M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU FORUM DES ONG À OSLO SURL'INTERDICTION DES MINES ANTIPERSONNEL - OSLO, NORVÈGE
97/32 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU FORUM DES ONG À OSLO SUR
L'INTERDICTION DES MINES ANTIPERSONNEL
OSLO, Norvège
Le 10 septembre 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
C'est pour moi un grand plaisir de vous adresser la parole aujourd'hui. Cette
intervention me donne l'occasion de réaffirmer, au nom du gouvernement canadien,
notre engagement ferme à collaborer avec vous, surtout à ce stade critique du
cheminement qui nous mènera à la conférence d'Ottawa, en décembre, et se
poursuivra ensuite.
Notre réunion me fournit aussi l'occasion de vous remercier, ainsi que les membres
du mouvement d'opposition aux mines terrestres, pour le rôle déterminant que vous
avez joué pour mobiliser l'opinion publique et susciter une volonté politique. Je
tiens à rendre un hommage tout spécial au travail de la regrettée princesse de
Galles, qui a contribué de façon incalculable à une prise de conscience, à
l'échelle mondiale, du problème des mines terrestres. Elle nous manquera
cruellement et nous garderons d'elle un merveilleux souvenir.
Outre les efforts de la princesse, c'est grâce à votre travail, aux efforts
déployés dans l'ombre par d'innombrables personnes et à l'action de fonctionnaires
et de nombreux dirigeants politiques que nous en sommes rendus au point où un
traité qui recueille l'adhésion de plus d'une centaine de gouvernements des quatre
coins du globe est à notre portée.
Tous ensemble, nous avons parcouru un long chemin en fort peu de temps. Vers la
fin de l'an dernier, lorsque j'ai invité les gouvernements à revenir à Ottawa en
1997, il n'est pas faux de dire qu'il y avait bien plus qu'un soupçon de
scepticisme. Bien des milieux ne cachaient pas leur opposition. Beaucoup jugeaient
la mission impossible.
Mais les sceptiques et les critiques n'avaient pas pu prendre conscience, comme il
m'a été donné de le faire, qu'une coalition était en train d'émerger entre les
éléments de la société civile et les gouvernements engagés dans le mouvement en
faveur de l'interdiction des mines antipersonnel. Cette coalition avait le pouvoir
de modifier la dynamique et l'orientation de l'ordre du jour international. Selon
un dicton de la nation crie du Canada, lorsqu'un voyageur demande où se trouve la
route, on lui répond que nous allons la construire ensemble.
C'est exactement ce que nous avons fait. Ensemble, des organisations non
gouvernementales comme la Campagne internationale d'interdiction des mines
terrestres et le Comité international de la Croix-Rouge, un premier groupe de pays
-- Afrique du Sud, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Irlande, Mexique,
Norvège, Pays-Bas, Philippines et Suisse -- et bien d'autres encore ont tracé une
route nouvelle.
De toute évidence, on ne peut plus, dans cette démarche, reléguer les ONG
[organisations non gouvernementales] à un simple rôle de conseillers ou de
défenseurs d'une cause. Elles ont maintenant leur place dans la prise de
décisions. Vous avez dit que les gouvernements appartiennent aux peuples et
doivent répondre à leurs espoirs, à leurs exigences, à leurs idéaux.
Nous ne pouvons pas non plus négliger le pouvoir et la portée des nouvelles
technologies d'information qui permettent à chacun de suivre, sans quitter son
foyer, ce qui se passe en Angola ou au Cambodge. Ces technologies donnent au
simple citoyen, au civil et au spécialiste le moyen de communiquer et d'échanger
de l'information rapidement, à bon marché et sur des distances énormes. Les
vidéos, les affiches, les campagnes par télécopieur, le courrier électronique, les
conférences téléphoniques et Internet ont tous accéléré la coordination et la
transmission des messages clés de la campagne.
Ces tendances -- je veux dire la participation de la société civile et la
révolution de la technologie de l'information -- sont les fondements sur lesquels
se construit une profonde démocratisation de la politique internationale. Nous
entendons souvent parler de « mondialisation » au sens de la création d'un réseau
d'échanges commerciaux de plus en plus étendu. Mais nous avons ici une autre sorte
de « mondialisation » : l'émergence d'une entité collective mondiale qui s'affirme
comme une force considérable -- ce dont nous sommes témoins ici même, à Oslo.
C'est là une évolution encourageante, mais il ne faut pas minimiser les
difficultés et les complexités qui nous attendent. Il ne faut pas penser que les
critiques et les opposants du traité d'interdiction sont allés se terrer. La
mobilisation de la société civile sera donc encore plus urgente et importante dans
les jours et les semaines à venir. Les enjeux sont tels que nous avons besoin plus
que jamais d'un partenariat sans réserve, d'une solidarité dans les objectifs
ainsi que de la souplesse et de l'adresse nécessaires pour trouver les mots
justes.
