M. AXWORTHY - ALLOCUTION AU CONFÉRENCE GORDON HENDERSONDE L'UNIVERSITÉ D'OTTAWAOTTAWA (ONTARIO)
97/49 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE CONFÉRENCE
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
CONFÉRENCE GORDON HENDERSON
DE L'UNIVERSITÉ D'OTTAWA
OTTAWA (Ontario)
Le 6 novembre 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
Je suis très honoré d'avoir été invité à donner cette année la Conférence Gordon
Henderson sur les droits de la personne. Je suis heureux d'avoir l'occasion de
commémorer l'héritage de Gordon Henderson, tant ses travaux sur les droits de la
personne que sa contribution à titre de bienfaiteur du Centre de recherches et
d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa. Le Centre a
relevé un défi, celui de faire le lien entre théorie et pratique en matière de
droits de la personne, un défi que je rencontre moi-même, en tant que ministre des
Affaires étrangères, presque quotidiennement dans le contexte international. Je
voudrais vous exposer, dans mes remarques d'aujourd'hui, comment j'envisage les
façons dont le Canada devrait relever ce défi dans une ère de mutation profonde à
l'échelle planétaire.
Alors que nous approchons du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, la communauté internationale oscille entre deux tendances.
L'éclatement de l'ancien monde bipolaire a créé de nouvelles possibilités de
promouvoir et de protéger les droits de la personne. La mondialisation a ouvert
les frontières aux nouvelles idées et aux nouvelles informations, nous donnant de
nouvelles occasions de définir une culture universelle des droits de la personne.
La démocratie a pris racine dans une majorité des États du monde. La société
civile est florissante. Les conditions sont propices à un avancement des droits
humains, que les rédacteurs de la Déclaration universelle de 1948 n'auraient pu
imaginer.
Or, au moment où je vous parle, les droits de la personne sont violés dans maintes
parties du monde : des dissidents politiques sont emprisonnés, des gens sont
torturés, des enfants font l'objet d'exploitation par le travail, et des conflits
internes font d'innombrables victimes civiles. La mondialisation a son côté
sombre : crime organisé transnational, terrorisme, trafic des stupéfiants,
pollution transfrontalière de l'environnement et inégalités économiques
croissantes dans le monde.
Bref, bien que nous ayons vu ces dernières années des progrès impressionnants dans
le système international des droits de la personne, il existe encore un écart
notable entre le respect des droits humains sur le terrain et les nobles principes
énoncés dans la Déclaration universelle il y a 49 ans. Je vois le 50e anniversaire
de la Déclaration, qui aura lieu l'an prochain, comme un grand tournant, un moment
décisif qui pourra, soit relancer la dynamique acquise au cours des dernières
années, soit arrêter notre avance.
Nous travaillons à adapter la politique canadienne des droits de la personne au
niveau international afin qu'elle réponde à ces changements de l'environnement
mondial et même qu'elle les exploite. Nous apprenons à attaquer de vieux problèmes
sous de nouveaux angles :
en définissant une politique étrangère des droits de la personne qui maximise
l'influence effective du Canada, en utilisant divers leviers de politique
étrangère et en mobilisant les acteurs de la société civile;
en définissant une politique étrangère holistique, qui regarde les droits de la
personne à travers la grande lentille de la sécurité humaine et qui intègre les
préoccupations relatives aux droits de la personne à d'autres aspects de notre
politique étrangère. Notre but ultime est de prévenir les abus de ces droits en
nous attaquant à leurs causes profondes.
Je me propose donc, aujourd'hui, de vous faire part de certaines réflexions sur le
passé, le présent et l'avenir de la Déclaration universelle et sur la manière dont
nous allons adapter la politique internationale du Canada en matière de droits
humains afin que la Déclaration gagne en vigueur au cours des 50 prochaines
années.
Le passé
Avant l'adoption de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle,
le droit international laissait les États libres de traiter leurs citoyens comme
ils l'entendaient. Les droits humains entraient exclusivement dans le cadre de la
souveraineté nationale, à l'abri des regards des autres nations.
