NOTES POUR UNE ALLOCUTIONDEL'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,AU FORUM INTERAMÉRICAIN SOL LINOWITZ
2000/28 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU FORUM INTERAMÉRICAIN SOL LINOWITZ
WASHINGTON, D.C.
Le 15 juin 2000
(20 h HAE)
Le Canada est membre de l'Organisation des États américains [OEA] depuis maintenant 10 ans, et il est
également un membre actif de la communauté interaméricaine.
Pour marquer cette date anniversaire, un certain nombre d'événements majeurs de portée hémisphérique ont
été ou vont être organisés sur le territoire canadien : les jeux panaméricains, l'été dernier, la réunion des
ministres du Commerce des États de l'hémisphère occidental et des femmes des dirigeants de ces États,
l'automne dernier, et le Sommet des Amériques, qui aura lieu à Québec en avril prochain.
La plus récente de ces célébrations a été l'Assemblée générale de l'OEA, qui s'est tenue à Windsor il y a un
peu moins de deux semaines. Elle a suscité un plus grand intérêt de la part des médias, parce qu'un certain
nombre de manifestants ont menacé d'en faire un autre Seattle, et que les ministres des Affaires étrangères
ont dû discuter âprement de la question de la démocratie au Pérou -- qui était le « point chaud » à l'ordre du
jour.
Pour ces deux raisons, Windsor a attiré l'attention; il s'agissait d'un événement d'importance qui devait
permettre de passer en revue l'état de l'hémisphère occidental, et en particulier de l'OEA, principale institution
représentant cette région.
Les spécialistes de l'hémisphère occidental vont peut-être trouver que les événements récents ne sont ni très
révélateurs ni très instructifs -- nous sommes déjà passés par là. Mais, pour les Canadiens, Windsor ne
représentait pas seulement une célébration, mais également un aboutissement -- tant pour nous que, selon
moi, pour les institutions et les intervenants qui nous sont proches. J'espère que les résultats de cette
assemblée vont nous permettre de faire un grand pas en avant.
Permettez-moi de parler tout d'abord du Pérou. Nous connaissons tous les problèmes de ce pays, étant donné
les sévères critiques qu'a émises la mission de l'OEA (conduite par Eduardo Stein) à propos des graves
irrégularités qui ont marqué le processus électoral, du retrait du candidat de l'opposition, des personnes
affirmant que les élections ont été truquées -- en fait, à propos de l'avenir de la démocratie dans ce pays.
Mais cette élection n'est pas lourde de signification uniquement pour le Pérou. Depuis les jours glorieux du
début des années 1990, époque où la démocratie était florissante, et où l'OEA jouait le rôle d'agent du
changement (notamment par l'application de la résolution 1080), les choses ont évolué de façon moins
encourageante : centralisation accrue du pouvoir, justice moins indépendante, érosion de la primauté du droit,
perte de contrôle du gouvernement (qui a généré un climat de violence et d'instabilité).
De toute évidence, l'élection au Pérou est tout à fait symbolique de la nécessité de renforcer la démocratie
dans la région.
Il fallait donc que l'OEA prenne des mesures à la fois fermes et novatrices.
Malheureusement, la situation du Pérou ne correspond pas aux critères stricts justifiant l'application de la
résolution 1080, qui s'assortit de graves sanctions régionales (la constitution péruvienne n'ayant pas vraiment
été violée). Étant donné que le Pérou est en outre fermement opposé à toute ingérence étrangère dans ses
affaires, il est difficile de définir la réaction appropriée -- en particulier pour ceux qui s'inquiètent de l'état de la
démocratie dans la région.
Après de nombreuses heures de débat et de nombreuses conversations de corridor, les ministres des Affaires
étrangères se sont entendus pour envoyer au Pérou une mission composée de hauts fonctionnaires. Je me
rendrai au Pérou en compagnie du secrétaire général, M. Gaviria, du 27 au 30 juin. Il s'agit là d'une décision
importante -- qui fait fi de la tradition et témoigne du rôle différent qu'entend jouer l'OEA en tant que
représentante de la volonté collective des pays membres.
Ce n'est pas une mission chargée d'observer le processus électoral -- ou de gérer certaines répercussions de
l'élection elle-même.
Le mandat qui a été confié à M. Gaviria et à moi-même consiste à examiner les options et à faire des
recommandations visant à renforcer la démocratie dans ce pays -- en particulier le processus électoral, les
pouvoirs des tribunaux judiciaires et constitutionnels, et la liberté de la presse.
