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Le Canada dans le monde

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V. Peter Harder, sous-ministre des Affaires étrangères Allocution prononcée à l'occasion d'un déjeuner de l'Association des chefs de mission à la retraite
Le 17 mars 2004

« Tandis que Cohen dormait »
La diplomatie canadienne au XXIe siècle

Marc, je vous remercie de vos paroles obligeantes. C'est un plaisir de me retrouver parmi vous et de voir réunis ici tant de distingués collègues. C'est aussi quelque peu intimidant, car vous n'êtes pas un auditoire qu'on peut espérer satisfaire en tenant le discours habituel. Étant donné que nous avons tous une assez bonne idée des éléments courants, je voudrais chercher aujourd'hui à stimuler un peu plus la réflexion dans l'espoir de susciter des débats animés.

Contexte

J'espère vous dire des choses intéressantes sur les changements qui surviennent au Canada et dans le monde et qui nous obligent à modifier notre gestion des relations internationales. Mais avant tout, je voudrais vous parler de trois facteurs qui éclairent tout ce que nous faisons.

De façon tout à fait réelle, le consensus sur la politique publique au Canada a changé, par rapport à il y a seulement dix ans, et tout ce que nous faisons, absolument tout, est perçu à travers ces trois filtres.

Tout d'abord, la responsabilité financière. Nous avons passé des années fort difficiles à tâcher d'éliminer le déficit, et aucun gouvernement ne veut plus jamais retomber dans le rouge. C'est dire que d'excellentes idées ne pourront se concrétiser faute de fonds. Que de nouvelles initiatives, notamment au ministère des Affaires étrangères, dont les fonds discrétionnaires se résument à fort peu de chose, doivent recevoir l'appui d'autres ministères à Ottawa tant financièrement que sur le plan de la politique. Et que nous allons devoir constamment réaménager les ressources financières pour dégager, au détriment de dépenses existantes ou prévues, les fonds qu'exigent des priorités nouvelles et urgentes.

Deuxièmement, l'espace économique est plus vaste que l'espace politique. Notre économie est intégralement mondialisée, mais nos préoccupations politiques sont axées sur un nombre de domaines plus réduit que jamais par le passé. Je ne veux en rien minimiser les enjeux de l'Afghanistan, du Moyen-Orient ou encore de l'ex-Union soviétique, mais j'estime que, par comparaison avec l'ancien clivage Est-Ouest, l'espace où se situent les enjeux politiques vitaux est indubitablement plus restreint.

Troisièmement, il y a la société du savoir. La liberté de circulation des biens, des services, de la main-d'oeuvre et des capitaux, pour ne pas être absolue, est tout de même plus grande que jamais auparavant. De plus en plus, le gouvernement se perçoit comme engagé dans le secteur du « savoir », pas seulement par le financement de l'éducation, mais aussi dans une foule d'autres domaines.

Une rupture remarquable s'est faite avec l'époque « des briques et du mortier » et nous sommes résolument tournés vers la recherche des meilleurs moyens de soutenir les impressionnantes réalisations du Canada dans les nouveaux secteurs fondés sur le savoir.

Après cette entrée en matière, permettez-moi de signaler deux faits récents qui, je dois l'avouer, m'ont pris par surprise.

Le premier a été la publication, l'an dernier, de l'étude stimulante réalisée par Andrew Cohen sur ce qu'il perçoit comme la diminution de l'influence du Canada dans le monde, et le rôle que le déclin de notre service extérieur a joué dans ce recul de notre influence. Comme vous êtes nombreux à le savoir, ce livre a été fort bien accueilli et il a incité de nombreux citoyens et observateurs à réfléchir plus sérieusement à l'orientation prise par notre pays et aux moyens à prendre pour améliorer nos perspectives.

Le deuxième a été une observation lancée le mois dernier par Allen Gregg, le spécialiste des sondages et commentateur politique bien connu. M. Gregg a dit au cours d'une émission de télévision que les trois grands thèmes des prochaines élections fédérales seraient les suivants : l'augmentation des différences de revenu ou « est-ce que j'appartiens à ce club? »; le déclin des services sociaux ou « vaut-il la peine d'appartenir à ce club? »; le déclin de l'influence du Canada dans le monde ou « que pensent les autres de ce club? »

Intéressant. Il est certain que je suis heureux qu'on se préoccupe de la place du Canada dans le monde au point que cela devienne un grand thème électoral. Il est réconfortant de savoir que les Canadiens s'intéressent à la question.

