Le 31 mai 2005
OTTAWA (Ontario)
2005/22


SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS






NOTES POUR UNE ALLOCUTION


DE


L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,


MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,


AU SYMPOSIUM DE L’APEX




« LA PERSONNALITÉ INTERNATIONALE DU CANADA »








Une nouvelle politique étrangère pour le Canada


« Gouverner, c'est choisir », disait Gaston, duc de Lévis, un militaire français du XVIIIe siècle. Or, quand il s'agit de la politique étrangère du Canada, cette maxime a été plus souvent ignorée que respectée. Le Canada, ce « réconciliateur », est membre d'un plus grand nombre d'organisations et de groupements internationaux que tout autre pays. Nous sommes les amis de tout le monde, ou à peu près. Jumelé au fait que nous sommes aussi une des sociétés les plus pluralistes au monde, cela signifie que nous nous sommes souvent sentis obligés de nous prononcer (sinon d'agir) sur la plupart des grands dossiers internationaux.


Malheureusement, comme vous le savez tous, nos moyens n'ont pas évolué au même rythme que notre rhétorique. Le Canada a toujours joué un rôle dépassant ce qu'on aurait attendu de lui compte tenu de sa population, et il a atteint ses limites dans les années 1990. Nous avons alors dû faire le ménage dans nos finances et mettre une limite à nos ambitions internationales.


Cela a eu pour effet que de nombreux pays nous ont demandé trop souvent ces derniers temps pourquoi « nous ne sommes plus dans le coup ». Le problème n'était pas uniquement imputable à la limitation des ressources. Il découlait aussi de notre incapacité à « choisir » entre des impératifs de politique étrangère divergents. Notre tendance à répartir nos maigres ressources sur le large éventail de nos intérêts et de nos activités de nature internationale a fait en sorte que si nous étions souvent « présents », nous n'étions pas toujours « engagés ». Nous devons reconnaître que le monde a changé : de nouvelles puissances émergent, le multilatéralisme a ses limites et doit être plus efficace, et nous vivons une ère où la sécurité revêt une importance cruciale.


Le changement doit engendrer le changement. Dans ce monde complexe et mondialisé du XXIe siècle, le Canada a un rôle important et utile à jouer, et aussi la responsabilité fondamentale d'être un participant actif. Or, pour que cela arrive, nous devons adopter une approche fondée sur le réalisme et l'innovation. Le Canada doit faire des choix limpides dans son engagement international; nous devons mener une approche intégrée et pangouvernementale dans la poursuite des priorités stratégiques que nous avons arrêtées; et nous devons investir judicieusement dans les moyens qui nous permettront d'influer sur le cours des événements dans le monde.


Le 19 avril 2005 marque un changement important. Je ne parle pas ici de l'élection du nouveau pape, encore que cela ait été sans conteste un événement mémorable. Je fais plutôt référence à la publication, longtemps attendue, de l'Énoncé de politique internationale du Canada, Fierté et influence : notre rôle dans le monde.


Premier cadre de politique internationale pangouvernemental et complètement intégré du Canada, l'Énoncé présente les défis et les possibilités auxquels est confronté le Canada et offre la vision d'un pays mondialement engagé, solidement enraciné en Amérique du Nord et disposant d'une feuille de route réaliste pour la concrétisation de ses objectifs de politique étrangère. Dotés de meilleurs outils et moyens, nos diplomates, nos travailleurs de l'aide, nos militaires et nos agents de commerce réagiront plus rapidement, prendront des décisions plus éclairées et seront plus souples, coordonnés, ciblés et efficaces. La diplomatie, la défense, le commerce et le développement s'entremêleront de plus en plus, et le « choix stratégique » sera le mot d'ordre. Ce ne sont pas seulement les impératifs de l'intégration et des choix en réponse à l'évolution mondiale qui ont façonné l'Énoncé, mais aussi l'intérêt du premier ministre Paul Martin à promouvoir des changements transformateurs tant au pays que sur la scène internationale. L'Énoncé traduit en termes concrets la reconnaissance par le gouvernement, comme on l'a vu dans le Budget fédéral de 2005, du fait que si le Canada veut être sérieux quant à son rôle dans le monde, il doit aussi être prêt à investir les ressources que cela exige. À cette fin, le gouvernement a confirmé dans le Budget que plus de 17 milliards de dollars en argent neuf serviront à soutenir le rôle international du Canada au cours des cinq prochaines années. Il s'agit là, dans l'histoire du Canada, de la plus importante augmentation en une seule fois à ce chapitre.