En fait, on demande à cette mission d'aller au-delà des rouages électoraux et d'examiner de quelle façon on
peut appuyer la démocratisation -- en protégeant les droits de la population contre l'usage arbitraire et injuste
du pouvoir par le gouvernement.
Soyons clairs. Il ne faut pas s'attendre à une résolution rapide ou facile des problèmes actuels. La mise en
place des bases de la démocratie est une tâche à la fois longue et ardue, qui nécessite de l'attention et des
ressources, au Pérou comme ailleurs.
Pourtant, le mandat a été défini et un précédent a été établi, ce qui permet à l'OEA (et, par son intermédiaire, à
d'autres organismes interaméricains) de promouvoir l'instauration à l'échelle locale et nationale d'un processus
démocratique essentiel au processus électoral.
Cette vocation démocratique définit de nouvelles priorités pour les institutions et groupes très différents qui
composent l'OEA, par exemple l'Unité pour la promotion de la démocratie, la Commission interaméricaine des
droits de l'homme, l'Institut indianiste interaméricain, la Banque interaméricaine de développement et d'autres.
À ceux dont les critiques et les commentaires n'étaient pas pertinents, je rappelle que cette mission ne vise pas
à imposer des punitions ou des sanctions après coup, mais à investir dans l'avenir, pour le Pérou et pour la
région.
Elle constitue en fait pour l'OEA (et ses États membres) une étape de plus vers la prise en charge du
processus de démocratisation.
Cette évolution est reflétée par d'autres décisions prises et d'autres discussions engagées par les personnes
présentes à Windsor, qui ont, dans le même temps, réfuté les théories des manifestants selon lesquelles il
s'agissait simplement d'une autre rencontre internationale des dirigeants d'entreprise de la planète et de leurs
exécutants.
Premièrement, en adoptant une attitude proactive, l'OEA a invité tous les intervenants à participer à ses
travaux.
Les réunions ont été télévisées et les participants n'avaient rien à cacher.
Quelque 70 organisations non gouvernementales [ONG] ont été acceptées et inscrites, ont organisé leurs
propres tribunes et échangé des points de vue avec le secrétaire général et le président de l'assemblée
générale.
Les jeunes ont participé, puisque 450 jeunes composant l'Assemblée modèle de l'OEA ont remis une
déclaration à l'assemblée officielle.
Pour la première fois, on a permis aux parlementaires de siéger directement -- et ils vont tenir la première
réunion du Forum parlementaire interaméricain de l'OEA au début de l'année prochaine.
Par ailleurs, dans le cadre de la planification du Sommet de Québec, nous avons invité tous les dirigeants des
autres principaux organismes interaméricains à participer, en compagnie des ministres des Affaires étrangères,
à une discussion en après-midi consacrée à l'interaction entre l'économie, les investissements, la gestion
publique et les droits de la personne.
Elle est loin, l'époque où l'OEA fonctionnait en vase clos. Aujourd'hui, elle est indubitablement ouverte sur
l'extérieur. Il reste bien sûr du chemin à faire, mais nous sommes sur la bonne voie.
Le produit, les résultats et les décisions sont aussi importants que le processus.
Nous avons accordé la priorité absolue à la sécurité des personnes -- en cherchant à penser non plus
uniquement à l'État-nation, mais à la population qui le compose -- et nous nous sommes attaqués à des
menaces comme le trafic de stupéfiants, la corruption, les mines terrestres, le commerce des armes légères --
tous ces éléments corrosifs qui mettent directement en péril la sécurité des populations, ainsi que l'avenir et le
tissu même des sociétés de l'hémisphère occidental.
Il faut d'ailleurs reconnaître que l'OEA est devenu un chef de file dans ces domaines, en partageant et en
élaborant diverses initiatives, en rédigeant les conventions appropriées, en prenant des mesures concrètes --
par exemple en ce qui concerne le trafic et l'abus de drogues illicites -- en renforçant les pouvoirs de la CICAD
[Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues] et en mettant en place le Mécanisme
d'évaluation multilatéral qui permet aux pays de la région de coopérer pour évaluer les progrès réalisés dans la
lutte contre ce fléau.
Ces efforts permettront à l'ensemble de la région de satisfaire aux exigences relatives à la sécurité de la
population ce qui, à terme ne peut que servir les intérêts de la démocratie. Le professeur Max Cameron de
l'Université de la Colombie-Britannique a d'ailleurs dit à ce sujet que « la sécurité humaine est essentielle à
l'évolution de la démocratie. S'ils ne se sentent pas en sécurité, les gens sont moins susceptibles de se soucier
des institutions démocratiques ».
