La culture ne se manifeste pas seulement sous des aspects matériels; elle revêt également des formes immatérielles qui se transmettent de génération en génération à travers la langue, la musique, le théâtre, les attitudes, la gestuelle, les pratiques, les coutumes et par bien d’autres formes culturelles. Le patrimoine immatériel est constitué des expressions, des valeurs, des coutumes, des langues, de la tradition orale, des modes de vie traditionnels, de la créativité, de l’adaptabilité et, en définitive, de tout ce qui fait le caractère distinctif d’un peuple. Ce caractère distinctif se perçoit généralement dans les pratiques culinaires et vestimentaires, l’habitat, les savoir-faire et techniques traditionnels, les cérémonies religieuses, les usages, les coutumes, les arts d’interprétation, le conte, etc. À l’ère de la mondialisation, le besoin de protéger le patrimoine immatériel s’impose de plus en plus ¹.

Bien des musées et archives reconnaissent l’impossibilité de dissocier leurs collections et les cultures vivantes. En fait, ce sont justement les aspects immatériels des objets qui font qu’il est si important de les préserver. L’importance de préserver ces attributs immatériels est au cœur du débat actuel centré sur l’usage par rapport à la préservation.

Dans le monde entier, on songe à l’importance de sauvegarder le patrimoine immatériel et le sujet alimente bien des discussions. Le Conseil international des musées (ICOM) a fait de l’importance du patrimoine culturel immatériel le sujet de sa Conférence générale de 2004, tenue à Séoul.

Toutefois, il faut se demander exactement quelles formes la sauvegarde du patrimoine immatériel est censée prendre.

Lyndel V. Prott a mis au point une méthode pragmatique qui constitue un bon point de départ². Elle fait valoir que le patrimoine immatériel est extrêmement complexe et que chacune de ses manifestations exige une méthode de sauvegarde adaptée à des exigences particulières. Dans un premier temps, Prott envisage une catégorisation du patrimoine immatériel, par exemple la langue, la tradition orale, les convictions et croyances religieuses traditionnelles, les images et thèmes sacrés, etc. Dans un second temps, elle dégage l’objectif, les exigences associées à chaque catégorie et, enfin, les moyens de sauvegarder ce patrimoine immatériel. Dans l’exemple à la page 11, la catégorie « langue » a été retenue à des fins d’illustration.

Le patrimoine immatériel et la conservation
Dans le cas de bien des objets, la fonction a au moins autant d’importance que les aspects matériels de l’objet, sinon plus. Les instruments de musique ou les aéronefs illustrent bien cette affirmation. En effet, la sauvegarde des aspects immatériels de ces objets transcende la préservation de leur apparence matérielle. Ainsi, si l’objet est un instrument de musique, il faut le jouer pour qu’il produise un son. Plus encore, il faut avoir le talent et les compétences nécessaires pour le jouer, en plus de disposer d’une musique à jouer et d’un public prêt à apprécier la musique produite, à chanter et à danser, etc. Pour que le patrimoine immatériel soit réellement sauvegardé, toutes ces conditions doivent être présentes, mais elles doivent aussi être pesées par rapport aux aspects liés à la préservation qui exigent qu’un usage judicieux soit fait des objets vulnérables. Et c’est justement là le propos central du dialogue actuel, parmi les restaurateurs, au sujet de l’usage par rapport à la sauvegarde.

Quand la valeur supérieure d’un objet découle de ses aspects matériels, il faut alors éviter tout usage qui cause une usure et qui pourrait exacerber le risque de perte ou de dommage. En revanche, si les attributs immatériels de l’objet sont considérés comme étant au moins aussi importants que ses aspects matériels, c’est alors la capacité à se servir de l’objet – et non l’objet même – qui doit être préservée. Si les restaurateurs tentent depuis toujours de faire la part entre l’usage et la préservation, il demeure qu’ils sont de plus en plus conscients du rôle qu’ils ont à jouer à l’égard du premier.

Le patrimoine immatériel et les musées et archives
Les musées et les archives interviennent activement dans la sauvegarde du patrimoine immatériel dans la mesure où ils collectionnent des objets, gèrent leurs collections et préservent la documentation. Dans le cas du patrimoine immatériel, la documentation peut englober tant la langue ou les traditions que les attributs, l’histoire et la création des objets qui font partie de la collection. Elle peut également prendre maintes formes physiques : un compte rendu écrit, une photographie ou, de plus en plus, une bande sonore ou une vidéo, un DVD ou un CD-ROM. L’utilisation de supports électroniques donne lieu à des défis nouveaux pour les musées et les archives à cause des problèmes de préservation à long terme associés à ces supports.

Le patrimoine immatériel et l’ICC
L’ICC comprend parfaitement l’importance de la sauvegarde du patrimoine immatériel et, de plus en plus, il en tient compte dans les traitements, les recherches et les conseils qu’il dispense en matière de conservation préventive. Si la question de la préservation par rapport à l’usage a eu l’incidence la plus profonde, il demeure que la prévalence des supports électroniques en matière de sauvegarde du patrimoine immatériel a lui aussi eu une incidence directe (ces supports se retrouvent dans pratiquement toutes les stratégies ébauchées par Prott). Et, comme on sait très bien que les supports électroniques présentent de piètres attributs en ce qui a trait à la préservation, l’ICC se consacre de plus en plus à la recherche de façons de parer à ces problèmes de préservation. Il se consacre à ces recherches depuis plusieurs années et a déjà publié plusieurs documents sur le sujet (dont les bulletins techniques n^os 25 et 27, respectivement intitulés La récupération des supports d’information modernes : disques compacts, bandes magnétiques et disquettes et Techniques de restauration des supports d’information modernes détériorés ou endommagés — La préservation des documents électroniques : information récente et prise de décision). L’ICC compte élargir progressivement la portée de ses recherches afin d’englober d’autres aspects de la préservation des supports. C’est à cet égard qu’il pense pouvoir contribuer le plus à la sauvegarde du patrimoine immatériel.