M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA RÉUNION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES SUR LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO - NATIONS UNIES
2000/1 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA RÉUNION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES
SUR LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
NATIONS UNIES, New York
Le 24 janvier 2000
(16 h 55 HNE)
Le Canada se félicite vivement de ce que le Conseil de sécurité consacre cette réunion à la République
démocratique du Congo [RDC]. Le conflit qui sévit dans ce pays menace la paix régionale. Il sape les
chances déjà fragiles de stabilité dans un pays africain essentiel pour les intérêts du continent. Plus
important encore, ce conflit aveugle fait un nombre élevé de victimes innocentes et il détruit les espoirs
d'innombrables personnes.
Il est donc impératif de trouver une solution pour ramener une paix durable dans ce pays. Le Canada
espère que cette réunion permettra de progresser dans ce sens.
Toutefois, pour bâtir un avenir plus prometteur pour la République démocratique du Congo et la région,
nous devons garder à l'esprit le passé parfois décourageant. Le mois dernier étaient publiées les
conclusions de la Commission indépendante chargée d'enquêter sur le comportement de l'ONU pendant le
génocide commis au Rwanda en 1994.
Ce rapport décrit l'échec cuisant des membres de cette Organisation, de ce Conseil et du Secrétariat de
l'ONU en Afrique, car ils n'ont su ni prévoir, ni se préparer, ni communiquer, ni faire preuve de
leadership, ni engager des ressources. En bref, il s'agit d'un échec phénoménal de la communauté
internationale qui n'a pas su réagir lorsque la population du Rwanda en avait le plus désespérément
besoin.
Je félicite le Secrétaire général d'avoir ouvert cette enquête sans précédent et d'avoir reconnu ses
lacunes et celles du Secrétariat des Nations Unies dans cette tragédie.
Cependant, le poids de la responsabilité ne leur revient pas à eux seuls. Nous ferions bien, en tant que
Conseil de sécurité, qu'États membres des Nations Unies, que personnes, de suivre l'exemple du
Secrétaire général et de reconnaître clairement nos insuffisances par rapport au Rwanda.
Toutefois, des mea culpa rétroactifs ne servent pas à grand-chose. Nous ne pouvons effacer le passé,
mais nous pouvons en tirer les leçons et les appliquer à des situations présentes.
La Commission d'enquête a montré à quel point les choses ont mal tourné au Rwanda. Pourtant, elle
nous donne également des lignes directrices précises sur les mesures à prendre pour éviter des
tragédies à l'avenir.
Elle souligne dans son rapport combien la sécurité humaine, autrement dit, la sécurité et la protection
des civils, est devenue un souci essentiel dans le cadre des conflits armés modernes. Ce faisant, elle
souligne aussi qu'il est nécessaire d'intégrer la dimension humaine aux mesures prises en ce qui
concerne des questions de guerre et de paix.
L'enquête renforce l'importance des questions africaines dans les activités du Conseil de sécurité et la
crédibilité de celui-ci. Elle explique comment le Conseil néglige le continent à ses risques et périls et
décrit le prix épouvantable que les Africains paient en conséquence.
Elle expose tout cela clairement, méthodiquement et de manière indélébile, à tel point qu'il est difficile,
voire impossible, au Conseil de sécurité de se dérober à son obligation de soutenir la paix et la sécurité
en Afrique ou de l'ignorer.
On voit à certains signes encourageants que le Conseil tire les enseignements de l'expérience. Je
pense que nos délibérations d'aujourd'hui sur la République démocratique du Congo le prouvent.
Le Conseil ne manque pas de se pencher sur les conflits armés qui continuent de ravager certaines
régions africaines et a consacré beaucoup de temps à y chercher des solutions. Ses récents débats
ouverts sur l'Afrique ont d'ailleurs aidé à concentrer l'attention sur cette recherche.
Les débats thématiques sur la protection des civils dans les conflits armés, sur l'utilisation abusive des
armes portatives et des armes militaires légères, sur les enfants touchés par la guerre contribuent à
sensibiliser davantage le Conseil, et l'aident à trouver des réponses aux problèmes de sécurité du
XXIe siècle. Ils ont permis de mettre en lumière l'incidence particulière de ces questions sur les zones
de guerre en Afrique.
Au-delà des paroles et de l'information, il y a aussi les actes.
On se rend de plus en plus compte aussi qu'en Afrique comme ailleurs, le Conseil de sécurité doit
appuyer des efforts de paix déployés par d'autres. Au Soudan, par exemple, le conflit en cours depuis
longtemps inquiète sérieusement; hors du champs d'intérêt des médias, il continue de faire de
nombreuses victimes. Le Conseil de sécurité devrait réfléchir à la façon dont il pourrait aider l'IGAAD
[Inter-governmental Authority on Development] dans ses efforts de médiation.