Robert F. Kennedy a dit : « Chaque fois qu'une personne affirme un idéal et
s'élève contre l'injustice, elle crée une infime vague d'espoir qui s'ajoute à
celles qui viennent d'un million d'autres centres d'énergie, et ces vagues font
apparaître un courant capable de renverser les plus lourdes résistances. »
L'expérience que nous avons vécue dans la campagne pour l'interdiction des mines
terrestres doit nous remplir d'espoir, dans la poursuite de cette lutte pour
limiter et contenir les horribles conséquences des conflits armés. La nature même
de la guerre se transforme. Les affrontements entre États que nous connaissions
autrefois sont de plus en plus limités, mais les ravages des luttes intestines
sont omniprésents. On remet donc de plus en plus en cause l'utilité de la guerre
comme instrument de la politique nationale, maintenant que la majorité des
victimes des conflits sont des civils.
L'interdiction des mines antipersonnel est une première réaction à l'immoralité de
la guerre. C'est l'expression de notre refus d'une crise humanitaire de plus en
plus grave, conséquence secondaire inévitable des impératifs de la stratégie
militaire. Notre succès dans la mobilisation contre les mines terrestres et
surtout dans la mobilisation de l'opinion internationale devrait nous réconforter,
à la veille du nouveau millénaire : nous pouvons remporter de nouvelles victoires
et faire reculer ce fléau qu'est la guerre. Pour paraphraser Bernard Baruch, si
nous pouvons apprendre l'ABC, le reste de l'alphabet viendra.
Mais gardons-nous des perspectives trop lointaines : nous devons faire porter nos
efforts sur la tâche immédiate, et il reste beaucoup à faire d'ici décembre. Les
négociations sur le traité doivent aboutir et permettre une interdiction claire et
univoque, une entrée en vigueur rapide, l'acceptation la plus large possible et
une surveillance efficace.
Les préoccupations humanitaires qui ont motivé le processus d'Ottawa rendent
impérieuse l'entrée en vigueur la plus rapide possible du traité d'interdiction.
Ainsi, le défi consiste à amener les gouvernements non seulement à signer le
traité, mais aussi à prendre les mesures voulues pour le ratifier au plus tôt au
niveau national.
Nous devrions aussi continuer à encourager et à approuver les mesures unilatérales
prises par les pays qui veulent agir plus rapidement : chaque mine antipersonnel
enlevée ou détruite est une mine qui ne fera pas de victime ou ne sera pas enfouie
dans le sol. Je suis donc très heureux d'annoncer aujourd'hui que le ministre
canadien de la Défense nationale m'a informé que les Forces armées canadiennes
entreprendront sous peu de détruire le dernier tiers de leur arsenal de mines
antipersonnel, travail qui devrait se terminer au plus tard en décembre prochain.
Il est indéniable qu'il faudra surmonter des obstacles particulièrement difficiles
pour donner au traité une portée universelle. Nous devons poursuivre la recherche
de moyens de mobiliser les États et acteurs non étatiques qui demeurent
réfractaires, en sachant profiter des enseignements précieux que nous avons tirés
de l'expérience des dernières années. La campagne de mobilisation de l'opinion
internationale, qu'il s'agisse du grand public ou des gouvernements, ne saurait
prendre fin à la signature du traité.
Quant au troisième élément clé, soit la surveillance de l'application du traité,
j'estime que les ONG peuvent jouer un plus grand rôle à cet égard. Il y a au fond
deux défis distincts mais étroitement reliés à relever ici.
D'une part, certains signataires du traité risquent de ne pas avoir les moyens
techniques d'honorer le traité même si, politiquement, ils sont résolus à le
faire. Il m'apparaît clairement que les ONG sont bien placées pour susciter la
volonté politique, dans d'autres pays, de fournir l'aide technique et de prendre
des mesures concrètes pour accorder cette aide.
D'autre part se pose la question du rôle de « chien de garde » qui revient à la
société civile lorsqu'il s'agit de juger dans quelle mesure les États honorent les
obligations qu'ils ont contractées. Le Canada, la Campagne internationale
d'interdiction des mines terrestres, le Comité international de la Croix-Rouge et
plusieurs autres de nos principaux partenaires ont toujours soutenu qu'un traité
humanitaire dépourvu des modes traditionnels de vérification du contrôle des armes
peut être une solution efficace à la crise des mines antipersonnel. Cela suppose
que la société civile peut et va jouer un rôle efficace pour décourager et
démasquer les manquements délibérés au traité. Je crois savoir que vous avez déjà
commencé ici, à Oslo, à chercher comment cette capacité pouvait être mise en
place. Le Canada est disposé à collaborer étroitement avec vous dans cet important
dossier.