Les priorités que le gouvernement a établies pour le rôle international du Canada ont aussi été modulées par ce que j'appelle notre personnalité internationale. Je vois la politique étrangère du Canada comme le miroir de notre société, de nos intérêts fondamentaux au regard de la sécurité, de la prospérité et de la souveraineté, ainsi que des valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés, c'est-à-dire la démocratie libérale, le respect des droits de la personne, la diversité et la primauté du droit. Ce qui nous définit comme pays, c'est notre capacité à fondre en une seule voix une multitude de cultures et de personnes, et deux langues officielles (auxquelles s'ajoutent de nombreux autres groupes linguistiques). Ce sont là les éléments de notre personnalité internationale.


En ce début du XXIe siècle, marqué par la mondialisation, la multiplication des menaces à la sécurité humaine, un nombre sans précédent d'États en crise et un acteur planétaire prééminent, la personnalité internationale du Canada est plus importante que jamais. En outre, le devoir que nous avons de protéger et de préserver les valeurs et les intérêts de nos propres citoyens exige que nous soyons actifs sur la scène internationale, en tant que citoyen du monde responsable.


Aujourd'hui plus que jamais, les Canadiens veulent contribuer au mieux être du monde, par l'avènement de la paix et la réduction de la pauvreté. Cela constitue un défi pour un pays ne comptant que 32 millions d'habitants, mais avec des communautés issues de 150 pays et des intérêts commerciaux s'étendant de la Mongolie au Michigan, c'est un défi capital que nous devons relever. L'épidémie de SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère] en 2003 nous a rappelé à quel point il est crucial pour notre sécurité d'être prêts à agir rapidement et efficacement à l'étranger.


Je suis loin d'être un devin, mais j'avais prédit cette réalité dans un livre que j'ai publié en 1998 sous le titre Pour une politique de la confiance, et où je déclarais ceci : « Le Canada de l'an 2005 sera placé devant des choix stratégiques quant aux enjeux internationaux qu'il ne pourra ignorer. » Je faisais alors référence à une politique internationale largement mondialisée, et à la nécessité connexe de redéfinir notre politique étrangère « pour maintenir et améliorer notre image et préserver notre spécificité dans un contexte international plus fluide… ».


C'est exactement ce que nous avons fait dans l'Énoncé de politique internationale : nous avons clairement identifié nos intérêts, précisé nos valeurs et nos principes fondamentaux, et établi des objectifs réalisables et concrets qui seront soutenus par des investissements stratégiques et ciblés, et cela d'une manière coordonnée.


L'originalité du projet politique canadien

À mon avis, la personnalité internationale du Canada telle que la reflète notre Énoncé de politique internationale tient à la réussite du projet politique canadien.


Je vous ai déjà raconté que, à l'époque de Louis Hippolyte La Fontaine et de Robert Baldwin, nous avons délibérément opté pour une voie différente de celle des autres pays, une voie qui nous appartient en propre. Avec leur poignée de main historique en 1840, La Fontaine et Baldwin ont manifesté leur détermination à ignorer le rapport de Lord Durham, qui recommandait une forme d'assimilation de la population francophone « inférieure ».

 

Le choix que nous avons fait alors a été un facteur déterminant pour l'avenir de notre citoyenneté politique, et il a été renforcé en 1867 avec l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, où il était stipulé qu’en adoptant le fédéralisme, le Canada protégerait les droits de la minorité francophone, qui vit en majorité au Québec.


Le Canada se proposait de n'être ni un État strictement anglophone ni un État strictement francophone. Au lieu d'opter pour l'État-nation traditionnel, avec une seule langue, une seule religion, un seul système juridique et une seule culture, nous avons créé un pays où cohabitent deux langues, de multiples cultures et religions et deux systèmes juridiques représentés par la common law et le Code civil. C'est ainsi que les vagues successives d'immigrants ont trouvé un pays différent, pluraliste et accueillant, où ils étaient encouragés à célébrer leurs propres racines. Ces immigrants ont contribué, au fil des ans, à la formation de la mosaïque canadienne.


