M. KILGOUR - ALLOCUTION À LA CONFÉRENCE INTITULÉE « VERS UNE COMMUNAUTÉ DE SOCIÉTÉS DÉMOCRATIQUES : MENACES À LA DÉMOCRATIE »- VARSOVIE, POLOGNE
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
À LA CONFÉRENCE INTITULÉE
« VERS UNE COMMUNAUTÉ DE SOCIÉTÉS DÉMOCRATIQUES :
MENACES À LA DÉMOCRATIE »
VARSOVIE, Pologne
Le 26 juin 2000
En 1947, Winston Churchill a déclaré : « De nombreux types de gouvernement ont été testés et le seront
encore en ce bas monde. Personne ne prétend que la démocratie représente la perfection... On est même allé
jusqu'à dire que la démocratie est la pire forme de gouvernement qui soit, à l'exception des autres formes dont
on a fait l'essai de temps à autre. »
Ces mots de Churchill étaient prophétiques. Instaurer la démocratie est un processus difficile et
nécessairement ardu qui exige des États et de leurs citoyens, s'appuyant sur des institutions fondamentales,
un effort concerté dans le sens d'une vie et d'une justice sociales meilleures. Nous qui sommes démocrates
savons que le régime que nous défendons n'est pas une solution de facilité et que nous n'avons pas atteint la
perfection. Mais ce qui fait la force de la démocratie, c'est bel et bien cette difficulté et cette imperfection. C'est
notre combat pour maintenir les régimes démocratiques dont certains ont eu le privilège de bénéficier depuis
des centaines d'années, et c'est notre lutte pour donner plus de vigueur aux démocraties naissantes et déjà
florissantes. La fécondité et la vitalité du processus démocratique est d'ailleurs manifeste dans des réunions
comme celle-ci.
Menaces à la démocratie
S'il est une vérité incontournable, c'est que la démocratie est précieuse, mais vulnérable. Le XXe siècle a
démontré que ses ennemis sont aussi nombreux que menaçants. Au cours de mes 21 années de carrière au
Parlement et au fil de mes voyages à titre de secrétaire d'État du Canada chargé de l'Amérique latine et de
l'Afrique, j'ai pu constater les nombreuses menaces auxquelles elle doit faire face. Ces menaces sont, dans
bien des cas, évidentes, mais les plus graves sont aussi les plus sournoises. La faim, l'impunité ou la
corruption ne sont pas des facteurs qui, en eux-mêmes, mettent nécessairement la démocratie en péril; ce sont
plutôt leur effets cumulés. Les canons ne sont pas toujours ce qui menace le plus la démocratie; le danger
vient plutôt de l'impact combiné de la pauvreté, de l'apathie et de l'insécurité économique.
Un autre obstacle à la démocratie vient du fait que son nom est souvent invoqué, alors qu'en pratique, ses
principes ne sont pas respectés. Au cours du siècle dernier, les événements ont démontré que, sous le couvert
de la démocratie, on a défendu à peu près tous les régimes. Or, la démocratie ne peut coexister avec
l'oppression, la corruption, la division, la ségrégation, la terreur et le meurtre. Une nation véritablement
démocratique se nourrit de la diversité et des différences qui lui permettent d'exploiter sa sagesse et ses forces
collectives. Nous devons maintenant, au XXIe siècle, ouvrir une nouvelle voie à la démocratie où elle
s'imposera non seulement sur la foi de son nom, mais par les vérités incontournables et irréfutables qu'elle
défend.
Liberté et responsabilité
La vague de démocratisation qui a caractérisé les 20 dernières années représente un extraordinaire progrès.
