M. MANLEY - ALLOCUTION À L'OCCASION DU FORUM DIPLOMATIQUE 2001 - VICTORIA (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE JOHN MANLEY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DU FORUM DIPLOMATIQUE 2001
VICTORIA (Colombie-Britannique)
Le 23 novembre 2001
Je suis heureux d'être ici avec vous tous aujourd'hui... en chair et en os. Certains d'entre vous se rappelleront
peut-être que c'est au Forum diplomatique 2000 que j'ai prononcé un de mes tout premiers discours comme
ministre des Affaires étrangères. Cela faisait trois jours à peine que j'étais en fonction et j'ai fait mon discours
par vidéoconférence. Je dois admettre que j'ai un peu l'impression d'être ici pour mon évaluation d'un an.
J'espère que vous saurez vous montrer généreux.
Cette première année a été bien remplie. Elle a été fructueuse et pleine de défis, mais elle a aussi été assez
difficile par moments, surtout ces derniers temps.
Nous avons eu des hauts et des bas. Des hauts avec un Sommet des Amériques très réussi, que le premier
ministre Chrétien a accueilli à Québec en avril dernier, et aussi avec la récente réunion du G-20 à Ottawa.
Nous avons eu deux très bonnes années au Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous avons réalisé de
nouveaux progrès dans la campagne contre les mines antipersonnel organisée dans le cadre du Traité
d'Ottawa, et il nous reste maintenant qu'à attendre 14 ratifications de plus pour l'entrée en vigueur de la Cour
pénale internationale. Comme vous l'a dit le ministre Pettigrew un peu plus tôt, nous sommes en outre
parvenus récemment à un accord pour le lancement d'un nouveau cycle de négociations commerciales qui vise
à mettre en place un programme de croissance et de développement offrant des perspectives et des
avantages à tous les pays et à tous les peuples de la terre. Ce ne sont là que quelques exemples de ce que
nous avons accompli ensemble.
Nous avons également eu des bas. Plus que n'importe quoi d'autre de mémoire récente, les événements du
11 septembre ont rallié la communauté internationale et nous ont unis non seulement dans le chagrin et
l'indignation, mais aussi dans l'engagement et la détermination. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
Sur un plan plus personnel, puisque nous sommes un peu en famille ici, je voudrais aussi mentionner la perte
tragique de notre ami, le haut-commissaire Tariq Altaf du Pakistan, décédé dans un terrible accident en
septembre dernier.
Comme vous le savez, l'année avait commencé par le tragique accident dans lequel Catherine MacLean a
trouvé la mort tandis que Catherine Doré était grièvement blessée. Je voudrais profiter maintenant de cette
occasion pour remercier les missions et les ambassadeurs qui ont accordé au gouvernement du Canada leur
plein appui lorsque nous avons adopté notre nouvelle politique visant à mieux protéger autant la vie des
Canadiens que celle des membres de la communauté étrangère et diplomatique.
La sécurité est évidemment la préoccupation de l'heure pour nous tous.
Je voudrais utiliser le temps dont je dispose aujourd'hui pour aborder justement ce sujet dans le contexte des
deux grandes priorités de la politique étrangère du Canada pour la prochaine année. Je veux parler de notre
réaction particulière à la menace du terrorisme et du programme mondial plus vaste de stabilité et de
développement que nous entreprendrons aussitôt que nous assumerons la présidence du G8 en 2002.
La campagne mondiale contre le terrorisme est maintenant en tête de nos priorités aussi bien sur le plan
intérieur que dans le cadre de notre politique étrangère. Le Canada a été et continue d'être profondément
affecté par la crise. Compte tenu de votre connaissance du pays, vous vous rendez sûrement compte de
l'importance et de la portée des mesures que nous avons prises depuis le 11 septembre, de nos engagements
militaires et notre aide humanitaire à l'étranger jusqu'aux nouvelles lois, au gel des avoirs terroristes et aux
importants investissements destinés à renforcer notre infrastructure intérieure de sécurité. La question de
savoir comment nous allons gérer la frontière canado-américaine, de façon à assurer notre sécurité à la fois
personnelle et économique en continuant à faciliter le commerce, se situera également au premier rang des
soucis de nombreux Canadiens au gouvernement, dans le monde des affaires et parmi les membres du public
pendant un certain temps encore.