Nous avons créé une forme originale de citoyenneté politique qui incite nos citoyens à adopter un certain nombre de valeurs fondamentales, dont le respect de la personne et une conception commune de la justice. Je crois que ces valeurs sont au cœur du libéralisme. Nous n'avons pas voulu d'un creuset qui amalgame les identités pour n'en faire qu'une seule.


Nous disons aux immigrants : vos groupes, vos personnalités, vos terres d'origine sont considérés comme des atouts de ce pays. Cette grande mosaïque canadienne — le contraire de l'État-nation qui cherche à éliminer les différences et à assimiler les minorités — constitue un pays unique qui, à mon avis, reflète bon nombre de nos valeurs libérales.


C'est grâce à ce choix que le Canada est aujourd'hui un pays bien équipé pour affronter l'ère postmoderne et la mondialisation.


Les caractéristiques de la personnalité politique canadienne, à nulle autre pareille, sont fondées sur des principes et des valeurs dont nous devrions faire profiter le reste du monde : le respect, la tolérance, la générosité et l'ouverture, entre autres.


La motivation internationale du Canada

En cette année 2005, le monde est un endroit complexe et multidimensionnel où l'on retrouve un nombre grandissant d'acteurs qui ont des opinions variées et dans lequel on communique à la vitesse de l'éclair. Quand la mondialisation s'est amorcée, la convergence de la communauté mondiale est devenue un verdict incontournable et transcendant les simples acteurs gouvernementaux. Mais la mondialisation, c'est aussi un grand bassin dans lequel baigne une diversité incroyable, où parfois les valeurs fondamentales des uns sont remises en question par les autres.


Avant même la mondialisation, le Canada a choisi d'opter pour une société ouverte. Cette ouverture sur le monde comporte son lot de risques, de disparités aussi et de complexités.


Cependant, le Canada a montré d’une façon indiscutable que ces risques peuvent devenir de véritables avantages. Tout en maintenant une société ouverte, multiculturelle et démocratique, nous avons su gérer — et transformer en avantages — les risques que posent notre ouverture et notre diversité.


Mais qu'est-ce qui nous anime? Quelles sont nos motivations? Comment pouvons-nous, en tant que Canadiens, influer sur un monde où les rapports de force sont inégaux, et où les institutions multilatérales, si chères à la communauté internationale, sont mises à rude épreuve? Je pense que la réponse se trouve dans deux traits typiquement canadiens : la conscience et la confiance.


Historiquement, au Canada, il y a d'abord eu une démarche visant à trouver un juste équilibre entre l'intervention de l'État et le libre jeu des forces du marché dans l'économie internationale, particulièrement en ce qui touche les effets qui en découlent pour l'économie des pays en développement.


La relation entre l'État et le marché est dynamique. À mon avis, en cherchant à mettre fin à l'intervention de l'État pour laisser libre cours aux forces du marché, nous ferions l'erreur même qu'ont commise les régimes communistes en attribuant à l'État tous les pouvoirs de décision. Ici, plus que n'importe où ailleurs, la recherche de l'équilibre est un impératif.


Entité abstraite, l'État a pour but essentiel la légitimité, c'est-à-dire la recherche délibérée de ce qui est juste, raisonnable et équitable. Son action s'exerce à long terme, au moyen de lois et de constitutions. L'État fait un usage privilégié de la contrainte. C'est l'univers de la conscience.


De son côté, le marché veut réagir aussi bien et aussi rapidement que possible aux besoins de consommation et de production de la société. Ses objectifs essentiels sont l'efficacité et le profit. Axé surtout sur les instincts et les désirs, le marché ne partage pas l'horizon temporel de l'État, étant impérativement tributaire de l'immédiat. C'est l'univers de la confiance.


Pour que la confiance continue à engendrer le progrès, nous devons veiller à ce qu'une éthique de la conscience lui fasse contrepoids. Confiance et conscience doivent aller de pair. De ce point de vue, les pires ennemis du progrès sont la méfiance et l'insouciance.


Permettez moi de vous donner quelques exemples de l'esprit de confiance et de l'éthique de la conscience dans la nouvelle politique étrangère du Canada, tous présents dans l'Énoncé de politique internationale du Canada.


J'ai souvent dit qu'on doit donner un visage plus humain à la mondialisation. Le combat que livrent les gouvernements du Canada et du Québec pour la diversité culturelle témoigne de l'importance de notre action. Bien que rien n'ait encore été conclu à l'UNESCO, où les membres travaillent actuellement à un projet de Convention sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques, nous demeurons optimistes.


