M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DES CONSULTATIONS AVEC LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALESEN PRÉVISION DE LA 53E SESSIONDE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMMEDES NATIONS UNIES - OTTAWA (ONTARIO)
97/7 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DES CONSULTATIONS
AVEC LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES
EN PRÉVISION DE LA 53e SESSION
DE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
DES NATIONS UNIES
OTTAWA (Ontario)
Le 5 février 1997
Ce document est également disponible au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
Je vous remercie de vous joindre à moi pour ces consultations annuelles sur les
droits de la personne, en prévision de la 53e session de la Commission des droits
de l'homme de l'ONU [Organisation des Nations unies]. Lorsque je vous ai parlé
l'an dernier, alors que je venais d'assumer le portefeuille des Affaires
étrangères, je vous ai exposé quelques principes d'une stratégie canadienne en
matière de droits de la personne. Aujourd'hui, je voudrais examiner avec vous ce
que nous avons fait depuis un an pour mettre en application ces principes, et
discuter de certaines priorités pour la prochaine année. Je me réjouis de
l'occasion qui nous est fournie par ces consultations d'échanger nos vues et de
discuter de priorités et de principes.
Une approche canadienne des droits de la personne
L'attachement aux droits de la personne est un trait fondamental des valeurs et de
l'identité canadiennes. La promotion du respect de ces droits, tant sur la scène
internationale qu'au Canada, est donc un élément crucial de la politique du
gouvernement. Dans nos relations internationales, on pourrait considérer les
droits de la personne comme un « dossier seuil », qui entre d'emblée en ligne de
compte dans toute relation, quels qu'en soient les autres aspects.
À partir de ce principe fondamental, nous cherchons à élaborer une politique
d'influence efficace. Cette politique est basée sur notre conviction que le
dialogue et l'incitation, plutôt que l'isolement, représentent généralement les
moyens les plus efficaces d'influencer les gouvernements. En d'autres termes, nous
préférons parler aux gens plutôt que de leur faire la leçon ou de médire d'eux. Au
besoin, cependant, nous sommes prêts à nous faire entendre d'une voix forte, et
prêts à agir.
Cela dit, nous constatons que notre capacité d'instaurer des changements peut être
limitée, et que nos efforts se heurtent parfois à la résistance de pays qui y
voient une ingérence dans leurs affaires. Nous constatons également que, bien
qu'ils soient importants, nous ne pouvons pas nous attacher exclusivement aux
droits politiques; la sécurité humaine nécessite aussi la stabilité et la
recherche des droits économiques et sociaux.
Néanmoins, il est important de traiter le dossier des droits de la personne sur la
scène internationale. D'abord pour vivre jusqu'au bout nos convictions, et aussi
parce que, à l'ère de l'interdépendance, le système international ne peut
fonctionner que s'il est assujetti à des lois et à des normes fondamentales. La
question critique est de savoir comment le faire fonctionner, comment être
efficaces.
L'an dernier, j'ai présenté une stratégie de base, faisant intervenir notre propre
développement national, des initiatives multilatérales et bilatérales, et
certaines priorités spéciales. Je voudrais passer en revue ce que nous avons fait
depuis un an à chacun de ces chapitres.
Faire participer les Canadiens
Le gouvernement a pris l'engagement d'ouvrir sa politique étrangère à tous les
Canadiens. Or, cela est particulièrement important dans le domaine des droits de
la personne. Après tout, les organisations non gouvernementales [ONG] mettent en
relief le rôle des droits de la personne dans la politique étrangère en se faisant
les témoins des violations de ces droits, en faisant la promotion de leur respect
et en oeuvrant dans les forums multilatéraux. Ce sont les ONG qui mettent en
oeuvre une grande partie des programmes que finance l'ACDI [Agence canadienne de
développement international] dans les domaines des droits de la personne, du
développement des institutions démocratiques et de la bonne gestion des affaires
publiques. Et ce sont les travailleurs des ONG qui courent les plus grands risques
en soutenant la cause des droits de la personne dans le monde entier. Depuis
quelques mois, un certain nombre d'entre eux ont payé de leur vie leur dévouement
à cette cause. Je leur rends ici hommage, et je vous assure que nous ferons tout
en notre pouvoir pour protéger les observateurs des droits de la personne à
l'étranger.