Nous examinerons en outre avec nos partenaires américains nos relations bilatérales en matière de défense et
de sécurité afin de tenir compte de l'évolution de la situation après le 11 septembre. Le Canada et les États-Unis collaborent étroitement pour la défense de l'Amérique du Nord et dans de nombreuses missions de
maintien de la paix à l'étranger. Comme certains d'entre vous le savent, le NORAD [Défense aérospatiale de
l'Amérique du Nord], avec sa structure de commandement binationale sans pareille, protège l'espace aérien
canadien et américain. Le NORAD joue un rôle de premier plan dans la défense du continent. En entamant cet
examen de nos programmes bilatéraux de coopération en matière de sécurité, nous resterons comme toujours
très sensibles aux questions de souveraineté qui se posent des deux côtés de la frontière.
La lutte contre le terrorisme et la gestion de ses retombées sont loin d'être terminées.
Au cours de la récente session de l'Assemblée générale des Nations Unies, j'ai trouvé très réconfortant
d'entendre les représentants d'États membres condamner aussi catégoriquement le terrorisme. Le message
que le Canada a transmis à l'Assemblée, de concert avec d'autres, est que l'indignation seule ne permettra pas
de vaincre le terrorisme. Les sentiments doivent se refléter dans des engagements qui, à leur tour, doivent se
traduire par des actes. Pour en arriver là et pour tenir les promesses que nous avons échangées et que nous
avons faites à nos citoyens, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme avant, ni nous tenir à l'écart de la
voie commune par le jeu de la diplomatie ou par intérêt égoïste. Pour dire les choses de façon directe, dans la
realpolitik du monde d'après le 11 septembre, le maintien du statu quo ne compte plus parmi les options
possibles pour notre communauté internationale.
L'application universelle de la résolution historique 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies n'est qu'un
premier pas. Au Canada, nous avons déjà mis en œuvre plusieurs de ses dispositions, et nous nous tenons
prêts, dans le cadre de nos efforts de renforcement des capacités, à aider d'autres États pour qui l'application
pourrait être difficile. Le Canada présentera sous peu le bilan de son travail au comité du Conseil de sécurité
chargé du suivi de la mise en œuvre de la résolution 1373. Nous exhortons les États membres des Nations
Unies à agir en faveur d'une conclusion rapide des négociations qui se poursuivent aux Nations Unies au sujet
de la 13e convention antiterroriste mondiale, la Convention générale sur le terrorisme international.
Nous croyons également que notre sécurité collective doit s'appuyer sur un soutien plus large et une
application plus efficace de notre régime international de non-prolifération, de contrôle des armements et de
désarmement. Dans cette veine, le Canada s'est vraiment réjoui de la récente entente historique dans le cadre
de laquelle les États-Unis et la Russie a convenu de réduire leur arsenal nucléaire à leur plus bas niveau
depuis 40 ans. Nous sommes assez impatients de voir comment ces réductions seront codifiées. Le Canada se
félicite également du fait que les États-Unis ont récemment annoncé le maintien de leur moratoire volontaire
sur les essais nucléaires, et nous les exhortons, ainsi que tous les États qui ne l'ont pas encore fait, à ratifier le
plus tôt possible le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.
La situation en Afghanistan exige également toute notre attention. Nous avons entamé, bien plus tôt que prévu,
une phase cruciale pour la détermination de l'avenir de ce pays depuis si longtemps en crise. Le Canada a été
heureux d'apprendre que le représentant spécial des Nations Unies Lakhdar Brahimi s'entretiendra à Bonn la
semaine prochaine avec les délégués de l'Alliance du Nord et d'autres factions et intervenants, afin de
rechercher une entente sur la façon d'établir un nouveau régime de gouvernement représentatif -- notamment
de femmes -- et efficace en Afghanistan après la fin du conflit et la chute des Talibans. Nous demandons avec
insistance à toutes les parties de jouer un rôle constructif et de s'asseoir à la table de négociations avec la
volonté d'éviter les luttes pour le pouvoir qui ont déjà fait tant de tort à l'Afghanistan par le passé.
L'Afghanistan a souffert de dizaines d'années de sous-développement, d'occupation étrangère et de guerres
civiles. Depuis 1996, la répression et la brutalité du régime taliban -- et surtout son exclusion des femmes, ses
exécutions sommaires et sa politique de la terre brûlée -- ont sévèrement aggravé les difficultés éprouvées par
le peuple afghan. À la pauvreté, à la dislocation, aux violations des droits de la personne et aux désordres civils
qui se poursuivent se sont ajoutés les effets dévastateurs d'une sécheresse qui dure depuis trois ans.