Dans le cas de la Sierra Leone, le Conseil de sécurité a créé une nouvelle mission qui aide à appliquer
un fragile accord de paix pour le bien de la population de ce pays. Pour la première fois, le mandat
d'une opération de maintien de la paix des Nations Unies parle en toutes lettres de la protection des
civils.
Le Conseil envisage actuellement d'élargir cette opération. Le Secrétaire général a formulé des
recommandations. Il incombe maintenant aux membres du Conseil de montrer qu'ils souhaitent donner
suite à leur inquiétude déclarée à l'égard de l'Afrique, en engageant des ressources et en approuvant
résolument ce plan.
Dans le cas de l'Angola, le Canada cherche des moyens pratiques de rendre plus efficaces les
sanctions relatives au trafic illicite de diamants, d'armes et de pétrole. Ces mesures visent à mettre fin
à une guerre civile insensée qui a fait de si nombreuses victimes. Si elles sont acceptées et si elles
portent leurs fruits, elles pourraient être appliquées à d'autres guerres, et nous espérons fournir un
modèle pour limiter le marché des conflits.
Tout cela marque des progrès. En effet, le Conseil progresse concrètement en Afrique et il progresse
aussi pour ce qui est de placer la sécurité humaine au cœur des mesures qu'il prend relativement à ce
continent. Cependant, ces progrès sont précaires, et l'engagement du Conseil doit être renforcé et
soutenu. Nous ne devons pas nous dérober à nos obligations. Trop souvent, le Conseil est motivé par
des soucis d'économie et par la volonté d'éviter les risques.
Le conflit et les turbulences qui secouent la République démocratique du Congo reflètent bien des
réalités des guerres modernes. Il s'agit manifestement d'un défi important sur le plan de la sécurité
humaine et d'un des conflits les plus complexes auxquels soit confrontée la communauté
internationale. L'engagement actif du Conseil est donc indispensable.
Des forces militaires étrangères qui occupent une bonne partie de ses provinces orientales menacent
l'intégrité territoriale du Congo. Certaines forces d'opposition intérieures ont choisi de contester
militairement plutôt que politiquement le leadership national. Des forces internes et externes
empêchent le dialogue sur les institutions futures du pays et sur le retour à la démocratie.
Divers groupes militaires et milices, armés, dangereux et agissant en toute impunité, utilisent le
territoire congolais dans leur lutte contre les gouvernements de nombreux voisins de la République
démocratique du Congo.
L'influence des nouvelles économies de guerre est importante. Le Congo dépérit et certaines de ses
richesses naturelles sont pillées de manière éhontée pour alimenter la machine de guerre.
Plus important encore, des gens ordinaires souffrent terriblement, et cela est inacceptable. Les civils
sont les principales victimes de la violence. Des dizaines de milliers d'entre eux ont été chassés de
chez eux, des milliers d'autres, tués ou mutilés, et les femmes et les enfants en souffrent énormément.
Il y a cependant d'autres réalités, toutes aussi importantes. Les habitants de la RDC forment une nation,
unie dans sa volonté de préserver l'intégrité territoriale du pays et l'inviolabilité de ses frontières.
Les habitants de la RDC souhaitent ardemment la paix, un dialogue franc et sans entrave ainsi qu'une
chance de mettre en place leurs institutions politiques démocratiquement et de se doter d'un
gouvernement représentatif qui réalisera leurs aspirations à la stabilité et au développement
économique.
Nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de dirigeants de pays d'Afrique limitrophes de la RDC
exprimer eux aussi leur désir de paix, de stabilité et de retour à la normale. Eux aussi veulent que ces
problèmes soient réglés.
Nous avons des éléments de solution. L'Accord de Lusaka signé l'été dernier est essentiel pour régler
ces conflits. Il vise les principales questions à résoudre, à savoir la conclusion d'un cessez-le-feu et le
désengagement des troupes, l'ouverture d'un dialogue politique national en RDC, le retrait en bon ordre
de toutes les forces étrangères, le désarmement des groupes armés, le rétablissement de
l'administration publique, et l'adoption d'un cadre de mise en œuvre de l'Accord avec le concours
particulier des Nations Unies.
Les outils existent donc, mais la dynamique nécessaire à une paix durable est bloquée. Je me réjouis
donc de l'initiative des États-Unis, qui ont proposé cette réunion. Je me réjouis aussi de voir qu'ils sont
décidés à participer pleinement aux efforts déployés pour régler le conflit et qu'ils ont réussi à
rassembler les parties ici, à New York. Enfin, je me réjouis de leur décision de faire participer l'ONU à
ces efforts.
Les perspectives de paix sont avant tout liées aux actes et aux décisions des parties directement concernées.
