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Date : 20010803
Dossier : A‑245-00
Référence neutre :
2001 CAF 248
CORAM : LE
JUGE LINDEN
LE JUGE ISAAC
LE JUGE MALONE
ENTRE :
GIUSEPPE VILLANI
appelant
- et -
LE
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
intimé
Audience tenue à Toronto (Ontario), le
lundi 4 juin 2001
Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le
vendredi 3 août 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR : LE
JUGE ISAAC
SOUSCRIVENT À CES MOTIFS : LE
JUGE LINDEN
LE
JUGE MALONE
Date :
20010803
Dossier :
A-245-00
Référence
neutre : 2001 CAF 248
CORAM : LE JUGE
LINDEN
LE
JUGE ISAAC
LE
JUGE MALONE
ENTRE :
GIUSEPPE
VILLANI
demandeur
-
et -
LE
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
MOTIFS
DU JUGEMENT
LE JUGE ISAAC
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la
Commission d’appel des pensions (la Commission), en date du
11 février 2000, dans laquelle celle-ci a conclu que le demandeur
n’était pas invalide au sens du paragraphe 42(2) du Régime de pensions
du Canada, L.RC. (1985), ch. C-8 (le Régime) et qu’il
n’avait donc pas droit à la pension d’invalidité prévue à l’alinéa 44(1)b)
du Régime.
Contexte et antécédents médicaux
[2]
Le demandeur est né en Italie le 3 juin 1938 et il a terminé
sa 5e année du cours primaire avant d’immigrer au Canada en
1955. Après avoir exercé plusieurs petits boulots, il a décroché un emploi
permanent à la Rothman’s of Pall Mall, compagnie de tabac, le
4 juillet 1963. Il y a travaillé pendant les 23 années et demie
qui ont suivi jusqu’à la fermeture de l’usine en décembre 1986. Engagé
comme manoeuvre, le demandeur était ajusteur de machines à cette date.
[3]
En 1969 et 1974, le demandeur a subi des blessures au genou qui ont
nécessité trois opérations distinctes – la première pour une
déchirure du ménisque, la deuxième pour un kyste de Baker gauche et la
troisième pour enlever la pression exercée sur le nerf périnéal. En 1976, il a
subi une blessure à l’épaule et au cou qui a laissé une raideur et un inconfort
jusqu’au bas du dos. En 1979, la douleur consécutive à sa blessure au cou est
réapparue et a obligé le demandeur à consulter un certain nombre de médecins, y
compris ceux de la Commission des accidents du travail de l’Ontario (la CAT).
Il a commencé à utiliser un appareil TENS pour soulager la douleur. En 1985, la
CAT lui a accordé une pension pour invalidité partielle de 10 %. En 1992,
il a été confirmé que l’invalidité était permanente. Depuis septembre 1996,
la CAT lui accorde une pension de 20 % pour son invalidité permanente à
l’épaule et au cou.
[4]
Malgré ses blessures, le demandeur a pu continuer à travailler à la
Rothman jusqu’à la fermeture de l’usine en 1986. Après cette date, le demandeur
est retourné aux études et a réussi l’examen de la chambre immobilière de
l’Ontario et obtenu une licence d’agent immobilier en 1987.
[5]
Pendant un mois en 1992, le demandeur a travaillé dans une boulangerie
et ensuite comme livreur à la Golden Loaf Bakery. En 1993, il a renouvelé sa
licence d’agent immobilier et s’est inscrit auprès de la société National Group
Realty Services Inc. Dans la même année, il a d’abord présenté une demande de
pension à la CAT pour sa blessure au genou. On lui a accordé une pension de
8 % le 2 mars 1994, qui a été augmentée à 12 % le
14 janvier 1996. Malheureusement, le demandeur n’a pas réussi à se
constituer une base de clientèle pour ses activités immobilières. Son
inscription auprès de la National Group Realty a pris fin en
décembre 1995, date à laquelle il a jugé qu’il ne pouvait plus continuer à
travailler à cause de la détérioration de sa santé physique. La licence d’agent
immobilier du demandeur a expiré en 1997 et n’a pas été renouvelée.
