M. PETTIGREW - INTERVENTION DEVANT LA CHAMBRE DES COMMUNES EN RÉPONSE AU DISCOURS DU TRÔNE

NOTES POUR UNE INTERVENTION

DE

L'HONORABLE PIERRE S. PETTIGREW,

MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,

EN RÉPONSE AU DISCOURS DU TRÔNE

CHAMBRE DES COMMUNES

OTTAWA (Ontario)

Le 18 octobre 1999

C'est avec grand plaisir que je prends aujourd'hui la parole pour commenter le discours du Trône que son Excellence la Gouverneure générale a prononcé avec grande dignité la semaine dernière. Je tiens aussi à la remercier du discours, très beau et très émouvant, qu'elle a prononcé à l'occasion de son installation. Je suis persuadé que tous mes collègues se joignent à moi pour offrir leurs meilleurs voeux à Son Excellence en ce début de mandat.

La nomination de Son Excellence revêt une importance particulière pour les électeurs de ma circonscription, celle de Papineau-Saint-Denis. Nombre de mes électeurs sont des immigrants, et beaucoup sont arrivés très récemment. Je suis fier que Son Excellence soit pour nous tous une source d'inspiration et qu'elle montre que chez nous, au Canada, tous les Canadiens, qu'ils soient de souche ou d'adoption, peuvent prétendre à tous les postes, même le plus élevé du pays.

Les résidants de mon comté de Papineau-Saint-Denis sont aussi reconnaissants à Son Excellence la Gouverneure générale de rehausser Rideau Hall de la présence de son mari, John Ralston Saul. C'est un grand penseur de notre temps, un philosophe dont la réputation et la crédibilité débordent largement nos frontières. Je le sais particulièrement apprécié en France.

Dans ce discours du Trône, le gouvernement a insisté spécialement sur la nécessité, pour nous Canadiens, de nous ouvrir sur le monde extérieur, d'être conscients de notre rôle et de nos responsabilités à son égard, et aussi des énormes possibilités et défis qu'il représente.

Parmi ces possibilités, celles que nous ouvrent le commerce international et les échanges de capitaux ne sont pas les moindres. Comme le savent bien tous les députés, le Canada a fait du commerce extérieur le fondement de son économie. Notre prospérité et notre croissance actuelle et future dépendent largement du commerce international.

Au Canada, un emploi sur trois est directement lié au commerce international et 40 p. 100 du produit intérieur brut en est tributaire. Cette proportion est la plus élevée de tous les pays industrialisés du G8.

Il y a cinq ans seulement, nous exportions 25 p. 100 de notre produit intérieur brut. Nous sommes donc passés de 25 à 40 p. 100 en cinq ans à peine. L'immense majorité des 1 700 000 nouveaux emplois créés depuis 1993 sont dus à l'accroissement des exportations.

Comme le dit le discours du Trône, de tous les principaux pays industrialisés, le Canada est celui où l'économie est la plus ouverte. Notre population est composée de gens venant de tous les coins de la planète; dans bien des cas, grâce à leur main-d'oeuvre culturellement diversifiée et complexe, les entreprises canadiennes ont l'avantage de connaître les us et coutumes des autres nations et de pouvoir faire des affaires en plusieurs langues. L'investissement dans la diversité, que nous avons consenti au fil des ans, s'avère être un atout majeur pour nous.

Pour continuer de cultiver cet avantage très réel, nous comptons intensifier nos efforts de promotion du commerce dans les secteurs à fort potentiel d'exportation. Certains de ces secteurs d'exportation n'existaient même pas il y a quelques années, mais, grâce à des gens très dévoués, très innovateurs et très intelligents, de nouveaux secteurs économiques surgissent là où il n'y avait absolument rien auparavant. Par exemple, notre secteur de la biotechnologie s'intéresse à des innovations des plus pointues et à l'avant-garde de ce qui se fait dans le monde. Nos industries environnementales connaissent un taux de croissance incroyable. Notre secteur de la technologie de l'information, déjà imposant, s'étend grâce à des investissements dans la haute technologie partout sur la planète.

