M. PETTIGREW - ALLOCUTION - DEVANT LA BANQUE INTERAMÉRICAINE DE DÉVELOPPEMENT SUR LA MONDIALISATION, LE COMMERCE ET LES AMÉRIQUES - WASHINGTON, D.C.LE 9 AOÛT 200
Également disponible en espagnol à l'adresse suivante :
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SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
DEVANT LA BANQUE INTERAMÉRICAINE DE DÉVELOPPEMENT
SUR
LA MONDIALISATION, LE COMMERCE ET LES AMÉRIQUES
WASHINGTON, D.C.
Le 9 août 2000
Introduction -- La mondialisation contre l'internationalisation
Je vous remercie beaucoup. Je suis très heureux d'être de retour à Washington et très honoré qu'on m'ait
demandé d'être votre conférencier au déjeuner-causerie d'aujourd'hui.
Je souhaite saisir cette occasion pour vous donner mon opinion au sujet de cette nouvelle ère de la
mondialisation, du commerce international et notamment, de son influence dans notre hémisphère. Si je choisis
cette expression -- nouvelle ère de la mondialisation -- c'est parce que je pense que la mondialisation a
seulement commencé il y a de 10 à 15 ans et qu'on ne devrait pas la confondre avec l'internationalisation.
Selon moi, ces deux phénomènes sont profondément différents.
Autrefois, à l'ère de l'internationalisation, les liens entre les États se multipliaient, chacun exerçant un contrôle
sur son territoire. Il y avait, entre autres choses, les pactes de défense, les traités et les accords de coopération
économique. L'internationalisation a donc accru l'interdépendance entre les sociétés, conçues comme États-nations. D'ailleurs, le terme d'internationalisation lui-même semblait insister sur une certaine étanchéité des
espaces nationaux, c'est-à-dire politiques.
Mais aujourd'hui, nous sommes en présence d'un nouveau phénomène, celui de la mondialisation. Ce
phénomène diffère radicalement de celui, plus traditionnel de l'internationalisation, et s'y oppose même. Pour
moi, la mondialisation est née deux fois.
Il y a eu la naissance économique, au milieu des années 1980, le jour où nous avons établi la connexion
électronique entre les trois principales bourses du monde : Tokyo, Londres et New York. Et la naissance
politique, quelques années plus tard, en novembre 1989, le jour de la chute du Mur de Berlin.
Cause de l'échec de Seattle : l'ordre traditionnel et non la mondialisation
Ainsi, même si la rhétorique de ce que les médias ont appelé la « bataille de Seattle » portait sur la
mondialisation, je crois que l'incapacité des ministres du Commerce à lancer un nouveau cycle de négociations
à cette réunion était lié à des tensions et même aux conflits qui existent au sein de l'ordre plus traditionnel de
l'internationalisation et non de celui de la mondialisation. En fait, j'irais jusqu'à dire que, même s'il n'y avait pas
eu un seul manifestant dans les rues de Seattle pour s'opposer à la mondialisation, le lancement du neuvième
cycle de négociations commerciales se serait, de toute façon, soldé par un échec en décembre dernier.
Cet échec s'explique par les heurts habituels entre les membres qui appartiennent à l'ordre international
traditionnel, c'est-à-dire les gouvernements nationaux. Cet échec est aussi lié en partie aux conflits de longue
date entre l'Est et l'Ouest au sujet de l'agriculture. L'Union européenne, soutenue par le Japon, et les États-Unis, soutenus par le Groupe de Cairns, n'ont pas pu s'entendre. Ils ont passé beaucoup de temps à essayer
de se mettre d'accord, mais en vain.
Le Nord et le Sud -- les pays développés et les pays en développement -- ne pouvaient pas non plus
s'entendre sur le genre de lancement recherché. Les pays en développement, notamment les moins
développés, ont mis en évidence les problèmes que leur pose l'application d'un grand nombre de mesures
disciplinaires de l'OMC [Organisation mondiale du commerce].
