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Le Canada dans le monde : Politique internationale du Canada
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Entrevue vidéo
Christopher Cushing
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Le Dr. Christopher Cushing discute du travail en zone de guerre.

 

Le Dr. Cushing est l'associé de recherche principal au Centre for International Co-operation and Security à l'Université Bradford, au Royaume-Uni. Il a travaillé dans des zones de conflits à travers le monde, notamment sur 13 lignes de front avec différentes ONG.

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Entrevues vidéo (en anglais avec transcription en français)

Note: Les opinions exprimées ne sont pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.

  Contexte14 minutesQuicktime

  Difficultés
3 minutesQuicktime

  Expérience pour l'élaboration des politiques
2 minutesQuicktime

  La securité
3 minutesQuicktime

  La securité et le Canada
3 minutesQuicktime

(Les vidéolecteurs sont disponibles ici : QuickTimeWindows Media)


Transcription

Contexte

Je m’appelle Christopher Cushing et je suis originaire de Toronto. À l’heure actuelle, je suis chercheur principal attaché au centre de coopération et de sécurité internationales du département des études sur la paix de l’Université de Bradford. Je suis l’un des deux chercheurs principaux qui occupent également les postes de directeur adjoint du centre et qui se consacrent à la recherche appliquée. Je suis entré en fonction en septembre et, je m’occupe actuellement d’environ neuf projets de recherche pour le gouvernement britannique, les Nations Unies, d’autres gouvernements, des ONG, des organismes de bienfaisance et d’autres organismes et universités en quête de recherches dans les domaines de la coopération, de la sécurité, du développement et des études sur la paix – quels que soient les sujets traités.

J’étais étudiant au niveau du doctorat en sécurité internationale à l’Université de Toronto et j’ai collaboré à la mise sur pied de Médecins Sans Frontières au Canada en 1991-1992. Ma première mission à l’étranger pour MSF Canada et MSF Hollande a été en Bosnie à titre de membre d’une équipe d’urgence. J’ai travaillé à Sarajevo dans la zone occupée de l’est de la Bosnie, puis j’ai participé à diverses missions d’urgence pour MSF. J’ai été en Géorgie et au Tadjikistan. J’ai travaillé au Rwanda pendant le génocide. J’étais responsable de la seule équipe exploratoire de MSF présente au Rwanda pendant le génocide et j’ai passé les trois mois de la guerre au front en compagnie du RPF (front patriotique du Rwanda) pour faire des évaluations sur cette faction, puis j’ai traversé brièvement les lignes pour observer l’état de la situation chez les Hutu et les Tutsi.

- Quelle a été votre expérience au Rwanda?

Fort pénible. Lorsque le génocide a débuté au Rwanda en avril 1994, on m’a demandé de me rendre à Kigali pour porter secours aux deux maisons de MSF assiégées dans cette ville. J’ai consacré une journée à me rendre à Amsterdam. MSF a alors décidé qu’il valait mieux laisser les équipes dans les deux maisons de Kigali, car il était très dangereux d’emmener le personnel à l’aéroport pour évacuation. En outre, des employés locaux se cachaient dans le grenier et sous le toit des maisons. Nous n’aurions pu les emmener avec les autres membres de l’équipe : ils auraient été tués. Il valait donc mieux ne rien faire en espérant qu’ils pourraient s’en sortir.