[6]
Pendant toute la période mentionnée dans les paragraphes précédents, le
demandeur a également souffert de troubles de la vue et de l’ouïe, ces derniers
troubles étant le résultat du bruit environnemental à l’usine de Rothman. Pour
ce handicap, il touche de la CAT une pension de 4,5 % depuis 1983.
Antécédents procéduraux
[7]
Le 11 mars 1994, le demandeur – qui avait alors près
de 56 ans – a demandé une pension d’invalidité en vertu du Régime,
indiquant que sa principale invalidité se rapportait à des douleurs dans le genou
droit, les épaules et le dos. Il se plaignait également d’engourdissement dans
le bas de la jambe et les mains, de même que d’un déficit auditif et d’une
difficulté à lire, même avec des verres. En outre, le demandeur signalait des
douleurs et des sensations de brûlures à l’estomac. Dans une lettre en date du
25 mars 1994, le ministre défendeur a refusé sa demande. Après
réexamen, le défendeur a maintenu sa position et a communiqué sa décision au
demandeur dans une lettre datée du 6 septembre 1995.
[8]
Le demandeur en a appelé de ce refus au tribunal d’appel (le tribunal).
Dans sa décision du 14 mai 1996 (voir dossier de la demande du
défendeur, vol. I, pages 20 et 21), le tribunal a confirmé la décision du
défendeur en déclarant ceci :
[TRADUCTION]
[...] Le demandeur n’a pas présenté de preuve
objective suffisante des handicaps anatomiques ou physiologiques médicaux qui
seraient susceptibles de l’empêcher de faire toutes sortes d’activités
physiques et son travail [...] [Non souligné dans l’original.]
[9]
Le demandeur a obtenu l’autorisation d’appeler de la décision du
tribunal devant la Commission. L’appel a été entendu le
3 décembre 1998. Le 6 janvier 1999, la Commission a rejeté
l’appel au motif que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante
pour démontrer son invalidité avant le 31 décembre 1995. La
Commission notait qu’aucun des médecins du demandeur n’avait décrit celui-ci
comme étant « complètement invalide » avant la date critique et
qu’ils avaient tous deux indiqué qu’il était [TRADUCTION] « capable
d’effectuer un travail non physique, moyennant certaines restrictions »
(dossier du défendeur, vol. II, page 426).
[10]
Le demandeur a déposé devant la présente Cour un recours en contrôle
judiciaire concernant la décision de la Commission. Toutefois, la demande n’a
jamais été entendue, les parties ayant accepté de renvoyer la demande pour
nouvel examen par une autre formation de la Commission, au motif que le
demandeur alléguait qu’il avait été incapable d’entendre la première procédure
d’appel (ordonnance par consentement en date du 26 octobre 1999,
dossier du demandeur, onglet 11, page 321).
[11]
Une nouvelle audience devant une formation différente de la Commission a
été convoquée le 7 février 2000. Dans une décision unanime en date du
11 février 2000, la nouvelle formation a conclu que le demandeur
n’était pas, à l’époque pertinente, invalide au sens du paragraphe 42(2)
du Régime. La Commission a mis beaucoup d’accent sur les déclarations
répétées du médecin de famille du demandeur, Dr Soutar, selon
lesquelles le demandeur (du moins avant octobre 1998) était totalement
incapable uniquement [TRADUCTION] « de faire des travaux physiques et du
travail supposant une longue station debout ou un usage répété des mains »
(Motifs de la Commission, dossier du défendeur, vol. I, page 9). De
l’avis de la Commission, ce diagnostic d’invalidité partielle était compatible
avec le fait que le demandeur ne recevait qu’une pension d’invalidité partielle
de la CAT et le fait qu’il avait apparemment les aptitudes mentales et
linguistiques suffisantes pour s’engager dans l’industrie immobilière entre
1987 et 1991 et 1993 et 1997.
[12]
À la page 10 de ses motifs, la Commission a expliqué le sens de la
définition légale d’une invalidité « grave » qui est donnée au
sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime :
[TRADUCTION]
Il est très important de noter que les mots
« régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement
rémunératrice [...] » signifie n’importe quelle occupation. Ce
n’est pas, comme certaines polices d’assurance le déclarent, « [...]
n’importe quelle occupation pour laquelle le requérant est raisonnablement
compétent [...] ». Il s’agit de n’importe quelle occupation, même
si le demandeur n’a pas la scolarité ou les compétences spécialisées pour
l’exercer ou n’en connaît pas le langage de base.