Malgré les périodes de grâce accordées aux termes des accords du Cycle d'Uruguay, ils ont expliqué qu'ils ne
disposaient pas encore de la capacité à administrer un ensemble de règles et de règlements de plus en plus
complexes, y compris les mesures « nationales » qu'exigent à présent les accords de l'OMC. La résolution de
ces problèmes par le renforcement des capacités liées au commerce est de toute évidence un domaine où les
banques de développement telles que la BID [Banque interaméricaine de développement] peuvent jouer un
rôle important, comme je l'expliquerai plus loin.
Seattle a aussi montré la nécessité de travailler davantage pour mieux harmoniser les politiques des
organisations internationales qui interviennent sur les questions commerciales, économiques, sociales et
environnementales. Une cohérence et un appui mutuel plus grands entre les politiques et les activités de
l'OMC, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, et celles des organisations des Nations
Unies comme l'Organisation internationale du travail et le Programme des Nations Unies pour l'environnement
nous aideront à nous attaquer à ces problèmes en tirant parti des points forts des organisations qui ont été
créées pour les résoudre.
Malgré les divergences qui ont été exprimées à Seattle, je suis convaincu que les États-membres de l'OMC
pourront s'entendre sur le lancement d'une nouvelle série de négociations en 2001. Pourquoi? Parce que tous
sont conscients des bénéfices énormes que le commerce international peut apporter à leurs économies et à
leurs sociétés.
Les Amériques - Le potentiel immense de la ZLEA
Par exemple, à mon avis, les discussions que nous avons eues en vue de la création d'une Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA] ouvrent de grandes possibilités. Cette partie du monde a ceci de particulier
qu'elle contient certaines des économies mondiales les plus prospères et certaines des économies les plus
petites et les plus vulnérables.
La plupart des pays qui en font partie ont un trait commun : une ouverture économique et une dépendance
accrue à l'égard du commerce international et de l'investissement comme moyens de promouvoir le
développement économique. Pour survivre dans une économie mondialisée, les pays de l'hémisphère doivent
atteindre et conserver un certain niveau de compétitivité internationale.
Pour que ces pays deviennent et demeurent concurrentiels, la négociation d'une Zone de libre-échange des
Amériques est déterminante. Nous sommes à un tournant historique où il est possible d'unir 34 pays de
l'hémisphère au sein de la ZLEA, d'une superficie imposante. Les possibilités, je le répète, sont immenses : il
s'agit d'un marché qui compte au total plus de 800 millions de personnes et dont le PIB combiné est de
17 billions de dollars.
Cependant, le libre-échange dans l'hémisphère ne représente qu'une partie d'un programme plus ample visant
l'instauration d'une bonne gestion publique et l'harmonisation des politiques. Il faut garder à l'esprit que les
négociations de la ZLEA ont été autorisées par les dirigeants des gouvernements dans le cadre du processus
plus large du Sommet des Amériques. Le programme de ces dirigeants porte sur un éventail de questions qui
concernent directement les citoyens de l'hémisphère telles le renforcement de la démocratie, le respect des
droits de la personne, l'action concertée contre le trafic des stupéfiants, le développement social et
économique et bien d'autres encore. C'est seulement en progressant ensemble sur tous ces fronts que les
nations et les peuples des Amériques pourront réellement entrer dans le XXIe siècle.
Le Canada est fier de son rôle de chef de file dans ce processus. Rappelons que le premier ministre du
Canada accueillera les dirigeants des pays de l'hémisphère au Sommet qui aura lieu en avril prochain à
Québec et qu'en novembre dernier, point culminant de l'étape critique que constitue le lancement des
négociations de la ZLEA, le Canada a présidé une réunion des ministres de l'hémisphère à Toronto.
La BID a joué jusqu'ici un rôle déterminant dans ce processus et je l'encourage à participer davantage à la
conception des engagements pris au Sommet et à leur accorder un plus grand soutien.
Nous accordons une priorité à ces négociations parce qu'il est tout à fait clair que le libre-échange a été utile
au Canada et à ses citoyens. En termes simples, le commerce a d'abord et avant tout une dimension humaine
et cela restera ainsi : les gens veulent être récompensés de leurs efforts, trouver des marchés pour leurs
produits et avoir foi en l'avenir. Et je suis certain qu'une plus grande libéralisation du commerce aidera les
citoyens de tous les États-membres de la ZLEA à réaliser des gains sociaux et économiques importants.
