M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LE COMITÉ PERMANENT DESAFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONALSUR LE TRAVAIL DES ENFANTS - OTTAWA (ONTARIO)
97/22 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LE COMITÉ PERMANENT DES
AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
DU COMMERCE INTERNATIONAL
SUR LE TRAVAIL DES ENFANTS
OTTAWA (Ontario)
Le 23 avril 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
Introduction
Je voudrais commencer par féliciter le Sous-Comité sur le développement humain
durable du Comité permanent des Affaires étrangères et du Commerce international,
et son président, M. John English, pour les efforts qu'ils ont déployés pour
produire un rapport innovateur sur la question du travail des enfants. Nous
reconnaissons tous que le travail des enfants est un problème complexe, aussi bien
dans sa définition que dans la façon d'y remédier efficacement. C'est pourquoi il
était si important de réunir la plus vaste gamme possible d'opinions et
d'expériences dans le cadre des audiences du Sous-Comité, l'automne dernier, et
c'est aussi pourquoi le rapport qui a découlé de ces audiences revêt une telle
importance, alors que nous nous efforçons de trouver une réponse canadienne à
cette question complexe.
Je voulais saisir cette occasion pour vous faire part de mes opinions initiales
sur le rapport du Sous-Comité, car cette question a non seulement vivement
préoccupé le gouvernement dans son ensemble, mais m'a inquiété personnellement.
Toutefois, mes observations aujourd'hui ne constituent par la réponse officielle
du gouvernement à ce rapport, laquelle est en préparation.
Le Sous-Comité, dans son rapport, reprend l'idée largement acceptée que toutes les
formes de travail des enfants ne sont pas synonymes d'exploitation et d'abus, mais
que celles qui privent l'enfant de son droit à réaliser pleinement son potentiel
mental et physique, et qui l'exposent à un travail dangereux, violent un droit
fondamental. De plus, elles privent les pays de leur plus précieuse ressource de
développement économique pour l'avenir, à savoir une main-d'oeuvre adulte
instruite et en bonne santé.
Cette raison amène le Canada à soutenir une démarche où l'on reconnaisse que le
problème du travail des enfants relève aussi bien du registre des droits de la
personne que de celui du développement. Autrement dit, c'est un problème qui
requiert une réponse multidisciplinaire donnée par une vaste alliance, formée
d'autorités nationales et internationales, de la société civile et d'organisations
non gouvernementales [ONG].
Prendre des mesures au Canada et à l'étranger
Le gouvernement a fait des droits de l'enfant une priorité tant dans son programme
national que dans sa politique étrangère, comme il l'a déclaré dans le discours du
Trône de la dernière session du Parlement. Depuis lors, et depuis la dernière fois
que j'ai comparu devant le Comité pour discuter du travail des enfants, nous avons
pris un certain nombre de mesures, à l'échelle nationale aussi bien
qu'internationale, pour tenir cet engagement.
Mes observations porteront aujourd'hui sur mon principal domaine de
responsabilité, les mesures internationales, mais je suis profondément convaincu
qu'il faut prendre de pair des mesures sur les deux fronts, à l'intérieur du
Canada et à l'extérieur. Nous devons être certains que nous ne négligeons pas nos
propres enfants pendant que nous aidons ceux des autres.
En fait, quelquefois, des mesures nationales peuvent aider à protéger les enfants
d'autres pays, comme par exemple dans le cas du projet de loi C-27. Ce projet de
loi, présenté par le gouvernement l'année dernière, prévoit de poursuivre en
justice les citoyens et les résidents permanents du Canada qui, à l'occasion d'un
voyage à l'étranger, se livrent à des activités sexuelles commerciales avec des
enfants. Des améliorations y ont été apportées en comité en vue de l'élargir pour
condamner l'exploitation sexuelle non commerciale des enfants. Comme les membres
du Comité le savent sans aucun doute, le projet de loi C-27 a été adopté par le
Sénat cette semaine avec un large appui et il doit maintenant prendre force de
loi.
Parallèlement à cet effort, le sénateur Landon Pearson a présidé un comité
interministériel pour donner suite au Programme d'action établi au Congrès mondial
de Stockholm contre l'exploitation sexuelle des enfants, qui a eu lieu en août
dernier.
