M. AXWORTHY : ALLOCUTION AU SYMPOSIUM DU BICENTENAIRE DU MIDDLEBURY COLLEGE SUR LES AFFAIRES INTERNATIONALES - NEW YORK, NEW YORK
2000/12 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU SYMPOSIUM DU BICENTENAIRE DU MIDDLEBURY COLLEGE
SUR LES AFFAIRES INTERNATIONALES
NEW YORK, New York
Le 30 mars 2000
Je suis très heureux de me trouver parmi vous ce soir pour célébrer le bicentenaire de Middlebury College.
C'est aussi un privilège pour moi de vous adresser la parole ici même, dans cette grande institution qu'est la
New York Public Library. Tout comme le Middlebury College, en effet, la New York Public Library est depuis
longtemps un modèle de l'apprentissage de la démocratie. On ne pourrait envisager un endroit plus approprié
pour souligner ce jalon dans l'histoire du collège.
Depuis 200 ans, Middlebury incarne la quintessence de l'expérience américaine : son esprit d'entreprise, son
humanité, son attachement aux valeurs démocratiques et son indépendance. Cette tradition, ancrée dans
l'expérience du Siècle des lumières et d'une révolution, a fait de Middlebury un centre du savoir hors pair et qui
a fait ses preuves. Il est tout à fait évident à mes yeux que ces valeurs communes, qui sont le fondement
même de la vie publique dans ce pays, restent très vivantes à Middlebury au moment où l'institution entame le
troisième siècle de son existence.
J'ai moi-même été exposé à cette tradition pendant les années 1960. Après avoir terminé mes études
supérieures à Princeton, c'est en effet à Middlebury que j'ai décroché mon premier emploi, à titre de professeur
de sciences politiques. C'était une période de bouillonnement et de mutation, et bon nombre des valeurs qui
sont le fondement même du collège faisaient à l'époque l'objet d'un âpre débat dans votre pays.
Les États-Unis prenaient conscience du fait que, pour un grand nombre de citoyens, l'égalité devant la loi était
loin d'être une réalité et que l'égalité des chances ne restait qu'un rêve. Ces années m'ont formé, comme elles
ont formé votre république.
En janvier 1965, avec d'autres membres du corps enseignant et une vingtaine d'étudiants, je me suis rendu à
Montgomery, en Alabama, pour participer à une manifestation en faveur des droits civils, pour voir et entendre
Martin Luther King Jr. Cette expérience m'en a beaucoup appris sur les droits des gens et les obligations de
l'État. J'en ai aussi retiré une importante leçon sur l'autorité, à savoir que celle-ci n'est pas absolue. L'autorité
est conditionnelle, c'est-à-dire qu'elle doit être exercée comme il convient par ceux et celles qui la possèdent.
Cette expérience a montré que, quand un gouvernement viole les droits fondamentaux d'une partie de sa
population, il faut contester sa légitimité. Elle m'a aussi enseigné que, lorsque les vieilles façons de faire ne
s'appliquent plus, il ne faut pas avoir peur de chercher de nouvelles solutions, de changer ce qui ne va plus.
Voilà ce que le mouvement en faveur des droits civils a fait pour votre pays. L'adoption du Voting Rights Act a
été une de ses réalisations les plus importantes. Cette loi a établi clairement que des pouvoirs inégaux ne
peuvent ni ne doivent se traduire par des droits inégaux. Elle a enchâssé des principes inaliénables et affirmé
sans ambiguïté qu'il existe des codes de conduite universels dont il faut assurer le respect en établissant la
primauté du droit.
On assistait en même temps à la multiplication des efforts sur la scène internationale, souvent sous les
auspices des États-Unis, pour établir des normes et des codes de conduite qui devaient s'appliquer à toute
l'humanité. Ces démarches étaient une réaction aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale. En effet, les
conventions et les instruments internationaux qui existaient à l'époque avaient été insuffisants pour contrer les
souffrances humaines massives qui avaient été provoquées, et c'est là une bien triste ironie, au nom du
pouvoir et du prestige de l'État.
L'holocauste nous a forcés à examiner sérieusement le rôle que doivent jouer les normes et les codes
internationaux dans la conduite des affaires mondiales. Elle nous a aussi amenés à repenser les principes de
la souveraineté nationale. À mon avis, Isaiah Berlin a vu juste lorsqu'il a dit que l'obligation première dont tout
système politique doit s'acquitter envers la population, c'est, d'abord et avant tout, d'empêcher les souffrances
extrêmes. Il avait aussi raison de dire que les camps de concentration représentaient la justification la plus
évidente qu'on puisse imaginer de la nécessité d'une loi morale universelle.