Aujourd'hui, près de 5 millions d'Afghans sont vulnérables à la famine. En outre, il y a 3,5 millions de réfugiés et
1 million de personnes déplacées dans leur propre pays. La chute du régime taliban est un premier pas
indispensable vers la stabilité en Afghanistan, mais il restera ensuite énormément à faire pour rétablir le bien-être du peuple afghan. L'appel humanitaire initial des Nations Unies en faveur de l'Afghanistan est maintenant
pleinement souscrit. Le Canada a fait sa part, ajoutant depuis le 11 septembre 16 millions de dollars aux
150 millions déjà fournis sous forme d'aide au cours des 10 dernières années. Cependant, la situation des
civils et des réfugiés demeure grave. Les nouvelles que nous avons reçues la semaine dernière -- exécutions,
meurtre de journalistes, batailles entre seigneurs de guerre pour l'occupation de territoire -- nous ont montré à
quel point la situation est dangereuse et instable dans le pays.
Comme vous le savez, 1 000 militaires canadiens du Princess Patricia's Canadian Light Infantry sont en
attente, prêts à partir dans les 48 heures. Leur mission consisterait à assurer la stabilité dans la région, afin de
faciliter l'arrivée de l'aide humanitaire. Comme vous le savez aussi, la situation sur le terrain est assez
mouvante, évoluant d'heure en heure. Nos troupes partiront après que nous aurons procédé à la planification
et à la coordination opérationnelles nécessaires avec nos partenaires de la coalition.
La sécurité et le développement sont indissociables, s'appuyant mutuellement et ne pouvant subsister l'un sans
l'autre. La pauvreté, la négation des droits de la personne, la propagation du VIH/sida, la dégradation
incontrôlée de l'environnement, les dégâts causés par la drogue et le crime, tout cela mine la stabilité, réduit le
potentiel humain et entrave le progrès social et économique. Quand on ne peut pas labourer un champ parce
qu'il pourrait être jonché de mines antipersonnel -- permettez-moi de dire en passant que, d'après les
statistiques actuelles, un tiers des victimes des mines terrestres se trouvent en Afghanistan --, quand un village
manque d'une main-d'oeuvre instruite et qualifiée parce que le sida a tué un dixième de sa population, aucun
développement durable de la société ou de l'économie n'est possible, aucune stabilité, aucun progrès, aucun
espoir n'est permis.
Nous devons renouveler notre engagement collectif à créer une communauté mondiale forte et équitable que ni
les terroristes ni d'autres éléments malfaisants ne peuvent attaquer ou exploiter.
J'aurai naturellement ces questions à l'esprit lorsque je présiderai l'année prochaine le processus des ministres
des Affaires étrangères du G8. Comme vous le savez, le Canada assume la présidence du G8 en 2002, et la
lutte contre le terrorisme sera l'une de nos grandes priorités.
Le premier ministre a annoncé que Kananaskis sera un petit sommet informel centré sur quelques grandes
questions mondiales. Outre la lutte contre le terrorisme, ces questions comprennent :
• le renforcement de la croissance dans l'économie mondiale, de façon à établir une économie plus stable et
plus inclusive dans l'intérêt de tous les pays;
• l'établissement d'un nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, dans le cadre duquel les
donateurs reconnaîtront que les Africains eux-mêmes sont et doivent être entièrement responsables de
l'Afrique.
De plus, nous donnerons suite aux engagements pris à Gênes, notamment en ce qui concerne la collaboration
avec les pays partenaires développés et en développement en vue de l'établissement d'un Fonds mondial pour
le sida et la santé, auquel le Canada s'est engagé à verser la somme de 100 millions de dollars américains, la
mise en œuvre du plan d'action de Gênes visant à combler le fossé numérique et la coopération avec nos
partenaires du G8, les pays en développement et les meilleurs experts non gouvernementaux sur les moyens
d'atteindre les principaux objectifs du Cadre d'action de Dakar sur l'éducation pour tous.
Je me suis récemment entretenu avec d'autres ministres des Affaires étrangères du G8 à New York, afin de
donner suite aux instructions des dirigeants concernant l'élaboration d'un plan d'action antiterroriste concret et
détaillé du G8. Le plan progresse très bien. Il comprend un recours accru aux mesures et aux sanctions
financières (comme dans le cas du G-20, la fin de semaine dernière), le resserrement de la sécurité aérienne,
le contrôle des exportations d'armes et le renforcement de la coopération dans d'autres domaines. Nous avons
demandé à nos experts de mettre la dernière main à ce plan et de le transmettre le plus rapidement possible
aux dirigeants. L'une de nos principales tâches à la présidence du G8 consistera à coordonner la mise en
œuvre de ce plan d'action.