Par ailleurs, les Canadiens craignent aussi que nous ne soyons en déclin, que nous ne comptions plus autant qu'autrefois sur la scène mondiale. Ce n'est sûrement pas réconfortant pour ceux d'entre nous qui se soucient du Canada.

Ces craintes sont-elles justifiées?

Un certain nombre de réactions à l'ouvrage d'Andrew Cohen ont écarté son constat du revers de la main. Bien sûr, le Canada avait plus d'influence dans le monde il y a 50 ans. L'Europe était en lambeaux et l'ONU regroupait à peine plus d'une cinquantaine de pays. La scène mondiale était à la fois plus restreinte et fort différente, si bien que toute comparaison entre hier et aujourd'hui serait une trahison de l'histoire.

Selon moi, cette réponse est trop facile. Bien sûr, il y a passablement de nostalgie dans l'ouvrage de Cohen, et les irréductibles réalistes qui se trouvent parmi nous peuvent mordre à belles dents là-dedans. Mais il y a aussi là des observations très fines sur le tort que nous nous sommes infligé nous-mêmes, abstraction faites des changements qui se sont produits dans le monde. Bien sûr, on peut toujours soutenir qu'un grand nombre de ces décisions étaient nécessaires, voire souhaitables, mais il est impossible d'échapper à l'accusation voulant qu'un grand nombre des choses que nous avons faites et qui semblent avoir affaibli l'influence du Canada et son service extérieur sont le fait de nos seules décisions.

Déclin : le club est impressionnant

Aujourd'hui, je veux prendre au sérieux la thèse de Cohen et les perceptions de Gregg, et poser les questions suivantes.

Somme-nous en déclin? Si oui, y a-t-il lieu de nous inquiéter? S'il y a lieu de nous inquiéter, que pouvons-nous faire?

La place du Canada dans le monde a-t-elle diminué? Bien sûr que oui. Bien sûr que non.

D'une part, d'autre part. Oui et non. Nous y voilà encore, devez-vous tous être en train de vous dire.

En réalité, il n'y a aucune réponse simple.

Dans une perspective historique, comme je l'ai dit tout à l'heure, il est certain qu'il y a eu un déclin. Après la Seconde Guerre mondiale, je crois que la flotte de notre marine marchande était au troisième rang dans le monde. Nous l'avons vendue pour une bouchée de pain et nous avons ainsi rendu les Aristote Onassis de ce monde fabuleusement riches.

On m'a un jour raconté, bien que je n'aie jamais pu le vérifier, que l'état-major de liaison des Forces canadiennes à notre haut-commissariat de Londres avait son propre avion!

Nous avions de l'argent et nous avions de l'influence.

Mais les choses ont changé. La reconstruction de l'Europe, la décolonisation, la montée de l'Asie et bien d'autres phénomènes ont eu pour conséquence un déplacement du poids politique et économique des différents pays au cours des 50 dernières années.

Le Canada est moins en mesure d'influencer le cours des choses sur la scène internationale.

Voici ce qu'il y a de plus étonnant : l'influence de presque tous les autres pays qui étaient importants après la guerre a également diminué.

Pensons à l'Europe. Quelqu'un croit-il que, si nous établissions le Conseil de sécurité de l'ONU aujourd'hui, la Grande-Bretagne et la France auraient des sièges permanents? Peut-être y en aurait-il un pour l'Union européenne, mais deux membres permanents pour l'Europe de l'Ouest?

Tous les pays de l'Union européenne estiment qu'une intégration plus poussée est une étape nécessaire au maintien d'une influence appréciable dans l'évolution des choses sur la scène internationale. Presque tous ces pays, pris isolément, sont plus faibles qu'autrefois. Ils se regroupent donc notamment pour conserver un certain pouvoir.

Pensons à la situation de la Russie, par rapport à l'influence qu'elle exerçait au coeur de l'Union, de l'empire soviétique.