La disponibilité du travail est un autre facteur. Ce
n’est pas là une question que la Commission analyse ou dont elle peut tenir
compte. Ainsi donc, la situation du marché du travail local n’est pas
pertinente : il y a une présomption légale selon laquelle il y a du
travail disponible. [Souligné dans l’original.]
[13]
À l’appui de son interprétation de l’exigence relative à la gravité de
l’invalidité prévue au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime, la
Commission cite le passage suivant tiré des motifs du juge Teitelbaum dans la
décision Davies c. Canada (Ministre du Développement des ressources
humaines) (1999), 177 F.T.R. 88, [1999] A.C.F no 1514
(QL) (C.F.P.I.) :
¶ 43 La question qu’il convient de se poser pour déterminer si une personne est atteinte d’une invalidité grave est de savoir si cette personne a la capacité physique de détenir une quelconque sorte d’occupation véritablement rémunératrice, peu importe son expérience de travail. La loi précise que cette occupation doit être « véritablement rémunératrice », et le paragraphe 42(2) énonce les
facteurs qui doivent en guider l’évaluation.
¶ 44 Il n’existe pas d’ambiguïté quant aux
facteurs qui sont pertinents à l’évaluation de
l’invalidité. Les décisions rendues par la CAP dans les arrêts Bains
c. MDRH, (1997) CP 4153, aux pages 2 et 3, Aitkins c. MEI, (1996) CP 3408, à la page 5, et Wilson c. MEI, (1996)
CP 4109, à la page 6, sont sans équivoque lorsqu’elles déclarent que l’incapacité du demandeur à exécuter son ancien travail, la
disponibilité pour le travail, la formation et
les compétences du demandeur, de même que les autres obstacles personnels n’entrent pas
en ligne de compte dans l’évaluation de la gravité de l’invalidité.
[...]
¶ 46 Cependant, la loi ne prescrit pas la prise en compte de l’âge ou de la formation aux termes du paragraphe 42(2). La seule question
consiste à savoir si la personne est capable d’obtenir un quelconque type d’occupation véritablement rémunératrice, pas
nécessairement une activité liée à son ancien emploi.
[14]
Appliquant cette définition du terme « grave », la Commission
a conclu que l’invalidité du demandeur n’était pas grave au sens du Régime.
L’opinion de la Commission était formulée dans les termes suivants (aux pages
12 et 13 de ses motifs) :
[TRADUCTION]
d) Bien que l’on reconnaisse d’emblée qu’un travail
sédentaire adéquat avec des pauses pour se dégourdir les jambes ne soit pas
facile à trouver, le critère ne consiste pas à se demander « Y a-t-il du
travail disponible ? », mais plutôt « S’il y en avait, le
demandeur pourrait-il l’effectuer ? » À mon avis, la réponse à cette
question est affirmative. C’est un homme très intelligent qui a d’excellentes
aptitudes linguistiques, qui a été en mesure de poursuivre ses activités
quotidiennes normales – parcourir de courtes distances et conduire
une automobile.
e)
À la barre des témoins, M. Villani s’est plaint d’une douleur
incapacitante. Tout ce que je peux dire, c’est que jusqu’en décembre 1995,
à mon avis, il peut fort bien avoir été empêché de faire ce qu’il souhaitait
faire – c’est-à-dire avoir un bon emploi avec un salaire
élevé – mais il n’était pas empêché d’occuper un emploi pour lequel
il avait les capacités mentales ou physiques voulues. [Souligné dans
l’original.]
[15]
Le demandeur réclame maintenant le contrôle judiciaire du rejet de son
appel par la Commission. Dans ses observations verbales et écrites, le
demandeur a contesté la décision de la Commission sur plusieurs points, en
faisant valoir notamment un très grand nombre d’arguments procéduraux et
d’autres arguments portant sur la question de savoir si la Commission avait
appliqué le critère juridique pertinent pour déterminer ce qu’est une
invalidité grave aux termes du Régime. La Cour n’a pas demandé à la
Couronne de répondre aux points soulevés par le demandeur, à l’exception de
ceux qui avaient trait à la question de savoir si la Commission avait appliqué
le critère juridique adéquat. L’avocate de la Couronne, dans ses observations,
a appuyé le critère que la Commission a appliqué en l’espèce en signalant à la
Cour les décisions antérieures de la Commission.
