M. KILGOUR - ALLOCUTION AU COLLOQUE SUR LA CONTINENTALISATION DES AMÉRIQUES : LA PLACE DU CANADA? : ÉQUILIBRE ET PERSPECTIVESUNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL - MONTRÉAL (QUÉBEC)
97/43 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
AU COLLOQUE SUR
LA CONTINENTALISATION DES AMÉRIQUES : LA PLACE DU CANADA? : ÉQUILIBRE ET
PERSPECTIVES
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
MONTRÉAL (Québec)
Le 16 octobre 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
Bonjour,
Je veux d'abord remercier la chaire Téléglobe Raoul Dandurand en études
stratégiques et diplomatiques pour avoir organisé le colloque « La
continentalisation des Amériques: la place du Canada? ». Mes propos seront axés
sur l'engagement croissant du Canada dans l'hémisphère et sur les principaux défis
qui en découleront selon moi.
Je suis rentré récemment de ma première visite au Chili comme secrétaire d'État
pour l'Amérique latine. C'était pour moi une occasion d'en apprendre davantage sur
un pays qui a pris le virage et qui attire beaucoup les investisseurs. J'y ai vu
des gens pauvres qui ont maintenant certains outils qui leur permettent
d'améliorer leur situation, allant du microcrédit au nouveau fonds de pension pour
tous mis en place par le gouvernement.
Le Chili est déjà un important partenaire commercial pour le Canada et il est
membre de l'alliance formée des « quatre amigos ». Ce qui m'a frappé à Santiago,
où j'ai assisté à l'inauguration du projet GasAndes dirigé par la société Nova,
c'est la symbiose entre un excellent marché et une percée environnementale qui
saura profiter aux résidants de Santiago, asphyxiés par le smog urbain. La semaine
avant mon arrivée, Luciano Pavarotti avait dû annuler son concert parce que l'air
était trop pollué. J'ai pu moi-même voir, à partir d'un point d'observation, que
le phénomène d'inversion atmosphérique est très présent à Santiago. Les
responsables sanitaires s'inquiétaient de l'impact à long terme sur les citoyens,
et spécialement sur les enfants et les personnes âgées. Le projet GasAndes a été
rendu possible grâce à la technologie, à la gestion et à l'assistance
gouvernementale canadiennes, et nous pouvons en être fiers; il permettra de nouer
des amitiés bien au delà du consortium lui-même.
Le Chili n'est qu'un exemple parmi d'autres qui servent à illustrer à quel point
la région a changé, comme d'ailleurs la place qu'occupe le Canada dans
l'hémisphère occidental.
Il est juste de dire que, jusqu'à récemment, les relations entre les pays des
Amériques, y compris le Canada, étaient caractérisées par un manque de cohérence
et de durabilité. Il est vrai que les relations du Canada avec les Antilles
remontent au XVIIe siècle, et que les États-Unis ont toujours occupé une très large
place dans notre conscience collective, et même dans notre développement comme
nation. Pourtant, nos liens traditionnels avec l'Europe ont eu tendance, pendant
longtemps, à occulter le rôle déterminant joué par la géographie et, de plus en
plus, par l'histoire dans la position du Canada vis-à-vis de son propre
hémisphère. Notre engagement dans la région était sporadique, souvent envisagé
comme un complément ou un contrepoids aux politiques américaines, et influencé
dans une grande mesure par notre réticence à nous engager plus à fond dans une
région souvent caractérisée par la turbulence politique et la volatilité
économique.
À la fin des années 1980, il est devenu de plus en plus clair qu'une
transformation fondamentale et peut-être irréversible s'opérait en Amérique
latine. Presque tous les pays de la région ont procédé à des réformes économiques
fondées sur la stabilité macroéconomique et sur des mesures axées sur le marché.
Les gouvernements démocratiquement élus sont devenus la règle. Les conflits armés
internes, qui avaient sévi dans la plus grande partie de l'Amérique latine après
1960, ont cédé le pas aux processus de paix souvent, comme ce fut le cas en
Amérique centrale, avec une participation étrangère, dont celle du Canada. Au fur
et à mesure de la disparition des gouvernements militaires, les violations
flagrantes et systématiques des droits de la personne sont devenues moins
habituelles. Les gouvernements civils sont devenus plus sensibles à leurs lacunes
dans ce domaine.