La Charte de 1945 et la Déclaration universelle de 1948 ont accompli deux choses :
Les droits de la personne sont devenus un des principes qui guident les relations
internationales, la communauté internationale proclamant sa « foi dans les droits
fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine » et
s'engageant « à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures
conditions de vie dans une liberté plus grande ».
Mais, en même temps, la Charte et la Déclaration ont réaffirmé le principe selon
lequel chaque État a un « domaine réservé », une sphère de souveraineté absolue
qui échappe au droit de regard de la communauté internationale.
Les premières années du système international de défense des droits de la personne
ont été caractérisées par un tiraillement stérile entre les États qui cherchaient
à cacher leurs violations des droits humains derrière le voile impénétrable de la
souveraineté nationale, et ceux qui affirmaient que les droits de la personne
constituent une préoccupation légitime de la communauté internationale. Un nombre
limité de traités ont été négociés, mais leur ratification et leur application
accusaient du retard.
Le présent
Qu'est-ce qui a changé? Nous avons vu tarir ces dernières années la polémique
stérile. Sous l'effet de la mondialisation, les personnes, les idées et
l'information traversent maintenant les frontières en quantités inconnues jusqu'à
maintenant, et la souveraineté des États est devenue un concept beaucoup plus
diffus. Plus d'un État se montre mieux disposé, depuis peu, à laisser la
communauté internationale examiner son bilan en matière de droits de la personne,
autorisant les visites de rapporteurs spéciaux, adhérant aux mécanismes
internationaux d'examen des plaintes, et présentant régulièrement des rapports sur
l'application des traités aux organismes internationaux qui en sont chargés. Des
processus qui étaient autrefois l'apanage des seuls États s'ouvrent maintenant à
la participation d'un large éventail d'acteurs non étatiques. Essentiellement, le
système international des droits de la personne est en train de passer de l'ère de
la définition des normes à l'ère de leur mise en œuvre.
Par ailleurs, les droits de la personne sont de plus en plus perçus comme
inséparables des questions de paix et de sécurité internationales, de commerce
international et d'aide au développement. En fait, les droits de la personne ne
peuvent pas être considérés comme un appendice d'autres considérations dans les
relations internationales, mais comme une question primaire, qui fait partie
intégrante de toutes nos autres préoccupations en matière de politique étrangère.
Le chemin à prendre : élaborer une « trousse » canadienne des droits de la
personne
Que signifie cette mutation de l'environnement international pour la politique
canadienne concernant les droits de l'homme à l'échelle internationale? Elle
signifie :
que les droits de la personne doivent faire partie intégrante de notre politique
étrangère et être pris en considération dans toute relation du Canada avec un
autre pays, dès l'ouverture de cette relation;
qu'une telle politique n'est pas pur altruisme ou idéalisme; elle reflète les
valeurs canadiennes, mais elle sert aussi les intérêts canadiens;
qu'afin d'obtenir un changement positif, le Canada doit être prêt à appliquer
toute une panoplie de leviers de politique étrangère;
que la participation active de la société civile est essentielle, tant au pays
qu'à l'étranger;
et que nous avons une contribution exclusivement canadienne à apporter à la
protection et à la promotion des droits de la personne sur la scène
internationale.
Les droits de la personne font partie intégrante de la politique étrangère
canadienne
Le respect des droits de la personne à l'échelle internationale n'est pas un luxe,
c'est un impératif de la vie dans une société planétaire. Aujourd'hui, les
dossiers « intérieurs » canadiens les plus importants ont une dimension
internationale. Tous sont façonnés par des forces et des événements
internationaux. Aucun ne peut être réglé par des gouvernements isolés de la sphère
internationale.
De nouvelles menaces à la sécurité humaine, si on ne s'en occupe pas de manière
globale, mettent en cause la santé, la sécurité et la qualité de vie des
Canadiens. Alors que le commerce, les voyages et les télécommunications relient
entre eux les pays plus étroitement que jamais, chaque pays a des intérêts
croissants dans la manière dont les autres pays gouvernent leurs citoyens. Les
démocraties mûres risquent moins de se faire la guerre entre elles, de déclencher
des vagues de réfugiés, de créer des catastrophes environnementales ou de se
livrer au terrorisme.
