M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA 30E ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS - WINDSOR (ONTARIO)
2000/27 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA 30e ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE
L'ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS
WINDSOR (Ontario)
Le 5 juin 2000
(11 h HAE)
Nul doute que la qualité de vie s'est améliorée dans l'hémisphère au cours de la dernière décennie : les
démocraties sont plus fortes qu'avant; les économies, plus productives; les institutions, plus stables;
les sociétés, plus ouvertes.
Ce sont là des progrès encourageants, que nous devons à l'énergie et au dynamisme de personnes de
toute la région, vouées à l'amélioration de leur qualité de vie et à l'épanouissement de leur collectivité.
Mais cela ne va pas sans heurts. C'est ainsi que la mondialisation, malgré tous les avantages qu'elle
procure, pose de nouveaux défis et présente de nouveaux risques pour la sécurité et le bien-être des
personnes.
Pour certains, elle est synonyme d'incertitude, de marginalisation et d'insécurité. Pour d'autres, il s'agit
d'une source d'insatisfaction et de frustration. Or, il est évident que la conduite des affaires publiques
présente des failles et que nous devons nous pencher sur ce problème.
Le statu quo n'est pas une solution. Ni l'isolement. Ni les efforts peu judicieux pour mettre fin aux
discussions qui ont cours ici, ou partout ailleurs, dans le but de trouver des moyens constructifs et
concrets de répondre aux préoccupations de nos citoyens.
C'est ainsi que, pendant les préparatifs de l'Assemblée générale, nous nous sommes appliqués à
écouter directement la voix de nos citoyens, à faire participer la société civile à nos travaux et à
élaborer un plan d'action axé sur la promotion de la sécurité humaine et le mieux-être des personnes.
En qualité de ministres des Affaires étrangères, c'est maintenant à nous qu'il appartient d'agir. Nous
devons faire nôtres les priorités qui se rattachent à la conduite des affaires publiques. Cela veut dire
adapter - voire réinventer - nos institutions mondiales et régionales pour répondre de la façon la plus
efficace, et la plus collective, possible aux préoccupations de nos populations.
En tant que tribune de discussion et d'action régionale dans l'hémisphère, l'OEA est en première ligne.
Pour qu'elle ait un sens pour nos citoyens, il faut que leur sécurité, leurs droits et leur bien-être soient
au centre de notre programme.
Cela ne change rien à sa vocation de promouvoir et respecter la souveraineté des États membres. Au
contraire, une approche centrée sur les personnes sert à renforcer, et non à diminuer, la stabilité
nationale et la légitimité des gouvernements ouverts et démocratiques. Et comme nous l'avons vu cette
année, le rôle que joue l'OEA pour assurer la paix entre les pays reste valable.
De même, ceux qui seraient tentés d'opposer sécurité humaine et développement humain feraient bien
d'y réfléchir. S'affranchir de la peur et s'affranchir du besoin sont les deux faces d'une même médaille.
Il suffit de considérer les pays de notre région pour voir la corrélation. Il est difficile d'améliorer son PIB
lorsque les gens ont peur de marcher dans les rues à cause de la criminalité et que leur productivité
diminue à cause des drogues illicites. Il en va de même lorsque des ressources précieuses servent à
remettre à flot des vies brisées par un conflit et que, en l'absence d'institutions politiques stables, les
pays donateurs sont réticents à affecter des ressources au développement.
Pour l'OEA, le progrès de la sécurité humaine suppose une action sur trois fronts : les questions que
nous abordons, les partenariats que nous poursuivons et les méthodes que nous employons.
Une question clé est la promotion de la bonne conduite des affaires publiques - de la démocratie et du
respect des droits humains. C'est la pierre angulaire de la sécurité humaine.
La démocratie commence par des élections libres et honnêtes. Dans notre hémisphère, les nouvelles
sont généralement encourageantes. Mais il y a aussi des reculs. Le scrutin présidentiel péruvien est un
sujet qui nous préoccupe tous grandement. Si nous n'y portons pas remède, la crédibilité de
l'Organisation en souffrira sûrement.
Par l'intermédiaire de son Unité pour la promotion de la démocratie, avec son assistance et ses
missions d'observation, l'OEA joue un rôle important pour promouvoir des élections transparentes et
honnêtes.