Depuis un an, nous avons établi le Centre canadien pour le développement de la
politique étrangère et le Fonds John Holmes, pour faciliter le débat entre
Canadiens sur les questions de politique étrangère. Le Fonds a déjà parrainé un
certain nombre de manifestations reliées aux droits de la personne, y compris des
tables rondes d'experts des droits de la personne et des affaires chinoises, et
des travaux de recherche sur les codes d'éthique du commerce international. Ces
manifestations m'ont permis d'entendre les vues de Canadiens et de Canadiennes de
nombreux segments de la société.
Je vous invite à prendre connaissance du plus récent de nos projets de
rayonnement, la page du site Web du ministère des Affaires étrangères et du
Commerce international consacrée aux droits de la personne, dont le lancement a
lieu aujourd'hui. Elle présente des informations sur les droits de la personne
dans la politique étrangère canadienne et sur nos initiatives spécifiques dans ce
domaine.
Activisme multilatéral et initiative
Pour ce qui est de nos efforts à l'extérieur du Canada dans le domaine des droits
de la personne, nous sommes actifs au sein de diverses institutions
multilatérales. Nous croyons que c'est là une stratégie suprême, à la fois pour
exercer des pressions et pour tenter de rallier un consensus international. Notre
but est d'imprimer une réelle force aux mécanismes d'observation et d'application
des droits de la personne, et aux mécanismes de prévention des violations de ces
droits, dans le monde entier.
Au cours de la dernière session de la Commission des droits de l'homme [CDH] de
l'ONU, par exemple, le Canada s'est élevé énergiquement contre la motion
d'inaction de la Chine sur la résolution la concernant. Le Canada a aussi piloté
les efforts visant à faire inscrire un point à l'ordre du jour à propos des droits
des Autochtones.
Pour bien faire entendre le Canada à la CDH, nous allons briguer la réélection
pour un troisième mandat comme membre de la Commission. J'ai demandé à Ross Hynes
de remplacer Leonard Legault comme chef de la délégation canadienne à la CDH.
Beaucoup d'entre vous connaissez déjà M. Hynes pour son dévouement de longue date
à la cause des droits de la personne. La délégation canadienne jouera un rôle de
chef de file à l'égard de six résolutions cette année, y compris celles concernant
le Rwanda, la violence envers les femmes et les exodes.
En raison de l'importance que nous accordons à la CDH, j'ai été l'an dernier le
premier ministre canadien des Affaires étrangères à assister à ses délibérations.
Malheureusement, mon emploi du temps ne me permet pas de me rendre à Genève cette
année, mais le Canada continuera d'y être représenté au niveau ministériel, car
j'ai demandé à Christine Stewart, secrétaire d'État (Amérique latine et Afrique),
d'y assister en mon nom.
Cette année, nous avons aussi fait élire un Canadien, l'ex-président de la
Commission des droits de la personne Max Yalden, comme expert indépendant auprès
de la Commission des droits de l'homme. Voilà qui montre encore une fois
l'importance que le Canada attache au système des droits de la personne et aux
travaux des institutions de l'ONU chargées d'appliquer les traités.
Nous avons aussi été actifs à la 51e Assemblée générale de l'ONU. Le Canada a joué
un rôle clé à l'égard de la résolution sur le renforcement du Centre pour les
droits de l'homme en veillant à ce que le haut commissaire demeure autonome et en
réclamant de nouveau des ressources adéquates. Le Canada a présenté un exposé de
la situation par pays qui a été très bien accueilli et qui sert de modèle aux pays
du Groupe occidental par son approche critique mais constructive.
Nous allons continuer à être parmi les premiers à soutenir les efforts du haut
commissaire aux droits de l'homme pour rendre plus efficace le Centre pour les
droits de l'homme à Genève et pour intégrer le bureau du haut commissaire à New
York au processus global de l'ONU. Nous espérons entendre, au cours de ces
consultations, vos vues sur les moyens de rendre la Commission plus efficace.