Dispositions pertinentes du Régime
44.
(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partieʗ:
[...]
b)
une pension d'invalidité doit être payée à un cotisant qui n'a pas atteint
l'âge de soixante‑cinq ans, à qui aucune pension de retraite n'est
payable, qui est invalide et quiʗ:
(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la
période minimale d'admissibilité,
(ii) soit est un cotisant à qui une pension
d'invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu
invalide, si une demande de pension d'invalidité avait été reçue avant le
moment où elle l'a effectivement été,
(iii) soit est un cotisant à qui une pension
d'invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu
invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n'avait
pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;
(iv) [Abrogé, 1997, ch. 40, art. 69]
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44.
(1) Subject to this Part,
[...]
(b)
a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty‑five
years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and
who
(i) has made contributions for not less than the
minimum qualifying period,
(ii) is a contributor to whom a disability pension
would have been payable at the time the contributor is deemed to have become
disabled if an application for a disability pension had been received before
the contributor's application for a disability pension was actually received,
or
(iii) is a contributor to whom a disability pension
would have been payable at the time the contributor is deemed to have become
disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under
section 55 or 55.1 had not been made;
(iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69]
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42(2)
Pour l'application de la présente loiʗ:
a)
une personne n'est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la
manière prescrite, atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et
prolongée, et pour l'application du présent alinéaʗ:
(i) une invalidité n'est grave que si elle rend
la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de
détenir une occupation véritablement rémunératrice,
(ii) une invalidité n'est prolongée que si elle est
déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une
période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement
le décès; [Souligné dans l’original.]
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42(2)
For the purposes of this Act,
(a)
a person shall be considered to be disabled only if he is determined in
prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical
disability, and for the purposes of this paragraph,
(i) a disability is severe only if by reason
thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable
regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and
(ii) a disability is prolonged only if it is
determined in prescribed manner that the disability is likely to be long
continued and of indefinite duration or is likely to result in death; ...
[emphasis added]
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[16]
Avant d’examiner le bien-fondé de cette demande, il est nécessaire de
déterminer la norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision de la
Commission. Pour cela, il faut tout d’abord se demander quelle était
l’intention du législateur quand il a créé le tribunal dont la décision fait
l’objet du contrôle. C’est dans la loi constitutive du tribunal qu’il faut
rechercher cette intention qui nous permettra de déterminer si le législateur
entendait que la question à laquelle le tribunal a répondu relève de sa
compétence exclusive (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’s Compensation
Board), [1997] 2 R.C.S. 890, paragraphe 18).
[17]
Cette tâche oblige le tribunal à examiner et à pondérer un certain
nombre de facteurs différents qui l’aideront à éva;uer le degré de retenue
judiciaire dont il doit faire preuve à l’égard de la décision faisant l’objet
du contrôle. Ce degré de retenue judiciaire est maintenant mesuré selon une
gamme de normes allant de la plus grande retenue judiciaire – c’est-à-dire
la norme du caractère manifestement déraisonnable, jusqu’à la norme exigeant la
moins grande retenue judiciaire – celle de la décision correcte. Depuis la
décision de la Cour suprême dans Canada (Directeur des enquêtes et
recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, une norme moyenne a été
identifiée, c’est-à-dire celle de la décision raisonnable simpliciter.
[18]
Les principaux facteurs à examiner pour déterminer quelle est la norme
de contrôle appropriée sont les suivants : (i) l’existence ou l’absence
d’une clause privative, (ii) l’expertise du tribunal par rapport à celle du
tribunal de révision, (iii) l’objet de la Loi dans son ensemble et de la
disposition en cause, et (iv) la nature du problème ou de la question à
trancher par le tribunal (voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de
la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 aux
paragraphes 29 et suivants). Aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi.
Ils doivent plutôt être analysés ensemble afin que la norme de contrôle
appropriée soit identifiée pour chaque cas d’espèce. Il s’agit d’une méthode
« pragmatique et fonctionnelle » permettant de déterminer quelle est
l’intention du législateur, et elle doit être appliquée en l’espèce pour
déterminer le degré de retenue judiciaire dont la Cour doit faire preuve à
l’égard de la Commission et de sa décision ayant trait au demandeur.