Pour les anciennes et les nouvelles démocraties, la grande opportunité qui s'est présentée a été l'émancipation
de la société civile. La démocratie subordonne l'État au peuple; le gouvernement est la chose du peuple, non
l'inverse. La démocratie implique la liberté d'expression, d'association et de réunion -- essentiellement la
liberté d'exprimer ce que l'on est et ce que l'on croit. Personne ne l'a dit mieux qu'Abraham Lincoln : c'est le
gouvernement « du peuple, exercé par lui et pour lui. »
En fin de compte la démocratie ne peut s'épanouir que dans la mesure où les peuples le décident. À propos du
rôle essentiel de la responsabilité publique, le président de la République tchèque, Václav Havel a écrit : « On
ne peut réaliser une réforme des systèmes politiques et économiques véritablement fondamentale et porteuse
dans une société dont la conscience n'a pas franchi une étape importante; et ce n'est pas grâce à une simple
réorganisation que l'on peut, comme par enchantement, en arriver là. L'homme doit s'extraire du terrible carcan
des mécanismes manifestes et cachés du totalitarisme -- que ce soit la consommation ou la répression, ou
encore la publicité ou la manipulation exercée par la télévision. Il doit à nouveau découvrir, en lui-même, un
sentiment plus profond de responsabilité vis-à-vis du reste du monde, c'est-à-dire une responsabilité vis-à-vis
de quelque chose qui lui est supérieur. »
Selon moi, les vrais démocrates s'oublient au bénéfice du processus démocratique. Nous devons discipliner
notre culte du processus démocratique par l'engagement et la participation. Les électeurs doivent être
responsables pour pouvoir faire des choix éclairés. Au bout du compte, toute ligne de conduite moins
exigeante menace gravement la démocratie.
Éducation
Pour être un démocrate responsable et discipliné, il faut aussi être documenté et informé. Il est donc évident
que le problème de l'analphabétisme qui perdure à travers le monde est une menace perpétuelle pour la
démocratie. Comment peut-on voter quand on ne sait pas lire un bulletin de vote? Comment peut-on faire des
choix en tant que citoyen quand on ne peut pas lire les journaux?
Le taux d'alphabétisation est encore très faible, ce qui est inacceptable. Selon l'ONU, il n'atteint que 78 p. 100.
Dans les pays les moins développés, il n'est que de 50 p. 100; 38 p. 100 chez les femmes. Comment la
démocratie peut-elle s'épanouir quand la moitié seulement de la population sait lire?
En fait, quand on sait lire, ce ne sont pas seulement des mots que l'on découvre, mais le monde; ce sont des
concepts, des responsabilités qui deviennent compréhensibles; ce sont les autres et la diversité qui se
dévoilent. Quand on apprend aux gens à lire des mots, on leur donne aussi la possibilité de partager leurs
idées et de vivre pleinement leur vie.
Primauté du droit
Pour que la démocratie puisse s'épanouir, il est fondamental que l'appareil judiciaire soit fort. Alexander
Hamilton a noté que la liberté ne peut exister que si, au sein d'un gouvernement, le pouvoir judiciaire est
distinct du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. On a pu dire en effet que, dans certaines circonstances, la
tyrannie exercée par des assemblées législatives a été le plus formidable obstacle au développement et au
fonctionnement harmonieux de la démocratie constitutionnelle. Au Canada, nous estimons qu'un appareil
judiciaire indépendant, doté d'un réel pouvoir de scruter les lois adoptées par le législateur, garantit les droits
des particuliers contre tout préjudice éventuel.
La primauté du droit et un appareil judiciaire indépendant, conformes aux principes des droits humains
internationaux, n'existent pas dans toutes les démocraties. Dans certains pays, on destitue les juges si leurs
décisions ne sont pas jugées acceptables par le gouvernement et on les remplace par d'autres, plus
obséquieux. On les menace parfois de violences pour les convaincre d'agir conformément à la volonté d'un
dictateur. Dans ces conditions, les juges ne peuvent être impartiaux, car ils doivent choisir entre leur sécurité et
la défense des droits d'un particulier ou de certains groupes. C'est une situation extrême, mais certains
régimes, qui cherchent à projeter l'image d'une démocratie constitutionnelle, mais où, en fait, le pouvoir
législatif ou exécutif s'exerce de façon dictatoriale, font des pressions plus subtiles.
Trouver le juste milieu entre le gouvernement par la majorité et la protection des droits des particuliers et des
minorités est l'un des défis les plus persistants que doivent relever les démocraties. John Locke a défini ainsi
les droits qui doivent être inaliénables dans une société : ce sont les droits qui sont si essentiels au bien-être et
au bonheur individuels qu'un État ne peut se permettre de les enfreindre que dans de très rares circonstances.
De nos jours, on parle de droits fondamentaux ou de droits humains, dans le contexte du droit international. Il
suffit de lire les journaux pour s'apercevoir qu'il n'est pas rare que ces droits, individuels ou collectifs, ne sont
pas respectés.