Les droits des populations autochtones
L'un des sujets sur lesquels a porté notre activité sur la scène multilatérale
depuis un an a été celui des droits des populations autochtones. Cette année, le
Canada a pris une mesure importante et symbolique à ce sujet. Notre délégation au
Groupe de travail de l'ONU sur le projet de déclaration relative aux droits des
populations autochtones a déclaré formellement que le Canada accepte l'octroi aux
populations indigènes d'un droit à l'autodétermination qui respecte l'intégrité
territoriale des États démocratiques.
J'ai dit ailleurs que le Canada appuie une déclaration vigoureuse de l'ONU sur les
droits des populations autochtones. Afin de promouvoir le processus de l'ONU,
cependant, le gouvernement doit coopérer avec les dirigeants autochtones
canadiens. En octobre, j'ai rencontré les chefs autochtones et me suis engagé à
intensifier le dialogue au pays sur les questions d'importance internationale.
Depuis, des fonctionnaires les ont rencontrés deux fois, et continueront de
discuter avec eux de questions fondamentales reliées à la déclaration. Lorsque je
les ai rencontrés de nouveau lundi, nous avons renouvelé notre engagement en
faveur de ce processus de consultation et accepté de coopérer pour promouvoir un
large éventail d'activités sous le signe de la Décennie internationale des
populations autochtones.
Collaborer avec un large éventail d'organismes multilatéraux
Le Canada est aussi actif à d'autres forums multilatéraux : l'OEA [Organisation
des États américains], où nous coprésidons le Groupe de travail sur les droits de
l'homme et la démocratisation, le Commonwealth, la Conférence postministérielle de
l'ASEAN [Association des nations de l'Asie du Sud-Est] et l'OTAN [Organisation du
Traité de l'Atlantique Nord]. Ce sont souvent les meilleures tribunes pour traiter
les cas où le dialogue a été rompu complètement, ou n'a jamais été ouvert, comme
en Birmanie.
Au sein du Commonwealth, nous avons oeuvré activement au Groupe d'action
ministériel [GAMC] sur le Nigéria, la Gambie et la Sierra Leone. Nous avons
constitué, à hauteur de 2,2 millions de dollars, un Fonds pour la démocratisation
et l'accroissement des capacités à l'intention de ces trois pays. À propos du
Nigéria en particulier, le Canada joue un rôle de chef de file au GAMC. Ma
collègue Christine Stewart assistera aux prochaines consultations du Groupe, afin
que le dossier demeure au niveau ministériel.
Jusqu'à maintenant, cependant, nos efforts ont produit peu de résultats. Les
autorités nigérianes se refusent toujours à engager un véritable dialogue. Nous
allons observer les événements de près, jusqu'à la formulation de la
recommandation que fera le GAMC cet automne aux chefs de gouvernement du
Commonwealth sur l'opportunité de proroger ou de révoquer la suspension du Nigéria
à titre de membre du Commonwealth.
À propos de la Birmanie, le premier ministre et moi avons tous deux exhorté les
dirigeants de l'ASEAN à user de leur influence pour réclamer à la junte des
réformes véritables. À la conférence postministérielle de l'ASEAN, l'an dernier,
j'ai proposé la formation d'un groupe de contact qui collaborerait avec le
secrétaire général de l'ONU pour faire respecter les résolutions de
l'Organisation.
La poursuite des personnes accusées de crimes de guerre est aussi une priorité
canadienne. J'ai saisi toutes les occasions, y compris la récente Conférence sur
la mise en oeuvre de la paix en Bosnie, pour présenter des propositions pratiques
et rallier des appuis à notre approche. Le Canada soutient activement le travail
des tribunaux internationaux pour les crimes de guerre commis dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda. Une Canadienne, Mme le juge Louise Arbour, est procureur
en chef du Tribunal pénal international à La Haye.
Faire participer les autres pays
Le Canada est également actif sur le plan bilatéral, en abordant la question des
droits de la personne dans ses diverses allocutions et représentations et en
appliquant des programmes de coopération. Nous exprimons chaque fois que c'est
possible nos préoccupations à l'égard des droits de la personne.