Il en va de même dans bien d'autres secteurs de notre économie, notamment l'agriculture, l'agro-alimentaire et les ressources naturelles. Autrement dit, nous sommes un intervenant important de l'économie mondiale. À titre de gouvernement, nous voulons aider nos industries à développer des liens avec le monde qui les aideront à créer de la croissance et des emplois ici au Canada.

Nous voulons aussi prendre des mesures plus directes pour encourager les entreprises à s'établir au pays alors nous allons présenter des modifications législatives qui faciliteront l'installation des sièges sociaux des sociétés transnationales au Canada.

Comme le dit le discours du Trône, nous avons aussi l'intention de favoriser l'investissement au Canada grâce à un effort concerté de tous les gouvernements et du secteur privé visant à faire connaître les débouchés uniques auxquels on a accès ici.

En outre, nous continuerons d'appuyer l'innovation et la découverte de nouvelles technologies. C'est avantageux à la fois pour notre pays et pour nos partenaires commerciaux.

Bien entendu, une autre chose qui est très favorable pour le Canada et pour ses partenaires commerciaux, c'est l'instauration d'un système commercial international basé sur des règles. En fait, nous en sommes un des avocats et des promoteurs les plus actifs. Il est important que nous soyons actifs dans ce domaine parce que notre pays, le Canada, n'est ni le plus grand, ni le plus puissant du monde. Nous devons continuer de coopérer avec les pays de même mentalité pour faire en sorte que les règles soient acceptées par tous, et non dictées par les pays les plus grands. Cela exige de l'habileté et de la persévérance en toutes circonstances. Bientôt, le neuvième cycle de négociations commerciales multilatérales de l'Organisation mondiale du commerce débutera à Seattle.

Nous espérons y développer les énormes acquis des cycles précédents. À ces pourparlers, le Canada continuera de préconiser le renforcement du système commercial international. Nous continuerons de réclamer l'amélioration de ces règles au point de vue de leur transparence, de leur prévisibilité et de leur force exécutoire. Nous continuerons de presser l'Organisation mondiale du commerce de suivre le rythme du changement technologique et social.

Nous voulons un système qui garantisse des règles du jeu équitables, qui ouvre aux entreprises canadiennes de tous les secteurs un plus large accès aux marchés mondiaux, et qui respecte les besoins, les valeurs et la culture des Canadiens, ainsi que l'environnement.

Des litiges sont soumis à l'Organisation mondiale du commerce à tous les jours. La récente décision provisoire sur le Pacte de l'automobile en est un exemple. Malheureusement, on comprendra que je ne peux pas faire de commentaires à ce sujet aujourd'hui parce que cette décision demeure confidentielle jusqu'à ce qu'elle soit finale et rendue publique. Je tiens seulement à dire que nous consultons activement les gens d'affaires et les autres gouvernements dans ce dossier, notamment à propos de ses liens avec l'ALENA, et que nous aurons autre chose à annoncer.

On s'inquiète, par ailleurs, du fait que les États-Unis ont mis la santé et l'éducation sur le tapis. Je tiens à répéter très clairement à la Chambre que notre système de santé n'est pas menacé et qu'il ne sera pas mis en cause dans ces discussions. Notre système de soins de santé universels n'est tout simplement pas négociable.

Bien entendu, si nous pouvons trouver les moyens d'exporter nos services de santé ou d'éducation, nous envisagerons de le faire, sans aucun doute. Mais comme l'a dit le premier ministre à plusieurs reprises, notre régime universel de soins de santé est au centre de notre mode de vie. Nous ne le laisserons pas s'affaiblir de quelque façon que ce soit. Nous veillerons à promouvoir et à défendre les intérêts économiques, sociaux et culturels des Canadiens. À Seattle, je soulèverai aussi la question de l'Organisation mondiale du commerce en tant qu'organisme, sa structure et ses procédures. J'espère formuler des propositions concrètes pour son amélioration. Plusieurs considèrent que l'OMC n'a plus d'utilité puisque nous avons l'ALENA avec les États-Unis qui absorbent 85 p. 100 de nos exportations. Je tiens à rappeler ici que l'Organisation mondiale du commerce est encore très utile et nécessaire, y compris pour combattre les pressions protectionnistes aux États-Unis.

