M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LE COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ETDU COMMERCE INTERNATIONALLE TRAITÉ INTERNATIONAL D'INTERDICTION DES MINESANTIPERSONNEL : LE DÉFI PERSISTE - OTTAWA (ONTARIO)
97/47 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LE COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
DU COMMERCE INTERNATIONAL
LE TRAITÉ INTERNATIONAL D'INTERDICTION DES MINES
ANTIPERSONNEL : LE DÉFI PERSISTE
OTTAWA (Ontario)
Le 3 novembre 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
Monsieur le président, membres du Comité,
C'est un honneur de m'adresser à vous en présence de Mme Jodi Williams, qui vient
de se voir décerner le Prix Nobel de la paix en reconnaissance du travail
extraordinaire de mobilisation de l'opinion mondiale et des gouvernements qu'elle
a accompli pour que soient interdites les mines antipersonnel. Jodi incarne une
nouvelle conception - foncièrement démocratique - de la politique étrangère. Une
conception basée sur un partenariat entre la société civile et le gouvernement au
profit d'un objectif commun.
C'est à Jodi Williams, à la Campagne internationale contre les mines terrestres et
au millier d'organisations chapeautées par cette dernière que revient le mérite
d'avoir transformé les paroles en actions pour faire interdire complètement les
mines antipersonnel.
La campagne entreprise pour éliminer les mines antipersonnel a suscité un
mouvement formidable en faveur de cette cause. Des pays de toutes les régions du
monde se sont engagés à signer la convention le mois prochain. Il y a à peine deux
semaines, à la réunion du Commonwealth, nous avons réussi à rallier six autres
pays. Même les pays qui estiment ne pas être en mesure de signer le traité en
décembre se laissent gagner par le courant d'enthousiasme et se préparent, sur une
base unilatérale, à accepter les nouvelles normes qui seront établies dans la
convention.
Lors de son récent voyage en Russie, le premier ministre Chrétien s'est entretenu
longuement avec le président Eltsine. Il en a résulté une déclaration conjointe
selon laquelle la Russie adhérera à la convention le plus tôt possible. Dans
l'intervalle, elle travaillera avec la communauté internationale à la réalisation
des objectifs de la convention. Mais surtout, le président s'est engagé par écrit
à prolonger le moratoire qui a cours en Russie à l'égard des exportations de mines
antipersonnel jusqu'à ce que le pays ait signé la convention. Des progrès
importants ont donc été réalisés dans la position de la Russie, ce qui témoigne de
la volonté de ce pays de respecter l'esprit de la nouvelle convention même s'il ne
peut pas la signer pour l'instant.
À cela s'ajoutent :
l'annonce par la Grèce de sa décision de signer le traité à Ottawa;
des indications claires de nouvelles avancées dans les positions du Japon et de
l'Australie.
Il existe donc une masse mondiale critique en faveur de l'interdiction des mines
antipersonnel. Je crois qu'elle repose sur une volonté politique soutenue et
réelle. Sans compter que l'élan ne cesse de s'amplifier dans le monde.
Le processus d'Ottawa a fait la preuve de ce qu'il est possible d'accomplir quand
la volonté politique au niveau mondial se conjugue à la passion et à la vision. Il
a montré que la société civile peut non seulement influer directement sur le cours
des politiques, mais qu'elle peut carrément les définir. Des puissances petites et
moyennes peuvent s'unir et, avec le courage de leurs convictions et la force de
leur association, mettre sur pied et piloter une campagne mondiale - sans que les
grandes puissances soient aux commandes.
Cette nouvelle conception de la diplomatie internationale n'a pas échappé à la
critique. On a dit que nous menions une croisade. On nous a accusés de concocter
une convention « bonne pour le moral », qui ne s'appuie par ailleurs sur aucun
fondement militaire solide. Sur ce point, les critiques ont peut-être en partie
raison. La convention est effectivement bonne pour le moral, et ce, parce que nous
avons établi une nouvelle norme mondiale.