MSF a décidé d’envoyer trois équipes exploratoires au Rwanda pendant le génocide pour connaître l’état exact de la situation. J’étais responsable, avec un médecin, d’une équipe arrivant de l’Ouganda par le nord. Il y avait une autre équipe arrivant de l’est, de Tanzanie, qui s’efforçait de franchir la frontière, et une équipe du Burundi essayant de se diriger vers le nord en passant par le sud du Rwanda. Mon équipe a été la seule à pouvoir négocier son passage dans la partie nord du pays. Le quartier général de Kigami était situé à côté de la zone frontière. Les négociations avec ce chef et ses partisans pour obtenir l’autorisation de pénétrer dans leur territoire ont pris de huit à dix jours. Pendant les trois mois suivants, nous avons accompagné l’avance vers le sud et Kigali, puis été témoins de l’encerclement de la capitale et finalement de la chute du pays. Nous faisions l’aller-retour entre le front et les camps de personnes déplacées à l’intérieur du pays, qui abritaient des habitants des villes qui se rendaient. Notre objectif était de surveiller la situation et d’évaluer l’état des installations d’eau potable, des installations sanitaires, des installations de santé et des hôpitaux urbains. MSF a pu ainsi mettre sur pied des équipes à la frontière de l’Ouganda et, dès que les combats ont cessé, douze à quinze équipes ont pu franchir la frontière. Trois à six heures après, elles étaient à l’oeuvre, savaient exactement ce qu’elles avaient à faire, réparaient les pompes à eau ou remettaient en état le toit des hôpitaux. Elles pouvaient ensuite offrir des services de santé, des services médicaux et autres à la population locale.

La mission a été très difficile car nous avons été des témoins de première main du génocide pendant toute cette période. Cette mission a été probablement aussi dure que les deux expéditions antérieures en Bosnie. La première, à Sarajevo en 1993, a duré six mois. Je suis ensuite passé du côté serbe afin d’obtenir un accès viable dans les autres enclaves de Gorazde, Srebrenica et Zepa. Le moindre que je puisse dire c’est que ce n’était pas facile. J’ai ensuite été envoyé en Géorgie, au Tadjikistan et dans toutes les républiques se terminant en « stan » puis, j’ai effectué des missions d’urgence en Géorgie et dans le sud de la Russie. J’ai été rappelé en janvier et affecté à Banuluka, quartier général des forces serbes de la région nord–nord-ouest. L’équipe était victime de harcèlements et d’attaques constantes : il fallait donc qu’une personne prenne en main le bureau pendant un certain temps. Après une semaine ou deux, le programme a été remis sur les rails. Il offrait des fournitures médicales, du carburant, des vêtements et de la nourriture à environ 96 orphelinats et hôpitaux psychiatriques pour adultes et enfants situés sur la ligne de front, relativement longue, allant de Behaj à Tuzla. Quelques semaines plus tard, le médecin reprenait ses fonctions et nous étions en mesure d’approvisionner jusqu’à un certain point ces hôpitaux, hôpitaux psychiatriques et orphelinats. Toutes les nuits pendant l’hiver, pas mal d’enfants mouraient de froid; la température a été glaciale en janvier et février 1994. Finalement, dans le cadre de ce programme, nous avons effectué une évacuation d’urgence qui a duré environ 18 heures, et qui s’est soldée par quelques décès. Elle a eu lieu au moment où une bombe a explosé au marché de Sarajevo et où les Serbes ont été accusés d’en être les auteurs. Ils voulaient nous prendre comme otages si les membres de l’OTAN décidaient de se réunir. Ceux-ci se sont réunis, nous allions donc être pris comme otages, puis les choses sont devenues… intéressantes après ça.

J’ai ensuite été envoyé au Rwanda, où j’ai assisté au génocide. Après avoir terminé cette mission, Cornelio Sommaruga, chef du Comité international de la Croix-Rouge qui assistait à un souper à Ottawa où j’étais invité, m’a demandé si je voulais travailler comme délégué du CICR au Sri Lanka. J’ai passé entre trois et six mois environ à Ottawa pour aider le personnel du bureau national de la Croix-Rouge canadienne à régler le cas de Medevacs en Bosnie ainsi que des problèmes liés à la situation au Rwanda, au Zaïre, en Ouganda et au Congo, après la guerre et le génocide. J’ai également effectué quelques missions en Angola et au Mozambique. J’ai donc travaillé près d’un an pour la Croix-Rouge. CARE Canada voulait alors mettre sur pied une équipe d’urgence. J’ai donc offert mes services à cet organisme et consacré les trois années suivantes environ à travailler principalement dans la région des Grands Lacs, à titre de directeur national pour le Zaïre et de coordinateur de la sécurité pour le Burundi, m’occupant de tous les camps de l’est du Zaïre abritant entre 1,2 et 1,5 million de réfugiés Hutu provenant du Rwanda. J’ai passé six mois à régler ce problème, puis un peu plus tard, une autre période de trois à quatre mois. Entre temps, pendant trois ans, j’ai été notamment au Libéria et en Sierra Leone au printemps et à l’été 1996, après la chute du Libéria. J’ai négocié à Monrovia avec Charles Taylor et Alhaji Kromah pour permettre à CARE d’avoir accès aux régions de Cap Mount et de Lofa, dans l’ouest du Liberia. Il était très difficile de s’y rendre : la ville s’était complètement effondrée; des enfants soldats se battaient partout; et la mission de l’ONU était assiégée dans ses locaux de River Mount situés sur la rivière, aux abords de la ville. Nous nous efforcions également de pénétrer dans les territoires du RUF (front uni révolutionnaire) dans l’est de la Sierra Leone, qui était une zone quasiment interdite. Nous avons néanmoins réussi à rencontrer les responsables pour essayer de passer en Sierra Leone. Cette aventure a duré environ six mois.