Pensons aux États-Unis, et c'est ce qu'il y a de plus radical. Nous avons tellement l'habitude de parler de son pouvoir énorme, de son hyperpuissance, comme on dit en français, que nous oublions à quel point ce pays est lui aussi bousculé par des événements qui échappent à sa maîtrise.

On parle de l'énormité de l'économie américaine, de sa domination planétaire. Là encore, oui et non. Comparons l'influence qu'elle exerce aujourd'hui sur l'économie mondiale à celle de l'époque où nous avions un système de taux de change fixes établis en fonction du dollar américain, appuyé par des réserves d'or. On dirait que c'était il y a une éternité.

Pensons aux États-Unis d'aujourd'hui, aux prises avec des menaces contre son propre territoire souverain venant de pays comme l'Afghanistan, le Yémen ou la Somalie, et aux États-Unis d'il y a 40 ou 50 ans. Ils ont eu à livrer, d'après leurs calculs, deux guerres en deux ans pour contrer les menaces et réaffirmer leur influence. Bien sûr, il y a eu la menace soviétique, mais elle pouvait être gérée grâce au leadership et à l'influence des États-Unis en Europe et ailleurs. Malgré tout leur pouvoir, les États-Unis et le reste d'entre nous faisons face à des menaces réelles et fatales, et notre capacité d'influencer les pays d'où ces menaces sont lancées est bien plus limitée que nous ne le voudrions.

Autrement dit, le déclin est indubitable pour la plupart d'entre nous, du moins selon un certain point de vue.

Déclin ou libéralisation

Il y a cependant une autre façon d'envisager ce déclin. Nous pouvons le voir non comme la conséquence des changements survenus dans le monde, mais comme le résultat que nous avons cherché par notre politique nationale explicite.

Je songe ici à la façon dont les gouvernements de l'Occident, le Canada en tête, ont décidé de réduire le rôle de l'État sur le plan intérieur comme à l'étranger.

Au niveau international, je pense à des décisions comme les accords commerciaux internationaux ou les accords sur la déréglementation des transports aériens, les services financiers et l'investissement. Je pense aussi au large éventail des mesures qui ont affranchi le secteur privé de contraintes diverses, le laissant libre d'agir bien différemment d'il y a 40 ou 50 ans.

Je pense aux accords sur les télécommunications, qui ont permis aux sociétés commerciales et aux particuliers d'exploiter au maximum les avantages des technologies nouvelles.

Je pense encore à des accords de nature plus technique comme l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, qui a prévu des conseils consultatifs bilatéraux indépendants.

Tous ces textes ont un élément commun : ils visent tous à mettre des activités internationales importantes à l'abri de l'ingérence des gouvernements. Petit à petit, avec les accords successifs, nous avons affranchi de nombreuses opérations internationales du contrôle direct du gouvernement. L'effet cumulatif est énorme.

Nous parlons de « relations canado-américaines » pour décrire brièvement ce qui se passe au niveau transfrontalier. Mais ne nous leurrons pas. L'intervention des gouvernements est absente dans la très grande majorité de ces relations, dans le plus grand nombre d'opérations transfrontalières. Nous pouvons en dire autant de nos relations avec tous les pays industrialisés et un grand nombre de pays en développement.

Andrew Cohen a intitulé son livre While Canada Slept, ou Tandis que le Canada dormait. En réalité, les gouvernements du Canada, tout comme les gouvernements du monde entier, n'ont pas dormi, loin de là. Ils s'affairaient à négocier des règles nouvelles qui ont fait que le monde d'aujourd'hui est profondément différent du monde d'il y a 40 ou 50 ans, des règles qui ont volontairement limité la capacité des gouvernements d'influencer les affaires internationales de toutes sortes.

La mondialisation ne s'est pas faite toute seule. Elle a été rendue possible par un ensemble de progrès technologiques considérables et de règles nouvelles qui ont permis une bien plus grande libéralisation du commerce et des finances, notamment dans nombre de pays qui, il y a 40 ans, n'existaient pas où étaient repliés, comme l'Union soviétique et ses satellites, dans des systèmes économiques fermés.

Nous avons assisté à une évolution parallèle à l'intérieur de notre pays. Il y a quelques années à peine, nous avions encore un transporteur aérien national, une société ferroviaire nationale, un réseau national de radiodiffusion incontesté.