Le Canada est actif dans ce dossier depuis de nombreuses années, et nous continuerons de collaborer avec d'autres pays afin que l'éventuelle Convention ait le mordant nécessaire tout en étant compatible avec nos obligations actuelles dans les domaines du commerce, des droits de la personne et du droit international. Avec ma collègue Liza Frulla [ministre de Patrimoine canadien et ministre responsable de la Condition féminine], nous continuons d'encourager l'excellent travail de la Coalition pour la diversité culturelle, qui fait la promotion de la Convention et de l'importance de la diversité culturelle à l'échelle internationale.


L'Énoncé de politique internationale comporte aussi un engagement qui soutient ces idéaux, à savoir la création d'un Centre mondial pour le pluralisme au Canada, en partenariat avec la Fondation Aga Khan. Ce centre aura pour mandat de faciliter les études sur la façon dont le pluralisme dans les sociétés multiethniques contribue à l'ordre et à la prospérité des collectivités.


L'aide au développement est un autre exemple valide. Tout comme les multinationales se livrent une concurrence féroce sur les marchés mondiaux, les gouvernements jouent aussi du coude sur le marché de l'aide internationale. J'étais ministre de la Coopération internationale au moment où la mondialisation s'accélérait, et je constate que la situation aujourd'hui n'a fait que s'amplifier : chaque pays veut augmenter son influence, laisser sa marque et participer au règlement des conflits. Pendant longtemps, le Canada a essayé de trop en faire avec trop peu, en disséminant ses efforts à gauche et à droite sans réussir à les concentrer suffisamment pour apporter une véritable contribution.


Nous en sommes récemment venus à cette dure mais inévitable conclusion que nous ne pouvons pas être tout pour tout le monde. Nous avons, comme jamais auparavant, conscience que l'aide internationale est essentielle. Mais nous savons aussi que la qualité de cette aide doit primer sur la quantité. Nous devons donc opérer des choix difficiles pour nous adapter à cette réalité.


Certes, la mondialisation fait de plus en plus d'heureux et de champions, mais force est de constater qu'elle crée aussi des disparités plus profondes et davantage de laissés- pour-compte, surtout en Afrique. L'Énoncé de politique internationale du Canada exprime clairement notre intention de mieux financer et de mieux cibler nos efforts : nous allons plus que doubler notre aide sur une période de cinq ans, concentrer sur un groupe restreint de vingt cinq pays au moins les deux tiers de notre budget d'aide bilatérale d'ici 2010 et mettre l'accent sur cinq secteurs critiques de l'aide.


La stratégie canadienne d'aide au développement sera non seulement mieux financée et plus focalisée, mais elle sera aussi mieux coordonnée, de sorte que l'allégement de la dette, les termes du commerce, le soutien au développement du secteur privé, l'aide à la santé et à l'éducation ainsi que tous les autres outils de l'aide puissent contribuer, collectivement, à faciliter l'atteinte des Objectifs de développement du Millénaire établis par la communauté internationale, surtout en Afrique, où les besoins sont les plus criants. Désormais, la politique canadienne de soutien au développement international sera concertée et stratégique.


Conscience et confiance doivent aller de pair également dans notre relation complexe avec les États-Unis. Il n'y a nulle part ailleurs de relation bilatérale aussi multidimensionnelle et progressiste. L'Énoncé de politique internationale du Canada place à l'avant-plan notre relation avec l'ami du Sud, et pour cause.


Le Canada et les États-Unis ont une longue histoire de collaboration, de tradition et de solidarité, mais nous avons aussi nos désaccords et nos différends. Ce qui doit nous distinguer, c'est plutôt notre attitude en cas de divergences d'opinions, une attitude de respect, de dialogue et de compromis. Je crois sincèrement qu'au cours des deux dernières années, nous avons fait progresser la relation canado-américaine. Et maintenant, nous entendons aller encore plus loin, notamment en resserrant nos rapports avec le Mexique. Notre première priorité devrait toujours être l'Amérique du Nord, notre foyer.


Les trois partenaires de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] doivent chercher à comprendre plus précisément comment les habitants de tout un continent — 425 millions de personnes et 34 p. 100 du PIB mondial — interagissent les uns par rapport aux autres, et avec le reste du monde, y compris une Chine en pleine ascension et une Union européenne élargie.