Les démocraties qui se dotent d'un appareil judiciaire fort permettent aux minorités et aux marginaux de vivre
en paix et de participer pleinement à la vie sociale. Ces groupes ont le même droit de mener une vie heureuse
et satisfaisante que ceux d'entre nous qui avons eu la chance de naître libres. Toutes les nations doivent
donner à leurs juges et à leurs avocats le pouvoir de rendre justice à tous, même face à une foule en colère et
aux préjugés.
Expérience de secrétaire d'État
J'ai été témoin de bien des difficultés auxquelles la démocratie a été confrontée, mais aussi de bien des
opportunités qui se sont ouvertes pour qu'elle puisse s'instaurer dans l'hémisphère occidental et en Afrique. En
ce qui concerne le Canada, cette expérience a en grande partie été acquise récemment au sein de deux
institutions : le Groupe d'action ministériel du Commonwealth [GAMC] et l'Organisation des États américains
[OEA], et je voudrais brièvement passer en revue leur action. Je dirais également quelques mots sur le rôle de
La Francophonie en ce domaine. Chacun de ces groupes reflète une histoire et une tradition différentes.
L'action du GAMC n'est pas, comme telle, complètement adaptée à la situation des pays d'Amérique latine ou
de la Francophonie, même si, sous certains aspects, elle est pertinente. On pourrait dire la même chose des
initiatives prises ces dernières années par l'OEA. Je tiens à souligner qu'à part ces mécanismes régionaux,
l'ONU est l'un des principaux organes au sein desquels le Canada intervient pour défendre les droits humains
et soulever des questions connexes comme la démocratisation, notamment à la Commission des droits de
l'homme et à la Troisième Commission de l'Assemblée générale. C'est au sein de ces groupes que le Canada
a appuyé nombre de résolutions ayant trait à la démocratie.
Afrique
Une vague de démocratisation a récemment déferlé sur l'Afrique. À la fin du siècle dernier, 32 des 54 chefs
d'État du continent avaient été élus face à des rivaux appuyés par des partis d'opposition. En 1975, on n'en
comptait que trois. Au cours de la dernière décennie, il s'est formé en Afrique plus de partis politiques que
jamais depuis la décolonisation, et la démocratie s'est installée dans des pays comme le Botswana, le Mali, le
Mozambique, la Tanzanie, le Ghana, Maurice et l'Afrique du Sud. L'an dernier, au Sénégal, suite à des
élections démocratiques exemplaires, on a pu voir l'ancien président Diouf passer la main de bonne grâce. De
plus en plus, les pays africains rejettent les gouvernements militaires, et ils ont pris des engagements
significatifs à cet égard lors du Sommet de l'OUA [Organisation de l'Unité africaine] à Alger. C'est là en effet
que les chefs d'État africains ont résolu collectivement de s'opposer à tout gouvernement qui prendrait le
pouvoir en faisant intervenir l'armée.
Le Nigéria est l'exemple même d'un pays qui s'efforce de consolider la démocratie après des années de
mauvaise gestion sous la férule des militaires. Le président Obasanjo s'est donné beaucoup de mal pour faire
s'épanouir une démocratie encore naissante. Nombreux sont ceux qui ont applaudi à sa ténacité, ainsi qu'à
l'activisme du Parlement nigérian. L'émergence de la démocratie au Nigéria, comme dans d'autres pays
d'Afrique, a fait naître des espoirs au sein des populations qui en attendent les bénéfices. Ces avantages ne
sont pas toujours évidents dans des pays dont la situation économique est difficile. Le fait que des
gouvernements élus démocratiquement ne semblent pas être en mesure d'assurer des conditions de vie
meilleures et une plus grande sécurité est sans doute ce qui menace le plus la démocratie en Afrique.
La principale leçon que l'on peut tirer de ce qui se passe en Afrique est que le renouveau économique doit
accompagner la démocratisation. Pour certains dirigeants africains, le développement économique est même
un préalable à la démocratie. Par exemple, on a constaté au Botswana et à Maurice les taux de croissance à
long terme les plus élevés pendant la plus longue période de gouvernement démocratique. Plus récemment,
une croissance positive a été à nouveau enregistrée au Bénin, au Ghana, au Mozambique et en Afrique du
Sud, où la résurgence de la démocratie a été la plus forte. Les pays qui ont connu les plus grandes difficultés
dans les années 1990 ne sont pas ceux où la démocratisation ne s'est pas concrétisée, mais ceux qui n'ont
pas géré convenablement les affaires publiques.