Les procès de Nuremberg sont venus attester que les violations grotesques et extrêmes des droits
fondamentaux ne pouvaient rester impunies. La Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits
de l'homme, les Conventions de Genève et la Convention sur le génocide sont précisément issues de cette
prise de conscience : la souffrance humaine ne saurait être un élément acceptable ou inévitable de l'art de
gouverner. Ces instruments ont établi les fondements, en droit international et dans la pratique, qui servent à
contester les notions classiques de la souveraineté quand des actes manifestement criminels sont commis.
Et ils ont une pertinence évidente à notre époque, où les souffrances extrêmes restent beaucoup trop
fréquentes.
Les dangers qui guettent les gens aujourd'hui ne cessent de s'accroître. Les violations flagrantes des droits de
la personne, la dégradation de l'environnement, le crime transnational organisé, les maladies infectieuses et le
trafic de la drogue menacent tous la sécurité de l'individu. Ces phénomènes influent sur la vie de tous les jours,
ils sapent la volonté des gens et des nations et ils minent les fondements du progrès. Mais de toutes les
menaces qui pèsent sur les populations civiles, c'est la guerre, dans sa forme actuelle, qui reste la plus grave.
Au cours des dix dernières années, plus d'une centaine de conflits ont éclaté, ont repris ou se sont intensifiés
dans diverses régions du monde, mettant en péril la vie de multitudes d'être humains. Ce qui est différent
aujourd'hui, c'est la nature de ces conflits. La majorité des affrontements ne sont plus entre des États, mais au
contraire se déroulent presque entièrement à l'intérieur des frontières nationales. Souvent ancrés dans les
divisions religieuses ou ethniques, ces conflits sont plus violents, plus pernicieux et plus insidieux que jamais.
Au début du siècle dernier, 90 p. 100 des victimes étaient des militaires; à la fin du siècle, 90 p. 100 des
victimes étaient des civils. La Bosnie, le Kosovo, le Rwanda et, tout récemment, le Timor-Oriental illustrent
clairement les conséquences tragiques de cette nouvelle réalité; ces exemples montrent de façon fulgurante
que les anciennes façons de mener la politique étrangère sont aujourd'hui dépassées.
Des millions de personnes vulnérables ont été chassées de leurs foyers, poussées vers des frontières ouvertes
un instant puis fermées l'instant d'après, forcées de se cacher, séparées de leurs familles, utilisées comme
boucliers, dépouillées de leur identité, victimes d'abus sexuels et froidement assassinées. Un nombre
incalculable d'autres se sont vu refuser l'accès à la nourriture et aux médicaments nécessaires à leur survie. Il
existe aujourd'hui un mépris éhonté pour la vie et les valeurs humaines.
La nécessité de combattre ces menaces est au cœur de l'approche adoptée par le Canada vis-à-vis la politique
étrangère. C'est ce que nous appelons notre programme de la sécurité humaine -- un programme qui accorde
la priorité aux droits et à la protection de la personne.
Voilà déjà quatre ans que nous nous employons à promouvoir les objectifs de ce programme, car nous croyons
que nous sommes confrontés aujourd'hui à une nouvelle réalité troublante, c'est-à-dire à une tendance à
exposer de plus en plus les populations civiles aux dangers que je viens d'évoquer, et ce, à l'échelle mondiale.
Le caractère prioritaire donné à la sécurité humaine met en lumière le fait que la théorie et la pratique des
relations internationales subissent présentement une profonde transformation.
Nous nous employons aussi à favoriser le développement d'une nouvelle coalition des forces politiques en vue
d'assurer le respect des traités internationaux déjà en place et de faire adopter de nouvelles conventions pour
contrer les nouvelles menaces qui surgissent. Cette coalition unique en son genre est composée de
gouvernements, d'organisations non gouvernementales [ONG] et d'experts qui unissent leurs efforts pour
affirmer ensemble que la protection de l'individu est une condition essentielle à la réalisation de la paix et de la
sécurité dans le monde.