Les emplois et la croissance, dans notre pays, dépendent de plus en plus du
commerce et de l'investissement à l'étranger. Les États qui respectent les droits
de la personne et la primauté du droit sont plus enclins à respecter leurs
engagements commerciaux. Le bien-être de l'économie internationale est lié aux
questions de stabilité et de sécurité.
Tout cela veut dire que les droits humains doivent faire partie intégrante de
notre politique étrangère générale. Cela veut dire que nous devons être prêts à
maximiser notre influence par l'application de toute une panoplie d'outils de
politique étrangère :
des mesures de « diplomatie douce » comme :
le développement de la démocratie et de la consolidation de la paix,
l'amélioration des relations commerciales,
le soutien du travail des ONG [organisations non gouvernementales] et du secteur
privé,
le dialogue bilatéral sur les droits de la personne
et l'assistance technique
et des mesures coercitives de « diplomatie dure » comme :
la condamnation internationale dans les résolutions de la Commission des droits
de l'homme des Nations unies,
les missions internationales d'observation,
les sanctions économiques
et les missions de maintien de la paix.
Ces actions ne s'excluent pas mutuellement. Les mesures que nous prenons varient
forcément d'un pays à l'autre, en fonction d'un grand nombre de facteurs
complexes : la gravité des atteintes aux droits de la personne; le nombre et la
vigueur des ONG locales assurant la défense de ces droits; et la capacité du pays
concerné de se doter d'une infrastructure judiciaire, légale et propre à protéger
les droits fondamentaux de sa population.
Le gouvernement du Canada s'est vu parfois reprocher l'incohérence de son approche
face aux différents pays. Mais une politique cohérente en matière de droits de la
personne n'appelle pas nécessairement une uniformité de traitement. Il serait
facile, et peut-être même tout à fait populaire, de dénoncer publiquement la
moindre atteinte aux droits de la personne commise dans tel ou tel pays, mais cela
ne changerait pas grand-chose en soi dans le pays concerné. Chaque situation et
chaque pays présentent des possibilités d'action différentes. Il suffit de trouver
le bon outil de politique étrangère qui permette de saisir efficacement ces
possibilités.
Lien entre les droits de la personne et les échanges commerciaux
L'aspect le plus délicat à cet égard est sans doute la relation entre le commerce
et les droits de la personne. Les adversaires de la politique d'incitation voient
une dichotomie entre ces deux éléments. Pour ma part, je soutiens qu'il n'en est
rien. En effet, si le commerce en soi ne favorise pas la démocratisation ou le
respect des droits de la personne, il reste cependant qu'il ouvre des portes et
crée une relation dans le cadre de laquelle nous pouvons commencer à parler des
droits de la personne. De plus, à mesure que les pays s'ouvrent au commerce et à
l'investissement extérieurs, ils sont de plus en plus portés à respecter la
primauté du droit, et ils voient de mieux en mieux l'intérêt qu'ils ont à le
faire. La question ne se ramène pas ici à un simple choix entre commerce et droits
de la personne, mais à la nécessité d'un commerce responsable.
Je pense que la question du travail des enfants illustre le mieux ma conviction
que la diplomatie par mégaphone et les mesures de coercition ne constituent pas
toujours le moyen le plus efficace d'amener une évolution positive, et que la
promotion de l'éthique commerciale peut au contraire constituer un puissant outil
à cet égard. L'application de mesures punitives, comme les restrictions à
l'importation de certains produits faisant appel au travail des enfants, risque de
précipiter ces enfants dans des situations bien pires, telle la prostitution. De
plus, ces mesures ne font rien pour régler le problème d'une grande majorité des
enfants des pays en développement qui sont employés à des tâches domestiques ou
dans le secteur informel.