[19]
En l’espèce, la Cour n’a pas eu l’avantage de bénéficier d’arguments
approfondis présentés par les parties sur la question de la norme de contrôle
appropriée, parce que l’appelant n’était pas représenté par un avocat. Bien que
l’intimé ait présenté des observations sur ce point, celles-ci se sont limitées
à la retenue appropriée dont la Cour doit faire preuve à l’égard de la
Commission sur les questions de fait. Cette question est assez simple et je
conviens avec l’intimé que, sur les questions de fait, la norme est celle du
caractère manifestement déraisonnable. Cette opinion a été formulée dans des
décisions antérieures de la présente Cour portant sur des contrôles judiciaires
de décisions de la Commission aux termes de l’article 28 et de
l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale (voir Wirachowsky
c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2000]
A.C.F. no 2094 ; Powell c. Canada (Ministre du
Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 1008).
[20]
Toutefois, la norme de contrôle appropriée sur les questions de droit ou
les questions de fait et de droit tranchées par la Commission n’a jamais, à ma
connaissance, été traitée à fond par la présente Cour, sauf à une occasion.
Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c.
Skoric (C.A.), [2000] 3 C.F. 265, [2000] A.C.F. no 193
(QL), la présente Cour examinait une décision de la Commission concernant la
période de cotisation appropriée applicable au paiement de prestations à un
conjoint survivant en vertu de l’alinéa 44(1)d) du Régime.
La question principale était de savoir si la Commission avait commis une erreur
en décidant laquelle des versions du sous-alinéa 44(2)b)(ii)
s’appliquait aux circonstances de l’espèce, c’est-à-dire la version antérieure
au 1er janvier 1987 ou la version postérieure à cette
date.
[21]
Le juge Evans a appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle et a
conclu que la décision de la Commission n’appelait que peu de retenue
judiciaire, sinon aucune. Son raisonnement est le suivant :
¶ 15 Les parties ont plus ou moins convenu que la
norme de la décision correcte constituait la norme de contrôle appropriée en
l'espèce. Je suis de cet avis. Selon la méthode pragmatique ou fonctionnelle,
il ne s'agit clairement pas en l'espèce d'une situation qui appelle une retenue
judiciaire.
¶ 16 Premièrement, il n'existe aucune clause privative
qui restreigne la portée du contrôle judiciaire. Le paragraphe 84(1) du Régime
prévoit que, « sauf contrôle judiciaire dont elle[s] peu[ven]t faire
l'objet aux termes de la Loi sur la Cour fédérale », les décisions
rendues par la Commission sont « définitive[s] et obligatoire[s] pour
l'application de la présente loi ». Vu que cette disposition soustrait
expressément le contrôle judiciaire de la portée de son application, son
caractère définitif ne peut avoir pour effet que de limiter la compétence dont
la Commission aurait par ailleurs été investie pour réexaminer ses décisions,
suivant l'arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects , [1989] 2
R.C.S. 848. Cependant, le paragraphe 84(2) prévoit expressément que la
Commission peut réexaminer ses décisions « en se fondant sur des faits
nouveaux ».
¶ 17 Deuxièmement, la Commission n'est pas investie
d'importants pouvoirs réglementaires, mais assume seulement des fonctions
judiciaires consistant à entendre les appels interjetés contre des décisions du
tribunal de révision : paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 33, art.
36]. Troisièmement, le président, le vice‑président et les autres membres
de la Commission doivent tous être juges de la Cour fédérale, ou juges d'une
cour particulière visée à l'article 96 [Loi constitutionnelle de 1867,
30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle
de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] :
paragraphe 83(5). Les juges retraités ayant occupé de tels postes peuvent
également être nommés à titre de « membre[s] suppléant[s] » :
paragraphe 83(5.1). Quatrièmement, les questions en litige qui sont soulevées
dans la présente affaire portent sur l'interprétation de la loi habilitante de
la Commission, et leur portée ne se limite pas aux faits particuliers de
l'espèce. Cinquièmement, l'objet du litige concerne la détermination des droits
d'une personne.