Nous devons déployer davantage d'efforts pour que toutes les élections répondent à ce critère et pour
que tout le monde puisse jouir des avantages que procurent l'ouverture et l'honnêteté.
La bonne conduite des affaires publiques repose aussi sur le respect intégral des droits de la
personne. Notre Organisation peut et doit faire plus à ce chapitre.
Dans cette optique, nous appuyons les progrès réalisés dans les approches hémisphériques des droits
des Autochtones et des femmes, les mesures prises pour démocratiser les magistratures nationales et
pour aider à la réforme des institutions s'occupant de sécurité, ainsi que les efforts initiaux déployés
pour réviser les mécanismes interaméricains de promotion des droits humains.
Il faut cultiver ces acquis. Le Canada est déterminé à fournir des appuis et des ressources en faveur
des réformes, ainsi que pour des projets précis et pratiques de promotion des droits humains sur le
terrain - par exemple l'examen de la création d'un réseau d'institutions nationales s'occupant des droits de la
personne et un appui soutenu aux commissions nationales des droits de la personne. Il est en outre résolu à
examiner, en coopération avec les gouvernements provinciaux et territoriaux canadiens, les options en
ce qui concerne la ratification de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.
Or, la sécurité humaine ne dépend pas seulement des mécanismes qui la renforcent, mais aussi de
l'action menée contre les forces qui l'affaiblissent.
Les conflits armés entre États ou à l'intérieur des États posent une menace grave et directe à la
sécurité de nos populations. Nos efforts collectifs concernant les outils de la guerre - l'interdiction des
mines antipersonnel et l'adoption de meilleures mesures de contrôle du commerce illicite des armes
légères militaires - servent à renforcer la sécurité de nos citoyens tout en donnant l'exemple au monde.
Je me réjouis de la décision de l'Assemblée générale d'adopter une résolution aux termes de laquelle le
Comité de la sécurité dans l'hémisphère sera mandaté pour rédiger, en prélude à la Conférence des
Nations Unies de 2001, une déclaration sur le transfert responsable des armes légères et des armes
portables dans la région.
Nous devons maintenant nous montrer aussi vigilant pour aider ceux, et en particulier les enfants, qui
sont touchés par les conflits armés. À cet égard, je trouve fort encourageante la décision que nous
allons prendre ici de faire avancer les efforts hémisphériques et d'appuyer les préparatifs en cours en
vue de la Conférence mondiale sur les enfants touchés par la guerre, qui aura lieu à Winnipeg cet
automne. À cette fin, nous avons fait circuler un projet de cadre d'action international en 11 points sur
les enfants touchés par la guerre. Nous espérons qu'il conduira à une prise de décision à l'occasion de
la Conférence. Permettez-moi de profiter de l'occasion pour vous inviter tous à participer à ces assises.
Nous avons l'occasion d'être des chefs de file mondiaux lorsqu'il s'agit d'exiger des comptes de ceux
qui commettent les violations les plus graves du droit humanitaire et les pires crimes contre l'humanité.
Tout comme nous avons mené le reste du monde dans la campagne contre les mines antipersonnel,
soyons maintenant les premiers à mettre fin à l'impunité des auteurs de crimes de guerre et la première
région dont les membres auront signé et ratifié le statut de la Cour pénale internationale.
Les conflits armés et leurs conséquences ne sont pas la seule source d'insécurité humaine dans notre
région. D'autres menaces - le trafic des stupéfiants, la criminalité et la corruption - menacent aussi
directement la sécurité de nos citoyens.
La dimension transnationale de ces mesures exige des solutions coopératives et régionales. Nos
efforts collectifs pour lutter contre le trafic des stupéfiants dans le cadre de la CICAD - et en particulier
la création du Mécanisme multilatéral d'évaluation - et le Dialogue hémisphérique sur les drogues sont
prometteurs. Nous devons maintenant conserver la vitesse acquise par ces initiatives.
L'avancement de la sécurité humaine nécessite aussi la coopération et la participation les plus larges
possibles en vue d'atteindre des buts communs.
Pour cette raison, j'ai invité les dirigeants de la BID, de l'OPS, de la Banque mondiale et de la CEPALC à
se joindre au Secrétaire général Gaviria et aux ministres des Affaires étrangères pour le dialogue privé
qui a eu lieu hier sur les thèmes du Sommet.