Qu'en est-il du fondement militaire solide? Nous avons en fait suivi les conseils
de nombreux experts militaires, notamment le général américain à la retraite
Norman Schwartzkopf. Ils ont conclu que le coût humanitaire des mines
antipersonnel l'emportait largement sur leur utilité militaire et qu'il serait
judicieux sur le plan militaire d'interdire ces engins.
Nous avons aussi été guidés par une importante étude réalisée en mars 1996 par le
Comité international de la Croix-Rouge [CICR]. L'étude, soutenue par des dizaines
d'officiers supérieurs de divers pays, en service actif ou à la retraite, portait
sur le bien-fondé militaire des mines antipersonnel tel qu'il s'est révélé dans
26 conflits depuis 1940. Il en est ressorti que, même si on prétend que « les
nations responsables utiliseront ces armes de façon responsable », ces dernières
ont rarement été utilisées correctement.
Le récent rapport de Human Rights Watch, In Its Own Words, basé sur des documents
d'archive du Pentagone, et celui de Demilitarization for Democracy, Exploding the
Landmines Myth in Korea, font valoir de façon convaincante l'utilité marginale et
l'effet souvent négatif de ces armes. Par exemple, il est mentionné que les mines
terrestres américaines ont été l'une des principales causes des pertes de vies
américaines au Vietnam.
Les critiques disent que seules les bonnes âmes et les « acteurs sans importance »
signeront cette convention et qu'elle n'aura donc aucune valeur. Or, nous nous
attendons à ce que des dizaines de pays de toutes les parties du monde soient au
nombre des signataires en décembre.
Nous avons enclenché un mouvement qui a converti la plupart des grands
consommateurs et producteurs de mines terrestres : des grands consommateurs comme
l'Angola, le Cambodge, le Mozambique, les pays d'Amérique centrale, la Bosnie et
la Croatie; des grands producteurs comme le Brésil, la France, l'Allemagne,
l'Italie, l'Afrique du Sud et le Royaume-Uni.
La plus grande partie de l'Afrique est gagnée à la cause; les Amériques - à
l'exception de Cuba - appuient l'interdiction; de nombreux pays d'Asie s'apprêtent
à faire de même. Aux Nations unies [ONU], il existe déjà 115 auteurs pour la
résolution d'appui à la nouvelle convention et d'invitation à venir la signer en
décembre.
Bien entendu, le monde entier ne signera pas la nouvelle convention à Ottawa. En
fait, la plupart des traités internationaux ne rallient pas au point de départ des
appuis universels. L'universalité vient avec le temps.
La Chine et la France n'ont signé le Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires [TNP] que plus de 20 ans après sa négociation. Personne n'a laissé
entendre que le TNP était inutile parce que deux des cinq États qu'il visait
avaient choisi de ne pas le signer.
Dans un même ordre d'idées, le Traité d'interdiction complète des essais
nucléaires [CTBT], ouvert à la signature l'an dernier, ne ralliera sans doute pas
les États clés avant longtemps. Personne n'a dit que ce traité n'en valait pas la
peine parce que l'Inde et le Pakistan ne l'ont pas encore signé.
L'important est que ces traités établissent une norme internationale. Qu'ils
signent ou non, les pays sont soumis aux pressions politiques et morales résultant
de l'existence même de ces traités. C'est de cette façon qu'on établit des normes.
C'est l'effet civilisateur du droit international sur le comportement des États.
Qu'ils signent ou non, ils seront jugés en vertu de la nouvelle norme. Ils devront
prendre un risque calculé s'ils décident de la violer.
Bien entendu, il serait idéal que la Chine, les États-Unis, l'Inde, le Pakistan,
la Russie et d'autres adhèrent à la convention dès le départ. Il ne faut pas
cesser de travailler avec ces pays. J'ai déjà parlé des signes encourageants
observés du côté de la Russie. Les États-Unis et la Chine ont aussi pris des
mesures positives.
