Date : 20061214
Dossier : A-53-06
Référence : 2006 CAF 409
CORAM
: LE JUGE LÉTOURNEAU
LE
JUGE NADON
LE
JUGE PELLETIER
ENTRE :
MAISON COUSIN (1980) INC.
appelante
et
COUSINS SUBMARINES INC.
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 14 décembre 2006)
LE JUGE PELLETIER
[1]
Nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’intervenir
dans cette affaire.
[2]
L’appelante Maison Cousin (1980) Inc.
(l’appelante) porte en appel la décision du juge Simon Noël de la Cour fédérale
(« le juge ») siégeant, aux termes de l’article 56 de la Loi sur
les marques de commerce, S.R.C. 1985 c. T-13 (la Loi), en appel de
la décision du délégué du registraire des marques de commerce. Cette décision
accorde, en partie, la demande d’enregistrement soumise par l’intimée Cousins
Submarines Inc. (l’intimée) de la marque de commerce «Cousins », et ce, en
dépit de l’opposition faite par l’appelante.
[3]
L’intimée avait déposé une demande
d’enregistrement de la marque de commerce « Cousins » en liaison avec
les produits suivants : « sandwiches, nommément sous-marins
sandwiches; breuvages, nommément boissons gazeuses, café, lait et thé
glacé », et aussi en liaison avec des « services de
restauration ». L’appelante a déposé son opposition à l’enregistrement de
cette marque de commerce aux termes de l’article 38 de la Loi. Le délégué du
registraire a donné raison en partie à l’intimée, rejetant l’opposition de
l’appelante, sauf quant aux sandwiches sous-marins en tant que produits
susceptibles d’être vendus en liaison avec la marque de commerce réclamée, soit
« Cousins ».
[4]
L’appelante a porté cette décision en appel
devant la Cour fédérale. Alertée par les commentaires du délégué du
registraire quant à la faiblesse de sa preuve à l’appui de son opposition,
l’appelante s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 56(5) de
suppléer à la preuve au dossier. Elle y a versé de nouveaux éléments de
preuve. Le juge a examiné cette nouvelle preuve sous l’angle de la norme de
contrôle. Il en est venu à la conclusion qu’elle était suffisamment
significative et probante, et qu’il devait appliquer la norme de la décision
correcte. Ce faisant, il nous apparaît que le juge limitait ainsi indûment sa
discrétion d’intervenir car, ayant constaté le caractère significatif et
probant de la nouvelle preuve, il n’était plus appelé à réviser la décision du
délégué du registraire, mais plutôt à décider la question au mérite à partir
des éléments de preuve dont il disposait.
[5]
Ceci ressort du paragraphe 56(5) de la Loi,
disposition qui, exceptionnellement, autorise le dépôt d’une nouvelle preuve de
plein droit lors d’un appel d’une décision du registraire :
56(5) Lors de l’appel, il peut être
apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire,
et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.
|
56(5) On an appeal under subsection (1), evidence in
addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal
Court may exercise any discretion vested in the Registrar.
|
[6]
C’est le sens que donna le juge Evans à cette
disposition dans l’arrêt Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co.,
[1999] A.C.F. no 1763 (C.F.) au paragraphe 37 lorsqu’il a
écrit :
[37] Plus les éléments
de preuve additionnels ont un poids important, plus la cour d’appel sera portée
à tirer elle-même une conclusion de fait.
[7]
Le juge qui décide la question de novo
peut intervenir sans qu’il ait à identifier une erreur quelconque de la part du
délégué, et il n’a aucune obligation de réserve face à la décision de ce
dernier. Il est appelé à décider la cause à partir des éléments de preuve dont
il dispose, et des règles de droit qui s’y appliquent.
[8]
Or, en l’instance, nous sommes d’avis que le
juge s’est mépris quant à la question de la probabilité de confusion.
L’appelante a fondé son opposition sur trois motifs distincts ayant un élément
commun, soit la confusion entre ses marques de commerce et celle réclamée par
l’intimée. L’analyse de la confusion doit se faire en tenant compte des
critères énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. Parmi ces critères, l’on retrouve la nature
des produits liés aux marques de commerce en question ainsi que la nature du
commerce. Le juge a conclu que « le fait que les marchandises vendues par
l’une et l’autre des compagnies soient pour l’essentiel très différentes réduit
le risque de confusion. » (paragraphe 41 des motifs du juge). Il est
revenu sur ce point plus tard dans le même paragraphe quand il a écrit :
[41] Ayant revu, d’une
part, la description des produits vendus sous les marques de commerce de la
demanderesse et la preuve pertinente et, d’autre part, la description de
l’emploi projeté de la marque COUSINS par la défenderesse, je conclus que le
genre de marchandises vendues est, sauf pour les sous-marins, tout a fait
distinct.
[9]
De même, le juge a conclu que les produits en
question ne se vendaient pas dans les mêmes réseaux commerciaux, ou dans les
mêmes genres d’établissements, ceux de l’appelante étant en vente dans des
dépanneurs et des épiceries tandis que ceux de l’intimée se vendent dans leurs
restaurants.
[10]
Dans un cas comme dans l’autre, le juge tire la
conclusion que ces distinctions favorisent l’intimée.
[11]
Avec respect, nous sommes d’avis que les
conclusions du juge sur ces deux points connexes sont erronées. Pour ce qui
est des produits eux-mêmes, le juge n’a pas expliqué le raisonnement par lequel
il est arrivé à la conclusion que les produits en question, notamment des
pains, des desserts, de la charcuterie et des sandwiches d’une part, et des
sandwiches sous-marins et des boissons d’autre part, sont à ce point distincts
les uns des autres qu’il faille écarter la possibilité de confusion. Ce sont
tous des produits d’alimentation qui se ressemblent énormément et que l’on
retrouve communément dans le même voisinage.