La participation des parlementaires, par la voie du Forum interparlementaire des Amériques, est une
autre étape importante. À cet égard, je salue la participation de Bill Graham, président du comité
parlementaire canadien des affaires étrangères et du commerce international, qui prendra la parole en
séance plénière sur cette initiative.
La pleine participation de la société civile est aussi essentielle pour que nos institutions
hémisphériques soient davantage conformes à la réalité. Les ONG, avec leurs points de vue, leur
expertise et leurs ressources, peuvent jouer un rôle important pour réaliser les buts communs et
assurer la vitalité future de notre organisation.
Je crois que nous comprenons cela. La participation continue de la société civile aux travaux de l'OEA,
la présence de représentants de la société civile ici à Windsor et le symposium des ONG - soutenu par
l'OEA et le Canada - qui se déroule en marge de l'Assemblée générale, témoignent du sérieux avec
lequel nous accueillons leurs avis.
Il faut aussi mettre à contribution le secteur privé. La mondialisation attire l'attention sur les
conséquences - positives et négatives - de l'activité des entreprises.
Les gens d'affaires contribuent au développement économique et peuvent jouer un rôle constructif
pour promouvoir les droits de la personne, le développement démocratique, la prévention des conflits,
la protection de l'environnement et la protection civile en cas de catastrophe. En revanche, certaines
activités commerciales risquent de compromettre la sécurité des collectivités où elles sont menées.
La résolution que nous allons adopter ici est une première étape importante à franchir pour aborder la
question de la responsabilité sociale des entreprises, sujet que le Canada entend poursuivre
vigoureusement au cours des prochains mois.
Enfin, nous devons être créatifs dans le choix des outils que nous utilisons pour promouvoir la sécurité
humaine.
À cet égard, il est essentiel de revitaliser les institutions de l'Organisation et d'apporter une solution
durable au problème de sa santé financière.
Les conventions juridiques, comme la Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic
illicites des armes à feu, munitions, explosifs et autres matériels connexes ou la Convention
interaméricaine contre la corruption ainsi que d'autres formes plus traditionnelles d'action collective,
ont certes leur utilité.
Mais il faut accorder plus d'attention au potentiel que recèlent les nouveaux outils, comme les
technologies de l'information, pour la promotion de nos objectifs en matière de sécurité humaine, et les
exploiter avec plus d'imagination.
Nous connaissons tous l'explosion des cyberentreprises, du commerce électronique et des réseaux
intégrés à des fins commerciales et lucratives est bien connue. Il faut trouver un élan créateur
équivalent pour utiliser cette technologie en vue du bien commun.
C'est dans ce contexte que le Canada lance une version hémisphérique du Service d'information virtuel du
Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies - il s'agira d'un projet sur Internet destiné à
améliorer les communications électroniques entre les organismes gouvernementaux, les ONG et les autres
groupes qui s'occupent de prévention, ainsi que du traitement et de la réadaptation des usagers de la drogue.
Le Canada finance également un projet pilote de coopération avec des ONG locales pour fournir aux
enfants de la rue, en Équateur et en Colombie, une éducation parallèle et informelle sous forme de
formation aux technologies de l'information et des communications.
Mais ce ne sont là que deux modestes exemples. Bien sûr, pour appliquer largement ces progrès
technologiques, il faudra des ressources, de l'énergie et de l'engagement. Mais il en coûterait encore
plus cher de les négliger.
Nous pouvons ne pas juger tout à fait justifiées les plaintes des protestataires à cette assemblée. En
fait, c'est probablement une des conférences internationales les plus inclusives qui aient eu lieu depuis
longtemps.
Cependant, leur présence est un signal d'alarme, un signal que de nouvelles préoccupations, de
nouveaux défis et de nouveaux risques, centrés sur la sécurité des personnes, sont en train de se faire
jour.
Nous devons mettre la sécurité des personnes au centre de nos activités, dans les questions que nous
abordons, dans les partenariats que nous poursuivons, et dans les méthodes que nous employons.
Cette façon de faire contribuera à placer l'OEA sur une base plus sûre et plus valable pour l'avenir.
Nous aurons ainsi une organisation capable de faire face aux défis du nouveau siècle et non figée dans
les préoccupations désuètes de l'ancien. J'anticipe avec intérêt vos opinions et notre discussion.
Je vous remercie.