La mondialisation devenait une réalité, et l'introduction de réformes par nos
voisins de l'hémisphère montrait qu'ils étaient conscients de la nécessité
d'adapter leurs sociétés. Deuxième économie en importance dans la région et pays
où la tradition démocratique est bien ancrée et depuis longtemps, le Canada a
compris qu'il disposait de bon nombre des outils, de la compétence et du degré de
crédibilité nécessaires pour aider la région à procéder à cette transformation.
Durant la présente décennie, le Canada s'est engagé comme jamais dans les
Amériques. En 1990, il a adhéré à l'Organisation des États américains [OEA],
signalant clairement par ce geste qu'il désirait s'impliquer plus activement dans
les dossiers de l'hémisphère et contribuer à la revitalisation des institutions
intergouvernementales de la région.
Au début des années 1990, le Canada a négocié avec les États-Unis et le Mexique
l'Accord de libre-échange nord-américain, le premier accord commercial régional au
monde regroupant pays développés et en développement. Durant la même période, nous
avons étendu notre représentation diplomatique résidante à presque tous les pays
de la région. En 1994, le premier ministre Chrétien a participé à Miami au Sommet
des Amériques, où les dirigeants de 34 démocraties ont convenu d'un partenariat de
développement et de prospérité fondé sur un engagement envers les pratiques
démocratiques, l'intégration économique et la justice sociale. Cela représentait
un engagement sans précédent à travailler ensemble à la réalisation de ces
objectifs fondamentaux.
En 1995, dans son Énoncé de politique étrangère, le gouvernement a identifié
l'Amérique latine comme l'une des régions où la position géographique du Canada
lui donne un avantage important. Cette année, le Canada et le Chili ont conclu un
accord de libre-échange. Le mois dernier, avec l'appui du Parlement et du
gouvernement du Canada, l'Assemblée nationale du Québec a accueilli la première
conférence des parlementaires des Amériques, durant laquelle les participants ont
traité du processus d'intégration économique et reconnu le rôle essentiel des
parlementaires à cet égard.
C'est à cette occasion que le premier ministre a annoncé qu'Équipe Canada se
rendrait au Mexique, au Brésil, en Argentine et au Chili en janvier. M. Chrétien
participera en avril prochain au deuxième Sommet des Amériques, à Santiago, où
l'on s'attend à ce que les leaders enclenchent les négociations en vue de créer
une zone de libre-échange des Amériques [ZLEA]. En 1999, les Jeux panaméricains se
tiendront à Winnipeg. Et, en l'an 2000, pour célébrer le 10e anniversaire de son
adhésion, le Canada accueillera l'Assemblée générale de l'OEA.
L'implication du Canada dans l'hémisphère va bien au delà de sa participation à
des conférences et à des événements. Au cours des quatre dernières années, les
exportations canadiennes y sont passées de 2,6 milliards de dollars à 5 milliards
de dollars, soit plus que nos exportations en France et en Allemagne combinées. Et
nous exportons quatre fois plus au Brésil qu'en Inde. Pour sa part,
l'investissement canadien dans la région a grimpé de 6 milliards de dollars à
15 milliards de dollars. Un nombre croissant de compagnies québécoises, y compris
Alcan, Bombardier, Bell Canada, SR Telecom, Harris Farinon, Groupe Saint Mobile et
les Camions Waltek, pour ne nommer que celles-là, sont actives dans la région.
Malgré cela, et le fait que le Canada bénéficie d'un avantage comparatif dans des
secteurs comme l'exploitation des ressources, la technologie de l'information et
le développement de l'infrastructure, sa part du marché reste à moins de 3 p. 100.
Nous avons à peine effleuré la surface.
Nos relations économiques ont été facilitées par le nombre de plus en plus grand
de Canadiens -- ils se chiffrent maintenant par centaines de milliers -- originaires
des différents pays de l'Amérique latine et des Antilles. Leur présence a enrichi
notre culture, noué des liens indestructibles et elle nous a sensibilisés encore
davantage aux promesses et à la richesse que recèlent les Amériques.
Le Canada est respecté dans la région. Nous avons mis à contribution notre capital
politique pour obtenir de l'Amérique latine et des Antilles un solide appui dans
des dossiers comme l'interdiction des mines terrestres antipersonnel, la
prolongation du mandat de l'ONU en Haïti, l'opposition à des lois ayant des
applications extraterritoriales, comme la loi Helms-Burton, et l'adoption d'une
stratégie multilatérale contre les drogues. Nous avons pu jouer un rôle actif
d'intermédiaire dans le processus du lancement des négociations en vue d'établir
une ZLEA.