J’ai terminé ma mission avec CARE en retournant au Zaïre à l’automne de 1996 pendant la guerre civile déclenchée par Kabila qui a pris le pouvoir en renversant Mobutu. J’ai été envoyé tout d’abord en août lors de l’insurrection des Banyamulenge à Uvira – les Banyamulenge sont les habitants de Mulenge, un petit village situé juste au nord de Uvira sur la hauteur en face de Bujumbura et du Burundi. En août, ils ont déclaré la guerre à l’armée zaïroise. J’ai été envoyé à titre de directeur national des urgences au Zaïre et, après un mois environ, il était clair qu’une guerre civile d’envergure allait éclater au Congo Zaïre. CARE a alors décidé de mettre sur pied une structure de coordination régionale. J’ai été nommé coordinateur régional en compagnie de coordonateurs américain, britannique et australien. Nous étions présents dans neuf pays pendant toute la guerre civile pour fournir l’accès et l’aide humanitaire au Zaïre. Car il fallait également négocier avec les pays voisins. Environ 180 expatriés travaillaient avec la base arrière de Nairobi et avec la base avant de Kigali, négociant les accès à Bukavu et Goma, et tout le reste.

J’avais également discuté cette année-là avec des responsables de l’ONU au sujet d’une mission en Italie. En 1997, l’ONU a amorcé un train de réformes, dont la création d’une école des cadres des Nations Unies en Italie. L’année précédente, on m’a demandé si j’accepterais un poste de chef de département. Alors en 1997, j’ai quitté CARE et en janvier-février, je me suis rendu à Turin, en Italie, où l’ONU a un énorme établissement de formation. J’étais le directeur du programme pour la paix et la sécurité internationales, dans le cadre de la réforme interne de l’ONU. J’ai passé deux ans là, à diriger environ 17 programmes sur l’aide humanitaire, les droits de la personne, les opérations de maintien de la paix, tout ce qui a à voir avec la paix et la sécurité pour la réforme de l’ONU. Les interventions stratégiques et les cadres stratégiques en faisaient partie. En 1996-1997, l’OCDE, la Banque mondiale et l’ONU ont toutes défini des interventions stratégiques et des cadres stratégiques pour la communauté internationale à l’appui d’une nouvelle approche dans les pays sortant d’un conflit. L’un des programmes que nous avons dirigés était un programme pilote en Afghanistan d’environ 19 mois; avec tous les organismes de l’ONU, tous les donateurs, toutes les ONG, les talibans, la société civile, les groupes partis en exil, nous avons exploré comment réformer les interventions de l’ONU en Afghanistan. Ce fut très intéressant; une réflexion à la fois politique et pratique – tout au long de 1997 et 1998.