Les plus grands espoirs de démocratisation en Afrique reposent sur le réveil de la société civile qui a été à
l'avant-garde du combat pour déloger les régimes autoritaires et les remplacer par des gouvernements
démocratiques. Dans de nombreux pays, le secteur des ONG [organisations non gouvernementales] s'est
développé grâce à des groupes qui se sont consacrés à la défense de la démocratie et à une bonne gestion
des affaires publiques. C'est dans les pays où la société civile et les médias ont peu d'influence que sont le
plus menacées la responsabilisation et une véritable concurrence électorale. De telles menaces à la
démocratie existent en grand nombre non seulement en Afrique, mais à travers le monde, et c'est la façon dont
nous réagirons qui déterminera dans quelle mesure nous serons libres de définir nos propres destinées.
OSCE
Étant, dans la région qui la concerne, le principal mécanisme d'alerte rapide, de prévention des conflits, de
gestion des crises et de relèvement après un conflit, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
[OSCE] accorde beaucoup d'importance à la consolidation de la démocratie de « Vancouver à Vladivostok ».
L'organisation n'agit pas seulement en suivant de près le déroulement du processus démocratique dans ses
pays membres, dont les résultats font l'objet de rapports au Conseil permanent, mais elle intervient également
par l'intermédiaire de la plupart de ses 20 missions sur le terrain dont le mandat comporte souvent un volet
« démocratie » important. Enfin, l'OSCE s'est dotée d'un organe qui s'intéresse spécialement aux activités qui
ont trait à la démocratisation : le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme [BIDDH].
Établi à Varsovie, le BIDDH se consacre à l'observation des élections, au développement d'institutions
nationales chargées des questions électorales et des droits de la personne, à la prestation d'une aide
technique aux institutions juridiques nationales et à la promotion du développement des ONG et de la société
civile. Le Canada soutient énergiquement depuis longtemps les activités de l'OSCE en ce domaine et est très
satisfait de constater que ses initiatives ont amené une amélioration de la paix et de la sécurité en Europe.
Commonwealth
Bien des initiatives du Canada en faveur de la démocratie en Afrique ont été lancées par l'intermédiaire du
Commonwealth, une organisation multilatérale dont les membres partagent une histoire ainsi que le respect de
valeurs comme l'égalité, la démocratie et la primauté du droit. Ces valeurs et ces traditions se reflètent dans la
Déclaration de Harare de 1991, dans laquelle les pays membres s'engagent à protéger et à promouvoir les
principes politiques fondamentaux du Commonwealth, à savoir la démocratie (y compris les processus et les
institutions démocratiques, la primauté du droit, l'indépendance du pouvoir judiciaire et un gouvernement juste
et honnête) et les droits de la personne. Ce sont les principes de Harare. Pour être membre en bonne et due
forme du Commonwealth, un pays doit maintenant avoir un gouvernement civil, élu démocratiquement.
En 1995, les chefs de gouvernement du Commonwealth ont avalisé une initiative d'importance majeure,
proposée par le premier ministre Jean Chrétien, laquelle avait pour but de concrétiser les principes de Harare
en confiant au Commonwealth un mandat élargi au chapitre de la démocratisation, notamment en mettant en
place des mécanismes qui permettraient de faire face aux problèmes qui pourraient se poser à cet égard dans
les pays membres. C'est ainsi qu'a été élaboré le Programme d'action de Millbrook, autorisant le
Commonwealth à agir plus énergiquement pour défendre la démocratie, le développement et la concertation.
Un des volets de ce programme est la création du Groupe d'action ministériel du Commonwealth [GAMC],
chargé de « faire enquête sur les violations graves et persistantes des principes de [Harare] ». Le Groupe, qui
se réunit sur convocation du secrétaire général, rassemble les ministres des Affaires étrangères de huit pays et
a pour tâche de recommander des actions collectives dans le but de restaurer rapidement la démocratie et la
règle constitutionnelle. La composition, le mandat et le mode de fonctionnement du Groupe sont réexaminés
par les chefs de gouvernement tous les deux ans.
Depuis sa création en 1995, les ministres du GAMC ont tenu de nombreuses réunions et envoyé des missions
ministérielles en Gambie, au Nigéria, en Sierra Leone, au Pakistan et plus récemment aux Îles Fidji et
Salomon.