La balle est clairement dans leur camp. Comme l'a dit le président Mandela la semaine dernière à propos du
Burundi, seules les parties elles-mêmes peuvent trouver un accord. Cette déclaration pleine de sagesse vaut
tout autant pour les parties au conflit congolais.
Cependant, la communauté internationale peut, et devrait, jouer un rôle actif, autrement dit, elle devrait
contribuer à relancer le processus de paix et à réaliser les objectifs fixés par l'Accord de Lusaka.
L'heure est venue pour la communauté internationale d'assumer sa part, car le fardeau ne doit pas
peser sur les seuls pays africains mais sur nous tous. Il ne s'agit pas de confier une responsabilité à
une coalition spéciale mais de consentir des efforts véritablement collectifs qui ne soient pas financés
comme une œuvre de bienfaisance mais par des quote-parts. Autrement dit, il s'agit d'intervenir par le
biais du Conseil de sécurité et d'une opération de l'ONU.
Dans le premier cas, cela signifie un déploiement rapide de 500 observateurs de l'ONU, mesure que le
Conseil de sécurité a déjà approuvée en novembre dernier. Ces observateurs devront s'appuyer sur un
mandat clair et disposer de ressources suffisantes. À cet égard, le Canada appuie la création
immédiate d'une importante mission de l'ONU s'inspirant des recommandations du Secrétaire général,
afin d'aider à appliquer l'accord de Lusaka et d'inclure dans son mandat une disposition claire et sans
équivoque relative à la protection des civils en vertu du chapitre 7 de la Charte.
La Commission militaire mixte [CMM] joue un rôle essentiel pour ce qui est de veiller au respect de
l'Accord de Lusaka. Le Canada versera 500 000 dollars en contribution à son fonctionnement. Nous
nous attendons à ce que la CMM et l'opération de maintien de la paix de l'ONU collaborent à
l'application de l'ensemble des dispositions de l'Accord de Lusaka.
Le Canada apporte et continuera d'apporter son concours d'autres manières. Nous pensons que notre
contribution la plus utile, en plus de soutenir les efforts de l'ONU, concerne le dialogue entre Congolais
ainsi que la mise en place des institutions de la République démocratique du Congo.
De fait, nous participons déjà activement aux efforts visant à promouvoir la paix et la réconciliation en
RDC. Dans le passé, le Canada a soutenu des projets qui mettaient l'accent sur le règlement du conflit
par la promotion des droits de la personne, la participation accrue de la population au processus
décisionnel, le renforcement d'une bonne gestion économique et l'expansion de la base économique du
pays.
Le Canada renforcera ces projets. Dans les mois à venir, il versera 2 millions de dollars pour financer le
processus de paix et de réconciliation en RDC et dans la région. Un million de dollars sera réservé au
dialogue intercongolais que dirige Sir Ketumile Masire à la demande du Secrétaire général de l'OUA
[Organisation de l'Unité africaine], M. Salim Salim.
Le problème grave, voire tragique, des enfants soldats requiert une attention particulière. L'an dernier,
le Canada a contribué à l'organisation du Forum de Kinshasa sur la démobilisation et la réintégration
des enfants soldats dans la République démocratique du Congo, avec l'appui également de l'UNICEF et
de l'Organisation mondiale de la santé.
Il est important, pour consolider les efforts de paix, de prendre d'autres mesures concrètes pour aider
les enfants touchés par la guerre. C'est pourquoi le Canada versera une contribution d'un million de
dollars, dont une partie ira à la Commission nationale de la RDC sur les enfants soldats, afin d'aider à
désarmer ces enfants, à les réadapter et à les réintégrer dans la société.
La conférence régionale sur les enfants touchés par la guerre, qui se tiendra en avril à Accra sous
l'égide du Ghana et du Canada, examinera d'autres mesures concrètes et pertinentes pour l'Afrique
occidentale et, sans aucun doute, pour la RDC et la région des Grands Lacs. Notre objectif est que les
leçons tirées de ces initiatives soient partagées et utilisées à la conférence mondiale dont le Canada
sera l'hôte en septembre prochain.
Depuis sa faillite, rappelée en termes si explicites dans le rapport d'enquête sur le Rwanda, le Conseil
de sécurité s'investit plus activement dans les questions touchant à l'Afrique. On espère, en
l'occurrence, que le passé ne fera pas figure de prologue. Un engagement plus résolu à promouvoir la
paix et la sécurité sur le continent africain; une meilleure compréhension de la nécessité d'une
approche globale qui relie l'action du Conseil à d'autres efforts; la reconnaissance que, comme ailleurs,
une démarche plus axée sur l'aspect humain des problèmes de sécurité en Afrique est nécessaire sont
autant de tendances positives.
Les réunions de cette semaine sur la République démocratique du Congo sont d'autres signes
appréciés de l'engagement du Conseil par rapport à ces objectifs que les Canadiens sont bien décidés
à soutenir.
Je vous remercie.