En 1998, le Canada allait être élu au Conseil de sécurité de l’ONU – nous sommes élus à peu près tous les dix ans – et les Affaires étrangères envisageaient de faire venir de l’extérieur un spécialiste ou deux de l’aide humanitaire, de la sécurité humaine, des opérations sur le terrain, ainsi que du fonctionnement de l’ONU. J’ai été pressenti pour un poste de conseiller principal en matière de politiques et j’ai passé deux ans au Conseil de sécurité comme membre de l’équipe des Affaires étrangères/Conseil de sécurité. Nous étions chargés de faciliter la gestion des dossiers au sein des Affaires étrangères pour assurer le suivi auprès du Conseil de sécurité à New York. J’y ai passé une troisième année en 2001 et, durant ces trois années, j’ai également travaillé sur le G8-G7, le CAD-OCDE, les présidences de l’UE, tout ce qui touchait à la sécurité humaine, et j’ai tenté de définir un cadre de politique étrangère pour la sécurité humaine. En particulier, on s’est penché sur la prévention des conflits, la gestion de conflit, la gestion de crise, pour tenter d’en dégager les éléments théoriques et de les inscrire dans une politique en bonne et due forme, et voir comment le gouvernement canadien peut renforcer sa capacité d’élaborer une politique étrangère fondée sur la sécurité humaine. Un exercice très intéressant, très varié, en différents lieux, différentes tribunes.

Une ONG française qui avait ouvert une section en Angleterre m’a alors pressenti pour un poste. Ils étaient à la recherche d’un nouveau directeur exécutif car, après deux ans, la mise en place de l’organisation en Angleterre ne se déroulait pas très bien. Pendant un an donc, j’ai pris les choses en main pour rétablir la situation.

J’avais une petite amie en Angleterre, ce qui facilitait les choses. J’ai décidé de rester dans ce pays et d’y travailler comme consultant. Je me suis marié il y a environ deux ans. J’ai vécu dans le nord, j’ai travaillé aux Philippines et au Sri Lanka à titre de consultant, de conseiller pour la paix et de conseiller en conflits pour le gouvernement canadien, le secteur privé et autres, comme responsable de l’examen de programmes quinquennaux de gouvernance ou des évaluations de programmes internationaux, et de leurs retombées sur la paix et les conflits dans les divers pays. Je suis revenu en septembre et au début d’octobre, travaillant au Sri Lanka dans le cadre d’une évaluation des programmes de l’UNICEF dans ce pays, et de leurs répercussions positives ou négatives sur le conflit avec les Tigres tamouls et sur les autres conflits dans ce pays. J’ai également évalué les retombées du conflit au Sri Lanka sur les programmes de l’UNICEF. Je suis entré en fonction en septembre à l’Université Bradford au département des études sur la paix à titre de chercheur principal en vue d’aider à gérer la vaste gamme de programmes de recherche portant sur la sécurité et la coopération.


Difficultés

Ces missions laissent des traces chez les intéressés. En effet, pour un étranger venu de loin, elles peuvent être fort difficiles. On peut, entre autres, être victime d’un enlèvement comme c’est arrivé en Iraq et en Afghanistan, où des travailleurs internationaux ont été pris en otages. On peut subir des brutalités à des postes de surveillance, se faire voler, tuer ou violer. Tous les membres de mon équipe ont été victime de ces agressions sous une forme ou une autre et à des moments différents. Cela peut donc être une expérience personnelle très difficile; mais la plupart des gens acquièrent de plus en plus de professionnalisme et se concentrent sur leur travail.

La dimension humaine de ces situations nous échappe un peu, et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé en 1996 que le moment était venu de ne plus aller sur le terrain. En novembre 1996, Kabila a attaqué des camps à Goma tandis qu’un million de Hutu ou de réfugiés refluaient au Rwanda. J’étais là pendant le génocide, j’avais travaillé dans les camps avec eux pendant les trois années suivantes et voilà que j’ai assisté à leur retour ces jours-là — vendredi, samedi, dimanche, lundi et mardi. Ils sont simplement revenus à pied et franchissaient la frontière entre le Zaïre et le Rwanda. Le chemin est si court qu’en cinq ou sept jours, ils étaient rentrés dans leur village. J’ai découvert en descendant la colline vers Gysenyi et Goma ce vendredi samedi que, d’une certaine façon, je n’avais pas beaucoup de sympathie pour les réfugiés. J’ai également pensé que ce sentiment ne m’honorait pas. Pour travailler avec ces personnes, quelles qu’elles soient, il faut manifester une certaine empathie à l’égard de leurs souffrances, qui étaient d’ailleurs nombreuses dans ces camps. Seulement 5 % ou 10 % de la population de ces camps étaient des militaires purs et durs pendant les années du génocide. Les 95 % restants étaient des femmes et des enfants, des hommes qui les suivaient ou qui étaient victimes des évacuations ou prisonniers du conflit. Autrement dit, 90 % de ces personnes étaient prises dans un filet, ne pouvaient choisir leur lieu de résidence, n’étaient plus maîtres de leur destin.