Les partis courtisaient les électeurs en promettant de créer des emplois et ils pouvaient tenir parole, jusqu'à un certain point, parce que les gouvernements contrôlaient une grande partie de l'économie. Les choses ont changé profondément, mais le discours politique n'a peut-être pas évolué au même rythme.

Le Canada, ce n'est pas seulement le gouvernement

En réalité, les gouvernements exercent aujourd'hui, dans la vie nationale et internationale, une influence dans des sphères plus étroites que jamais au cours de notre histoire.

Est-ce un déclin? Notre pays a-t-il décliné sur les plans de la prospérité, de la liberté, des réalisations culturelles et scientifiques?

De nos jours, les Canadiens ont probablement plus d'influence que jamais dans le monde, qu'il s'agisse des affaires, des arts, de l'aide au développement, des ONG ou des communications. Depuis une vingtaine d'années, nous assistons à un extraordinaire épanouissement de l'innovation et du talent canadiens, et les Canadiens, même si on les prend parfois pour des Américains, sont reconnus dans le monde entier.

Vue de l'étranger, la grande réussite du Canada réside dans la façon dont il a accueilli des gens de tous les horizons pour former une société dynamique et prospère. Les gouvernements jouent un rôle, certes, mais les simples Canadiens ont joué leur rôle dans leurs écoles, leurs entreprises, leurs clubs, leurs Églises et leurs groupes communautaires. Souvent, pour nous, cela semble aller de soi, mais des experts accourent du monde entier pour voir comment nous nous y prenons. Songez aux défis que nous avons et aurons à relever dans le monde, et vous constaterez qu'un message qui fait comprendre que des êtres humains d'origines très diverses peuvent vivre ensemble dans l'harmonie est extraordinairement constructif et porteur d'espoir.

Quand on dit que le Canada a perdu de l'influence dans le monde, on pense souvent aux relations très traditionnelles entre États et on néglige les profonds changements qui ont transformé le monde et dont les Canadiens ont si bien su profiter. De ce point de vue, le Canada, c'est-à-dire les Canadiens et leur gouvernement, ont bien plus d'influence et un impact bien plus grand que nos critiques ne le reconnaissent.

Ce qu'il reste

Dans ce contexte, que reste-t-il à faire aux gouvernements? Si on laisse de côté la bonne gestion des programmes et des tâches semblables, ce qu'il reste est étonnamment intéressant.

Intéressant, parce que c'est souvent complexe et difficile. Nous pourrions presque dire que le secteur privé s'est emparé de ce qu'il y avait de plus facile en laissant aux gouvernements une poignée de problèmes épineux.

Prenons la sécurité internationale. La guerre froide nous a fait vivre des moments terrifiants, mais nous avons aussi établi des « règles d'engagement » assez claires qui nous ont donné un centre de gravité, une stabilité dans l'affrontement Est-Ouest. Depuis la chute du communisme, des soldats canadiens ont été déployés dans des zones de guerre de la région du Golfe, du Kosovo et de l'Afghanistan. Ils ont participé à des missions difficiles et dangereuses d'imposition de la paix dans les Balkans et à Haïti.

Nous avons été témoins d'un génocide au Rwanda et de massacres inimaginables dans la République démocratique du Congo.

Je ne vais pas énumérer les nouvelles menaces terroristes qui planent sur nous, car vous les connaissez fort bien, mais je dois vous dire que les efforts à déployer contre la menace terroriste exigeront des entreprises plus complexes et risquées qu'à peu près tout ce que nous avons vu ces 50 dernières années. Je ne veux pas parler uniquement des contre-mesures militaires, mais aussi des efforts à déployer pour répondre aux besoins légitimes des sociétés qui produisent tant de terroristes.

Nous commençons à peine à nous interroger sur le conflit entre les notions classiques de souveraineté et la nécessité croissante d'intervenir d'une façon ou d'une autre pour transformer des sociétés entières, des États voyous, des États qui se désagrègent, des États complètement effondrés.

La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, parrainée par le Canada, est une audacieuse contribution dans le domaine des nouvelles idées de notre temps. En définissant la responsabilité des États de protéger leurs citoyens, le rapport soutient que les instances multilatérales sont tenues d'assurer cette protection lorsque les États refusent ou sont incapables de s'acquitter de cette obligation qui est celle des États souverains.