C'est dans la pauvreté qu'il faut chercher la cause profonde du travail des
enfants dans les pays en développement. La solution consiste à extirper la racine
du mal et à offrir des solutions de rechange valables à l'exploitation de la
main-d'œuvre infantile. C'est pourquoi le Canada cherche à régler le problème au
moyen d'une coopération technique visant à réduire la pauvreté et à satisfaire les
besoins humains fondamentaux, et par la voie de partenariats avec les
organisations non gouvernementales et le secteur privé.
Ainsi, nous avons créé en Inde un fonds de 500 000 $ pour la lutte contre
l'exploitation des enfants par le travail. Nous finançons en outre, par
l'entremise de l'ACDI [Agence canadienne de développement international], un grand
nombre de projets préventifs, notamment des projets d'enseignement destinés aux
petites filles en Afrique. Dans le Triangle d'or, nous finançons des programmes de
substitution des cultures et de réhabilitation à l'intention de personnes vivant
du commerce de l'héroïne, dont bon nombre sont des enfants anciens prostitués ou
nés de prostituées.
Nous nous attaquons aussi, au Canada même, à l'exploitation sexuelle des enfants.
Par le projet de loi C-27, nous avons modifié le Code criminel de manière à
pouvoir poursuivre en justice les Canadiens qui se livrent à l'étranger à des
activités sexuelles commerciales faisant intervenir des enfants. La sénatrice
Landon Pearson, qui est ma conseillère spéciale pour les droits des enfants,
organise en ce moment un sommet des jeunes victimes d'exploitation sexuelle, dans
le cadre duquel des jeunes ayant pris part au commerce sexuel viendront de partout
dans le monde parler de leurs expériences et rechercher des solutions à ce
problème.
Pour ce qui est des questions relatives au travail des enfants, la clé du succès
consiste à encourager la participation du secteur privé et à promouvoir le
changement de l'intérieur. Plus tôt cette année, Errol Mendes, le directeur du
Centre des droits de la personne de l'Université d'Ottawa, a été le fer de lance
d'une initiative de l'Alliance des manufacturiers et exportateurs du Canada visant
la mise au point d'un code d'éthique volontaire à l'usage des entreprises
canadiennes à l'étranger. Je constate avec plaisir que l'Alliance et un groupe
d'entreprises canadiennes ont maintenant adopté un tel code, qui porte sur la
corruption, les pratiques de travail équitables, les droits de la personne, et les
questions de santé et de sécurité. L'application de pratiques de travail
progressistes par les entreprises canadiennes à l'étranger peut contribuer à
instaurer dans les entreprises locales une culture assurant le respect des normes
fondamentales du travail ainsi que des conditions de travail équitables.
Le gouvernement canadien a en outre créé le Fonds de lutte contre l'exploitation
de la main-d'œuvre enfantine pour soutenir le secteur privé canadien dans ses
initiatives visant à combattre cette exploitation à l'échelle mondiale. Nous
fournirons ainsi des fonds de contrepartie au secteur privé pour appuyer des
projets tels que la mise au point de lignes directrices volontaires, de codes
d'éthique et de systèmes d'étiquetage pour l'information des consommateurs. De
façon plus générale, nous collaborons avec l'OIT [Organisation internationale du
travail] et l'OMC [Organisation mondiale du commerce] pour promouvoir une adhésion
internationale aux normes fondamentales du travail. En surmontant la dichotomie
artificielle établie entre le commerce et les droits de la personne, nous ouvrons
de nouveaux horizons à l'instauration d'un commerce responsable et moral.
Lien entre les droits de la personne et la paix et la sécurité
La paix et la sécurité et le respect des droits de la personne sont liés par ce
que j'ai nommé la « consolidation de la paix ». Notre travail à ce chapitre est un
autre exemple des efforts que fait le Canada pour adapter ses mécanismes de
politique étrangère. Le lien qui existe entre les droits de la personne et
l'instauration d'une paix durable dans les pays enclins aux cycles de violence ne
fait pas de doute. Les violations des droits de la personne permettent de dépister
rapidement l'imminence d'un conflit, de repérer les populations vulnérables qui
auront besoin d'une aide humanitaire et d'évaluer les progrès accomplis au cours
de la période fragile de reconstruction après le conflit. Dans les pays déchirés
par des conflits inter-ethniques, il est crucial de garantir le respect des droits
de la personne dans tous les segments de la population si l'on veut instaurer une
paix durable.