J’ai découvert qu’après trois ou quatre ans en Afrique centrale, je n’avais probablement pas l’attitude voulue pour travailler directement auprès d’eux. Le moment était donc venu de marquer une pause de quelques années, de travailler peut-être au niveau des politiques et de prendre du recul pendant un certain temps.



Expérience pour l’élaboration des politiques

Je pense que, pour comprendre le travail portant sur les politiques et les programmes, il faut connaître le terrain. J’ai débuté ma carrière par des interventions d’urgence avec des ONG et, jusqu’à présent, je pense avoir été témoin en première ligne de 13 conflits armés. Je ne regrette rien. En revanche, il arrive un moment où vous faites ce que vous avez à faire – vous travaillez dans un pays ou une région, vous offrez de l’aide humanitaire, vous intervenez pour les droits de la personne ou la consolidation de la paix, selon la programmation prévue – mais pour comprendre la programmation, il faut également connaître le contexte politique général et le cadre stratégique mis en place.

J’ai travaillé pour les Nations Unies dans le cadre de l’élaboration des politiques et des programmes visant à réformer l’ONU, en me concentrant sur la paix et la sécurité. Plus tard, au ministère des Affaires étrangères, j’ai aidé à l’élaboration d’une politique étrangère canadienne s’appuyant sur des concepts de sécurité humaine, en tentant de la rendre opérationnelle et concrète. La connaissance de ce cadre de paix et de sécurité élargi et de son fonctionnement pratique dans le monde constitue une excellente expérience d’apprentissage. Pour bien gérer des programmes sur le terrain ou à l’étranger, il faut en saisir le contexte politique et cela ne peut se faire convenablement si l’on ne connaît pas la réalité du terrain.

L’une de mes tâches au ministère des Affaires étrangères consistait à fournir des conseils sur le groupe de travail intergouvernemental qui serait créé à l’occasion d’une crise internationale survenant, par exemple, au Kosovo, au Timor-Oriental ou en Albanie. À peine une personne ou deux dans la pièce avaient l’expérience de ce genre de situation en première ligne. Généralement, personne n’en avait. Le point de vue politique du ministère l’emportait sans que l’on ait une idée claire de la réalité du terrain. Ils obtiennent leurs renseignements des ambassades et des représentants sur le terrain, des ONG et des bulletins d’information. Toutefois, si quelqu’un dans la pièce a essayé en personne de négocier un court cessez-le-feu pour traverser une ligne de front ou d’évaluer la situation pendant un génocide ou un nettoyage ethnique, et a 10 à 15 années d’expérience dans les négociations avec des seigneurs de la guerre, connaît leur personnalité, la manière de traiter les enfants soldats ou le problème des armes légères et autres, la qualité de la politique étrangère élaborée ou des décisions prises n’est plus la même.


Sécurité


Le problème de la sécurité humaine est très compliqué; il est constamment redéfini. Au cours des 10 à 15 dernières années, la sécurité humaine a été un concept extrêmement populaire pendant deux ou trois périodes, étant utilisé par l’ONU ou le gouvernement canadien, ou, à l’heure actuelle, par de nombreux autres intervenants après le Canada qui veulent en faire un thème de la politique étrangère.