Nous sommes loin des notions élémentaires de relations internationales d'il y a à peine quelques dizaines d'années.

Sur le plan économique, de redoutables défis nous attendent. Un discours admirable sur la nécessité de protéger le patrimoine naturel de la planète commence à s'imposer : changements climatiques, surpêche, santé publique, militarisation de l'espace, pour ne donner que quelques exemples.

Quant à la politique commerciale, le fait que les négociations de Doha soient enlisées porte les plus pessimistes d'entre nous à penser que l'ère des accords commerciaux mondiaux touche à sa fin, à moins que nous ne trouvions des moyens nouveaux de combler l'écart entre les pays industrialisés et les pays en développement dans des domaines comme l'agriculture.

Malgré nos accords de libre-échange, des différends subsistent, et ils peuvent être plutôt ennuyeux. Celui du bois d'oeuvre a duré assez longtemps pour que poussent de toutes nouvelles forêts!

Même les tâches relativement simples que vous êtes nombreux à bien connaître sont en train de changer rapidement. Le vieux style de promotion commerciale est en train de disparaître. Nous sommes à la recherche des meilleurs moyens non seulement d'attirer les investissements étrangers, avec leur apport de sciences et de technologies, mais aussi de soutenir l'investissement, les sciences et l'innovation du Canada à l'étranger.

Nous parlions autrefois des transferts de technologie comme d'une chose que les pays industrialisés accordait au monde en développement. Maintenant, ils donnent lieu à une féroce concurrence entre les pays développés.

Le domaine des activités internationales du gouvernement s'est rétréci, en un sens, mais, en même temps, ce qu'il nous reste est souvent neuf, inexploré, complexe, et il n'est pas toujours sûr que nous ayons l'appui du public.

La mondialisation : une interdépendance dopée

Peu importe comment nous déciderons de mener nos affaires internationales, il est une chose qui crève les yeux, et c'est que les anciennes façons de faire ne nous permettront pas d'accomplir nos tâches.

Ce qui mène naturellement à la question de savoir si nous sommes prêts, et à une question complémentaire : si nous ne le sommes pas, comment pouvons-nous nous préparer? Et au moins une autre encore : pouvons-nous y arriver? Permettez-moi d'abord d'énumérer quatre grandes conséquences de la mondialisation pour la gestion de nos affaires internationales et, par extension, pour notre ministère des Affaires étrangères. Je serai bref.

D'abord, la mondialisation apporte un surcroît de vulnérabilité et d'imprévisibilité. Les événements internationaux touchent les divers pays avec une promptitude sans précédent et, de plus en plus, il semble que nous sachions rarement d'où va venir le prochain coup.

Deuxièmement, dans les affaires internationales, bien des enjeux qui importent le plus à un pays sont très éloignés des préoccupations classiques d'un ministère des Affaires étrangères. Certains se demandent donc si nous avons besoin de diplomates de carrière ou, à tout le moins, si nous pouvons former des effectifs professionnels capables de s'acquitter des nouvelles tâches efficacement.

Troisièmement, nous avons vu augmenter radicalement le nombre et le pouvoir des acteurs non étatiques sur la scène internationale, et leur capacité d'influer sur la politique nationale et sur les orientations peut être saisissante. Je songe ici à des exemples comme les ONG, les multinationales et les médias mondiaux.

Quatrièmement, les structures diplomatiques classiques sont moins pertinentes qu'autrefois et elles perdront de leur pertinence de plus en plus vite. On peut soutenir que les sommets ont maintenant un effet plus marquant dans les dossiers que n'importe quel autre élément de la vie internationale. Les dirigeants et leurs collaborateurs sont en contact constant. Les ministères spécialisés communiquent sans cesse avec les ministères correspondant, dans tous les pays du monde.

Le ministère des Affaires étrangères comprend-il la situation?

Lorsque nous considérons ces changements, nous pouvons énumérer toute une liste de qualités désirables dont nous avons besoin de nos jours pour promouvoir et protéger les intérêts du Canada à l'étranger.

Des qualités comme la souplesse et la capacité d'adaptation non seulement des personnes, mais aussi des institutions, qui doivent se réorganiser pour relever les nouveaux défis.