La création, l'an dernier, de l'Initiative canadienne de consolidation de la paix,
comprenant le Fonds canadien pour la consolidation de la paix et une liste
d'experts canadiens des droits de la personne, avait pour objet de rendre le
Canada plus apte à réagir d'une manière rapide, coordonnée et souple aux conflits
qui éclatent à l'intérieur des États. Ce geste témoignait de notre volonté de
permettre l'identification et le déploiement rapides et efficaces des capacités du
Canada en cas de situation urgente mettant en cause les droits de la personne.
Pour donner quelques exemples concrets, au cours des six derniers mois nous avons
utilisé le Fonds pour :
attribuer une aide financière de démarrage, grandement nécessaire, à la
Commission guatémaltèque de clarification de l'histoire;
aider la Commission préparatoire pour la création d'une cour criminelle
internationale en subventionnant la participation de délégués des pays en
développement;
accorder une aide financière pour faciliter le travail du représentant spécial
conjoint de l'ONU [Organisation des Nations unies] et de l'OUA [Organisation de
l'unité africaine] pour la région des Grands Lacs en Afrique centrale;
lancer un projet en faveur de la liberté de presse dans les Balkans.
Pour panser les plaies des sociétés déchirées par la guerre, il est impérieux de
restaurer la règle de droit et de mettre fin à l'impunité. Non seulement les
tribunaux internationaux pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie mettront-ils en
lumière des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, mais ils créeront
aussi un précédent inestimable pour la création d'une cour criminelle
internationale. Les tribunaux doivent avoir l'appui de la communauté
internationale pour être crédibles et efficaces. C'est dans cet esprit que le
Canada a récemment présenté, en tant qu'intervenant désintéressé, un mémoire au
Tribunal pour l'ex-Yougoslavie dans le but de défendre son pouvoir de rendre des
ordonnances pour la présentation de preuves.
Nous avons travaillé sans relâche pour l'établissement opportun d'une cour
criminelle internationale indépendante et efficace, ayant compétence pour les «
principaux » crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
S'il n'existe aucun moyen impartial de découvrir la vérité et de rendre justice
après une guerre, les nations se trouveront plongées dans des cycles perpétuels de
violence.
Lien entre les droits de la personne et le développement
L'expérience montre qu'il existe un lien entre le développement économique et les
droits de la personne. Le succès des programmes de développement et des réformes
macro-économiques tient à l'existence de systèmes de gouvernement stables,
prévisibles et transparents, qui respectent les droits humains et la règle de
droit. En clair, il tient à une saine gestion des affaires publiques.
La situation en Algérie est un bon exemple. Tous les Canadiens ont été horrifiés
par les massacres perpétrés en Algérie ces derniers mois. Nous condamnons avec
vigueur les terroristes qui sont les auteurs de ces attentats haineux contre des
femmes et des hommes, de jeunes enfants et des personnes âgées, tous des victimes
innocentes et sans défense.
Nous sommes intervenus pour venir en aide au peuple algérien et pour faciliter la
résolution de la crise. Les fonds canadiens d'aide au développement servent à
financer des services de garderie pour que les femmes algériennes puissent
travailler et à appuyer le soutien aux handicapés; ils soutiennent la presse
algérienne indépendante et ont permis de reconstruire le centre de la presse
détruit par une bombe. Nous encourageons la réforme politique et économique en
Algérie par l'envoi d'observateurs des élections, la promotion de nouvelles
entreprises et de la création d'emplois, et le renforcement des relations entre
sociétés canadiennes et algériennes aux chapitres du commerce et de
l'investissement. L'ACDI est en train de mettre en place un nouveau programme dans
le but de resserrer les liens entre institutions, par exemple entre nos
universités et collèges.