À mon avis, la menace qui pèse sur la sécurité humaine est l'un des problèmes les plus graves qui se posent à
la communauté internationale à l'aube de ce nouveau siècle. Or, je suis fermement convaincu que le Canada a
un rôle tout à fait particulier à jouer dans la recherche de solutions à ce problème. Nous sommes une société
affluente, très marquée par la diversité. Nous n'avons aucune ambition territoriale et aucun ennemi naturel. Et
surtout, nous avons appliqué avec succès un programme de sécurité humaine à l'intérieur de nos propres
frontières. Donc, si je joue un peu les trouble-fête, si je vous pousse dans une direction qui ne vous sourit
guère à prime abord, eh bien, comme le dit la chanson de South Park : « Blâmez le Canada! »
En raison de la nature même des conflits modernes, il a fallu axer de plus en plus les préoccupations relatives
à la sécurité sur le coût humain de la violence. En l'occurrence, la pratique a pris le pas sur la théorie. La
campagne en vue d'interdire les mines terrestres et les démarches qui ont mené à la mise sur pied de la Cour
criminelle internationale ont démontré la puissance d'une approche de la sécurité centrée sur la personne
humaine. Les mines terrestres représentent une menace bien plus grande pour la sécurité des gens que pour
le bien-être des États. Elles ne contribuent guère à la sécurité des États mais elles ont un impact dévastateur
sur les efforts faits par les gens pour refaire des vies dévastées par la guerre. La Convention d'Ottawa interdit
l'utilisation de ces armes qui frappent sans discernement. Elle a empêché la pose d'innombrables nouvelles
mines, elle a contribué à la destruction de millions d'engins stockés dans les arsenaux à travers le monde et
elle a favorisé l'enlèvement d'une multitude de mines déjà enfouies dans le sol.
Pour sa part, la Cour criminelle internationale, qui a été créée à Rome sous la présidence du Canada, tient les
auteurs d'atrocités responsables de leurs actes et promet d'empêcher que se commettent à l'avenir des abus à
l'endroit de civils sans défense. Elle est la première grande institution internationale à être mise sur pied dans
le but de combattre les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. À ce titre, elle est une
étape décisive vers la responsabilisation des auteurs de ces méfaits devant la communauté des peuples.
Permettez-moi de prendre quelques instants pour saluer la contribution de deux Vermontois à ce mouvement
en faveur de la sécurité humaine. Le sénateur Patrick Leahy a été un grand allié dans la campagne en vue
d'interdire les mines terrestres et il continue de militer ferme à Washington en faveur de la ratification de la
Convention d'Ottawa. Quant à Jody Williams, lauréate du prix Nobel de la paix, elle est la preuve vivante de la
force que revêt cette nouvelle forme de diplomatie, qui allie des concepts très puissants à un travail inlassable
de persuasion, à des activités de promotion publique et à la création de partenariats avec la société civile, et
qui s'est révélée un instrument remarquablement efficace pour faire évoluer les priorités des gouvernements et
promouvoir la sécurité humaine.
En privilégiant l'être humain plutôt que de se concentrer exclusivement sur la sécurité du territoire ou sur les
gouvernements, ces deux animateurs affirment la nécessité de mettre les gens sur le même pied que les États
dans les relations internationales.
Cette notion n'est pas sans en inquiéter certains, mais elle ne le devrait pas. La sécurité humaine ne remplace
pas la sécurité nationale -- bien au contraire. En effet, les États démocratiques tolérants qui sont dotés
d'institutions ouvertes renforcent la sécurité humaine de leurs citoyens et, par là, leur propre souveraineté. Et
même plus, l'État reste l'instrument le plus puissant d'action collective pour la défense de la sécurité humaine.
Certains voient dans la défense de la sécurité humaine une remise en question directe des droits souverains
des États. Mais l'intervention qui vise à protéger les gens qui souffrent n'est pas une attaque directe contre la
souveraineté. Pour qu'une telle action puisse même être envisagée, il faut qu'un État se refuse à protéger ses
citoyens ou en soit incapable. Dans un tel cas, ou bien cet État s'est effondré, ou bien il a failli à ses devoirs
envers ses citoyens. Le seul but que doit alors poursuivre la communauté internationale est de mettre fin aux
souffrances massives de la population civile. C'est de cette façon que nous pouvons assurer la souveraineté
de l'État à long terme.
On pardonnera aisément aux victimes du colonialisme et d'autres formes d'intervention externe de se montrer
sceptiques. Pour ces gens-là, intervention est devenu synonyme d'intrusion. Pourtant, l'une n'attire pas
forcément l'autre. Prévenir les abus, mettre fin aux atrocités et gérer les conséquences de la guerre sont des
enjeux qui concernent aussi les États démocratiques, car ils ont un impact sur leur propre situation et, cela va
sans dire, sur la stabilité du monde qui les entoure.