Un autre objectif à long terme mentionné dans le discours du Trône est notre intention de collaborer avec nos partenaires de l'hémisphère en vue de l'instauration de la zone de libre-échange des Amériques avant 2005. Je serai très heureux d'accueillir les 34 pays démocratiques des Amériques à Toronto en novembre prochain pour continuer de travailler à l'établissement de cette zone de libre-échange.

Au Canada, nous avons l'immense avantage d'être le voisin du marché des États-Unis, qui est un marché très fort et très puissant. Cependant, cela ne doit pas nous arrêter d'aller chercher ailleurs dans le monde d'autres marchés et c'est exactement ce que nous faisons en préconisant l'établissement de la zone de libre-échange des Amériques.

Avec le système commercial mondial qui s'ouvre comme jamais il ne s'est ouvert, avec l'avènement de l'ère de la mondialisation, de l'ère des économies du savoir, nous devons prendre conscience que cette situation détermine les choix que nous faisons en tant que société. Au Canada, nous croyons sincèrement qu'il importe d'humaniser la mondialisation. Il est important de ne pas perdre de vue que l'économie revêt une dimension humaine et que nous voulons que tous puissent profiter de la prospérité économique.

La mondialisation à visage humain, c'est un objectif de notre gouvernement. Je veux partager avec cette Chambre quelques réflexions que j'ai faites, par exemple, dans le dossier de la culture, sur le rôle des artistes dans une société et donc sur l'importance de la diversité culturelle pour un pays comme le Canada. Je constate que le rôle des artistes dans une société est non seulement d'exprimer les émotions des sociétés, mais également de donner une forme à ces émotions.

Au moment où nous avons à vivre des changements aussi radicaux que ceux que nous amène la mondialisation de l'économie, il m'apparaît extrêmement important que tous les pays puissent continuer de donner un espace et permettre aux artistes qui ont cette responsabilité de mettre en forme les émotions que vivent les gens. Il est extrêmement important de leur permettre de travailler pour nous éclairer, nous, les sociétés, sur ce que nous sommes en train de vivre.

Regardons les grandes émotions, les excitations vécues par les gens face à la mondialisation, les insécurités également. Nous réalisons que ces insécurités, mais aussi cette exaltation que nous connaissons, peuvent être captées par les artistes qui peuvent leur donner une forme et nous aider à comprendre comment les sociétés vivent ce phénomène, d'où l'importance de la diversité culturelle.

Dans notre propre société, la société d'où je viens dans ce pays, la société québécoise, pensons à l'année 1948 et au rôle des artistes, des peintres automatistes dans Le refus global. Il y a aussi eu le théâtre de Gratien Gélinas, et en 1948 encore, Ti'Coq de Gratien Gélinas. Ce qui est arrivé au Québec, à partir de 1960 avec la Révolution tranquille, était déjà annoncé par des artistes en 1948. Douze ans plus tôt déjà, les artistes avaient démontré à quel point ce Québec étouffait et devait être libéré de plusieurs de ses expériences passées.

Donc, ce sont d'abord les artistes qui voient venir les choses. Je pense donc que c'est extrêmement important de traiter ce dossier avec beaucoup d'attention.

Je veux également dire combien le phénomène de la mondialisation change également la nature de l'exclusion. Nous avons combattu, depuis 200 ans, le phénomène de l'exploitation. Avec le capitalisme industriel, nous avons connu le phénomène de l'exploitation, c'est-à-dire que des gens étaient exploités dans ce capitalisme industriel, mais, dans l'exploitation, l'individu existe dans un rapport social. L'individu peut s'organiser, former des syndicats, négocier, obtenir de meilleures lois.