[12]
En outre, même si on pouvait dire qu’il y a une
distinction entre ces produits, elle ne suffit pas à écarter la possibilité de
confusion. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit la possibilité de confusion
même si les produits en question ne sont pas de la même catégorie générale.
6(2) L’emploi d’une
marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce
lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait
susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de
commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les
services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que
ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.
(Je souligne.)
[13]
Dans l’arrêt Mattel Inc. c. 3894207
Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 722, la Cour suprême rappelle l’intention du
législateur de ne pas exiger que les marchandises ou services appartiennent à
la même catégorie générale quand elle écrit, au paragraphe 56 de ses
motifs :
[56] Au contraire, en
ajoutant à la Loi les termes "que ces marchandises ou ces services soient
ou non de la même catégorie générale", le législateur a exprimé son
intention, non seulement de ne pas exiger une "ressemblance" avec les
marchandises et services particuliers en cause, mais encore de ne pas exiger
que les marchandises ou services commercialisés par l'opposante en liaison avec
sa marque et les marchandises ou services commercialisés par la requérante en
liaison avec la marque visée par sa demande appartiennent à la même catégorie
générale.
[14]
Le juge a ignoré cette distinction. De plus,
nous sommes d’avis que les produits en question n’était pas suffisamment
distincts les uns des autres pour écarter la possibilité de confusion et même
que, dans l’hypothèse où ils seraient distincts, ce fait n’amène pas en soi à
conclure qu’il y a absence de confusion.
[15]
En ce qui a trait à la nature du commerce, le
juge a eu tort de comparer le mode d’opération actuel de l’intimée avec celui
de l’appelante. L’intimée a toujours le loisir de changer ses réseaux de
distribution et de vendre ses produits dans les mêmes dépanneurs ou
établissements que l’appelante. Sa demande d’enregistrement ne limite
aucunement son champ d’action quant à la distribution de ses produits. Le
juge se devait de considérer non seulement ce que fait l’intimée mais aussi ce
que celle-ci pourrait faire, compte tenu de l’absence de restrictions dans
l’enregistrement de sa marque de commerce. Mattel, supra, au
paragraphe 53.
[16]
Le juge s’est aussi mépris sur la question du
caractère distinctif des marques de commerce en question, un facteur qui pèse
lourdement dans l’appréciation de la possibilité de confusion.
[17]
Il était d’avis que les deux marques avaient un
caractère distinctif. En ce qui concerne l’appelante, ce caractère distinctif
est un caractère distinctif acquis et non inhérent. L’article 12 de la Loi
interdit une marque de commerce constituée « d’un mot n’étant
principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui
est décédé dans les trente années précédentes .» Selon le registraire, la
réunion du mot Maison avec un nom de famille laisse simplement entendre qu’il
s’agit d’une entreprise familiale. Le caractère distinct de la marque de l’appelante
provient de son emploi dans le marché québécois depuis 1921, en liaison avec
des produits alimentaires. Le juge n’avait donc pas tort de reconnaître le
caractère distinctif de la marque « Maison Cousin » de l’appelante.
[18]
Par contre, la marque « Cousins » n’a
aucun caractère distinctif, soit inhérent soit acquis. En soi,
« Cousins » peut être un nom de famille ou encore évoquer une
relation familiale. Dans un cas comme dans l’autre, elle n’a aucun caractère
distinctif inhérent. La preuve démontrait que la marque « Cousins »
n’a jamais été utilisée au Canada ni fait l’objet de publicité dans ce pays.
Elle ne jouit donc pas de caractère distinctif acquis. Ceci fait en sorte que
la marque de commerce « Maison Cousin » de l’appelante, compte tenu
de son caractère distinctif acquis, avait droit à une certaine mesure de
protection que le juge ne lui a pas accordée. Cette mesure de protection
milite à l’encontre de l’enregistrement de la marque « Cousins ».
[19]
Quant à la liaison entre la marque
« Cousins » et les services de restauration, un sujet que le délégué
du registraire et le juge ont tous les deux passé sous silence, nous constatons
que rien n’empêche l’appelante d’exploiter sa marque de commerce dans le milieu
de la restauration. D’ailleurs,
selon l’affidavit de monsieur Samson, elle le fait déjà dans des comptoirs de
restauration rapide dans les dépanneurs et les épiceries. La présence de
produits portant la marque « Cousins » dans ce contexte ne pourrait
que porter à confusion.
[20]
Quant à la norme de contrôle qui s’applique à
nous, nous siégeons en appel d’une décision de première instance d’un juge de
la Cour fédérale. Notre approche est guidée par les principes de l’arrêt Housen
v. Nikolaisen, [2002] 2 S.C.R. 235. Nous ne pouvons intervenir que si nous
sommes en présence d’erreurs de fait ou mixtes de fait et de droit manifestes
et dominantes, ou encore d’erreurs de droit.
[21]
Nous sommes satisfaits que les erreurs de droit
ainsi que les erreurs manifestes et dominantes quant aux questions mixtes de
droit et de fait commises par le juge commandent notre intervention.
[22]
En conséquence, l’appel sera accueilli, la
décision du juge de la Cour fédérale sera annulée et, procédant à rendre le
jugement qu’il aurait dû rendre, l’appel à l’encontre de la décision du délégué
du registraire sera accueilli ainsi que l’opposition à la demande
d’enregistrement numéro 813,812 de la marque « Cousins ». Il sera
ordonné au registraire des marques de commerce de rejeter ladite demande
d’enregistrement.
« J.D. Denis
Pelletier »