Les droits de l'enfant comme priorité de politique étrangère
M. Ethan Kapstein du Council on Foreign Relations a fait remarquer dans un article
récent que le fait que « le capitalisme mondial avancé ne continue pas à
distribuer les richesses » pose un problème aux décideurs que nous ne pouvions pas
prévoir il y a 30 ans. M. Kapstein ajoute que l'économie mondiale n'a pas répondu
aux attentes des travailleurs du monde entier. C'est dans ce contexte que nous
continuons de voir des enfants dans des situations de travail où ils sont victimes
d'exploitation et d'abus.
C'est pour résoudre ce problème que j'ai réservé dans la politique étrangère du
Canada une place prioritaire au travail des enfant, et d'une manière plus générale
à leurs droits. Je voudrais vous exposer aujourd'hui certaines des mesures que mon
Ministère a prises et va prendre, de concert avec d'autres ministères, pour régler
ce problème complexe, sur les plans bilatéral, régional et multilatéral.
Sur le plan bilatéral
Mon collègue, le ministre de la Coopération internationale et ministre responsable
de la Francophonie, M. Don Boudria, a parlé dans un discours, le mois dernier, de
l'engagement pris par l'Agence canadienne de développement international [ACDI] de
promouvoir et de protéger les droits fondamentaux de l'enfant.
Par exemple, par l'intermédiaire de l'ACDI, le Canada finance divers projets
préventifs :
l'éducation des filles en Afrique;
la production de matériel éducatif pour la prévention de la violence sexuelle au
Pérou;
une vidéo sur le trafic des femmes et des jeunes filles originaires de l'Inde et
du Népal;
la promotion des droits de la femme et de l'enfant dans la région du Mékong.
J'ai moi-même soulevé la question des droits de l'enfant et des programmes pour
les protéger, à l'occasion d'un certain nombre de visites bilatérales récentes.
Par exemple,
lors de ma visite à Cuba, il a été convenu que le Canada et Cuba participeraient
à un atelier conjoint sur les droits de l'enfant, qui doit avoir lieu à La Havane
en mai. Le sénateur Pearson dirigera la délégation canadienne;
lors de ma visite en Inde, j'ai discuté des manières dont le Canada pourrait
collaborer avec ce pays pour s'attaquer au problème du travail des enfants
indiens, notamment avec l'aide du Fonds de développement de l'enfant de
500 000 dollars que nous avons établi pour la coopération bilatérale.
Sur le plan régional
Nous avons tenu, à San Diego en février dernier, une conférence tripartite sur le
travail des enfants et des jeunes en Amérique du Nord, avec nos partenaires de
l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain]. Les participants ont exploré des
moyens innovateurs de mettre fin à la participation indue des enfants à la
population active. Ils ont également discuté de la manière dont les pays de
l'ALENA pourraient réduire les risques pour la santé, la sécurité et l'éducation
des enfants et des jeunes qui font légalement partie de cette population active.
Sur le plan multilatéral
Sur la scène multilatérale, il est rassurant de voir que l'on prête davantage
attention au problème du travail des enfants et que l'on redouble d'efforts pour
chercher à le régler et à éradiquer ses formes d'exploitation les plus graves,
comme la prostitution enfantine.
Le Canada a appuyé activement les groupes de travail établis par la Commission
des droits de l'homme de l'ONU pour élaborer deux protocoles facultatifs à la
Convention relative aux droits de l'enfant : un porterait sur la vente d'enfants
ainsi que sur la prostitution et la pornographie enfantines et l'autre, sur les
enfants en situation de conflit armé. En février, des représentants du ministère
de la Justice et du MAECI [ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international] ont participé activement aux négociations sur le texte provisoire
du premier de ces protocoles. Le Canada a contribué à définir la pornographie
enfantine et les mesures à prendre pour protéger les enfants qui en sont victimes,
définitions qui, nous l'espérons, seront adoptées dans le texte définitif du
protocole facultatif.
L'Organisation mondiale des douanes a tenu une réunion en février 1997 et a
accepté une recommandation canadienne visant à qualifier la pornographie enfantine
de contrebande et à établir des politiques et des stratégies pour y remédier et
résoudre en particulier les problèmes posés par la transmission électronique.
Revenu Canada mène des travaux pour lutter à l'échelle internationale contre la
pornographie enfantine et les pédophiles et pour former des agents d'Interpol
ainsi que des agents de police et des employés des douanes, en Amérique centrale
et du Sud.