Le phénomène de l'exploitation que nous avons combattu au cours des 200 dernières années est maintenant dépassé, parce que, contrairement au capitalisme industriel, le capitalisme financier amène l'exclusion d'un grand nombre d'individus. L'exclusion est un phénomène beaucoup plus radical que celui de l'exploitation, parce que dans l'exclusion, on perd tout pouvoir de négociation. Dans l'exclusion, il n'y a rien à négocier et il n'y a personne avec qui négocier, d'où l'importance de donner un visage humain au phénomène de la mondialisation, de se rappeler que l'économie a une finalité humaine, que l'économie est là pour permettre à l'ensemble des citoyens de pouvoir s'épanouir.

Ce sont avec de telles préoccupations que nous partirons dans les grandes rondes de négociations que nous connaîtrons au mois de novembre. Ce sont des phénomènes extrêmement importants et fondamentaux.

Il est extrêmement important à mes yeux que les gens comprennent que le gouvernement libéral a une approche équilibrée des choses parce qu'il sait que les marchés, seuls, ne peuvent pas régler tous les problèmes. Évidemment, nous devrions nous attacher à améliorer le fonctionnement des marchés, mais les gouvernements doivent adopter des programmes qui reflètent les valeurs démocratiques et l'universalité qui, au bout du compte, rendent l'activité économique plus durable.

Comme il est clairement dit dans le discours du Trône, nous avons l'intention de redoubler d'efforts au cours des prochains mois pour que le Canada demeure une société inclusive, une société qui attache une grande valeur à la contribution de chacun de ses citoyens, une société où chacun a une juste chance de participer et d'aider les gens à acquérir de nouvelles compétences et à saisir les occasions qui se présentent, une société où les enfants peuvent avoir le meilleur départ possible dans la vie, une société qui appuie et pratique le développement durable pour que les générations futures aient elles aussi la possibilité de vivre leurs propres rêves.

En fait, je crois que le Canada est mieux placé que la plupart des pays pour réussir dans le nouveau contexte de la mondialisation, en grande partie à cause de son histoire, et en partie à cause de sa géographie.

Comme le souligne le discours du Trône, le Canada est né à une époque où les pays étaient formés au creuset des guerres ou des révolutions. Au XIXe siècle, la norme des États-nations traditionnels, tels qu'ils émergeaient partout à travers le monde à cette époque, voulait que la majorité assimile la minorité et que la majorité élimine les différences. L'État-nation traditionnel reposait sur une seule langue, une seule culture ou une seule religion.

Ici, au Canada, nous avons, au contraire, choisi une autre voie. Nous avons choisi de construire un pays qui ne deviendrait pas un État-nation traditionnel. Nous avons choisi une manière canadienne de concilier les différences. Nous avons choisi de mettre la tolérance, l'acceptation de l'autre et son respect au coeur de notre identité comme pays. Nous avons choisi, donc, de développer une citoyenneté politique et non pas une citoyenneté ethnique, linguistique ou religieuse. C'est une citoyenneté politique que nous avons justement développée. Elle a permis de faire de la diversité non pas une menace à notre identité ou à notre existence -- comme plusieurs cherchent à la voir -- mais, au contraire, une force et un atout.

Le Canada est une société bilingue et multiculturelle, habituée de vivre dans la conciliation de la différence et dans le respect les uns des autres. Nous sommes aujourd'hui confrontés à la mondialisation. Celle-ci impose le phénomène de la diversité partout à travers le monde. Au Canada, nous avons 150 ans d'expérience de diversité. Ce qui fait que notre pays, confronté au phénomène de la diversité qui lui est imposée maintenant par la mondialisation, saura mieux que tout autre pays au monde comment l'affronter et en faire profiter l'ensemble de ses citoyens.

Je pense que partout à travers le monde, d'ailleurs, on s'intéresse à ce que nous avons vécu comme expérience. La question la plus radicale et la plus fondamentale qui se posera au prochain siècle avec le phénomène de la mondialisation est celle-ci : est-il possible de vivre ensemble, égaux et différents? Voilà la question la plus radicale et la plus fondamentale. Avec le discours du Trône qui nous est proposé, nous voulons faire en sorte que le Canada soit la réponse optimiste à cette question radicale. Oui, nous pouvons vivre ensemble, égaux et différents. C'est la réponse humaine et optimiste.