Comme les deux parties au conflit rejettent l'intervention directe de la
communauté internationale, notre marge de manœuvre est très limitée. À notre avis,
il faut plutôt miser sur des réformes soutenues et d'envergure des institutions
politiques et économiques algériennes pour parvenir
à un dénouement de la crise. C'est ce que j'ai fait valoir au ministre algérien
des Affaires étrangères, que j'ai rencontré deux fois cette année. Le Canada
souligne aussi l'importance du respect des normes internationales reconnues en
matière de droits de la personne, et nous ne pouvons accepter que la nécessité
d'appréhender et de neutraliser les terroristes - quoiqu'il y ait urgence en la
matière - serve de prétexte aux abus commis par les forces de sécurité algériennes
en ce qui touche les droits humains.
La meilleure défense contre le terrorisme et contre les violations des droits qui
en découlent est au bout du compte une société libre et pluraliste. Les efforts
que nos déployons en Algérie, à savoir nos relations politiques, notre programme
d'aide et notre coopération économique, tendent tous vers ce but.
Maximiser l'efficacité de l'influence du Canada
En tentant d'exercer une influence efficace, nous varions notre approche selon que
le pays visé est plus ou moins disposé à collaborer avec nous dans les dossiers
des droits de la personne, et selon l'influence que nous sommes susceptibles
d'exercer. Le Canada maximise son influence au moyen d'une diplomatie « ciblée »,
en choisissant les valeurs canadiennes qu'il est possible d'injecter dans le débat
international sur les droits de la personne. Nous nous efforçons ensuite de
redéfinir nos alliances, nos partenariats et nos programmes de coopération
internationale afin de faire entendre cette voix typiquement canadienne.
Le Canada s'est taillé un créneau, qui constitue peut-être le trait le plus
caractéristique de sa politique des droits de la personne, et qui consiste à
soutenir le changement de l'intérieur. L'approche canadienne vise à favoriser la
capacité locale de créer un espace propice au développement de la société civile.
Nous estimons que la tendance en faveur du respect des droits de la personne est
inévitable, mais nous sommes réalistes au sujet de certains des gouvernements à
qui nous avons affaire. Nous ne nous attendons pas à ce que ces gouvernements se
convertissent subitement à la cause des droits de la personne, mais ils céderont
graduellement - parce qu'ils n'ont pas d'autre choix - aux pressions qui viennent
de l'intérieur même de leurs sociétés.
Dans cette optique, le Canada a récemment pris une série d'initiatives bilatérales
en matière de droits de la personne avec Cuba, la Chine et l'Indonésie. Nous
cherchons à coopérer avec divers homologues pour amorcer des discussions de
gouvernement à gouvernement, des échanges entre institutions chargées des droits
de la personne, des initiatives en faveur de la société civile et des projets
concernant le développement de médias libres.
En fait, au moment où je vous parle, des hauts fonctionnaires canadiens rentrent
au pays à la suite de réunions en Chine et en Indonésie. Deux grandes composantes
du train d'initiatives Canada-Chine sont la création de la Commission mixte sur
les droits de la personne et l'engagement de la Chine de signer le Pacte
international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels. Je suis heureux d'annoncer que le Pacte a été signé au moment même où
nos hauts fonctionnaires assistaient en Chine à la deuxième réunion de la
Commission mixte. Sous le signe du dialogue, nous aidons également la Chine à
revoir sa procédure criminelle, à mettre en place un système judiciaire
accusatoire et un système d'aide juridique, et à respecter ses engagements
contractés en vertu de la Convention contre la torture.
Lors de mon dernier séjour en Chine, j'ai remis aux autorités une liste de
personnes emprisonnées pour leurs activités politiques. À la réunion d'octobre, la
Chine a rompu avec sa pratique et a fourni aux représentants canadiens des
renseignements sur certaines personnes dont le nom figurait sur la liste. Nous
continuerons d'essayer d'obtenir de l'information à leur sujet.