Lors de l'Assemblée tenue à Windsor, les ministres des Affaires étrangères ont adopté une approche directe,
similaire à celle qu'on a utilisée dans le cas de la sécurité, pour examiner les rapports entre le progrès
commercial et l'avancement social.
Les ministres n'ont absolument pas souscrit à l'opinion des plus radicaux selon lesquels le commerce n'apporte
rien de bon à la population. En fait, on estime que les échanges commerciaux peuvent être intéressants pour
les pays en développement, pour autant que les avantages et les profits qu'ils apportent soient partagés de
manière équitable.
Concrètement, il existe un lien très étroit entre le commerce, les investissements et une saine gestion des
affaires publiques.
C'est pourquoi il faut que les gouvernements s'attachent à trouver des façons de fournir des services
appropriés à la population, qu'il s'agisse d'éducation, de formation, d'infrastructures ou de protection de
l'environnement.
C'est particulièrement le cas dans les petits États, dont les représentants ont d'ailleurs indiqué que l'évolution
des échanges commerciaux passe nécessairement par l'adoption de règles commerciales équitables et par
des investissements publics.
Cette prise de conscience a abouti à l'une des plus importantes constatations faites à l'issue de l'Assemblée de
Windsor, qui constitue également une étape cruciale de la prise en charge du processus de démocratisation, à
savoir la nécessité de promouvoir la responsabilité sociale des entreprises.
Les activités des entreprises ont sans conteste des conséquences, bonnes ou mauvaises, sur la conduite des
affaires publiques. L'émergence d'un mode de gestion qui soit inclusif et équitable repose sur la participation
des entreprises à des activités visant à promouvoir les droits de la personne, à régler des problèmes
environnementaux, à lutter contre la corruption et à promouvoir la démocratie.
Les efforts déployés récemment par le secteur de l'extraction en vue de se doter d'un code de conduite seront
très utiles à cette fin. De même, la volonté exprimée par l'OEA d'établir des liens avec le secteur privé pourrait
paver la voie à une collaboration qui permettra à une grande partie de la population de la région de s'affranchir
de la peur engendrée par la mondialisation.
Cette peur a été illustrée très clairement à l'occasion des discussions de Windsor sur le clivage numérique,
l'accès à grande échelle aux technologies de l'information pouvant être perçu à la fois comme une calamité et
comme une bénédiction.
Les ministres ont adressé le message suivant aux dirigeants des pays de l'hémisphère en vue du Sommet :
exploitons cette situation afin qu'elle devienne une bénédiction.
Attachons-nous à trouver ensemble des moyens de mettre à profit la nouvelle technologie de l'information afin
de réduire les écarts économiques, de permettre à la population de la région de participer à la cyber-révolution
et de laisser derrière nous le problème du manque de ressources.
Utilisons la créativité qui profite aux entreprises virtuelles pour favoriser la transparence des instances
publiques, promouvoir les droits de la personne, soutenir la lutte contre le commerce des drogues illicites, le
blanchiment d'argent et le trafic d'armes.
On a noté un certain enthousiasme à l'égard de la possibilité de faire tomber les mythes et de créer de
nouvelles entreprises.
À preuve, sous la tente d'exposition qui était installée devant le lieu de la réunion, on a pu voir des exemples
de ce que pourrait nous réserver l'avenir.
Des élèves canadiens et mexicains de septième année ont montré comment ils ont réussi à unir leurs efforts,
grâce à Internet, pour empêcher la disparition du papillon monarque.
Par ailleurs, le Centre de recherches pour le développement international, établi au Canada, a élaboré un
programme pilote de collaboration par Internet visant à aider les jeunes de la rue en Équateur et en Colombie.
Dans le cadre d'un autre projet, dans les Antilles, les autorités responsables ont établi un programme de
partage d'information basé sur Internet pour lutter contre le trafic de drogues et la toxicomanie.
Le potentiel est énorme -- avec les ressources nécessaires, nous pouvons utiliser la technologie pour le bien
de la population de l'hémisphère.
À de nombreux égards et de maintes façons, la démocratie dans son acception la plus large s'exprime par
l'intermédiaire de l'OEA et de ses membres dans tout l'hémisphère.
Elle constitue un des éléments qui poussent les organisations internationales à se moderniser, à trouver de
nouvelles sources de motivation en orientant leurs activités sur la sécurité humaine. Elle représente une
nouvelle diplomatie formée d'ONG, de parlementaires et de représentants de la société civile. Une solide
dynamique où la démocratie est aussi importante que les enjeux commerciaux.
Il faut collaborer pour assurer la sécurité de la population. C'est là l'objectif visé, et c'est ce qui est ressorti de
l'assemblée de Windsor.
Je vous remercie.