La mondialisation a pris tellement de connotations négatives que les avantages réels et tangibles que
l'ouverture économique apporte ont été noyés. Pourtant, qui pourrait nier que le niveau de vie ait augmenté
grâce aux liens créés entre les nations?
Et cela m'amène à parler des ennemis du commerce. J'aimerais poser une question à ceux qui s'opposent,
peu importe les raisons, au libre-échange et aux accords commerciaux : pourquoi devrions-nous empêcher
certains pays ou certains citoyens d'accéder à la prospérité dont nous profitons grâce au commerce et à la
participation à l'économie mondiale?
Pourquoi condamner à l'isolement ceux qui dans l'hémisphère aspirent à jouir de la même qualité de vie, à
avoir les mêmes choix et les mêmes possibilités que nous souhaitons pour nous-mêmes? Pourquoi leur refuser
de passer par les chemins qui nous ont menés nous-mêmes à la prospérité?
Nous ne pouvons pas -- et ne devons pas -- laisser les voix de l'opposition saper les efforts que nous
déployons pour que tous nos partenaires de l'hémisphère profitent eux aussi de la prospérité dont nous
jouissons.
Dans le processus de négociation de la ZLEA, nous avons l'obligation d'aider les plus petites économies de
l'hémisphère à tirer parti des avantages du libre-échange. Et je tiens à profiter de l'occasion pour reconnaître le
rôle central qu'a joué la BID ainsi que d'autres membres du Comité tripartite (l'OEA [Organisation des États
américains] et la CEPALC [Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes]), en fournissant
une aide technique aux économies de plus petite taille de l'hémisphère.
À mon avis, il ne fait aucun doute qu'un accord de libre-échange peut être négocié et mis en oeuvre avec
succès entre des pays plus forts et des pays plus petits. L'expérience du Canada en est une preuve, et je suis
convaincu que les négociations entre le Canada et le Costa Rica le confirmeront également.
Je crois que dans le cadre mondial actuel, les plans d'action économiques et sociaux sont inextricablement liés
entre eux et que les politiques des gouvernements et des institutions doivent en prendre conscience et en tenir
compte.
La croissance et le développement auxquels la ZLEA contribuera soutiendront à leur tour les objectifs
fondamentaux visés par le programme plus vaste du Sommet des Amériques, tels un plus grand respect des
droits de la personne, la promotion du développement démocratique et l'éradication de la pauvreté.
Le commerce a eu des répercussions favorables sur l'environnement et les droits de la personne
L'histoire a démontré qu'à mesure que la croissance économique et les niveaux de vie s'améliorent dans les
pays, ceux-ci peuvent atteindre des normes plus élevées dans le domaine de l'environnement et dans celui du
travail. J'en suis totalement convaincu tout en admettant volontiers que les progrès que l'on peut réaliser sur
les questions sociales dans le cadre des négociations sont limités, tant dans leur ampleur que dans leur portée.
Je ne cherche pas à nier ici la légitimité des préoccupations des groupes de défense de l'environnement, des
travailleurs et des droits de la personne. J'affirme que les gouvernements sont responsables de gérer ces
dossiers avec prudence et qu'en tant que dirigeants, nous devons exploiter les atouts de la mondialisation et
en récolter les gains. Nous ne sommes pas incapables de forger notre propre avenir. En fait, l'OMC et les
règles sur lesquelles le Canada et les 137 autres États-membres se sont entendus offrent un exemple de ce
que les gouvernements peuvent faire pour orienter et réguler ces forces mondiales.
Toutefois, pour s'attaquer correctement à ces questions, il faut se tourner vers les institutions qui disposent du
savoir-faire et du mandat requis dans les domaines visés. Par exemple, la réunion de l'Organisation des États
américains, qui a eu lieu récemment à Windsor, en Ontario, a constitué une tribune régionale unique dans
l'histoire où des débats de haut niveau se sont tenus sur les droits fondamentaux de la personne et le
développement démocratique.
