M. AXWORTHY - MESSAGE À L'APPEL DE LA HAYE POUR LA PAIX - LA HAYE, PAYS-BAS

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MESSAGE

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

À L'APPEL DE LA HAYE POUR LA PAIX

LA HAYE, Pays-Bas

Le 13 mai 1999

(16 h 15 HAE)

Je regrette de ne pouvoir être des vôtres aujourd'hui à cette importante assemblée mondiale. Le thème abordé -- la réalisation de la paix et de la sécurité dans le monde -- n'a rien perdu de sa pertinence ni de son urgence depuis la première conférence de cette nature qui s'est tenue à La Haye il y a 100 ans.

La réponse massive et la participation vaste et impressionnante à ce rassemblement, ainsi que le programme exhaustif de cette conférence, sont autant de preuves du désir profond et universel de travailler à la réalisation de ce but. Ils témoignent également de la clairvoyance et de l'ardeur des organisateurs, de M. Bill Pace en particulier. À chacun, je dis merci.

Il suffit de regarder le programme de cette conférence pour comprendre que le chemin de la paix dans le monde emprunte de nombreuses voies. Mais elles ont toutes un point en commun et c'est, je crois, une aspiration toute simple : le bien-être et la sécurité de tous les peuples. Cette aspiration est aussi la mienne. Promouvoir la sécurité humaine est au coeur de la nouvelle diplomatie.

La nature changeante des conflits violents et les grands courants de la mondialisation n'ont cessé d'avoir pour effet de placer les gens au centre des affaires mondiales. La sécurité humaine est plus que jamais au coeur de la sécurité nationale, de la stabilité régionale et de la paix mondiale. Or, pour une multitude de personnes, la sécurité n'a jamais été en si grand péril.

Aujourd'hui, les civils paient le prix fort de la montée des conflits à l'intérieur des États et issus des États en déroute, essuient le choc des nouvelles pratiques de guerre, souffrent le plus des dommages causés par les armes de guerre modernes bon marché et faciles à se procurer. Telle est la réalité concrète que vivent les gens ordinaires, de la Sierra Leone aux Balkans, de l'Afrique centrale au Cambodge.

Les menaces pesant sur la sécurité de l'individu ne se limitent pas aux conflits violents. La mondialisation, malgré toutes ses promesses, a révélé elle aussi d'inquiétants dessous. La portée transnationale de certains problèmes -- terrorisme, drogues illicites, crime international, dégradation de l'environnement, maladies infectieuses, instabilité économique et financière -- nous menace tous. En fait, ces grands problèmes ont déjà causé de grandes souffrances, en particulier chez les personnes les plus vulnérables.

Parallèlement, les communications instantanées, la rapidité des transports, la perméabilité croissante des frontières, l'intensification du commerce, les liens culturels et universitaires ont indéniablement et à tout jamais uni nos vies dans une destinée commune. Dans le monde d'aujourd'hui, la sécurité et l'insécurité des autres sont devenues en bonne partie les nôtres. Nous avons donc le devoir d'agir, et nous avons tout intérêt à agir, quand le bien-être des autres est menacé.

La nouvelle diplomatie, au coeur de laquelle se trouve la sécurité humaine, vise à réagir à ces nouvelles réalités mondiales. Il s'agit, pour l'essentiel, d'une entreprise destinée à bâtir une société mondiale; une société où la sécurité de l'individu est au centre des priorités internationales et devient la motivation de l'action internationale; une société où les normes humanitaires internationales et la règle de droit progressent et constituent un filet solidement tissé qui protège les individus; une société où les transgresseurs des normes humanitaires sont tenus entièrement responsables de leurs actes; une société enfin, où les institutions internationales, bilatérales et régionales -- actuelles et futures -- sont bâties et dotées d'outils pour renforcer et faire appliquer ces normes.

À cette fin, la sécurité humaine a été le moteur du travail accompli pour créer la Cour criminelle internationale -- et renforcer ainsi le bras de la justice internationale. La sécurité humaine est également la force agissante derrière la Convention d'Ottawa d'interdiction des mines antipersonnel -- une façon entièrement nouvelle, axée sur les gens, d'aborder le désarmement. Elle est aussi la force d'impulsion du mouvement d'élargissement des normes juridiques internationales, afin de protéger les enfants dans les conflits armés, par exemple.

