M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA RÉUNION DU CONSEIL DE L'ATLANTIQUE NORD - FLORENCE, ITALIE
2000/25 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA RÉUNION DU CONSEIL DE L'ATLANTIQUE NORD
FLORENCE, Italie
Le 24 mai 2000
(16 h 30 HAE)
J'aimerais d'abord, monsieur le Secrétaire général, remercier notre hôte, le ministre des Affaires étrangères de
l'Italie, M. Lamberto Dini, pour l'excellence des arrangements qu'il a pris pour nous. Florence nous offre un
cadre spectaculaire, propice à des délibérations fructueuses. L'art et l'histoire, indissociables de cette ville
magnifique, témoignent des réalisations et du potentiel de l'esprit humain. Ils nous rappellent les raisons
fondamentales qui nous ont incités à former une Alliance et les valeurs que nous nous efforçons de protéger.
Parmi ces raisons, la sécurité individuelle, qui permet à l'esprit humain de s'épanouir, figure, bien sûr, à la toute
première place.
Les Balkans
Nos efforts collectifs dans les Balkans reflètent notre volonté de garantir la sécurité des habitants de la région,
quelle que soit leur origine ethnique.
Tout d'abord, le Canada condamne l'intensification de la répression dans la République fédérale de
Yougoslavie. Des médias indépendants ont dû cesser leurs activités, des manifestants pacifiques ont été
battus et des activistes de l'organisation étudiante OTPOR ont été arrêtés -- parce qu'ils avaient exprimé leur
désir de voir un changement démocratique se produire dans leur pays, ce qui est un crime là-bas. Il s'agit de
signes indiquant clairement l'état de plus en plus désespéré dans lequel se trouve ce régime politique dirigé par
un criminel de guerre formellement accusé, qui ne montre que du mépris à l'égard des souhaits de son peuple.
Ces mesures, qui visaient à maintenir en place les autorités en réprimant le droit inaliénable du peuple à la
liberté d'expression, ont au contraire cristallisé le désir des Serbes pour un changement démocratique et
pacifique. Slobodan Milosevic devrait écouter ce que son peuple a à dire, cesser sa campagne de répression
et se présenter devant le Tribunal de La Haye.
Nous avons remporté quelques succès notables au cours de l'année écoulée : le retour chez eux de centaines
de milliers de Kosovars déplacés, un plus grand pluralisme politique tant à l'intérieur de la Fédération que dans
la Republika Srpska, le renforcement de partis modérés et l'arrestation de grands criminels de guerre
formellement accusés. Cependant, il reste beaucoup à faire. La violence persiste au Kosovo. Nous sommes
très préoccupés par les actions d'extrémistes de part et d'autre du clivage ethnique qui cherchent à perpétuer
le conflit et à servir leurs propres intérêts égoïstes. L'Alliance doit adresser un message clair et énergique à ces
extrémistes. Leurs actions ne réussiront pas à affaiblir le soutien international à l'égard du Kosovo, mais
obligeront la KFOR [Force de maintien de la paix de l'OTAN au Kosovo] et l'UNMIK [Mission d'administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo] à prendre des mesures décisives à leur encontre.
Nous devons adresser un message similaire à la Bosnie où, presque cinq ans après la signature des accords
de Dayton, l'obstructionnisme et l'extrémisme des tenants de la ligne dure qui s'opposent à la mise en œuvre
de l'Accord de paix de Dayton, notamment en résistant au retour des réfugiés, en ne se comportant pas de
façon responsable à l'égard de leurs propres citoyens et en perpétuant un système économique qui favorise la
corruption, continuent d'empêcher le pays de se développer. Cependant, certains faits récents sont positifs.
Les élections municipales qui viennent d'avoir lieu en Bosnie ont porté à la tête de nombreuses localités de
nouveaux dirigeants décidés à servir tous leurs concitoyens de manière juste et équitable. Il y a de bonnes
chances que les élections générales de l'automne prochain soit l'occasion de poursuivre le renouvellement du
leadership bosniaque.
Toutefois, la communauté internationale ne doit pas relâcher ni son attention ni son engagement. La SFOR
[Force de stabilisation] doit poursuivre sa mission face au crime organisé, à la corruption et aux rivalités
ethniques. Son appui continu, qui encourage les minorités à rentrer chez elles, est essentiel pour que la paix
s'installe durablement et qu'elle n'ait plus besoin d'un soutien extérieur. Nous devons continuer de faire tout
notre possible pour que se poursuivent les arrestations des criminels de guerre formellement accusés. Il est
clair, à voir l'absence de réactions négatives à l'arrestation de Momcilo Krajisnik, que la population bosniaque
elle-même est heureuse de se débarrasser des pires éléments des collectivités qui la composent. En tenant
compte des événements positifs de ces derniers temps en Croatie, nous avons là une occasion de démontrer
en Bosnie ce que l'on peut faire ailleurs dans la région, par des efforts persistants, patients et concertés.