À l'inverse, l'axe central -- et approprié -- de la ZLEA est l'intégration économique des pays de l'hémisphère,
par le biais d'un système de commerce et d'investissement libéralisé, fondé sur des règles. Les normes du
système commercial multilatéral dans lequel évoluent les pays des Amériques sont de plus en plus modelées
par le réseau des accords internationaux administrés et négociés sous l'égide de l'Organisation mondiale du
commerce.
Le Canada reconnaît les avantages d'un système commercial ordonné et équitable
Le Canada a été et demeure un partisan convaincu d'un commerce fondé sur des règles, et ce, à plusieurs
niveaux : bilatéral, régional ou multilatéral. En plus de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain]
conclu avec les États-Unis et le Mexique, nous avons passé des accords bilatéraux de libre-échange avec le
Chili et avec Israël, nous négocions actuellement avec le Costa Rica et nous étudions la possibilité d'un accord
avec Singapour.
La gestion d'un différend commercial de longue date entre le Canada et le Brésil qui porte sur les subventions
à l'exportation fournies au secteur régional de l'aéronautique offre un exemple du fonctionnement de ce
système fondé sur des règles. Quatre comités successifs de l'OMC ont décidé qu'en accordant des
subventions à Proex, le Brésil ne respectait pas ses obligations aux termes de l'OMC et que ces subventions
devraient être supprimées. Le Canada tient à ses relations avec le Brésil et respecte son rôle et sa réputation
dans le monde. Mais il s'attend aussi à ce que le Brésil honore ses obligations à cet égard.
Certains décriraient ce différend comme un conflit opposant un pays développé à un pays en développement.
Or, ce n'est pas le cas. Le Canada tient simplement à ce que le Brésil se conforme à ses obligations de
membre de l'OMC, comme d'autres pays en développement l'ont fait, dont l'Inde, l'Argentine et l'Indonésie,
lorsque les règles de l'OMC leur ont été défavorables. Soulignons que le Canada a dû, lui aussi, revoir ses
programmes lorsqu'on a jugé qu'il ne respectait pas ses obligations, en particulier dans ce différend.
Le commerce international fondé sur des règles est dans le meilleur intérêt de tous les pays, y compris le
Brésil. D'ailleurs le ministre brésilien des Relations étrangères a reconnu dans une lettre récente à Folha de
Sao Paulo que « les règles de l'OMC, que le Brésil a contribué à établir et qu'il souhaite préserver et améliorer,
fixent des limites à l'aide qu'apporte le gouvernement aux activités d'exportation ».
Et nous ne devrions pas diminuer l'importance du processus par lequel nous passons actuellement avec le
Brésil. Il s'agit ici de deux pays qui s'opposent, disons-le, avec passion. Ils croient l'un et l'autre avoir un
argument valable en leur faveur et ils font tout ce qu'ils peuvent pour affirmer leur point de vue. Il est important
que nos citoyens reconnaissent qu'au moins, nous nous sommes entendus sur la manière d'être en désaccord.
Nous avons construit une institution dont nous respectons les procédures et les règles. Certes, nous nous
battons, mais c'est un combat civilisé, notre désaccord ne s'exprime pas dans le chaos et les règles en matière
d'engagement sont claires et équitables. Il est capital que les 137 pays-membres aient modelé une institution
internationale d'une si haute importance. C'est un symbole de ce à quoi peuvent parvenir les pays au sein
d'une institution mondiale et de leur capacité à faire en sorte que tous bénéficient des avantages de la
mondialisation. Néanmoins, dans une certaine mesure, le travail n'est jamais terminé.
Comme cela est devenu évident durant la rencontre des ministres de l'OMC à Seattle en novembre dernier, il y
a beaucoup à faire pour que tous les pays -- développés et en développement -- puissent respecter leurs
obligations et profiter des droits établis par l'OMC.