La secrétaire d'État américaine, Mme Madeleine Albright, m'a écrit la semaine
dernière pour me faire part d'une nouvelle initiative de déminage prise par le
président Clinton. Dans le cadre d'une campagne intensive visant à débarrasser le
monde des mines terrestres d'ici 2010, les États-Unis ont décidé de :
nommer un représentant spécial auprès de Global Humanitarian Demining et un
éminent groupe d'experts pour chercher à faire passer à environ 1 milliard de
dollars par année les ressources consacrées au déminage dans le monde;
accroître leur propre engagement financier à l'égard du déminage dans le monde en
1998 pour le faire passer à 77 millions de dollars;
tenir une conférence pour élaborer des stratégies bien précises qui permettront
d'atteindre l'objectif de 2010.
Les États-Unis ont en outre l'intention de détruire, d'ici 1999, 3 millions de
leurs mines de première génération et se sont engagés à cesser d'utiliser les
mines antipersonnel d'ici 2003, sauf dans la péninsule coréenne et dans les
systèmes mixtes de mines antipersonnel/anti-char.
La Chine a aussi annoncé des restrictions dans ses exportations. Elle affirme ne
pas avoir exporté de mines antipersonnel depuis 1994.
Cela montre que personne n'est à l'abri de la condamnation mondiale des mines
antipersonnel, qui jusqu'à maintenant a soutenu le processus d'Ottawa et la
campagne d'interdiction. Même les acteurs non étatiques - particulièrement ceux
qui ont des ambitions politiques nationales ou internationales - sentiront l'effet
de la nouvelle norme. Les ONG [organisations non gouvernementales] ont un rôle clé
à jouer pour rallier les acteurs non étatiques. En Afghanistan, par exemple,
toutes les factions du conflit ont été pressenties pour qu'elles renoncent
publiquement à utiliser des mines antipersonnel.
Dans un monde branché où les nouvelles sont presque instantanées, très peu de
choses passent inaperçues. Le monde jugera - durement - ceux qui violeront la
nouvelle norme qu'établira la convention d'interdiction des mines antipersonnel.
La question qu'on entend souvent est la suivante : le processus d'Ottawa peut-il
effectivement remplir ses promesses? Voyons un peu ce qui a été accompli.
En septembre, le gouvernement norvégien a accueilli le monde à une session de
négociation de trois semaines qui s'est terminée par l'adoption du texte d'une
nouvelle convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production
et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction.
Ce traité est le premier de l'histoire à prohiber une arme largement utilisée par
les forces militaires partout dans le monde. Il interdit de produire, de stocker
et d'utiliser toute forme de mines antipersonnel ainsi que d'en faire le commerce.
Un État partie ne pourra pas choisir de déroger à la convention s'il se retrouve
en situation de conflit armé. Cet instrument s'appliquera en temps de guerre comme
en temps de paix. Tout pays qui adhérera à la convention renoncera une fois pour
toutes aux mines antipersonnel. La convention ne renferme ni exceptions, ni
réserves, ni échappatoires. Elle parle franc.
La convention obligera les États à détruire tous leurs arsenaux de mines
antipersonnel dans les quatre années qui suivront son entrée en vigueur. Elle leur
demandera de nettoyer tous les champs de mines antipersonnel existants dans un
délai de 10 ans, qui pourra être prolongé si les circonstances le justifient
vraiment.
Cette convention ne reposera pas sur une confiance aveugle. Elle fera appel à des
mesures de transparence et obligera les signataires à déclarer toute présence de
mines tant et aussi longtemps que les arsenaux n'auront pas été détruits et que
les champs n'auront pas été déminés. On y trouve en outre un mécanisme
d'application novateur assorti de moyens d'enquête.
La convention fournit un cadre de coopération internationale en ce qui concerne le
déminage et l'aide aux victimes. Elle reconnaît que cette aide doit aller bien
au delà de la simple assistance médicale et viser à long terme à assurer la pleine
réintégration sociale et économique des victimes innocentes.
Mais le traité ne restera qu'un document tant qu'il ne sera pas entré
officiellement en vigueur. Or, il faut pour cela 40 ratifications. J'exhorte donc
tous les membres de ce comité à accorder leur appui, et celui de leurs partis,
pour assurer la ratification rapide du traité par le Canada. J'aimerais en fait
que le Canada puisse signer et ratifier la convention le même jour, dans un mois,
soit le 3 décembre. J'aimerais ensuite tirer parti de notre position influente
pour amorcer une campagne mondiale de ratification sans précédent afin de mettre
le traité sur ses rails en l'espace de quelques mois et non de quelques années. Le
travail d'équipe avec les ONG sera crucial pendant cette campagne et nous comptons
bien travailler avec elles à une nouvelle mobilisation de la communauté
internationale en faveur de la ratification de la convention.