Les 29 et 30 octobre, le Colloque Canada-Indonésie sur les droits de la personne
s'est déroulé à Jakarta. C'est le premier événement organisé dans le cadre du
Forum bilatéral consultatif que j'ai créé avec le ministre des Affaires étrangères
de l'Indonésie, M. Alatas, en juillet dernier. Des hauts fonctionnaires canadiens
et indonésiens, des représentants d'ONG et du milieu des affaires, les médias,
ainsi que des observateurs de l'ASEAN [Association des nations de l'Asie du Sud-Est] et des observateurs internationaux assistaient à ce premier colloque
bilatéral sur les droits de la personne, à Jakarta. Nous espérons que cette vaste
participation incitera d'autres pays à suivre l'exemple du Canada et qu'elle aura
des retombées dans la région.
Le dossier du Timor oriental, la liberté de la presse, la réforme politique,
l'indépendance de la magistrature, les normes du travail et la saine gestion des
affaires publiques étaient au nombre des sujets de préoccupation soulevés par les
deux parties. Un des résultats du colloque sera le protocole d'entente sur la
coopération technique en matière de droits de la personne, qui sera bientôt
finalisé.
Les dialogues bilatéraux sur les droits de la personne ne sont toutefois qu'un des
moyens d'atteindre le but. Les dialogues que nous avons entamés avec Cuba, la
Chine et l'Indonésie commencent peu à peu à porter fruit. Mais cette approche ne
réussira pas avec tous les pays, ni dans tous les cas. Même lorsque le dialogue
bilatéral est possible, nous devons garder ouvertes les voies multilatérales et
diplomatiques pour être certains d'arriver à des résultats concrets.
Cette approche est particulièrement importante lorsque le dialogue ou l'incitation
sont impossibles. Des régimes comme ceux du Nigéria et de la Birmanie s'isolent de
plus en plus en refusant de coopérer avec les mécanismes des Nations unies voués à
la protection des droits de la personne et en refusant de dialoguer avec le Canada
et avec d'autres pays à ce sujet, et de respecter leurs engagements
internationaux. Dans les cas comme ceux-là, les mesures coercitives pourraient
constituer le seul et dernier recours.
L'avantage du multilatéralisme
Cela fait plus de 50 ans que le Canada a mis le multilatéralisme au cœur de sa
politique étrangère. Le multilatéralisme nous sert bien lorsqu'il s'agit de faire
passer des messages difficiles, qui ont du poids tout en étant pondérés. Dès lors,
quoi de plus normal que le Canada a été et continue d'être actif dans le travail
accompli par les Nations unies en faveur des droits de l'homme. Depuis l'adoption
de la Déclaration universelle, le Canada collabore activement aux travaux
permanents sur l'établissement de normes, qui ont donné plus d'une soixantaine
d'instruments internationaux dans le domaine des droits humains. Au moment où je
vous parle, des fonctionnaires et des représentants des groupes autochtones du
Canada travaillent à Genève à la rédaction d'une déclaration de l'ONU portant sur
les droits des peuples autochtones.
À l'approche du 50e anniversaire de la Déclaration universelle, l'ONU est en proie
à un intense exercice de renouveau et de réformes. Au chapitre des droits de
l'homme, l'heure est désormais à la mise en œuvre. Nous avons fait pression, par
des résolutions au sein de la Commission des droits de l'homme, afin de faire en
sorte que les organes de défense des droits de l'homme onusiens créés par traité
disposent des outils nécessaires pour surveiller le respect des engagements
contractés par les États. Nous avons créé les fonctions de rapporteurs spéciaux de
l'ONU sur la liberté d'expression et sur la violence à l'égard des femmes. Et nous
travaillons sans relâche pour garantir que le nouveau haut-commissaire pour les
droits de l'homme, Mary Robinson, bénéficie du soutien financier et politique
nécessaire pour lui permettre de faire son travail.
Dans le cadre des célébrations du 50e anniversaire de la Déclaration universelle,
le Canada s'est fait le champion de l'élaboration et de la publication d'un
nouveau rapport annuel sur l'état des droits de la personne dans le monde, lequel
s'inspire des constatations faites par les mécanismes indépendants de l'ONU voués
à la cause des droits de l'homme. Nous allons, en outre, financer une conférence
sur les droits de la personne et Internet, l'objectif étant d'utiliser Internet
aux fins de la diffusion de l'information sur les droits humains.