Au cours de la récente réunion du G-8 à Okinawa, on a pris en compte cette difficulté et accordé une attention
particulière à la nécessaire intégration des pays en développement dans le système commercial multilatéral. Le
Groupe des huit a reconnu à cette occasion l'importance, pour la communauté internationale, de mener une
action concertée en faveur du renforcement des capacités liées au commerce, de façon à ce que tous les
membres de l'OMC puissent tirer parti des concessions relatives à l'accès aux marchés.
Entre-temps, la mondialisation a créé les forces mêmes qui pourraient la refuser, ou à tout le moins, leur a
donné beaucoup de pouvoir. Ce qu'il y a d'ironique là dedans, c'est que ces acteurs en viennent à dénigrer le
mouvement qui leur a justement permis d'exister. Ils cherchent à rabaisser les institutions qui peuvent aider les
pays à organiser ce qui serait autrement un système commercial mondial très chaotique.
La mondialisation, par définition, remet en question le rôle de l'État, dans la mesure où elle ignore non
seulement les frontières économiques mais aussi les frontières politiques. Les entreprises peuvent maintenant
intégrer des fonctions d'un espace à un autre, sans se soucier le moindrement des frontières et faire comme si
elles n'existaient pas.
La mondialisation résulte donc d'un certain nombre de facteurs, y compris les progrès technologiques --
surtout dans le domaine des technologies de l'information, la libéralisation du commerce et la
déréglementation. Selon moi, elle représente le triomphe de la gestion horizontale ou du pouvoir horizontal sur
le pouvoir vertical de l'État d'un territoire donné, et ce sont là des forces radicalement différentes.
Seattle -- le choc entre deux mondes
À Seattle, nous avons assisté à un choc entre l'ordre international traditionnel, qui comporte un nombre fini de
facteurs et qui était représenté par 135 ministres, et ce que j'appelle, sans vouloir être péjoratif, le désordre
mondial. C'était réellement la première fois que nous voyions cet autre monde. Un monde très singulier,
composé d'un nombre indéterminé de participants, dont les codes n'étaient absolument pas bien définis et qui
n'étaient pas tous prévisibles, allant dans toutes sortes de directions, mais qui, ironiquement, étaient souvent
représentés par des organisations horizontales ayant acquis énormément de pouvoir grâce à la mondialisation.
Ces deux mondes se sont rencontrés et ne se sont pas beaucoup plu. L'issue prévisible était et demeure la
tension considérable, avec laquelle nous allons devoir vivre pendant une bonne partie du XXIe siècle. Et même
si les gouvernements y seront confrontés, cette tension ne se manifestera pas exclusivement entre les
gouvernements. Elle touchera des groupes opposés de la société, des industries, des blocs socio-politiques,
culturels, ethniques et économiques ainsi que les États-nations auxquels nous sommes habitués.
Auparavant, nous avions ce système international merveilleux et prévisible, tellement prévisible que nous
connaissions à l'avance le contenu de chaque discours, parce que tant de fois répété ou en tous cas, parce
que tout le monde vérifiait avec tout le monde pour s'assurer que personne ne serait offusqué.
Et voilà qu'apparaît ce nouveau monde, plutôt anonyme, tout à fait singulier et totalement imprévisible, vu le
nombre de participants. Un monde parfois réel, mais souvent virtuel. Alors, lorsque la collision a eu lieu, ces
deux mondes ont senti -- de manière tout à fait justifiée -- qu'ils représentaient quelque chose de valable et de
crédible.
Le rôle de la société civile
Comme nous le savons tous, la société civile a un rôle important et utile à jouer dans le renforcement de la
démocratie. Je crois que les gouvernements doivent s'efforcer de soutenir et de solidifier la société civile. Cet
appui doit en partie s'exprimer comme un engagement actif, sous la forme d'un dialogue réel visant à créer des
partenariats fructueux dans une vaste série de domaines. Il est tout à fait clair que les partenaires de la société
civile ont quelque chose à nous apprendre. Mais je dirais également sans hésitation qu'ils ont, eux aussi,
quelque chose à apprendre des dirigeants d'entreprises ou des gouvernants.