Cette question ne se prête pas à des solutions faciles. Elle nous confronte tous à de sérieux défis, que nous
appartenions au secteur public, au milieu universitaire, à la société civile ou au monde des médias. Elle n'en
commande pas moins notre examen attentif, car elle a, en ce début de siècle, une incidence déterminante sur
le contenu et l'orientation des priorités de la communauté internationale. Nous devons tous prendre part à ce
débat -- à Ottawa, à Middlebury et sur les ondes de CNN.
Comme l'a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, le mot intervention a un sens plus
bénin. Nous applaudissons tous le policier qui intervient pour arrêter une bagarre ou l'enseignant qui empêche
les plus grands de bousculer les plus petits. Et la médecine utilise le mot intervention pour décrire l'action du
chirurgien qui sauve des vies en intervenant pour enlever une tumeur maligne ou pour réparer des organes. Le
sens des interventions destinées à mettre fin à la souffrance est tout aussi large.
L'intervention humanitaire ne se résume pas aux actions coercitives. Les mesures préventives et non
coercitives sont souvent le meilleur moyen, et certainement le plus souhaitable, d'assurer la sécurité des gens.
Je parle ici des efforts de médiation destinés à mettre fin aux tensions ou aux conflits dès le début, avant qu'ils
ne fassent des victimes parmi les civils. Ce sont là des initiatives que le Canada a prises à l'ONU et dans
d'autres instances internationales. Les efforts déployés pour instaurer la confiance, promouvoir la saine gestion
des affaires publiques, renforcer les institutions démocratiques et favoriser la diplomatie préventive sont des
formes légitimes d'intervention, qu'il faut épuiser avant d'envisager des mesures de police.
Une action préventive et non coercitive ne peut réussir, toutefois, que si l'on dispose assez tôt d'une
information adéquate et crédible au sujet de la menace qui pèse sur les droits des gens. Et ces droits ne
peuvent être protégés que s'il existe, au sein des instances multilatérales, la volonté politique nécessaire pour
agir.
Pour mobiliser cette volonté politique, il faut que les objectifs et les méthodes de l'intervention humanitaire
rallient de larges appuis. Or, nous sommes à cet égard à une croisée des chemins. Tous reconnaissent la
nécessité de protéger les gens, mais on s'entend moins sur les moyens à employer. Cette indécision a eu des
conséquences tragiques, comme on l'a vu au Rwanda.
Le Canada entend mettre l'accent sur la sécurité humaine à l'ONU lorsqu'il assumera la présidence du Conseil
de sécurité en avril. Nous entendons aussi donner suite au rapport historique du Secrétaire général au Conseil
de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, que le Canada a demandé de produire et qui a
déjà eu pour effet, pour la première fois, de confier au personnel du maintien de la paix la tâche de protéger les
populations civiles en Sierra Leone. Le Canada examinera aussi, entre autres questions, l'application efficace
des sanctions et la situation des femmes en Afghanistan. Tout ceci s'inscrit dans nos efforts pour élargir la
définition de la sécurité au Conseil de sécurité.
Pour calmer les craintes de certains États à cet égard, il serait utile de préciser les divers paliers ou degrés
d'action. Il serait également utile de clarifier ce qu'on entend par intervention et de définir ce qui constitue une
réponse appropriée.
Tout d'abord, entendons-nous bien. Si la prévention échoue et qu'il devient clair qu'une intervention militaire
s'impose, alors il faut que la barre soit haute. Il ne s'agit pas de recourir à des mesures coercitives chaque fois
que se produisent des violations mineures des droits humains, car il existe d'autres façons de sanctionner de
tels écarts. Quand je parle d'intervention par la force, c'est dans le but de prévenir ou d'arrêter des souffrances
humaines sur une grande échelle. L'intervention militaire à des fins humanitaires n'est justifiée que dans des
cas extrêmes -- génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et violations massives et systématiques
des droits de la personne et du droit humanitaire.
Dans un premier temps, il faudrait d'abord faire appel à des intervenants appropriés sur place, par exemple les
représentants diplomatiques et les ONG intéressées, pour empêcher une escalade des tension ou des
combats.