Par exemple, dans mes entretiens avec le ministre des Affaires étrangères de
Chine, depuis un an, j'ai soulevé la question des libertés à Hong Kong, ainsi que
les questions des droits des prisonniers et des femmes. Comme je l'ai dit lorsque
j'ai pris la parole à ce sujet l'automne dernier à Vancouver, « ... nous attendons
de la Chine qu'elle permette à Hong Kong de conserver son mode de vie actuel, ce
qui veut dire une économie exempte d'interventions inopportunes de l'État et de
corruption commerciale, un conseil législatif représentatif, la primauté du droit,
une magistrature indépendante, et la liberté de presse et d'expression
personnelle. »
Je suis particulièrement inquiet de la récente décision de la Commission
préparatoire nommée par Beijing de modifier des éléments de la charte des droits
de Hong Kong et des lois sur les rassemblements et les manifestations après le 1er
juillet. Ces changements affaiblissent la protection des droits et libertés
individuels à Hong Kong. Je suis aussi inquiet de ce que les décisions sur
l'évolution des lois de Hong Kong sont prises par un organisme nommé et non par le
conseil législatif élu, comme elles devraient l'être. J'espère me rendre en Chine
d'ici quelques mois, ce qui me donnera l'occasion d'exprimer ces préoccupations
aux dirigeants chinois.
Le Canada a eu au cours de rencontres récentes une rare occasion d'aborder la
question des droits de la personne à Cuba, où j'ai eu la chance de parler
directement avec le président et ses ministres. Les fonctionnaires canadiens
rencontreront leurs homologues cubains d'ici la fin du mois pour poursuivre ce
dialogue.
Nous avons récemment exprimé notre inquiétude au gouvernement colombien à propos
du retard concernant l'ouverture d'un bureau des droits de l'homme de l'ONU à
Bogota. Nous entendons soutenir activement ce bureau dès son ouverture.
Nous profitons également des réunions ministérielles conjointes régulières pour
mettre les droits de la personne à l'ordre du jour de discussions bilatérales.
Cela a bien fonctionné dans le cas du Mexique, où nous avons discuté de réformes
judiciaires, de droits de la personne et de la situation au Chiapas dans le
contexte des réunions de notre Comité ministériel conjoint. Au cours de ces
entretiens, nous avons convenu d'entreprendre des activités conjointes pour donner
suite à la Table ronde Canada-Mexique sur l'économie autochtone, qui s'est tenue
récemment et a remporté un grand succès.
Droits de la personne et échanges commerciaux
L'aspect le plus délicat de nos activités bilatérales est sans doute la relation
entre commerce et droits de la personne. Les adversaires de la politique
d'incitation voient une dichotomie entre commerce et droits de la personne. Je
soutiens que c'est une fausse dichotomie. Vous qui êtes aux premiers rangs des
activités dans ce domaine, vous savez mieux que quiconque que la relation entre
ces deux éléments est beaucoup plus complexe que ne le suggèrent les appels à la
pratique d'un commerce strictement conditionnel.
Le commerce, en soi, ne favorise pas la démocratisation ou le respect des droits
de la personne, mais il ouvre des portes, il crée une relation entre les
gouvernements et les sociétés, une relation où nous pouvons commencer à parler des
droits de la personne. En outre, à mesure que les pays fermés s'adonnent au
commerce et à l'investissement extérieurs, ils sont de plus en plus fortement
incités à respecter la primauté du droit, et ils voient de mieux en mieux les
raisons pour lesquelles ils ont intérêt à la respecter.
La question clé ici n'est pas un choix brutal entre commerce et droits de la
personne, mais plutôt la nécessité d'un commerce responsable. Ce qui exige un
examen sérieux de l'activité économique en cause, de ses impacts sociaux. Dans ce
contexte, nous nous sommes penchés sur les dossiers comme les normes de base du
travail, le travail des enfants et les exportations de matériel militaire.
Le Canada, par exemple, soutient activement à l'OIT [Organisation internationale
du Travail] les travaux visant à définir des normes de base du travail et à
examiner les aspects sociaux d'un commerce libéralisé. Nous avons joué un rôle de
chef de file à la conférence ministérielle de l'OMC [Organisation mondiale du
commerce] de décembre dernier, obtenant des engagements à observer les normes de
base du travail reconnues internationalement et à appuyer le mandat et le travail
de l'OIT.