Une plus grande ouverture aux nouveaux acteurs internationaux, dont une disposition à les considérer comme des éléments importants aussi bien pour l'élaboration de la politique que pour la prestation des programmes. Une plus grande créativité et une moins grande utilisation des structures classiques. Pensons ici à Royce Frith qui est allé solliciter l'appui des pêcheurs britanniques dans nos guerres du poisson avec l'Europe. Une plus grande intégration aux décideurs de la politique intérieure et une plus grande familiarité avec les acteurs et les dossiers qui dominent la politique intérieure.

On entend ce genre de discours depuis des années, mais il gagne en intensité de jour en jour. Le ministère des Affaires étrangères a pris des mesures qui vont dans le bon sens, mais nous sommes dans un contexte bureaucratique où la concurrence est vive, et je puis vous dire que nous ne passons pas pour en avoir fait assez, loin de là.

Certaines de ces critiques sont injustes, mais d'autres tombent pile. On peut soutenir que bien des ministères à vocation intérieure, à Ottawa, ont saisi les conséquences de la mondialisation pour l'organisation et la politique bien plus rapidement que notre ministère des Affaires étrangères, qui parle de mondialisation et publie des documents de politique depuis des années, mais qui a fait remarquablement peu pour s'adapter aux nouvelles exigences.

Il est inutile de revenir sur les vieilles batailles, et il n'y a pas grand-chose à gagner à se lamenter des années de compressions budgétaires. Lorsque je rencontre mes homologues d'autres pays, je suis frappé par la similitude de nos situations. Nous pouvons regarder vers l'arrière et nous apitoyer sur notre sort, ou nous pouvons aller de l'avant. En réalité, ce choix n'en est pas un, car il existe une seule possibilité, et le gouvernement a signifié on ne peut plus clairement qu'il souhaite une présence canadienne plus intégrée et active à l'étranger.

Et les autres?

Nous avons reçu nos ordres, et je voudrais signaler quelques-unes des balises que nous avons déjà établies.

Il est clair que nous devons mieux intégrer notre action à la politique intérieure, car, comme nous ne cessons de le répéter dans nos discours, une grande partie de ce qui se passe sur le plan intérieur est intimement lié à ce qui se produit au-delà de nos frontières.

Il existe cependant un problème d'intégration dans les politiques intérieures aussi. Beaucoup de ministères à vocation intérieure ont établi leurs propres secrétariats internationaux pour s'occuper de l'élément international de leur mandat. C'est sans doute fort bien, mais il y a là au moins trois lacunes :

  • D'abord, il est souvent difficile pour nos fonctionnaires d'intervenir au niveau de l'élaboration des politiques de ces ministères pour leur faire profiter de leurs compétences en matière internationale lorsque les politiques sont définies;
  • Deuxièmement, cette façon de procéder sème souvent la confusion à l'étranger, car différents porte-parole canadiens font entendre des messages qui ne concordent pas;
  • Troisièmement, on ne tient pas compte d'un autre aspect important de la mondialisation, et il nous en coûtera cher si nous continuons de ne pas en tenir compte à l'avenir.

Je veux parler ici de la façon dont la mondialisation a abattu les cloisons qui existaient entre les divers secteurs de la politique intérieure. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la gestion des pêches est une affaire aussi bien internationale qu'intérieure. Les ministères qui sont fiers de leurs compétences sur le plan international s'attardent au passé.

Voici un exemple : notre approche des questions internationales de pêche a une influence sur notre environnement; elle touche nos politiques sociales dans les régions côtières et donc nos politiques financières; elle touche aussi nos gouvernements provinciaux et leurs programmes et politiques; elle touche nos politiques commerciales et la répartition de nos budgets des forces armées et de la sécurité. Les mesures qui visent à régler un problème peuvent créer une foule de difficultés dans un autre domaine, etc.

Le Protocole de Kyoto est-il seulement un enjeu environnemental? Le SRAS n'est-il qu'une question de santé publique? La lutte contre le terrorisme au Canada est-il simplement une question de sécurité intérieure?