Nos programmes d'aide au développement, qui fournissent annuellement 800 millions
de dollars à la région, visent à promouvoir la durabilité sur les plans politique,
économique, social et environnemental. Nous accordons une importance particulière
aux groupes traditionnellement marginalisés comme les femmes et les peuples
autochtones, reconnaissant ainsi que leur intégration dans la vie économique d'un
pays est un préalable important du développement et de la préservation de la
démocratie et de la sécurité.
Bref, le Canada a mis en place ces dernières années une présence multiforme et
influente dans l'hémisphère, une présence que nous avons l'intention d'utiliser
pour agir sur les changements en cours afin qu'ils reflètent nos valeurs. Pour ce
faire, il faudra, à mon avis, relever trois grands défis :
1) veiller à ce que l'intégration économique débouche sur la prospérité dans
l'équité, contribuant de la sorte à l'amélioration et à la préservation de la
démocratie;
2) renforcer les institutions et les pratiques démocratiques et enchâsser le
concept du développement durable dans la région;
3) promouvoir la sécurité humaine, particulièrement celle des groupes les plus
vulnérables de la société, comme concept clé dans l'élaboration des politiques
dans l'hémisphère.
Examinons comment le Canada s'attaque à ces défis.
La prospérité dans l'équité
Comme le montre clairement le thème de la conférence, l'intégration économique est
une tendance prédominante dans la région, une tendance que viennent étayer des
preuves de plus en plus probantes de son net impact positif sur la création
d'emplois et le niveau des revenus. Le gouvernement canadien croit fermement à
l'établissement de régimes commerciaux fondés sur des règles pour favoriser un
environnement de libre-échange ouvert et prévisible. C'est là un élément crucial
d'une plus grande prospérité, y compris la nôtre. Voilà pourquoi le Canada appuie
fortement la création d'une ZLEA.
Il est moins clair que l'intégration conduise nécessairement à un rapprochement
des niveaux de revenu. Cette question est particulièrement sérieuse presque
partout dans l'hémisphère, puisque c'est une partie du monde où l'inégalité des
revenus est la plus grande. Cette inégalité pose, et continuera de poser dans un
avenir prévisible, un défi des plus formidables à l'existence même de
gouvernements démocratiques dans la région. Convaincu qu'il faut assurer une large
répartition des bienfaits de la prospérité, le Canada continue de préconiser la
réduction de la pauvreté comme composante clé des activités de coopération
internationale dans la région et de partager son expertise de la gouvernance à
orientation sociale, contribuant de la sorte à l'édification d'un hémisphère qui
partage certaines de ses valeurs les plus fondamentales. En agissant ainsi, nous
aidons aussi à préserver la démocratie.
La démocratie et le développement durable
L'une des premières choses que le Canada a faites lorsqu'il a adhéré à l'OEA a été
de proposer la création d'une Unité de promotion de la démocratie [UPD], un
mécanisme unique de valorisation de la culture et des pratiques démocratiques dans
tout l'hémisphère. La reconnaissance que tous les États membres de l'OEA accordent
à l'UPD aujourd'hui prouve que la démocratie dans la région n'est plus vue
maintenant comme une question purement nationale. Cette réalité a été soulignée
par l'Organisation en 1991 quand les États membres ont voté la résolution 1080,
reconnaissant que l'interruption de l'ordre démocratique dans un pays est une
question d'intérêt régional qui peut entraîner une action internationale. Le
Canada a aussi encouragé, dans le cadre de ses relations bilatérales, le
développement d'une culture démocratique et d'une société civile pluraliste.
L'Agence canadienne de développement international [ACDI] finance une large gamme
de projets, entre autres des initiatives de paix et de réconciliation, l'aide
juridique, l'éducation en matière de droits de la personne, le renforcement des
institutions parlementaires et l'établissement de cadres juridiques et
institutionnels des droits de la personne (englobant les droits des femmes, des
enfants et des peuples autochtones).
