, aux Philippines, au Kenya et en Afrique australe. Nous voulons
d'ailleurs accroître davantage notre collaboration et les synergies considérables
que génère la coopération sur le terrain.
Le Japon occupe donc une place capitale dans notre politique étrangère. Le Canada
a aussi une place importante dans la politique étrangère du Japon, y compris pour
des raisons dont vous n'êtes peut-être pas conscients. Sur le plan commercial,
l'association du Canada avec les États-Unis et le Mexique au sein de l'ALENA
[Accord de libre-échange nord-américain] en fait une base concurrentielle au plan
des coûts pour l'accès aux marchés nord-américains.
En ce qui concerne la sécurité, j'ai déjà parlé de notre coopération alors que le
Japon a commencé à se définir un rôle dans le maintien de la paix international.
Je tiens à dire ici aujourd'hui que la coopération avec le Japon dans le domaine
du maintien de la paix est et restera un aspect clé de notre relation bilatérale.
La sécurité régionale n'est pas la responsabilité uniquement des grandes
puissances. Chaque pays a un rôle à jouer. L'engagement du Canada dans la région
de l'Asie-Pacifique est enraciné dans le passé et c'est un engagement que nous
entendons poursuivre activement. Le Japon voudra prendre davantage en compte les
intérêts de sécurité régionale de pays comme le Canada. Il y a aussi un nombre
croissant de possibilités de coopération entre le Japon et le Canada dans les
nouveaux dossiers de sécurité « douce », relatifs à la sécurité humaine.
Le Canada est le seul des partenaires du Japon au sein du G-7 à disposer d'un
accès et d'une influence auprès de toutes les grandes organisations
internationales ainsi que du Commonwealth et de la Francophonie. Comme ils en ont
fait la preuve dans le cas du CTBT, le Canada et le Japon peuvent combiner leurs
forces de façon efficace afin d'atteindre des objectifs convenus au niveau
international. Pour ne citer qu'un exemple, l'ordre du jour chargé dans le domaine
de l'environnement cette année constitue une occasion de plus de collaborer
étroitement.
L'avenir
Cela dit, le message que je veux vous laisser aujourd'hui, c'est que nous devons
mieux exploiter notre excellente relation. Nous pouvons servir nos intérêts
nationaux respectifs encore plus efficacement si nous établissons des objectifs
communs et si nous collaborons à leur réalisation. Les pierres d'assise sont déjà
en place. En effet, nos premiers ministres ont convenu l'an dernier d'un programme
de coopération qui privilégie
l'expansion des liens bilatéraux afin de favoriser les échanges commerciaux, le
tourisme et l'investissement;
la coopération dans les domaines de l'environnement et de l'aide publique au
développement;
une plus grande collaboration dans des institutions comme l'APEC et l'OMC.
Et nous disposons de nouveaux outils pour aller de l'avant. Le Forum non
gouvernemental Canada-Japon établi récemment constitue une plate-forme
indépendante qui permet d'entretenir un dialogue sur des sujets régionaux et
bilatéraux qui nous préoccupent. Il peut représenter un complément précieux de nos
discussions gouvernementales dans la redéfinition et l'expansion de notre
coopération.
J'ai tout récemment pris connaissance de l'excellente étude des professeurs
Nishihara et Job sur la coopération entre le Canada et le Japon dans le domaine de
la sécurité. Elle constituera une très bonne plate-forme à partir de laquelle
explorer des façons d'accroître ensemble la compréhension, la coopération et la
capacité en matière de sécurité.
La coopération dans le nouveau secteur d'activités que constitue la consolidation
de la paix devrait, à mon avis, être un axe important de cette recherche. L'an
dernier, j'ai annoncé le lancement d'une nouvelle initiative canadienne de
consolidation de la paix, y compris l'établissement d'un fonds spécial. J'ai alors
expliqué que je considérais la consolidation de la paix comme un instrument
indispensable dans la lutte contre les nouvelles formes de conflit qui en sont
venues à définir la scène internationale en cette fin de siècle. Avec plus de
coordination, de préparation et un meilleur partage des ressources, nous espérons
développer le plein potentiel de ce nouvel outil. C'est justement le genre de
projet innovateur, fondé sur des valeurs et des buts communs, auquel le Canada et
le Japon peuvent travailler ensemble. Et, ce faisant, nous pourrions influer sur
l'ordre international du XXIe siècle.
Notre relation est si positive que nous risquons de la tenir pour acquise -- pour
reprendre le dicton, c'est la roue qui crie qu'on graisse. Il serait malheureux
que la qualité de notre relation nous entraîne dans la complaisance et nous fasse
manquer des occasions comme celles-là d'atteindre des objectifs communs. Mon
dernier message s'adresse donc non seulement à vous qui êtes ici, mais à tous nos
concitoyens. Je dis aux Canadiens de penser au Japon et aux Japonais de penser au
Canada.
Merci.