Le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité dont ont convenu en mars le premier ministre Martin ainsi que les présidents Bush et Fox s'inscrit dans le droit fil de cette idée. En termes pratiques, nous devons améliorer le fonctionnement de l'ALENA pour donner aux Canadiens l'assurance que les différends commerciaux ne peuvent pas traîner éternellement.


Notre partenariat implique aussi que nous devons prendre au sérieux la sécurité de l'Amérique du Nord et que le Canada doit adopter certaines mesures, comme un renforcement de la coopération pour la défense du continent; l'instauration de frontières « intelligentes » qui freinent les terroristes tout en permettant la libre circulation des marchandises, des services et des personnes légitimes; et un accroissement de la capacité à protéger les intérêts côtiers et arctiques canadiens. Avec ce nouveau partenariat nord-américain, nous avons tout le loisir d'avoir nos différences avec les États-Unis tout en convenant des priorités continentales.


Le Programme d'action relatif aux responsabilités est un autre exemple qui mérite d'être cité. De nos jours, la moitié de la planète peut voir les images d'une catastrophe venant à peine de se produire. Il en va de même en cas de crise politique majeure. Cette évolution des communications motive le public à prendre des mesures et à demander aux gouvernements d'en faire autant dans ces circonstances ou d'autres impliquant plus souvent qu'autrement des États en déroute ou fragiles, qui sont incapables ou qui n'ont pas la volonté de se stabiliser eux mêmes, de protéger leurs citoyens ou encore de mettre en place le cadre institutionnel et sociétal nécessaire à la croissance et à la prospérité.


Face à cette conjoncture, nous nous sommes posé des questions. Quels sont nos succès? Comment faire un réelle différence? Comment faire accepter un idéal social et y intégrer la notion de conscience? Autrement dit, comment assumer notre responsabilité d'aider et de protéger? Et le faire d'une manière réaliste et pratique, parce que s'internationaliser ne signifie pas tout faire partout à la fois? Il faut plutôt faire ce que nous pouvons, et le faire bien. Cela implique aussi qu'il faut agir collectivement, parce que nous formons une communauté humaine.


Voilà pourquoi le gouvernement insiste, dans l'Énoncé de politique internationale, sur l'importance du Programme d'action relatif aux responsabilités que le premier ministre Martin a exposé en septembre dernier aux Nations Unies. On retiendra ici surtout la « responsabilité de protéger », c'est-à-dire le devoir qu'a chaque État souverain de protéger ses citoyens contre les violations flagrantes des droits de la personne, et s'il ne peut ou ne veut le faire, le devoir qu'a la communauté internationale d'intervenir pour empêcher une catastrophe humanitaire.


Le Canada considère la crise au Darfour, dans le Soudan méridional, comme un test critique de cette responsabilité et est résolu à engager d'importantes ressources militaires, diplomatiques et développementales pour aider à mettre un terme aux souffrances vécues là-bas. Notre réponse a été de créer un Fonds pour la paix et la sécurité, doté d'un budget de 500 millions de dollars, ainsi qu'un Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction [START], dont les premières activités portent notamment sur le Darfour.


Notre engagement à l'égard du Programme d'action relatif aux responsabilités ne se limite cependant pas à la protection. La réforme du multilatéralisme est également essentielle à la réalisation des objectifs internationaux du Canada. C'est pourquoi nous préconisons un nouveau multilatéralisme qui sera à la hauteur des défis mondiaux d'aujourd'hui. Le simple attachement au principe du multilatéralisme et à l'idéal de l'action collective ne suffit plus. Si nous voulons prévenir et résoudre les conflits, promouvoir le développement durable et améliorer la qualité de vie des moins nantis, il faut plus que jamais axer la coopération multilatérale sur l'atteinte de résultats.


Ainsi, nous devons aider la communauté internationale à restaurer la crédibilité de l'ONU par des moyens stratégiques et pratiques. Cela explique pourquoi nous approuvons le programme novateur mis de l'avant par le secrétaire général Kofi Annan dans son récent rapport sur la réforme de l'ONU, lequel soutient en partie les priorités connues du Canada, comme le droit de protéger.