Un des points forts du GAMC vient du fait qu'il s'agit d'un groupe restreint, ce qui est propice à des décisions
rapides, et qu'il rassemble des ministres, et non des fonctionnaires, ce qui lui permet d'agir de façon décisive.
Le GAMC brandit aussi bien la carotte que le bâton, le dialogue constructif que les sanctions, pour inciter les
régimes militaires à reprendre leurs quartiers dans les casernes et à laisser le champ libre à la démocratie le
plus rapidement possible. La clé de l'efficacité du GAMC a été la souplesse dont il a su faire preuve.
Même si, à l'heure actuelle le GAMC se concentre surtout sur le non-respect de la démocratie dont sont
coupables les militaires qui renversent des gouvernements élus démocratiquement, le Commonwealth discute
de l'élargissement éventuel du mandat de ce groupe et de l'inclusion d'autres violations comme celles qui ont
trait aux droits de la personne.
Amériques et OEA
Les Amériques ont été le théâtre d'une extraordinaire révolution démocratique, un véritable renversement de
situation par rapport à celle qui existait il y a 20 ans, où l'on ne comptait que quatre gouvernements
démocratiques en Amérique du Sud.
La promotion de la démocratie a été un élément fondamental de la décision du Canada de se joindre à
l'Organisation des États américains [OEA] il y a 10 ans, et c'est une préoccupation qui reste au premier plan de
nos relations avec les pays membres de cette organisation internationale, la première à promouvoir
expressément la démocratie. Le Canada s'est attaché à renforcer les capacités de cette organisation à
défendre et à favoriser le développement démocratique. Nous nous sommes également efforcés de consolider
et de raffermir les institutions de défense des droits politiques et humains.
Le Canada a appuyé la création du Service pour l'encouragement de la démocratie. Nous collaborons avec
nos partenaires du continent au sein du Groupe de travail spécial, établi en novembre dernier, et de la
Commission des affaires juridiques et politiques de l'OEA, afin de trouver des moyens de renforcer le système
de défense des droits de la personne et d'assurer que ses organes principaux -- la Commission
interaméricaine des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme -- fonctionnent
efficacement.
Depuis son adoption à l'Assemblée générale de l'OEA de 1991, la Résolution 1080 a été le principal
mécanisme permettant une réaction collective, à l'échelle du continent, lors d'une crise grave au chapitre de la
démocratie dans un pays membre. Essentiellement, la résolution permet de lancer une action collective en cas
de crise, par exemple, un coup d'État, mais pas lorsqu'il s'agit d'irrégularités qui n'ont pas cette ampleur. Le
mandat du Groupe de travail spécial (ou d'une réunion extraordinaire de l'Assemblée générale) est d'examiner
la situation et de prendre collectivement les décisions appropriées. La Résolution 1080 a été invoquée quatre
fois : Haïti (1991), Pérou (1992), Guatemala (1993) et Paraguay (1996).
Le Protocole de Washington, adopté en 1992 pour amender la Charte de l'OEA, autorise la suspension de
facto d'un pays membre de l'organisation dont le gouvernement élu démocratiquement a été renversé par la
force.
Récemment, lors de la 30e Assemblée générale tenue à Windsor (Ontario), les ministres des Affaires
étrangères de l'OEA ont convenu d'envoyer au Pérou une mission de haut niveau menée par le ministre des
Affaires étrangères du Canada, M. Lloyd Axworthy, et le secrétaire général de l'OEA, M. César Gaviria, dans le
but d'explorer les mesures qui pourraient être prises pour étayer les structures démocratiques de ce pays, vu
les irrégularités qui ont marqué le second tour des élections présidentielles. Cette importante mission aura lieu
cette semaine.
À Windsor, les pays membres ont adopté une résolution portant création d'un Fonds spécial pour la
consolidation de la démocratie qui pourra être utilisé pour répondre aux demandes d'aide des pays membres
où le processus démocratique est menacé. Également à Windsor, les ministres des Affaires étrangères ont
convenu de « prendre en charge personnellement » la discussion des dossiers relatifs à la démocratie et à la
gouvernance lors du Sommet des Amériques.