En même temps que nous travaillons au renforcement des Nations unies, nous nous
efforçons de consolider le rôle croissant dans le domaine des droits de la
personne joué par les organisations régionales. Les chefs de gouvernement ont
investi le Groupe d'action ministériel du Commonwealth (GAMC) de pouvoirs de
traiter les cas graves et persistants de violation des droits humains
fondamentaux, et ce non seulement par la parole mais aussi par la prise de mesures
concrètes à cet égard. Le Commonwealth a été le premier organe multilatéral à
mener à bonne fin une condamnation internationale du dossier des droits de la
personne au Nigéria, condamnation suivie de la suspension du Nigéria du
Commonwealth et préparant la voie à une condamnation par l'ONU ainsi qu'à l'entrée
en lice d'un rapporteur spécial. À la dernière réunion du GAMC ont été établis des
points de référence explicites pour un retour rapide et crédible du Nigéria à la
démocratie, assortis d'une promesse d'une escalade de sanctions au cas où le
Nigéria manquerait à emboîter le pas.
Au prochain sommet des Amériques qui doit avoir lieu à Santiago, le Canada et le
Brésil dirigeront des discussions portant sur les peuples autochtones et les
droits humains fondamentaux et la démocratie. Dans le cadre de l'Organisation des
États américains, le Canada a joué un rôle prépondérant dans la mise sur pied
d'une unité de promotion de la démocratie, organisme unique en son genre, voué la
promotion et au renforcement à long terme des institutions et des processus
démocratiques. Le rôle croissant des organisations régionales est aussi évident en
Europe, où l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe se penche
sur les problèmes que connaissent l'Europe de l'Est et l'Europe centrale au
chapitre des droits humains.
Conclusion
Je vous parle de ces outils et approches d'une façon pragmatique, mais leur
existence même représente un changement radical. Pour nous en rendre compte, je
vous invite à remonter aux premières heures de la Déclaration universelle, et à
les comparer au présent. L'intégration croissante de la problématique des droits
de la personne à d'autres aspects de l'activité internationale représente un
changement tout aussi important. Normes du travail et droits des enfants, impunité
et consolidation de la paix, dépenses militaires et exportation d'armes légères ou
de mines antipersonnel - tous ces aspects de l'activité internationale ont une
dimension qui les ramène à la question des droits humains. Sur le fond, nous
concevons maintenant les droits de la personne à travers la lentille plus globale
de la « sécurité humaine ». Cela signifie qu'il y a de la place non seulement pour
des mesures correctrices, mais encore pour une gamme d'autres mesures pour
prévenir les atteintes aux droits de la personne et corriger leurs causes
fondamentales.
La fiche de route du Canada nous place au premier rang des intervenants mondiaux
pour parler et agir quand il s'agit de droits de la personne, mais nous devons
nous rendre à l'évidence quant aux limites de notre influence. Nous ne sommes ni
enclins, ni aptes à dicter. La clé de notre approche réside dans la maximisation
de l'influence effective exercée par le Canada.
Favoriser le respect à l'égard des droits de la personne est l'un des plus grands
défis de la politique étrangère à l'aproche de la fin de notre siècle. Pour cela,
il faut du temps, il faut s'attendre à des revirements, et il faut mener une
action soutenue aux fronts bilatéral et multilatéral. Pour cela, il faut avoir une
approche à la fois globale et souple, qui tienne compte du lien qui existe entre
respect des droits de l'homme, paix et sécurité, développement et commerce. De la
sorte, nous pouvons espérer créer les conditions nécessaires pour propulser avec
une vigueur renouvelée la Déclaration universelle vers son prochain
cinquantenaire. Et surtout, rétrécir l'écart qui existe entre les principes
établis par la communauté internationale dans la Déclaration voilà 49 ans, d'une
part, et l'état des droits de la personne dans le monde, de l'autre.
Merci.