La situation est très instable en matière de sécurité mondiale actuellement. Non seulement le vieux paradigme de la sécurité a disparu au cours des 10 à 15 dernières années qui ont suivi la fin de la guerre froide, mais nous sommes aussi maintenant dans une période de turbulences caractérisée par de nombreuses interventions humanitaires qui, pour la plupart, ont eu une faible rétroaction. Après l’intervention de 1993 en Somalie, les Américains n’ont plus voulu participer à des opérations de maintien de la paix, une attitude qui a eu des conséquences directes sur le génocide de 1994. Cette période de 10 à 15 ans est marquée par de nombreux problèmes. Les diamants servant à financer les conflits, les armes légères, les enfants soldats, les mines antipersonnel et tous les problèmes du genre sont à l’ordre du jour de la communauté internationale, de la société civile, des ONG et des victimes de ces conflits. En revanche, la communauté internationale est encore mal organisée; elle n’aborde pas ces crises de façon cohérente, mais plutôt de façon ponctuelle en fonction des intérêts géopolitiques des grandes puissances. Depuis le 11 septembre, ce paradigme est devenu plus compliqué puisque presque toutes les situations sont examinées en fonction de la guerre mondiale contre le terrorisme. Que faut-il en penser?

Depuis deux ou trois ans, la situation est très préoccupante à cause de ce débat interminable au sujet de la guerre mondiale contre le terrorisme. Il importe de bien comprendre qu’il s’agit là de problèmes et de crises essentiellement socio-politiques, et que l’on fait fausse route si l’on se contente d’appliquer des solutions militaires, car elles ne sont pas conformes à la réalité.

Où se situe la sécurité humaine dans ce contexte? Nulle part. Des pays tels que le Canada qui essaient de prôner ce point de vue ou d’exercer une influence sur le débat global concernant ces problèmes sont mis sur la touche. Au départ, le message était le suivant : « Vous êtes avec nous ou contre nous. Si vous êtes avec nous, vous devez adopter le point de vue militaire pur et dur qui s’avérera efficace à long terme pour faire régner la paix et la stabilité dans ces pays ». Ce point de vue traduit une méconnaissance de l’essence de la paix et du conflit. Il ne faut pas remonter aux causes historiques du conflit, mais tout simplement examiner les principaux catalyseurs de ces conflits et essayer d’en atténuer les conséquences dans la mesure du possible. Évidemment, ces conflits s’alimentent les uns les autres. Dans la région du Moyen-Orient, il y a deux, trois ou quatre conflits latents ou ouverts. Chacun d’eux est comme un virus infectant l’autre. La situation est la même dans la Corne de l’Afrique où divers conflits nationaux se conjuguent pour exacerber la situation. Ils sont liés à la situation en Afrique centrale, où des conflits chroniques entretenus depuis longtemps par des économies de guerre, le problème des armes légères, des enfants soldats et autres interagissent et créent un foyer de violence. Cultures et sociétés supérieures sont détruites, et le recours à la violence et au conflit est le seul moyen concevable de réagir. Il faut souligner qu’en l’occurrence, l’attitude mentale joue un rôle déterminant. Si la population d’un pays victime de crises ou de tensions pense que la seule manière de gérer le conflit est de recourir à la violence, on sait que la guerre, la mort et la souffrance se profilent à l’horizon. Il faut non seulement prôner le désarmement, la discussion entre les élites et l’élaboration d’un compromis politique, mais également examiner la culture de violence de ces sociétés et essayer de la réduire de façon à ce que les protagonistes constatent que la violence n’est pas le seul moyen de régler leurs différends.



La sécurité et le Canada

[Le rôle du Canada] est extrêmement limité, à l’image des ressources dont nous disposons et de notre influence à l’échelle internationale. Au mieux, nous sommes une moyenne puissance. Nous sommes parfois encore plus marginalisé à cause de nos ressources et de nos capacités insuffisantes. Le Canada joue principalement son rôle dans les négociations multilatérales, s’efforçant d’influencer des institutions comme le G7/G8, l’UE, l’OCDE, l’ANASE, l’OEA, l’OUA jusqu’à un certain point et l’Assemblée générale des Nations Unies. Nous essayons d’offrir des solutions intelligentes, de tirer parti de nos connaissances et de notre expérience pour présenter des solutions de remplacement, et de trouver le moyen de participer à des débats sur la politique ou à des débats internationaux où notre pays peut signaler certaines voies encore inexplorées.