Le gouvernement veut obtenir des résultats

Le gouvernement a fait comprendre clairement que les vieilles méthodes étaient devenues inacceptables, et je crois que c'est précisément le message que nous avions besoin d'entendre. Il a donné au ministère des Affaires étrangères l'ordre de diriger un important examen de la politique internationale du Canada, et il nous a dit explicitement d'intégrer dans un examen plus vaste la politique étrangère et la politique sur la sécurité internationale.

La tâche est redoutable, mais nous avons bien amorcé le travail. Nous avons dit dès le départ que nous ne cherchons pas à nous réserver une chasse gardée dans les affaires internationales, dans une sorte de guerre stérile et stupide pour défendre notre fief.

Nous essayons plutôt de travailler avec d'autres ministères et organismes comme jamais auparavant pour faire converger toutes les activités internationales du gouvernement et d'élaborer des structures intellectuelles et organisationnelles cohérentes pour promouvoir nos intérêts sur le plan international.

Les ministres et les sous-ministres se rencontrent régulièrement pour discuter de l'examen et, jusqu'à maintenant, la coopération a été excellente.

Je ne peux pas entrer dans les détails, mais je peux vous dire que nous sommes guidés par un grand thème général : pour réussir dans le monde du XXIe siècle, le Canada aura besoin d'une approche « pangouvernementale et pancanadienne » s'il veut promouvoir et protéger ses intérêts dans le monde.

Facile à dire. Difficile à faire.

Pangouvernemental, cela veut dire plus, beaucoup plus que la simple coordination des divers points de vue sur un problème.

Cela veut dire aussi réunir les meilleurs éléments disponibles dans chaque dossier donné pour travailler en fonction d'un objectif commun. Cela veut dire partager le premier rôle dans certains dossiers et partager le crédit et le blâme. Cela veut dire abolir les mandats bureaucratiques rigides qui sont souvent dépassés et mettre en place des structures souples qui favorisent la créativité et l'innovation.

Pancanadien, cela veut dire qu'il faut faire preuve d'une plus grande créativité pour travailler avec les provinces et les parlementaires. Cela veut dire faire mieux participer les Canadiens à la promotion des intérêts du Canada à l'étranger. Les associations industrielles transfrontières peuvent beaucoup faire pour garder ouverts les marchés des biens et services canadiens et nous aider à attirer chez nous des investisseurs étrangers. Des entreprises canadiennes peuvent aider à établir des normes de comportement responsables pour les sociétés dans le monde en développement. Nos artistes qui vont à l'étranger montrent au monde que le Canada est une société dynamique, multiculturelle et créatrice, un pays qu'il vaut la peine de mieux connaître.

Le service extérieur peut-il aider à assurer une meilleure prestation?

Y a-t-il encore de la place pour un service extérieur professionnel dans ce tableau optimiste?

Je le crois, et je vais me battre pour qu'il en soit ainsi, mais nous devons modifier certaines de nos habitudes.

Nous devons établir de meilleurs contacts avec les éléments – c'est-à-dire les enjeux et les personnes – qui déterminent le programme de la politique intérieure.

Nous devons nous ouvrir à des échanges bien plus importants avec d'autres ministères. Je voudrais que nous établissions de meilleurs liens avec les provinces, les universités et le secteur privé, notamment par des échanges de personnel. Je sais qu'il existe des programmes de cette nature, mais ils sont restreints et ils sont loin d'occuper une place centrale dans notre réflexion et notre planification.

Par-dessus tout, nous devons décider sur quelles compétences principales nous voulons nous appuyer pour élaborer les politiques.

Idiot, c'est le monde entier.

La chose me paraît très claire : notre avantage comparatif réside dans nos compétences et notre expérience en matière internationale.

C'est très délibérément que je parle d'« expérience » : vivre à l'étranger, parler les langues des autres, apprendre à les connaître, savoir ce qui les remue, les remplit d'enthousiasme, les effraie, les motive. Apprendre à connaître la politique locale, connaître les grands facteurs déterminants à l'intérieur des autres pays.