Nous allons aussi travailler, à l'OIT, à une nouvelle convention sur l'élimination
des formes les plus intolérables du travail des enfants, pour adoption en 1999. Je
prendrai la parole plus tard ce mois-ci à une conférence organisée par les Pays-Bas pour soutenir les efforts de l'OIT concernant le travail des enfants.
Au chapitre des exportations militaires, en juin dernier, j'ai souligné mon désir
de voir les critères concernant les droits de la personne faire l'objet d'une plus
stricte interprétation. Mon dessein, ce faisant, est de réduire encore davantage
les risques que du matériel militaire canadien ne soit utilisé contre des civils,
pour le commerce illicite des armes ou pour alimenter la violence locale. Les
exportations militaires du Canada ont diminué de 12 p. 100 en 1995, nos
exportations vers les pays en développement, à plus bas revenu, demeurant très
faibles.
Dans nos tentatives constantes d'élaborer des outils de promotion d'un commerce
responsable, nous avons parrainé une table ronde sur le commerce avec le Nigéria,
l'an dernier. Donnant suite à cet événement, le secteur privé prépare un code de
conduite concernant le Nigéria. Une réunion de suivi a déjà eu lieu à Calgary,
sous l'égide d'Occidental Petroleum, et une deuxième doit se tenir ultérieurement
ce mois-ci.
Coopération bilatérale en matière de droits humains
Là où le Canada s'est taillé un créneau pour lui-même, et c'est probablement une
des principales caractéristiques de sa politique sur les droits de la personne,
c'est en soutenant le changement de l'intérieur. L'approche canadienne suppose ce
qu'un participant à l'une de nos tables rondes a appelé « le soutien aux
champions » pour parvenir à des changements directs. Si nous croyons que la marche
vers la démocratisation est inévitable, nous sommes quand même réalistes face à
certains gouvernements avec lesquels nous transigeons. Nous ne nous attendons pas
à ce que ces gouvernements se rallient subitement à la cause de la démocratie,
mais ils céderont graduellement -- car ils n'auront d'autre choix -- aux pressions
en vue d'un changement exercées par leur propre société.
Cette approche est évolutive et non coercitive. Quand bien même nous voudrions
imposer le changement, force est pour nous d'admettre que le Canada ne dispose
simplement pas de la puissance économique ni de la force de frappe internationale
pour le faire. Nous pouvons toutefois travailler de l'intérieur en supportant les
ONG et en développant un espace où la société civile peut se développer.
Cette approche ne portera pas toujours fruit. Lorsque le dialogue ou l'engagement
sont impossibles, il faut recourir à d'autres approches, comme la mobilisation de
l'action internationale. Avec les pays qui sont prêts à s'engager avec nous, à une
échelle limitée, comme Cuba, nous procéderons de façon évolutive. Dans le cas des
régimes qui refusent toute forme de dialogue ou d'échange, qu'importe, comme la
Birmanie ou le Nigéria, nous nous employons à mettre au point une plus vaste
action internationale pour les forcer à changer leurs façons de faire.
Permettez-moi de vous citer quelques exemples de notre travail avec les
« champions locaux » de la société civile. En Chine, le Canada a continué à
financer certains programmes modestes et efficaces, portant sur la formation de
juges et d'avocats afin de mettre en oeuvre une législation concernant les droits
de la femme.
Lors de ma récente visite à Cuba, j'ai fait une déclaration conjointe avec le
ministre cubain des Affaires étrangères, ce qui représente, à mon avis, un grand
pas dans nos efforts de longue durée en vue d'engager Cuba dans la voie du respect
des droits de la personne et du bon gouvernement. Cette déclaration est une
première étape, mais elle est importante. Le travail est en cours, mais il offre
néanmoins la possibilité de s'employer à créer un plus grand espace politique pour
les ONG au sein de la société cubaine. Cet espace constitue un élément clé de
toute évolution pacifique de Cuba vers une société plus respectueuse des droits
humains, dont les citoyens disposent de recours efficaces, et une société
économiquement plus libre.