Francophonie
Le Canada collabore avec les pays de la Francophonie pour soutenir la démocratie. Cette organisation a mis
au point des mécanismes destinés à favoriser l'épanouissement et la consolidation de la démocratie, et a lancé
plusieurs initiatives politiques officieuses en faveur de la démocratie dans des pays où elle est en danger. Lors
du Sommet de Moncton, la défense de la démocratie et des droits humains était au coeur des objectifs cités
aussi bien dans la déclaration de clôture que dans le plan d'action.
Concrètement, la Francophonie s'est principalement investie dans les missions d'observation des élections,
l'aide technique dans des domaines liés au développement des institutions et les missions « de bons offices »
du Secrétaire général pour tenter de résoudre des crises politiques. Plus récemment, dans la foulée des
pourparlers de Moncton, les ministres des Affaires étrangères ont convenu de tenir une conférence de haut
niveau sur la démocratie et les droits de la personne au Mali, en novembre 2000.
Quand « la démocratie est en crise », il est désormais de tradition que le secrétaire général intervienne
personnellement (ou délègue un représentant) pour tenter de dénouer une situation difficile. Ces missions
peuvent avoir divers objectifs mais permettent, à l'occasion, de discuter de la gestion démocratique des affaires
publiques. Récemment intervenu par exemple en République centrafricaine et au Togo et, par le biais de divers
contacts, auprès des autorités de la Côte d'Ivoire, le secrétaire général mène des missions qui sont surtout de
caractère diplomatique et privé et axées sur la facilitation. Pour le Canada, c'est un bon départ, et nous
sommes convaincus que l'organisation va continuer à jouer un rôle significatif dans la promotion de la
démocratie parmi les pays francophones.
Canada, multilatéralisme et démocratie
Quelles leçons le Canada a-t-il tirées de sa participation au Commonwealth, à l'OEA et à la Francophonie? Je
crois que la première de nos conclusions est qu'il n'y a pas de réaction type face aux menaces à la démocratie.
Dans le contexte du Commonwealth et des Amériques, le GAMC et l'OEA ont respectivement bien fonctionné.
L'approche que privilégie le Canada est un engagement en faveur de la démocratie aux côtés de partenaires
internationaux et au sein d'institutions multilatérales.
Deuxièmement, il faut tenir compte du contexte chaque fois que l'on réagit à une menace à la démocratie.
Dans bien des cas, la meilleure solution est en quelque sorte d'« accompagner » ou de soutenir ceux qui, à
l'échelle locale, prennent des initiatives ou lancent des idées pour affermir la démocratie, et de faire sentir que
des aides extérieures sont disponibles, sans pour autant nécessairement imposer le changement. Chaque fois
que c'est possible, nous devrions laisser les intervenants locaux prendre l'initiative pour résoudre eux-mêmes
leurs difficultés. Dans d'autres cas, cependant, notamment lorsque des principes fondamentaux ne sont pas
respectés, nous devons être prêts à intervenir de façon plus énergique. Cela ne milite pas contre des mesures
universelles, mais appelle au contraire au recours à une approche de la consolidation de la démocratie
adaptée à chaque pays concerné.
Troisièmement, notre expérience démontre que même si dans certains cas, les menaces à la démocratie
peuvent être rapidement contenues, la plupart du temps, il faut s'armer de patience pour parvenir à une
solution. À titre d'intervenants de l'extérieur, nous devons être prêts à écouter, à dialoguer et à fournir une aide
et des conseils techniques là où cela est nécessaire et pendant tout le temps qu'il faut.
Enfin, nous devons toujours veiller, quel que soit notre désir d'apporter une aide aussi créatrice que possible, à
ce que nos initiatives ne compromettent pas les principes fondamentaux, à ce que nos conseils ne s'avèrent
pas néfastes et à ce que nos actions soient toujours axées sur la promotion et la protection des droits de la
personne et conformes au droit international en la matière. Sinon, la démocratie n'existera pas et nous
trahirons ceux que nous voulons aider.
Même si de graves menaces pèsent sur la démocratie, nous ne devons jamais baisser les bras. Je le répète, la
démocratie se nourrit de notre lutte pour la faire triompher. Il faut que nous luttions pour instaurer les conditions
propices à son épanouissement et il faut que nous restions vigilants pour la maintenir là où elle a pris racine. Si
nous sommes pleinement conscients des périls qui la menacent, nous pourrons poursuivre une action qui est
essentielle à sa survie.
Je vous remercie.