De même, favoriser la sécurité humaine a été la force motrice des efforts déployés pour adapter les institutions régionales et mondiales existantes, de manière à ce qu'elles intègrent à leurs activités les questions humaines. Cela est particulièrement important en ce qui concerne le Conseil de sécurité des Nations Unies. Au lieu d'éviter de s'engager, l'organe légitime de décision pour la paix et la sécurité qu'est le Conseil devrait prendre une part active à l'établissement des règles -- et des limites -- en matière d'intervention internationale dans les situations nouvelles, plus complexes de l'aveu de tous, de conflit armé moderne.

Faire progresser la question de la sécurité humaine est aussi la raison de former de nouveaux partenariats entre pays, institutions et organisations non gouvernementales qui poursuivent les mêmes objectifs. Les coalitions entre gouvernements et société civile, qui ont contribué à ce que la campagne d'interdiction des mines antipersonnel soit couronnée de succès et qui ont été déterminantes pour l'adoption du statut de la Cour criminelle internationale, sont porteuses d'avenir. Elles montrent la puissance des bonnes idées et de la mise en commun des ressources. Votre présence ici en si grand nombre envoie un signal fort. Votre dynamisme, votre savoir-faire et vos idées sont indispensables à la poursuite du programme de sécurité humaine.

Enfin, faire progresser la sécurité humaine, c'est aussi améliorer la sécurité nationale. L'une n'exclut pas l'autre. La sécurité de l'État n'est pas, cependant, une fin en soi. C'est un moyen d'assurer la sécurité des citoyens. Dans ce contexte, la sécurité de l'État et la sécurité humaine s'appuient l'une l'autre. Bâtir un État efficace, démocratique, qui attache de la valeur à ses citoyens et protège les minorités occupe une place centrale dans la promotion de la sécurité humaine. En même temps, pour un État, améliorer la sécurité humaine de ses citoyens renforce sa légitimité, sa stabilité et sa propre sécurité.

Là où la sécurité existe dans les faits et n'est pas seulement une aspiration, ces conditions sont attribuables, dans une large mesure, à une conduite efficace des affaires publiques. Pour cette raison, les efforts de maintien et de consolidation de la paix qui sont dirigés vers l'édification de sociétés ouvertes et stables sont un élément important de l'amélioration de la sécurité humaine.

Mais il arrive que des États qui se montrent agressifs à l'extérieur, répressifs à l'intérieur ou trop faibles pour gouverner véritablement, menacent la sécurité des gens. Devant les grands massacres soutenus par l'État, les horribles violations des droits de la personne et les brutalités préméditées commises à l'endroit de gens, l'impératif humanitaire d'agir ne peut être omis et il peut primer sur les questions de souveraineté de l'État.

Dans une situation où tous les moyens de contrer ces menaces ont été épuisés sans résultat, il peut devenir nécessaire de prendre des mesures plus musclées, dont l'action militaire, pour défendre la sécurité humaine. C'est dans ce contexte qu'il faut voir l'intervention dans le conflit du Kosovo.

Le recours aux frappes aériennes a été précipité par le fait évident que le régime de répression des autorités serbes s'affirmait et s'accélérait. C'est l'impératif humanitaire qui a galvanisé l'OTAN et l'a poussée à agir. Elle s'est engagée au Kosovo pour restaurer la sécurité des Kosovars. L'action de l'Alliance montre clairement qu'il est inacceptable de massacrer des gens, de commettre à leur endroit des gestes apparentés aux violations les plus flagrantes du droit humanitaire, de les priver arbitrairement de leurs biens ou de les chasser de leurs foyers et de leur mère patrie. Le message est clair : les responsables devront rendre des comptes. La campagne de l'Alliance est loin d'être contraire au programme de sécurité humaine; elle est plutôt un geste important qui appuie le programme et établit un précédent.

Comme l'a fait observer Vaclav Havel, la souveraineté de la communauté, de la région, de la nation, de l'État n'a de sens que si elle découle de la seule vraie souveraineté : celle de l'être humain. Pour paraphraser, je crois que la paix et la sécurité -- qu'elles soient nationales, régionales ou mondiales -- n'ont de sens que si elles découlent de la sécurité humaine. Voilà le fondement de la nouvelle démocratie.

Les discussions que vous aurez cette semaine seront importantes, parce qu'elles traceront une ligne de conduite pour la paix et la sécurité mondiales du prochain siècle. J'espère que cette ligne de conduite reflétera la nouvelle diplomatie et indiquera des moyens de promouvoir plus efficacement la sécurité humaine. Je vous souhaite bonne chance et compte bien recevoir les résultats de vos travaux.

Merci.