En Inde, nous avons versé 1,6 million de dollars pour aider la Commission indienne
des droits de la personne à élaborer des programmes de formation et d'éducation
dans les écoles, particulièrement celles des filles. Grâce à ce programme et au
dialogue avec sa contrepartie canadienne, la Commission des droits de la personne
s'employera à inculquer une tradition indigène de respect des droits de la
personne.
Au sujet du Nigéria, nous utilisons le fonds de 2,2 millions consacré au
développement démocratique que nous avons constitué pour travailler avec des
groupes du Commonwealth, les ONG en particulier. Avec ma collègue Christine
Stewart, je tiendrai des consultations auprès d'ONG du Commonwealth avant la
prochaine réunion du GAMC, afin de discuter des meilleurs moyens d'améliorer la
situation des droits de la personne au Nigéria.
En Indonésie, nous avons fait des progrès vers l'établissement d'une relation
solide et fructueuse entre les institutions vouées aux droits de la personne. Les
commissions des deux pays exploitent un programme officiel de coopération, financé
par le Canada. Nous sommes le seul pays entretenant de tels liens avec la
Commission nationale des droits de la personne de l'Indonésie, organisme qui est
aujourd'hui assez bien implanté et indépendant pour pouvoir critiquer ouvertement
les actions du gouvernement au Timor oriental. Au printemps, une délégation de
parlementaires canadiens, tous partis confondus, se rendra en Indonésie et
visitera le Timor oriental pour observer directement la situation qui y prévaut.
En Iran, nous nous occupons de la communauté Baha'ie pour la protéger contre la
discrimination et la répression orchestrées par l'État.
Au Guatemala, les ONG canadiennes jouissent déjà de longs et riches antécédents de
prestation d'une aide déterminante aux groupes les plus démunis de la société
guatémaltèque, notamment en matière de droits humains. Je vous encourage à faire
fond sur ces points forts et à vous employer avec nous à ériger une paix durable
et à défendre le respect des droits humains au Guatemala.
Dans tous ces cas, nous recourrons à une combinaison de soutien financier ciblé,
de visites et d'échanges, et nous nous employons à élargir les cadres juridiques
et à renforcer les institutions vouées aux droits de la personne. De la sorte,
nous soutenons la dynamique interne du changement. Nous gagnons des appuis à la
cause de ces droits à l'intérieur des sociétés en question et nous élargissons
l'espace où les citoyens et les organisations extérieures aux gouvernements
peuvent participer et s'engager dans ces sociétés.
Les droits de l'enfant
L'un des principaux engagements pris par notre gouvernement dans le dernier
Discours du Trône concernait les droits de l'enfant. Lorsque je suis devenu
ministre des Affaires étrangères, j'ai indiqué ma détermination à faire de ce
sujet l'une des priorités de la politique étrangère du Canada. C'est la raison
pour laquelle j'ai nommé le sénateur Landon Pearson conseillère spéciale en
matière des droits de l'enfant. Depuis, elle a eu des consultations poussées sur
ce sujet, y compris sur la main-d'oeuvre juvénile.
En avril dernier, le gouvernement a présenté le Projet de loi C-27 à la Chambre
des communes. Ce projet, qui a été ramené devant la Chambre en décembre, modifiera
le Code criminel pour autoriser la poursuite des Canadiens qui s'engageront dans
le commerce sexuel des enfants pendant leur séjour à l'étranger. En août, j'ai
conduit la délégation du Canada au Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle
des enfants, qui a eu lieu à Stockholm. Un comité, présidé par le sénateur
Pearson, assure le suivi du Plan d'action qui est né de la Conférence. Nous
prévoyons aussi de procéder à des échanges de données et à la formation d'agents
d'application de la loi pour seconder les efforts d'autres gouvernements dans ce
domaine.