La situation n’est pas aussi décevante qu’il y paraît parfois. Le concept du maintien de la paix a été inventé par des Canadiens, c’est-à-dire par Lester Pearson lorsqu’il était premier ministre. Il a d’ailleurs reçu le prix Nobel de la paix pour cette initiative. Voilà un exemple montrant que le Canada est une puissance de petite ou de moyenne envergure qui est en mesure de présenter une idée brillante à laquelle personne n’avait pensé qui constitue une solution partielle d’atténuation des conflits et de soutien à la communauté internationale pour diminuer le degré de violence. Malheureusement, des idées comme celle-là, il s’en produit non pas chaque année mais seulement à l’occasion. Il est néanmoins clair que nous pouvons essayer d’éclairer et d’influencer le débat pour qu’il prenne une orientation plus positive.

Au cours des dernières années et sans aucun doute depuis le 11 septembre et au moins pour les quatre prochaines années, il y a et il y aura polarisation du problème. Tout est noir ou blanc et simplifié à l’extrême. Il s’agit là d’un problème de taille. À l’instar de ce qui se passe dans bon nombre de conflits, je pense que des extrémistes des deux camps jouent la mouche du coche et aggravent la situation. Il s’agit de personnalités bien connues dont les propos sont largement diffusés. Mais je pense que bon nombre de pays qui se situent entre les deux camps, que bon nombre de personnes plongées dans ces conflits sont des modérés ou s’efforcent de rechercher d’autres solutions. Toutefois, ils sont emportés par le courant qui les force à adopter des positions sans nuances.

Je pense que le Canada doit continuer à travailler dans les coulisses ou, si l’occasion se présente, essayer d’influencer le débat, non seulement le débat public, mais aussi les débats politiques et diplomatiques dans les institutions et les groupes de discussion. Le message du Canada doit être le suivant : « Un instant! Est-ce que ce que nous faisons sera efficace? Est-ce que cela permettra de régler les principaux problèmes liés à ces conflits ou à la guerre contre le terrorisme, par exemple? Quelles seront les répercussions à long terme des stratégies observées et mises en application? » On peut jouer le rôle du prophète dans le désert qui clame à tous les vents « On se trompe, on devrait plutôt faire ceci ou cela », mais, habituellement, nul n’est prophète en son pays ou ailleurs et, par conséquent, il s’agit d’un rôle extrêmement difficile à tenir.

Je pense sans aucun doute que le Canada a un rôle à jouer. Rappelons-nous par exemple la décision de ne pas participer à la guerre en Iraq et de mettre l’accent sur l’Afghanistan où nous pourrions sans doute être un peu plus présent. Il faut toujours établir une liste des priorités en fonction des ressources extrêmement limitées dont nous disposons, ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier, mais plutôt faire en sorte d’avoir un peu plus d’influence lors des différentes crises. Ce n’est pas simple. Au contraire, c’est extrêmement compliqué, d’autant que la conjoncture politique n’est pas à l’heure du multilatéralisme ou aux discussions sur le meilleur moyen de régler les causes de ces difficultés. Toutefois il existe à l’heure actuelle une vaste gamme de problèmes socio-politiques qui ressemblent à un volcan en ébullition, sinon en éruption, au Moyen Orient, en Afghanistan, en Iraq, aux Philippines et à Mindanao où le conflit a repris au moment où l’on concluait un traité de paix. Si l’on envisage uniquement des solutions militaires, on se trompe complètement et on aggrave la situation, non seulement pour les Canadiens, mais pour les habitants du monde entier et particulièrement ceux des pays touchés par ces conflits. Voilà, selon moi, où nous devrions concentrer nos efforts. Vous avez exposé plus tôt ma position sur la sécurité. À mes yeux, la sécurité c’est d’abord et avant tout les visages et les vies des hommes, des femmes et des enfants que j’ai rencontrés dans les 13 guerres auxquelles j’ai assisté. Ces visages, s’ils ne me hantent pas, sont sans conteste gravés dans ma mémoire.