Le Canada, pour sa part, maintiendra l'engagement pris il y a une dizaine d'années d'aider les populations des
Balkans à établir une paix durable et autonome dans toute la région. En Bosnie et en Herzégovine, les forces
canadiennes sont sur le point de prendre le commandement de la Division multinationale pour le Sud-Ouest, en
partenariat avec ses alliés britanniques et néerlandais. Notre présence militaire sur place sera portée à environ
1 800 soldats d'ici octobre. Au Kosovo, nous fournissons actuellement 130 policiers à l'UNMIK, ainsi que des
agents de correction et des instructeurs de police afin d'aider à relever le défi continu de la sécurité publique
dans la province. Parallèlement, nous offrons des compétences en matière de droits de la personne et de
déminage ainsi qu'une aide au développement pour faciliter l'instauration d'un climat sûr et démocratique dans
un Kosovo multiethnique.
Examen des politiques de l'OTAN en matière de non-prolifération, de contrôle des armements et de
désarmement
Aujourd'hui, mes commentaires porteront plus particulièrement sur la contribution de l'Alliance au désarmement
et au contrôle des armements, sur la défense nationale antimissiles [DNA] et sur l'Identité européenne de
sécurité et de défense [IESD]. Bien que le nouvel élargissement de l'Alliance m'importe, je traiterai de cette
question demain.
La Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération nucléaire [TNP] a fait des progrès très
encourageants la semaine dernière à New York. Nous nous y sommes tous engagés à faire le nécessaire pour
appliquer le Traité. Les États dotés de l'arme nucléaire ont pris des engagements spéciaux, mais nous avons
tous des obligations à honorer.
L'OTAN est la plus grande alliance de sécurité au monde et, à ce titre, nous avons un rôle de leader à jouer
pour faire en sorte que se matérialise le potentiel généré à New York. Notre examen permanent des politiques
de non-prolifération, de contrôle des armements et de désarmement de l'OTAN devrait nous tracer la voie à ce
chapitre. Par dessus-tout, nous saluons l'engagement non équivoque des États dotés de l'arme nucléaire à
éliminer leurs arsenaux nucléaires. Cela devrait être notre objectif premier.
Nous devons néanmoins nous demander ce que les membres de l'Alliance peuvent faire pour aider à
concrétiser cette décision. Le document de clôture de la Conférence renferme un certain nombre de mesures
pratiques à l'intention des États dotés de l'arme nucléaire, notamment :
• déployer des efforts en vue de réduire unilatéralement les arsenaux nucléaires;
• rendre leurs capacités nucléaires plus transparentes;
• procéder à de nouvelles réductions des armes nucléaires non stratégiques;
• prendre des mesures concrètes pour réduire davantage le statut opérationnel des armes nucléaires;
• accorder une place moins grande aux armes nucléaires dans les politiques de sécurité,
• faire en sorte que tous les États dotés de l'arme nucléaire s'engagent vis-à-vis du processus de désarmement
nucléaire.
Nous, à l'OTAN, qui bénéficions de la protection du parapluie nucléaire avons aussi l'obligation de soutenir les
membres de l'OTAN dotés de l'arme nucléaire et de travailler avec eux à atteindre ces objectifs. Nous devons
tous rendre notre position dans le domaine nucléaire à l'OTAN cohérente avec notre position dans le domaine
de la non-prolifération et du désarmement à New York et à Genève. Nous devons examiner nos propres
énoncés de politique du point de vue de la non-prolifération et nous demander quelles autres mesures nous
pouvons prendre pour renforcer la confiance, accroître la transparence et favoriser le désarmement.
En particulier, nous devons viser à réduire la valeur politique que notre propre alliance accorde à la possession
d'armes nucléaires si nous voulons continuer à convaincre d'autres pays de ne pas acquérir d'arsenaux
nucléaires. Dans notre application du TNP et à la Conférence du désarmement, nous sommes régulièrement
confrontés à l'argument que si les armes nucléaires sont une bonne chose pour l'OTAN, elles doivent aussi
être une bonne chose pour d'autres pays.
La contradiction dans nos déclarations de politique mine la crédibilité de nos efforts en matière de
non-prolifération et de désarmement. L'an dernier, à Washington, l'Alliance a déclaré que l'importance des
armes nucléaires avait été réduite. Le présent processus d'examen devrait servir à démontrer que l'OTAN
estime que c'est effectivement le cas.
Pouvons-nous aller encore plus loin et dire que les armes nucléaires ont pour seul but d'en dissuader d'autres
d'acquérir des armes nucléaires?
Peut-on rendre les arsenaux nucléaires existants plus sûrs en recourant davantage à la levée de l'état d'alerte
et au désaccouplage?
Ne pouvons-nous pas nous montrer plus transparents quant au nombre de bombes nucléaires à chute libre
qu'il nous reste et aux endroits où elles se trouvent?
L'OTAN ne peut-elle pas procéder unilatéralement à de nouvelles réductions des bombes restantes et
demander à la Fédération de Russie de procéder parallèlement à des réductions proportionnelles?
Ne pourrions-nous pas prendre des mesures semblables pour renforcer la confiance auprès d'autres États, et
spécialement la Russie de manière à favoriser une plus grande ouverture de la part de cette dernière au sujet
de ses énormes stocks d'armes préstratégiques?