Le Canada défend aussi les droits de l'enfant au sein de l'ONU et du OIT. J'ai
déjà parlé de notre soutien au travail du OIT visant à éliminer les pires formes
du travail des enfants. À l'ONU, nous préparons, de concert avec le CDH, des
lignes directrices concernant deux protocoles facultatifs de la Convention
relative aux droits de l'enfant. L'un de ces protocoles obligera les États à
criminaliser la vente des enfants, la prostitution et la pornographie juvéniles et
leur conférera des compétences extraterritoriales.
Lors de ma récente visite en Inde, j'ai eu des discussions sur les façons dont le
Canada pourrait aider ce pays à régler le problème de la main-d'oeuvre juvénile,
notamment grâce à notre Fonds de 500 000 $ nouvellement créé pour le développement
de l'enfant. En Inde également, j'ai discuté avec les ONG de la possibilité
d'appliquer les évaluations des effets sur les enfants à nos programmes de
développement. Depuis mon retour, j'ai lancé l'idée à mon collègue Don Boudria, et
l'ACDI se charge du suivi de cette proposition. Je serai heureux d'avoir votre
point de vue sur cette initiative.
Faire des droits de la personne une partie intégrante de la politique étrangère
Les valeurs canadiennes, dont la promotion des droits de la personne, sont partie
intégrante de notre politique étrangère. Nous sommes déterminés à intégrer des
activités liées au respect de ces droits aux efforts de l'ONU visant la paix, la
sécurité et le développement; dans la même veine, nous veillerons à les intégrer à
nos propres relations internationales.
Nous sommes aussi en train de mettre au point de nouveaux outils de politique
étrangère. En cette époque de profondes mutations internationales, nous admettons
que les outils traditionnels ont besoin d'être renforcés. L'an dernier, j'ai
annoncé la création de deux nouveaux outils clés : l'initiative de consolidation
de la paix et la Stratégie d'information internationale sur le Canada. Ces deux
outils sont dotés d'une bonne part d'éléments associés aux droits humains et à ce
titre, ils élargiront notre capacité de faire face aux questions connexes.
L'initiative de consolidation de la paix, financée par le Fonds pour la
consolidation de la paix, a pour objectif d'accroître la capacité du Canada à
réagir avec rapidité, coordination et souplesse aux conflits entre États. Ces
conflits, caractérisés par de graves violations des droits de la personne et des
cycles répétés de violence, sont devenus de plus en plus répandus dans la période
de l'après-guerre froide. Cette initiative englobera une série d'activités
connexes aux droits humains dans les sociétés déchirées par la violence, notamment
:
la promotion du libre accès aux médias;
la formation en matière de respect des droits humains;
l'établissement d'une liste d'experts en droits de la personne pour aider à la
réalisation de ces projets.
Je suis heureux de pouvoir annoncer aujourd'hui que la liste des experts canadiens
en attente est devenue opérationnelle. Cela signifie que des Canadiens compétents,
comme vous, pourront étayer les activités de consolidation de la paix au Canada,
aux Nations unies et dans d'autres organisations internationales par le canal de
la protection des droits de la personne, de la surveillance et de la
reconstruction. L'administration de cette liste créée au départ au ministère des
Affaires étrangères et du Commerce international, sera confiée à un organisme
indépendant du gouvernement, une fois qu'elle deviendra pleinement opérationnelle.
Les fonctionnaires du Ministère, présents à ces consultations, vous renseigneront
davantage sur la liste et vous indiqueront comment faire une demande. Vous pouvez
aussi consulter la page sur les droits de la personne du site Web du Ministère.
Je voudrais aussi annoncer ici qu'avec la coopération des membres du groupe de
contact de la consolidation de la paix, conduit par les ONG, nous organiserons
vendredi la première des consultations sur la consolidation de la paix que j'ai
annoncées en octobre dernier.
La Stratégie d'information internationale sur le Canada est un autre outil qui
peut avoir de grandes répercussions sur la défense des droits de la personne. En
cette ère de mondialisation des économies, les réseaux internationaux de
communications et l'évolution des « coalitions d'intéressés » à des sujets précis,
il nous faut admettre que la souris est devenue si ce n'est plus puissante, du
moins aussi puissante que le missile. La Stratégie sera un effort concerté du
gouvernement et du secteur privé pour mettre plus efficacement à contribution les
technologies modernes de communications pour réaliser les objectifs internationaux
du Canada.