L'action du Canada en faveur de la démocratie est particulièrement évidente dans
le cas du Guatemala et de Haïti ainsi que dans celui de Cuba. Au Guatemala, nous
aidons la société civile à participer activement au façonnement de l'avenir du
pays. Depuis 1995, des policiers des forces de Laval, de Québec et de Hamilton, en
Ontario, ont servi avec distinction comme surveillants des droits de la personne
au sein de la MINUGUA, la mission des Nations Unies au Guatemala. Plus tôt cette
année, 15 officiers des Forces canadiennes de différentes parties du pays ont
participé à la supervision, par la MINUGUA, de la démobilisation des guérilleros
guatémaltèques. En avril dernier, le Canada a été le premier pays à fournir un
appui financier pour assurer le démarrage de la « commission de la vérité » du
Guatemala. En Haïti, il participe activement à la formation de la nouvelle force
de police en plus de fournir un soutien pour le renforcement de l'appareil
judiciaire. Le Canada croit également que dans le cas de Cuba, l'engagement sera
plus constructif que l'isolement et l'imposition de conditions formelles.
Le Canada a été un leader dans la promotion du concept du développement durable et
de l'intégration des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Cette
approche canadienne s'est reflétée au Sommet bolivien sur le développement durable
où les gouvernements ont convenu de 65 initiatives dans 5 domaines : la santé et
l'éducation; l'agriculture et la foresterie durables; le développement durable des
villes et des collectivités; les ressources en eau et les régions côtières;
l'énergie et les minéraux.
La sécurité humaine
Comme mon collègue l'honorable Lloyd Axworthy, notre ministre des Affaires
étrangères, l'a signalé dans son récent discours à l'Assemblée générale des
Nations Unies, pour assurer la sécurité humaine, il ne suffit pas de s'attaquer au
fléau de la guerre. Il faut aussi lutter contre d'autres menaces sérieuses comme
la pauvreté, la violation des droits de la personne, le crime et le terrorisme
ainsi que l'épuisement et la pollution des ressources naturelles, des problèmes
qu'on retrouve trop souvent et presque partout. Le Canada a beaucoup à offrir à
cet égard en termes de leadership intellectuel et pratique, pour résoudre de façon
novatrice les problèmes qui débordent les cadres traditionnels. Je pense, par
exemple, à la campagne contre les mines terrestres, à l'identification et à
l'éradication des causes profondes des conflits et à l'amélioration de notre
capacité de réagir face aux crises que nous n'aurons pu prévenir.
L'explosion de la violence criminelle, particulièrement en milieu urbain, est l'un
des phénomènes les plus alarmants dans la région depuis quelques années. Ce
phénomène a un effet profondément déstabilisateur sur les gouvernements
démocratiques et, de surcroît, augmente les violations des droits de la personne
commises par les forces policières. Il sera aussi crucial de réduire le niveau de
la violence et l'impact du crime organisé, deux réalités qui affectent la qualité
de vie de bien des populations et qui menacent la démocratie dans la région et
ailleurs. Le Canada a beaucoup à offrir sur ce plan, dans les domaines comme la
police et l'administration au niveau municipal. La négociation d'une convention
destinée à contrôler le trafic international illicite des armes à feu qui s'amorce
maintenant sous les auspices de l'OEA offre un exemple intéressant d'une
intervention régionale dans le domaine de la sécurité humaine. Le Canada a
également pris l'initiative dans ce dossier afin de s'assurer que l'instrument
adopté est efficace et applicable.
La nouvelle ère de coopération hémisphérique dont témoignent la revitalisation
d'institutions intergouvernementales comme l'OEA et les avancées du processus du
Sommet des Amériques auxquelles on assiste dans la décennie fournit aux Canadiens
une occasion sans précédent de contribuer à relever ces trois grands défis, non
seulement bilatéralement mais aussi, et de plus en plus, multilatéralement.
Le Canada est un pays des Amériques
Le Canada est un pays des Amériques. C'est là une réalité géographique qu'est
venue confirmer l'histoire. Notre place dans l'hémisphère ne sera pas tellement
différente de celle que nous occupons ailleurs dans le monde : celle d'une société
prospère et démocratique; d'un exemple de la façon dont la diversité et la
tolérance peuvent être une source d'unité plutôt que de division; d'une nation
respectée et influente, dont le leadership repose sur l'exemple plutôt que sur la
coercition. Mais il y a une importante différence : vu notre riche patrimoine
linguistique et culturel, notre importance économique et notre proximité
géographique, nous avons beaucoup plus de possibilités de bâtir un système de
valeurs communes basé sur une vision partagée de notre hémisphère. Ce faisant,
nous contribuerons aussi à l'enrichissement de notre propre société.
Merci.