Si nous voulons faire adopter un traité d'interdiction clair, appliqué rapidement,
largement accepté et efficace, nous devrons tous travailler d'arrache-pied.
L'interdiction des mines terrestres, vous n'êtes pas sans le savoir, n'est qu'une
partie du problème. Le déminage nécessaire pour débarrasser le monde de ce danger
est également une grande priorité, tout comme l'aide aux victimes des mines à qui
il importe de rendre une vie productive.
C'est là un problème de développement crucial : reconstruire des sociétés et
rebâtir des vies. Les programmes officiels d'aide et de développement doivent
tenir compte de ces priorités et adopter une approche renouvelée et coordonnée à
l'égard des efforts humanitaires de déminage, d'aide aux victimes et de
réadaptation. Il nous faut intensifier nos efforts afin de mettre en place une
capacité de déminage dans les pays touchés et de prévenir les décès et les
blessures inutiles causés par les mines. Nous devons aussi aider davantage les
milliers de handicapés qui ont survécu à l'explosion d'une mine et pour qui le
déminage arrive trop tard.
Le Canada est déjà engagé dans toute une gamme de projets de cet ordre. J'en ai
énuméré quelques-uns en janvier dernier, à la première conférence nationale du
Canada sur le déminage humanitaire et sur l'aide aux victimes. Nous finançons des
programmes de déminage de la Bosnie jusqu'à l'Angola en passant par le Cambodge et
nous soutenons les programmes d'aide aux victimes appliqués par diverses
universités et ONG. Le gouvernement canadien examine en ce moment des moyens qui
nous permettraient de renforcer notre rôle sur la scène internationale et au pays
pour contribuer au déminage humanitaire et à l'assistance aux victimes. J'invite
tous les gouvernements qui seront représentés à Ottawa en décembre à tenter de
voir quelles mesures ils pourraient prendre pour appuyer un plan d'action qui
pourrait être annoncé à la conférence de décembre.
Ce ne sont là que quelques-uns des défis qu'il nous faudra relever, au moment où
nous commençons à nous interroger sur l'étape qui suivra la signature d'un traité
d'interdiction à Ottawa, en décembre prochain. Il y en a certainement d'autres.
Sauf erreur, c'est Bismark qui disait : « L'histoire du monde, avec ses profonds
bouleversements, n'avance pas avec la même régularité qu'un train sur ses rails.
Elle progresse par bonds, animée d'une puissance irrésistible. » Il est fort
possible que nous vivions maintenant l'une des périodes où l'histoire avance à
toute vitesse, entraînant l'humanité avec elle. La gravité du moment mérite que
nous fassions un temps d'arrêt, si bref soit-il, avant que nous ne soyons emportés
par le cours des événements.
Nous devons nous demander s'il est possible de préserver et de renforcer les
relations de travail étroites et constructives qui se sont établies entre les
gouvernements et la société civile à la faveur du processus d'Ottawa. Pouvons-nous
maintenir et renforcer l'incroyable élan politique que ces relations uniques ont
aidé à faire naître, donnant à des millions d'êtres humains l'espoir qu'une
solution internationale intégrée et efficace à la crise mondiale des mines
terrestres viendra en quelques années plutôt qu'en quelques décennies? Pouvons-nous faire la preuve que le processus d'Ottawa constitue un modèle efficace et
durable de réponse à la mutation de la nature même des conflits internationaux?
Selon moi, il faut que la réponse à ces questions soit affirmative. C'est pourquoi
la conférence d'Ottawa, en décembre prochain, portera sur bien plus que la
signature d'un traité d'interdiction. En marge de la signature officielle du
traité, le Canada sera l'hôte d'une série de tables rondes dont le mandat sera
d'élaborer, dans le dossier des mines antipersonnel, un plan d'action semblable à
celui qui a été conçu à la première conférence d'Ottawa sur les mines terrestres.
Ce plan doit donner une idée claire de la manière dont nous pouvons tous ensemble
relever les défis qui nous attendent. Je vous invite à apporter à Ottawa en
décembre les nombreuses bonnes idées que vous aurez trouvées ici.
Je vous invite surtout à continuer de collaborer avec nous pour préserver le
dynamisme et l'esprit d'innovation et de coopération qui sont devenus la
caractéristique du processus d'Ottawa. Cet esprit sera, je crois, le présage d'une
approche nouvelle et constructive, non seulement dans notre lutte contre les mines
antipersonnel, mais aussi dans nos efforts plus larges visant à atténuer les
souffrances humaines provoquées par les conflits internationaux.
Pour en revenir au dicton cri, il n'y a pas de route toute tracée. Nous devons la
construire ensemble. Le travail est bien engagé, mais il nous reste une bonne
distance à parcourir avant d'atteindre notre but ultime : un monde complètement
affranchi du fléau des mines antipersonnel.
Merci.