Dans ce contexte, nous mettons au point une stratégie d'utilisation de la
technologie de l'information pour :
présenter le Canada, et les valeurs canadiennes, comme le respect des droits de
la personne, au monde extérieur;
atteindre les objectifs de la politique étrangère, ceux qui touchent aux droits
humains entre autres, grâce à de nouveaux moyens.
La Stratégie en est encore à ses premiers stades de développement, mais je lui
trouve de grandes possibilités. Nous envisageons déjà des moyens d'utiliser la
technologie de l'information pour contrer la propagande haineuse, former des
journalistes et promouvoir la liberté des médias, et assurer une éducation en
matière de droits humains. Les nouvelles technologies jouent aussi un rôle
déterminant en ce qu'elles donnent aux groupes dissidents et aux défenseurs des
droits de la personne accès à l'information et qu'elle élargit considérablement la
capacité de communiquer. L'utilisation d'Internet par les groupes d'opposition en
Serbie est un des exemples les plus probants de nouvelles technologies au service
de la démocratie.
Regard vers le 50e anniversaire de la Déclaration universelle
Je suis déterminé à poursuivre le militantisme du Canada en matière de défense des
droits de la personne l'année prochaine et à maintenir l'accent sur des dossiers
clés comme la sensibilisation des Canadiens, les droits de l'enfant et les droits
des Autochtones. Nous trouverons des solutions novatrices pour promouvoir et
protéger les droits de la personne dans le cadre de l'initiative de consolidation
de la paix et de la Stratégie d'information internationale sur le Canada. De plus,
nous nous préparerons à célébrer, en 1998, le 50e anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l'homme.
La Déclaration universelle a façonné notre monde pendant près de 50 ans. La
célébration de cet anniversaire marquant devrait être une occasion de
réaffirmation et de renouvellement, et aussi le moment de prendre des actions
solides et concertées qui conduiront l'agenda des droits de la personne au centre
d'une Organisation des Nations unies réformée et revitalisée.
Un autre événement marquant se produira en 1998 : l'examen quinquennal de la
Déclaration et du Plan d'action de Vienne. Il faudra la participation active des
ONG pour que les résultats de cet examen soient significatifs et durables. Compte
tenu de la compétence et de l'efficacité internationalement reconnues des ONG
canadiennes dans le domaine des droits de la personne, je n'ai aucune crainte à
vous inciter à jouer un rôle de chefs de file pour assurer que cet anniversaire
soit significatif.
Le gouvernement canadien planifie déjà un certain nombre de manifestations en
prévision de cet anniversaire. Le Fonds John Holmes parrainera une table ronde sur
les possibilités et les défis d'Internet, y compris dans le domaine des droits
humains. Nous accueillerons aussi une conférence sur des moyens de rendre plus
efficace le travail des comités voués au traité sur les droits de la personne.
Cette conférence, qui sera organisée par l'Université York, réunira des experts en
matière de traités, des activistes des ONG, des universitaires et des employés de
l'ONU.
Je serai heureux de connaître vos suggestions et propositions sur les manières
dont nous pourrions commencer maintenant, en 1997, à jeter les bases du progrès
pour 1998, au Canada et à l'étranger.
Conclusion
La protection et la promotion des droits de la personne sont parmi les principales
valeurs canadiennes et un objectif clé de notre politique intérieure et étrangère.
L'an dernier, nous nous sommes appliqués vigoureusement à poursuivre cet objectif
dans un large éventail de contextes, en recourant à un jeu agrandi d'outils de
politique étrangère. Les considérations concernant les droits de la personne
animent nos relations multilatérales et bilatérales et sont graduellement
intégrées à l'ensemble de la politique étrangère du Canada.
Les pouvoirs publics ne parviendront à promouvoir et à défendre vigoureusement ces
droits sans le concours de la société civile, en particulier des organisations non
gouvernementales comme les vôtres. Nous tenons à votre connaissance profonde de
situations précises et à votre point de vue sur les façons de donner à nos efforts
de promotion des droits de la personne le plus grand impact possible.
Merci.