Ne pourrions-nous pas encourager une codification des engagements américano-russes de 1991-1992
concernant la réduction et le démantèlement des armes préstratégiques?
En intensifiant notre dialogue avec la Russie sur les forces nucléaires, ne pourrions-nous pas envisager un
échange limité de données sur la puissance explosive, le nombre et l'emplacement des armes nucléaires?
Cela pourrait se révéler une mesure de confiance efficace.
Ne pourrions-nous pas faire davantage avec la Russie pour partager de l'information sur une alerte avancée
concernant le lancement de missiles?
Ne pouvons-nous pas promouvoir un arrangement plus inclusif pour contrôler la prolifération de la technologie
des missiles balistiques?
Et si nous envisageons une plus grande transparence avec la Russie, qu'en est-il de la nôtre et de celle des
autres pays?
Ne devrions-nous pas préparer une nouvelle déclaration générale publique concernant les politiques de
contrôle des armements et de désarmement de l'Alliance qui vaille pour aujourd'hui et pour demain plutôt que
pour hier?
Je vous exhorte à considérer notre processus d'examen comme une occasion de se pencher sur les questions
que j'ai soulevées.
Au cours de la dernière décennie, l'OTAN a fait beaucoup pour le contrôle des armements et le désarmement.
Nous devons nous demander ce que nous allons faire dans la décennie à venir. L'issue de la Conférence
d'examen du TNP jalonne l'itinéraire que nous devons suivre. Il nous faut maintenant trouver la volonté
politique d'agir.
Défense nationale antimissiles
Un des quatre critères qu'a fixés le président Clinton pour guider une décision quant au déploiement d'un
système national de défense antimissiles est son impact sur la sécurité nationale, y compris les vues des Alliés.
Il convient donc de profiter de cette dernière réunion ministérielle de l'OTAN avant une possible décision du
Président pour discuter entre nous de la question.
La défense nationale antimissiles soulève de sérieux enjeux pour nous tous. Notre sécurité -- celle du Canada,
celle de l'Europe et celle des États-Unis -- dépend directement de la stabilité stratégique mondiale. L'élément
charnière de cette stabilité est le Traité ABM concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques. Les
discussions entre la Russie et les États-Unis se poursuivent sans guère d'espoir que les Russes soient
actuellement prêts à modifier le Traité.
Cette situation fait craindre que le Traité soit abrogé, ce qui pourrait susciter des réactions très déstabilisantes
-- en Russie et en Chine et peut-être aussi en Inde et au Pakistan. Une nouvelle course à l'armement pourrait
être déclenchée et miner la stabilité que nous en sommes tous venus à tenir pour acquise. Nous devons mettre
en balance une menace éventuelle et une menace établie et possiblement pire. C'est là un défi majeur.
Je suis encouragé de voir que les États-Unis veulent tenir compte des vues de leurs alliés au sein de l'OTAN.
Après tout, c'est notre sécurité à tous qui est en jeu. J'exhorte les États-Unis à prendre tout le temps qu'il faut
pour explorer pleinement les incidences d'une décision -- surtout unilatérale -- quant au déploiement d'un
système de défense antimissiles, pour prendre en compte toute les incidences qu'une telle décision aurait sur
le système de sécurité internationale et pour trouver une solution qui améliore la sécurité des États-Unis et
celle de tous leurs alliés au sein de l'OTAN.
Identité européenne de sécurité et de défense [IESD]
Pour ce qui est de l'IESD, je tiens à être clair. Le Canada appuie l'IESD en tant que moyen de renforcer le pilier
européen de l'OTAN. Notre préoccupation première est l'unité de l'Alliance. L'OTAN doit rester l'organisation
de premier choix pour assurer la sécurité en Europe. L'Alliance ne doit pas devenir l'organisation de dernier
recours, une sorte d'ultime police d'assurance de la sécurité européenne.
L'UE et l'OTAN doivent développer -- maintenant -- les liens institutionnels étroits qui seront essentiels pour
assurer une réaction efficace et en douceur à de futures crises. Il est particulièrement important d'assurer la
coopération et d'en venir à certaines ententes claires sur deux plans : d'abord, l'utilisation par l'UE des actifs et
des capacités de l'OTAN puis la participation d'alliés hors UE dans des opérations dirigées par l'UE. Le
Canada ne pourrait jamais consentir à des modalités qui laisseraient l'OTAN sans contrôle adéquat de
l'utilisation de ses actifs et de ses capacités. Il est également essentiel que l'UE adopte une attitude inclusive à
l'égard des alliés hors UE, reconnaissant l'enjeu de tous les alliés dans l'IESD et la gestion de crises.
À titre de membre transatlantique de l'Alliance et de participant actif aux missions dans les Balkans, le Canada
a un intérêt durable dans la sécurité européenne. J'ai écrit au ministre Gamma pour souligner la nécessité de
prendre en compte la position unique du Canada et je compte discuter de cette question avec la Présidence de
l'UE ainsi qu'au sein de l'OTAN.
Je vous remercie.