En février, le Canada a ratifié la Convention sur la protection des enfants et la
coopération en matière d'adoption internationale. En garantissant que les
adoptions internationales se feront dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la
Convention, et le système de coopération qu'elle établit entre les États membres,
aideront à prévenir l'enlèvement, la vente ou le trafic d'enfants.
Plus que tout autre organisme multilatéral, l'OIT [Organisation internationale du
Travail] a été au coeur de la lutte internationale contre le travail des enfants.
L'année dernière, le Canada a accordé 700 000 dollars au Programme pour
l'élimination du travail des enfants de l'OIT en vue d'effectuer une recherche
fondamentale et des analyses dont le besoin se faisait grandement sentir.
En février, la secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique), Mme Christine
Stewart, a assisté à Amsterdam à la Conférence sur le travail des enfants. Cette
rencontre a constitué une autre étape importante vers une meilleure compréhension
à l'échelle internationale de ce problème complexe. Le Canada participera
également à la conférence qui doit avoir lieu à Oslo en octobre, qui poursuivra
les travaux de la conférence d'Amsterdam.
Une stratégie canadienne sur le travail des enfants
Comme vous le voyez, nous ne sommes pas restés inactifs, mais il reste encore
beaucoup à faire. Le rapport du Sous-Comité constitue, à mon avis, un excellent
point de départ à partir duquel on peut élaborer une stratégie canadienne sur la
question particulière du travail des enfants. Voici certains des points clés dont
il faudrait tenir compte dans cette stratégie :
le travail des enfants est un problème mondial et bien que le Canada concentre
son attention sur les pays en développement où le problème est plus critique, les
Canadiens ont également une responsabilité à l'échelle nationale;
dans les pays en développement, le problème a pour origine la pauvreté et il ne
peut être réglé du jour au lendemain;
le fond du problème est l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine et non le
travail des enfants d'une manière générale;
les mieux placés pour régler cette question sont les gouvernements, les ONG et
les entreprises dans les pays où le problème est le plus critique; et le rôle des
Canadiens est d'appuyer les initiatives de ces intervenants locaux et non de se
substituer à eux;
les conventions et les accords internationaux ont pour fonction de créer des
normes internationales acceptées par tous qui aideront à fixer des critères
juridiques nationaux; le rôle du Canada consiste à faciliter la négociation de ces
accords internationaux. Nous placerons au centre de nos efforts multilatéraux dans
ce sens la négociation d'une convention de l'OIT sur le travail abusif des
enfants. Nous utiliserons d'autres forums multilatéraux pour accroître le soutien
à l'égard de cette convention et nous exhorterons la main-d'oeuvre et les gens
d'affaires canadiens à faire de même avec leurs homologues à l'OIT;
une stratégie canadienne particulière pour régler le problème du travail des
enfants doit être conforme à la manière dont le Canada traite les autres questions
internationales relatives aux enfants et, de façon plus générale, à sa politique
étrangère ainsi qu'à sa politique en matière de commerce et d'aide au
développement.
Se tourner vers l'avenir : agir sur plusieurs fronts
À ce stade, nous n'en sommes qu'au tout début de l'élaboration de notre stratégie
et de notre réponse à toutes les questions complexes soulevées par le rapport du
Sous-Comité. Mais nous prévoyons déjà d'agir sur plusieurs fronts, d'une manière
qui, je le crois, contribuera à remédier à certains des problèmes soulevés dans le
rapport.
Le Canada participera activement à l'élaboration de la nouvelle convention sur le
travail des enfants et aux conférences de l'OIT qui doivent avoir lieu en 1998 et
1999. Nous élaborerons nos positions en vue de ces deux événements en étroite
collaboration avec nos collègues des provinces, les associations patronales et les
syndicats. Nous voulons faire du travail des enfants dans les industries
dangereuses, de la servitude pour dettes et de la prostitution enfantine une chose
tout à fait inacceptable qu'il faut abolir à tout jamais.
En outre, la Conférence internationale sur l'exploitation sexuelle des enfants
doit avoir lieu à l'Université de Victoria au printemps de 1998. De 40 à 45 jeunes
victimes du commerce sexuel seront invitées à préparer leur propre déclaration et
leur plan d'action, qui viendront s'ajouter aux documents qui ont découlé de la
conférence d'Amsterdam. Le Conseil canadien du statut de la femme et le MAECI ont
déjà accepté de fournir des fonds à cette fin, et il est probable que plusieurs
autres ministères fédéraux en feront de même.