Bien sûr, il faut s'attaquer aux questions complexes comme la réforme du Conseil de sécurité, mais cela ne nous empêche pas de commencer dès maintenant à enclencher la marche vers le changement. On comprendra donc pourquoi nous avons proposé l'adoption immédiate de mesures pratiques, comme la création d'une Commission de consolidation de la paix et la transformation de la machinerie onusienne des droits de la personne, en particulier la création d'un Conseil des droits de l'homme.


C'est aussi pourquoi nous continuerons de soutenir les travaux de la Cour pénale internationale et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, à qui nous avons d'ailleurs annoncé une nouvelle contribution de 5 millions de dollars, soit dix fois le montant habituel. Soit dit en passant, nous pouvons tous être fiers que ces deux institutions vitales soient dirigées par des Canadiens.


Outre ces mesures, le Canada continue de se faire le champion d'un nouveau groupe informel de dirigeants — le L20 — pour instaurer la confiance entre les grands pays développés et en développement, de sorte qu'ils puissent travailler ensemble sur les dossiers mondiaux difficiles mais importants, comme le contrôle des maladies et la protection des ressources océaniques, au regard desquels la coopération multilatérale demeure la seule option.


Transformer la diplomatie canadienne

Notre plan de renouvellement et de transformation d'Affaires étrangères Canada comporte un nouveau mandat de cohérence de la politique étrangère dans une optique pangouvernementale, des changements structurels et une trousse d'outils ministérielle améliorée, qui permettra d'offrir un meilleur service aux Canadiens. Avec l'injection de presque 700 millions de dollars en ressources nouvelles, je suis sûr que nous saurons atteindre nos objectifs.


S'il est vrai que l'accent est mis sur une meilleure coordination entre les quatre principaux ministères à vocation internationale, il est impératif également de mieux coordonner les activités des 15 autres portefeuilles à Ottawa dont le mandat comporte aussi un important volet international, ainsi que les activités des provinces, des territoires et des villes. Si une province souhaite agir sur la scène internationale, elle doit pouvoir le faire de manière coordonnée et avec l'appui efficace du gouvernement fédéral. Affaires étrangères Canada sera le pivot chargé de coordonner l'action et la planification du gouvernement canadien dans les affaires internationales.


Nous savons aussi qu'il y a un besoin pressant en ce qui concerne l'apprentissage de langues difficiles, comme l'arabe et le mandarin, pour répondre au nouvel environnement international. À titre de comparaison, l'Australie consacre trois fois plus d'argent que le Canada à la formation linguistique de ses agents diplomatiques, et la Nouvelle-Zélande, presque neuf fois plus. Nous allons investir plus de 100 millions de dollars pour relever ces défis. Le Service extérieur du Canada peut être fier de son histoire et de sa tradition, et j'entends bien restaurer sa capacité, au bénéfice de tous les Canadiens.


Conclusion

Mon expérience à la tête de trois des quatre ministères ayant participé à la rédaction de l'Énoncé de politique internationale du Canada me permet d'avoir une perspective élargie. Je sais avec certitude que les Canadiens désirent participer pleinement à la genèse de notre programme global pour un monde en rapide évolution.


Nous devons nous connaître nous-mêmes, et avoir confiance en ce que nous sommes, en ce que nous avons accompli et en ce que nous avons à offrir. Et plus que jamais, cette confiance doit être associée à une éthique de la conscience. Nous avons franchi le seuil d'une ère nouvelle, une ère où priment l'éthique et la conscience globale. Nous avons pris nos responsabilités et nous avons fait des choix difficiles. Mais nous n'avons pas réponse à tout. Nous devons en faire davantage dans les domaines où nous excellons, et là où notre action changera vraiment les choses.


Les Canadiens sont fiers de la société prospère qu'ils ont construite ensemble. Nous avons prouvé qu'en restant attachés à nos valeurs, et sans pour autant perdre de vue nos intérêts, il est possible de surmonter nos différences et de réussir dans un environnement mondial difficile et compétitif. L'accueil positif que les Canadiens, comme les étrangers, ont réservé jusqu'ici à l'Énoncé de politique internationale nous conforte dans l'idée que nous sommes sur la bonne voie. Dans cet Énoncé, nous avons traduit nos idéaux et nos aspirations en mots et en objectifs. Nous devons maintenant veiller à ce que nos actions soient à la hauteur de nos paroles.


Je vous remercie.