Si importante que soit la signature du traité en décembre, elle ne représente
pourtant que la première étape. C'est en fait à ce moment-là que le vrai travail
démarrera. Nous devons commencer dès maintenant à susciter la volonté politique et
l'appui des populations, et à trouver les ressources nécessaires à plus long terme
pour éliminer complètement les mines antipersonnel.
Pour que la convention soit efficace - pour que les pays touchés par les mines
redeviennent vivables, pour donner aux victimes de la dignité et l'espoir d'une
vie normale et productive -, nous aurons besoin d'une volonté de coopération à
long terme. Nous n'y parviendrons qu'en renforçant la relation remarquable qui
s'est forgée entre les gouvernements et la société civile. Nous devrons aider les
petits États à honorer leurs obligations aux termes du traité, qu'il s'agisse de
détruire leurs stocks, de déminer leurs champs de mines ou encore de prendre soin
des victimes. Nous devrons aider les nombreux pays déchirés par ces armes à se
remettre sur pied. Nous devrons y consacrer des ressources abondantes -
financières et humaines - si nous voulons atteindre notre but.
Le Canada soutient activement les efforts de déminage et d'aide aux victimes
déployés par la communauté internationale dans certains pays très affligés. Vous
aurez peut-être l'occasion de voir le fruit de ce travail lorsque le Comité se
rendra en Bosnie ce mois-ci. Le Canada a lui-même souffert des mines en Bosnie,
plusieurs de ses gardiens de la paix ayant été gravement blessés. L'an dernier,
l'ONU a choisi un lieutenant-colonel canadien à la retraite pour mettre sur pied
son programme de déminage en Bosnie. Nous avons détaché six instructeurs des
Forces canadiennes au Centre pour une période de six mois cette année et nous
espérons pouvoir faire de même l'an prochain. Nous avons aussi versé un demi-million de dollars aux activités du Centre d'action contre les mines et 1 million
de dollars pour payer intégralement le coût du programme de sensibilisation aux
mines en Bosnie de la Banque mondiale, programme très important pour éviter
d'autres victimes.
Le Canada tiendra une série de tables rondes à Ottawa du 2 au 4 décembre,
parallèlement à la cérémonie de signature, pour réaliser d'autres objectifs à long
terme du même genre. Des représentants d'ONG, des experts et des représentants
officiels se réuniront pour mettre au point un Programme d'action commun qui
guidera nos travaux au cours des mois et des années à venir. Nous avons
l'intention d'aborder toutes les facettes du problème des mines antipersonnel :
des questions politiques de l'entrée en vigueur et de la mise en œuvre aux
nouvelles technologies de déminage en passant par les techniques de réadaptation
des victimes. Nous nous pencherons sur le lien qui existe entre le fléau des mines
antipersonnel et le développement, ainsi que sur toute la question de la
consolidation de la paix dans la même optique.
Les travaux du Forum d'action constitueront la véritable réalisation de la réunion
d'Ottawa. Nous aurons besoin de votre appui pour que le monde puisse continuer de
compter sur le leadership du Canada à l'heure où s'ouvrira cette nouvelle phase
cruciale. Nous aurons besoin de votre appui pour la ratification du traité par le
Canada le 3 décembre afin que nous puissions entamer la campagne mondiale pour
l'entrée en vigueur du traité. Nous aurons besoin de votre appui pour donner forme
au Programme d'action. Nous aurons besoin de votre appui pour aider à remettre sur
pied les pays et les collectivités dévastés par les mines.
Nous ne travaillerons pas seuls à l'atteinte de ces objectifs, mais bien avec des
dizaines de pays et d'ONG déterminés à travers le monde, y compris Jodi Williams
et les millions de personnes qu'elle représente. Ensemble, nous avons déjà réalisé
un exploit extraordinaire. Recommençons.
Je vous remercie.