Bien avant que les événements du 11 septembre ne nous amènent à concentrer nos efforts sur la lutte contre
le terrorisme, les dirigeants du G8, sur l'initiative du premier ministre Chrétien, avaient convenu de mettre
l'accent sur une autre priorité en 2002 : l'Afrique. Les événements du 11 septembre n'ont modifié en rien la
détermination du G8 à faire de l'Afrique l'un des principaux thèmes du Sommet de Kananaskis.
La semaine dernière, en recevant son certificat de citoyen honoraire du Canada, M. Nelson Mandela a parlé du
travail en cours en vue d'une « renaissance africaine ». Grâce à la volonté politique et aux efforts déployés par
les dirigeants africains dans le cadre de l'initiative Nouveaux partenariats pour le développement de l'Afrique,
les perspectives de progrès sur ce continent n'ont jamais été aussi brillantes. Les dirigeants du G8 se sont
engagés à adopter un plan d'action pour l'Afrique qui, nous l'espérons, constituera la base d'un partenariat
vaste et durable en faveur des peuples africains, et qui fera intervenir d'autres partenaires importants du
développement ainsi que le monde des affaires et la société civile.
L'économie internationale et la perspective d'une prospérité étendue et durable ont toujours été au centre du
programme du G8 et demeurent d'une grande importance après le ralentissement économique général de
l'année dernière et les contraintes occasionnées par les événements du 11 septembre. Les dirigeants du G8
concentreront leur attention sur la façon dont leurs gouvernements peuvent encourager la croissance et
raffermir la confiance dans les perspectives économiques mondiales, ainsi que sur les moyens d'étendre à tous
les pays et à tous les peuples les avantages de la croissance future dans une économie mondialisée. Notre
point de vue dans cette discussion s'inspire du consensus de Montréal que les ministres du G-20 et les
gouverneurs des banques centrales ont récemment réaffirmé à Ottawa -- une saine politique économique et
une saine politique sociale vont de pair quand il s'agit d'appuyer la croissance économique, l'équité et le bien-être des gens.
Dans cette veine, le Canada considère l'accord de Doha sur un nouveau cycle commercial mondial comme un
développement extrêmement positif parce qu'il place le monde en développement au cœur des négociations.
Tous les membres de l'Organisation mondiale du commerce [OMC] peuvent considérer cet accord comme une
mesure favorable tant à leur croissance et à leur développement qu'à ceux de la communauté mondiale dans
son ensemble.
Conclusion
La perspective d'évoluer vers un avenir plus sûr, plus prospère et plus pacifique a toujours été présente. Même
si les événements du 11 septembre ont créé de nouveaux défis et ont attisé certaines de nos préoccupations
au sujet de l'avenir, ils ont aussi donné à la communauté internationale des objectifs communs d'une grande
clarté. Nous devons maintenir la solidarité et la détermination sans précédent qui se sont manifestées d'une
façon aussi évidente ces derniers temps aux Nations Unies, à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
[OTAN], à la Coopération économique Asie-Pacifique [APEC], à l'Organisation internationale du commerce
[OIC], à l'Organisation des États américains [OEA], au Commonwealth, dans la Francophonie, au G-20 et
maintenant à l'OMC, ainsi que dans la coalition des États qui ont clairement pris position contre le terrorisme et
les terroristes, notamment en Asie, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Les Talibans sont près de la fin, et je crois que ce n'est qu'une question de temps avant que justice soit faite,
dans le cas d'Oussama Ben Laden, mais ce ne sont là que les éléments les plus immédiats d'une longue liste
d'objectifs. Nous devons également veiller à ce que les crimes commis ne soient pas répétés par d'autres, qui
pourraient chercher à exploiter des divergences ou des disparités à leurs propres fins égoïstes. Il s'agit d'un
programme vaste et urgent qui exigera que chacun de nous fasse sa part.
Le mois du Ramadan a commencé. Je tiens d'ailleurs à remercier les ambassadeurs musulmans ici présents,
qui ont aimablement accepté de participer à notre forum en cette période d'observance religieuse. C'est un
moment de l'année où des peuples de toutes les fois et de toutes les nationalités commencent à se préparer
pour une saison de paix et d'harmonie. Nous en sommes plus proches qu'il y a environ deux mois et demi. En
gardant une vision claire et une ferme détermination, il nous serait possible de parvenir à cet objectif ultime.
Peut-être pas à temps pour ma prochaine évaluation par vous tous, mais un jour.
Je vous remercie.