On ne saurait passer sous silence l'impact du secteur non gouvernemental dans ce contexte. Nous collaborons
déjà avec les entreprises canadiennes pour les aider à composer avec les situations épineuses auxquelles
elles sont parfois confrontées à l'étranger en ce qui a trait au respect des droits de la personne. Nous espérons
qu'en adoptant des codes de conduite volontaires, ces entreprises pourront faire la promotion des valeurs et
des politiques canadiennes et user de leur influence auprès des belligérants pour assurer le respect des droits
et la sécurité de la population lors de conflits armés.
Mais il y a aussi un côté plus sinistre des pratiques commerciales dans les zones de conflit. Je parle ici des
fournisseurs de la nouvelle économie de la guerre -- entre autres, les marchands d'armes et les négociants de
diamants qui font fi des sanctions et qui prolongent les conflits. En Angola, comme le confirme un audacieux
rapport que viennent de produire des experts indépendants, ces acteurs non étatiques ont facilité la guerre et
détruit un accord de paix qui était le fruit de longues négociations. Le Canada, qui préside le comité du Conseil
de sécurité sur les sanctions en Angola, saisira le Conseil de cette question durant sa présidence en avril et
proposera des mesures de fond pour mettre fin à ces pratiques. Les mêmes critères doivent s'appliquer à
d'autres activités criminelles -- aux blanchisseurs d'argent et aux narcotraficants, et à ceux qui vendent des
précurseurs chimiques pour la production de narcotiques.
Bref, nous croyons qu'il y a un éventail d'options à explorer et de ressources à mobiliser. Pour pouvoir utiliser
ces options efficacement, toutefois, il faut amener de nombreuses institutions internationales à s'adapter. C'est
ce que fait le Canada en intégrant la dimension humaine dans les travaux du G-8, de l'OEA [Organisation des
États américains], de l'OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] et de l'ONU.
Si ces démarches diplomatiques échouent et que les initiatives de prévention sont rejetées, c'est alors que la
communauté internationale doit envisager des mesures multilatérales d'intervention coercitive. Comme je l'ai
dit plus tôt, l'intervention militaire n'est pas une option facile et il ne faut pas y recourir à la légère, mais c'est
une solution qu'on devrait toujours garder en réserve. Pour y parvenir, il faut renforcer les lois et les pratiques,
mobiliser la volonté politique et développer les capacités militaires et civiles nécessaires.
Cette question devrait faire l'objet d'un examen international sérieux, un examen qui engage la communauté
internationale à un haut niveau, comme l'a fait la Commission Brundtland dans le domaine de l'environnement.
À cet égard, les États-Unis, avec tous les moyens dont ils disposent, ont un rôle important à jouer.
Agir unilatéralement ne sert les intérêts de personne. Permettez-moi de retourner un moment aux années
1960, et à mon affirmation selon laquelle le fait d'avoir plus de pouvoir ne signifie pas qu'on a plus de droits. Si
les grandes puissances se placent au-dessus des normes et des conventions internationales et que, dans la
conduite de leur politique étrangère, elles passent outre aux instances internationales indispensables, la
sécurité humaine s'en trouve affaiblie.
En favorisant la protection des populations d'autres pays contre les conflits et les abus, et en appuyant des
institutions multilatérales vitales, les États-Unis accroîtront leur sécurité nationale et la sécurité de leurs
citoyens sur leur propre sol et à l'étranger.
Les États-Unis ne peuvent toutefois partir du principe qu'ils sont au-dessus des lois parce qu'ils sont une
superpuissance. Ils doivent utiliser leur influence considérable pour aider à mettre en place le droit, les
pratiques et les institutions nécessaires au niveau international pour assurer un leadership réel au regard de
cet enjeu crucial et marquant de notre époque.
La sécurité humaine et la protection des êtres humains qui se trouvent dans des situations de conflit nous
interpellent tous. J'ai récemment lu le livre de Peter Gourevitch dans lequel il décrit son séjour au Rwanda. Il y
raconte que des jeunes filles hutues dans un couvent ont refusé d'abandonner leurs amies tutsies, même
après que les génocidaires leur en aient donné l'ordre. S'il y a une leçon à tirer aujourd'hui, c'est bien celle-ci.
Si des jeunes femmes sans défense peuvent tenir tête à des hommes armés de machettes et de fusils pour
sauver la vie de leurs amies, la communauté internationale se doit à tout le moins d'en faire autant. Sinon,
comment ceux qui sont le plus durement touchés par les conflits pourront-ils croire qu'il existe bel et bien une
communauté internationale prête à protéger la dignité humaine la plus fondamentale?
Je vous remercie.