Lorsque j'ai rencontré des dirigeants de la société civile et des représentants de nombreuses ONG
canadiennes, ils m'ont dit : « Nous haïssons la mondialisation. » Je leur ai répondu dans ces termes : « Mais
mon rôle ici est celui d'un haut fonctionnaire auquel le Cabinet a confié un mandat. Il m'est bien plus difficile
d'accepter la mondialisation parce qu'elle compromet le rôle des gouvernements et des États, et ce, dans tous
les pays. Nous sommes bien plus touchés que vous -- car ce phénomène ne se soucie guère, voire pas du
tout, de la légitimité des gouvernements. »
Je leur ai dit : « Vous ÊTES la mondialisation. Vous et les ONG, vous pouvez désormais, grâce à Internet,
rassembler en 48 heures et à très faible coût des milliers de manifestants. Vous ÊTES la preuve même que la
mondialisation est très efficace et qu'elle change les règles du jeu. »
J'ai conclu de cette discussion que beaucoup d'entre eux ne saisissaient pas ce que je disais, parce qu'en
général, les gens ne savent pas au juste ce que signifie réellement la mondialisation. Nombreuses sont les
personnes qui pensent que la mondialisation est une de ces politiques inventées par les gouvernements plutôt
qu'une réalité à laquelle nous sommes nous-mêmes confrontés. Elles ne comprennent pas non plus que ce
phénomène n'est pas imposé par les entreprises et par les grandes sociétés, parce que, comme nous le
savons, nombre d'entre elles trouvent cette réalité fort hasardeuse et les obstacles considérables.
Nous savons tous que la plupart des multinationales étaient très à l'aise dans l'ancien ordre international. La
formule de la réussite, pour elles, consistait simplement à reproduire fidèlement toutes leurs fonctions dans
chaque pays en créant des filiales. Mais à présent, elles sont remplacées par des entreprises planétaires, des
entreprises qui se contentent d'intégrer des fonctions, sans se soucier des frontières politiques, dans les pays
où il leur semble plus avantageux de se développer.
La multinationale est donc, elle aussi, confrontée à la mondialisation. Elle est supplantée par l'entreprise
planétaire qui est bien plus souple. La multinationale commence, désormais, à ressembler à un dinosaure.
Nous vivons dans un monde en changement.
La mondialisation est tout simplement un moment de l'évolution naturelle. Elle va de pair avec l'évolution
humaine, que, l'histoire nous le dit, rien ni personne ne peut arrêter.
La nouvelle notion de responsabilité sociale de l'entreprise
Si, dans bien des cas, les entreprises s'efforcent de faire face aux changements qu'apporte la mondialisation,
je dirais qu'on reconnaît mieux aujourd'hui la contribution importante que celles-ci peuvent apporter aux
dimensions sociale et environnementale de la gestion publique. En fait, la société civile réclame désormais que
le monde des affaires accorde plus d'attention à ces questions.
Dans de nombreux pays, le monde des affaires répond en adoptant des codes volontaires de conduite en
faveur d'un comportement socialement responsable dans l'activité commerciale. Par exemple, un certain
nombre d'entreprises multinationales canadiennes ont adopté le code de conduite international pour les
entreprises canadiennes, lequel code fait la promotion d'une conduite éthique dans de nombreux domaines, y
compris ceux de la protection de l'environnement et des droits de la personne.
Au niveau multilatéral, je me suis récemment associé à d'autres ministres de l'OCDE [Organisation de
coopération et de développement économiques] en approuvant les Principes directeurs révisés de l'OCDE à
l'intention des entreprises multinationales. Cet instrument multilatéral milite en faveur de la responsabilité
sociale de l'entreprise et fait l'objet d'une collaboration des gouvernements, du milieu des affaires, des
organisations syndicales et d'autres parties intéressées de la société civile. Ce sont des changements très
positifs que soutient le Canada et qu'il espère voir défendre dans l'hémisphère occidental.
Du capitalisme industriel au capitalisme financier
Depuis un certain temps, nous assistons au passage du capitalisme industriel au capitalisme financier. Il s'agit
là de la principale dynamique de la mondialisation. Il a fallu plusieurs générations pour apprivoiser le
capitalisme industriel.