Ce n'est pas la même chose que rencontrer des spécialistes comme soi-même à Genève et de rentrer ensuite à Ottawa. Rappelez-vous la controverse suscitée par l'Accord multilatéral sur l'investissement, il y a quelques années. Les experts avaient négocié un accord qui, à leur avis, était progressiste et utile. Quel n'a pas été leur étonnement lorsque la population, au Canada et dans bien d'autres pays, a été scandalisée par ce qui, selon leur opinion, fondée ou non, était une renonciation à tous les contrôles que les gouvernements pouvaient exercer sur l'investissement étranger. Bien des technocrates ont fulminé contre « la politique, la fichue politique ». Très juste. Ils n'avaient pas fait leur travail sur le plan de la politique publique.

Nous devons essayer de connaître de l'intérieur la pensée des autres pays, et ce n'est possible qu'au moyen d'une expérience de première main. Vous pouvez mémoriser tout un livre de statistiques du FMI, cela ne vous donnera pas tout ce dont vous avez besoin pour conseiller un investisseur canadien qui cherche le meilleur endroit où faire les investissements qu'il souhaite faire dans le sud de l'Asie.

On peut lire une dizaine de livres sur le Nigéria, la Thaïlande ou la Grande-Bretagne, ils ne permettront pas de saisir l'« esprit » du lieu ou des gens, ce qui est pourtant nécessaire à un jugement éclairé.

Nous devons être là, sur place, vivre à l'étranger et éclairer les délibérations du gouvernement au moyen de cette expérience.

Ceux qui se sentent chez eux dans le monde

Il y a un autre avantage : se rendre dans différents pays, s'installer rapidement, établir des contacts, filtrer l'information. Tout cela est beaucoup plus difficile qu'on ne le croit généralement, et ceux qui y arrivent sont toujours des gens qui ont l'esprit ouvert, une curiosité naturelle et la capacité d'assimiler et d'intégrer très rapidement l'information.

Voilà un ensemble de talents qui semblent fort utiles aux gouvernements qui doivent s'attaquer aux dossiers de politique publique à l'époque de la mondialisation!

Je crois qu'un service extérieur professionnel sera essentiel pour l'avenir du Canada. Je crois que notre expérience et les compétences que nous acquérons au cours d'une carrière qui nous mène dans divers pays sont un atout précieux pour le gouvernement. Je crois que nous devrions avoir plus de représentants à l'étranger et qu'il faut de toute urgence nous occuper de l'important déséquilibre entre les effectifs en poste à l'étranger et ceux de l'Administration centrale.

Comme on dit, il est facile de parler, mais pouvons-nous joindre le geste à la parole?

C'est exactement ce que nous essayons de voir. Comment assurons-nous la dotation de nos missions à l'étranger pour choisir judicieusement le personnel capable de faire un travail utile pour le Canada? Comment nous donnons-nous des mécanismes à Ottawa pour garantir que les agents du service extérieur travaillent efficacement avec ceux d'autres ministères et utilisent leur expérience internationale dans l'élaboration de politiques adaptées au XXIe siècle?

Comment ouvrir le service extérieur à de nouvelles personnes, à de nouvelles idées, sans perdre les qualités de l'esprit et le mode de comportement qui nous rendent uniques?

Voilà les enjeux qui nous interpellent le plus en ce moment. Il est déjà difficile de faire un examen stimulant, intelligent et crédible de la politique étrangère.

Un examen qui change réellement le comportement à Ottawa, qui produise de meilleures capacités de formulation de politiques, qui assure de meilleures politiques au service de l'ensemble du gouvernement et de l'ensemble du Canada. Ce serait vraiment un résultat enviable.

Enfin, l'examen doit satisfaire aux critères que j'ai signalés au début : responsabilité financière, bon calibrage de notre espace économique et politique et, pour finir, édification de la société du savoir. Sur ces points au moins, il n'y a aucun choix : nous y arriverons ou nous disparaîtrons.

Nous pouvons y arriver, et j'ai l'intime conviction qu'un service extérieur professionnel est un élément indispensable pour y arriver.

Il y a une profusion d'expérience réunie dans cette salle, et j'ai hâte de connaître vos opinions. Je sais que vous souhaitez tous le meilleur avenir possible pour le ministère des Affaires étrangères et les nombreux professionnels dévoués qui composent notre service extérieur.

Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que mes voeux vont dans le même sens, et j'ai bon espoir que nous atteindrons nos objectifs.

Merci.


Dernière mise à jour : 2006-08-30 Haut de la page
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