Le Fonds de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine
Je suis heureux d'annoncer aujourd'hui la création du Fonds de lutte contre
l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine, un fonds incitatif spécial destiné à
fournir un financement de contrepartie aux entreprises et aux associations de gens
d'affaires, afin qu'elles élaborent leurs propres lignes directrices, codes de
conduite et plans d'étiquetage pour s'attaquer au problème de la main-d'oeuvre
enfantine. Durant les deux prochaines années financières, une somme de
200 000 dollars par année sera donc affectée à cette fin. Ces fonds seront alloués
sur la recommandation d'un petit comité de direction, qui sera présidé par le
sénateur Landon Pearson. Siégeront également à ce comité deux représentants
d'entreprise, ainsi qu'un représentant syndical et un des ONG.
Cette initiative donne suite aux recommandations contenues dans le rapport du
Sous-Comité demandant que « le gouvernement élabore et publie un ensemble de
directives officielles à l'intention des entreprises canadiennes pour ce qui
touche l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile [...] avec l'appui nécessaire
du secteur privé, des syndicats, des groupes non gouvernementaux et des citoyens
intéressés de tous les âges. »
(Recommandation 13)
Dans l'esprit de cette recommandation, le gouvernement du Canada voudrait montrer
son empressement à aider le secteur privé à élaborer et à promouvoir de tels
plans, en même temps qu'il voudrait que le secteur privé élabore ses propres
lignes directrices, plutôt que de laisser le gouvernement le faire à sa place.
Les multinationales, comme Nike et Levi-Strauss, peuvent se permettre
financièrement d'élaborer leurs propres codes de conduite. En créant ce fonds,
nous voulons inciter à court terme les entreprises et les gens d'affaires
canadiens à engager les coûts initiaux pour documenter, élaborer et promouvoir
leurs propres lignes directrices ou codes de conduite. Nous encourageons
particulièrement les associations du secteur privé à travailler conjointement avec
les organisations syndicales, universitaires et les organisations non
gouvernementales à l'élaboration de telles lignes directrices.
Travailler de concert avec les missions canadiennes et d'autres pays
Pour donner suite aux constatations que j'ai pu faire durant ma visite d'une
semaine en Inde, en janvier, je demande à certains chefs de missions canadiennes à
l'étranger de me faire part de la manière dont ils traitent le problème du travail
des enfants, et de ce qui pourrait être fait de plus. J'ai été impressionné par
l'échange d'idées que j'ai eu avec le haut-commissaire du Canada en Inde et son
personnel, et j'aimerais ouvrir un dialogue similaire avec nos missions dans
d'autres pays en développement. Je demanderai à ma conseillère spéciale en la
matière, le sénateur Pearson, de m'assister dans ce processus. J'ai l'intention
d'ajouter ces observations à la réponse officielle du gouvernement au rapport du
Sous-Comité.
J'aimerais également explorer une des approches proposées par le Sous-Comité, à
savoir que nous élaborions des partenariats bilatéraux particuliers avec un
certain nombre de pays dans différentes régions afin d'en arriver à éliminer le
travail abusif des enfants. D'après moi, de tels partenariats pourraient
comporter :
un dialogue politique constructif avec les gouvernements hôtes sur la question,
qui constituerait un point permanent à l'ordre du jour des consultations au niveau
ministériel ou des hauts fonctionnaires;
un partenariat avec des organisations oeuvrant dans des domaines pertinents afin
de promouvoir l'utilisation de codes de conduite facultatifs élaborés par des
entreprises canadiennes établies dans ces pays;
dans la mesure du possible, une collaboration entre nos organisations nationales
de droits de la personne pour aider à renforcer la protection des droits des
enfants.
Conclusion
Comme vous pouvez le constater, il existe plus d'une manière de s'attaquer au
problème du travail des enfants. Y remédier efficacement demeure cependant une
tâche énorme. J'estime toutefois que les travaux du Sous-Comité ont donné matière
à réflexion et qu'ils constituent un excellent point de départ à l'élaboration
d'une approche canadienne intégrée. Je remercie les membres du Sous-Comité, ainsi
que son président, John English, de leur contribution, et je leur réitère mon
engagement personnel à maintenir le Canada au premier rang de la lutte contre
l'exploitation de la main-d'oeuvre enfantine.
Merci.