Il est indéniable que le capitalisme industriel a fait atteindre à l'humanité un niveau de développement
économique, social et culturel sans précédent. Il a apporté une grande prospérité que nous avons appris à
redistribuer par certains moyens très efficaces.
Le capitalisme d'il y a 200 ans, le capitalisme industriel, ce fut aussi un phénomène d'exploitation.
Politiquement, nous avons appris à dresser ce capitalisme, pour faire cesser l'exploitation. Mais au moins, celui
qui est exploité existe dans une relation sociale. Il peut s'organiser, revendiquer ses droits, avoir un syndicat
pour le défendre, obtenir de meilleures lois du travail en votant pour tel ou tel parti. C'est là, la véritable histoire
du capitalisme industriel.
Nous représentons la première génération de l'ère du capitalisme financier, dans laquelle nous créons des
richesses d'une façon radicalement différente. Aujourd'hui, les victimes ne sont pas seulement exploitées, elles
sont exclues, parce que le capitalisme financier s'accompagne du phénomène de l'exclusion. Certains peuvent
être exclus, tels ceux qui se trouvent dans une situation où l'on n'a pas besoin d'eux pour créer ces richesses.
Ce phénomène d'exclusion est un phénomène beaucoup plus radical que l'exploitation. C'est peut-être le défi
le plus urgent que doivent relever actuellement les gouvernements du monde entier.
À mon avis, c'est dans ce domaine que les banques régionales de développement peuvent jouer un rôle
essentiel, dans la mesure où ce sont elles qui détiennent le plus de renseignements pratiques sur leurs
régions. C'est pourquoi je pense qu'il incombe à la Banque interaméricaine de développement d'aider les pays
à avoir une bonne gestion publique grâce à des politiques commerciales, financières et sociales qui sont
cohérentes et qui se renforcent mutuellement.
Notre expérience nous a appris que les politiques de marché libre et de libre-échange ne sortiront pas les gens
de leur pauvreté si elles ne sont pas soutenues par une bonne politique -- c'est-à-dire la démocratie, la
réforme réglementaire, la participation des parties concernées à l'élaboration des politiques, les filets de
protection sociale adéquats, l'investissement dans les travailleurs et la protection de l'environnement et des
droits de la personne.
En ce qui concerne le commerce, je pense qu'on pourrait renforcer l'excellent travail réalisé par la Banque
lorsqu'elle insiste sur la croissance comme moyen de lutter contre la pauvreté, en donnant plus de poids à la
croissance économique stimulée par le commerce. Nous avons constaté un mouvement dans cette direction
chez d'autres institutions internationales. Six autres organismes -- en vertu du Cadre intégré -- collaborent
actuellement dans le but d'aider les pays les moins développés à respecter leurs obligations de membres de
l'OMC, notamment en leur fournissant une assistance technique liée au commerce et au renforcement des
capacités.
Il s'agit entre autres de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui se sont mis d'accord pour
inclure le commerce dans les mesures qu'ils comptent prendre pour réduire la pauvreté et qu'ils ont présentées
dans les documents sur la stratégie de réduction de la pauvreté, une initiative valable puisqu'elle permet à
chaque pays de définir un ensemble de priorités et de contraintes qui lui sont propres.
J'encourage d'autres bailleurs de fonds à prendre ces facteurs en considération dans leurs plans de réduction
de la pauvreté et à collaborer avec les institutions internationales et régionales en vue de satisfaire les besoins
des pays.
Cette approche intégrée et cohérente compte beaucoup pour des organismes comme la BID. L'OMC, qui n'est
pas une institution de développement, ne dispose pas des fonds nécessaires et ne peut pas prendre seule en
charge le travail qui consiste à renforcer les capacités liées au commerce.
J'appelle donc la BID à prendre l'initiative à cet égard dans les Amériques, ainsi qu'à s'associer à ses
partenaires régionaux dans l'élaboration d'une perspective régionale et nationale sur la manière d'aborder le
renforcement des capacités liées au commerce et la façon dont on peut aider les pays qui s'efforcent de
s'intégrer à l'économie internationale et d'en tirer profit.
Je vous remercie.