¶ 18 D'un autre côté, le fait que le législateur ait
attribué des fonctions d'appel à un tribunal administratif, à savoir la
Commission d'appel des pensions, plutôt qu'à la Cour fédérale, probablement par
souci d'assurer l'économie, la rapidité et l'accessibilité du processus
décisionnel qu'offrent normalement les tribunaux administratifs, constitue un
facteur qui milite en faveur de la retenue judiciaire.
¶
19 Je suis d'avis que l'ensemble des facteurs de la méthode pragmatique et
fonctionnelle favorise la thèse selon laquelle l'interprétation par la
Commission de sa loi constitutive appelle peu de retenue judiciaire, en
particulier en l'absence de preuve au dossier indiquant que les membres de la
Commission ont acquis une vaste expertise du Régime de pensions du Canada en
raison du nombre volumineux des appels qu'ils entendent et sur lesquels ils
sont appelés à statuer.
[22]
Il n’y a que peu de distinction à faire entre la décision de la
Commission dans l’affaire Skoric, et la décision de la Commission en
l’espèce. Dans chaque cas, la décision portait sur l’application du texte légal
du Régime. Aucun des facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle
ne suggère une norme de contrôle appelant une grande retenue judiciaire en
l’espèce. Bien au contraire, sauf pour ce qui a trait aux questions de fait, je
suis d’avis que la décision en l’espèce est une question qui porte sur
l’interprétation et l’application de la définition d’une invalidité
« grave » au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.
Cette question, à mon avis, devrait être examinée d’après la norme de la
décision correcte, c’est-à-dire la norme qui exige la moins grande retenue
judiciaire.
Prestations pour les personnes invalides en vertu du Régime
[23]
L’article 44 du Régime dresse la liste des différentes
prestations qui sont payables en vertu de la loi. Plus précisément, cet article
prévoit le paiement de pensions de retraite, de prestations de décès, de rentes
de survivant, de prestations aux enfants du cotisant invalide et de prestations
pour orphelins. Il y a également une disposition concernant les pensions
d’invalidité. À cet égard, il convient de répéter le texte du paragraphe 44(1)b)
du Régime :
44.
(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partieʗ:
[...]b)
une pension d'invalidité doit être payée à un cotisant qui n'a pas atteint
l'âge de soixante‑cinq ans, à qui aucune pension de retraite n'est
payable, qui est invalide et quiʗ:
(i)
soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale
d'admissibilité,
(ii)
soit est un cotisant à qui une pension d'invalidité aurait été payable au
moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension
d'invalidité avait été reçue avant le moment où elle l'a effectivement été,
(iii)
soit est un cotisant à qui une pension d'invalidité aurait été payable au
moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non
ajustés ouvrant droit à pension n'avait pas été effectué en application des
articles 55 et 55.1;
(iv) [Abrogé, 1997, ch. 40, art. 69]
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44.
(1) Subject to this Part,
[...]
(b)
a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty‑five
years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and
who
(i)
has made contributions for not less than the minimum qualifying period,
(ii)
is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the
time the contributor is deemed to have become disabled if an application for
a disability pension had been received before the contributor's application
for a disability pension was actually received, or
(iii)
is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the
time the contributor is deemed to have become disabled if a division of
unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had
not been made;
(iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69]
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[24] Il
n’est pas surprenant de constater que l’une des conditions énoncées à
l’alinéa 44(1)b) pour le paiement d’une pension d’invalidité est
l’invalidité du demandeur. Le Régime donne une définition exhaustive du
terme « invalide » pour les fins de déterminer le droit à une pension
d’invalidité. Cette définition se trouve à l’alinéa 42(2)a) du Régime,
rédigé dans les termes suivants :
42(2) Pour l'application de la présente loi :
a) une personne n'est considérée comme invalide que
si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d'une invalidité
physique ou mentale grave et prolongée, et pour l'application du présent
alinéa :
(i) une invalidité n'est grave que
si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement
incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,
(ii) une invalidité n'est prolongée que
si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer
pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner
vraisemblablement le décès ;
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42(2) For the purposes of this Act,
(a) a person shall be considered to be disabled only
if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged
mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,
(i) a disability is severe only if
by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is
incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and
(ii) a disability is prolonged only if
it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be
long continued and of indefinite duration or is likely to result in death;
and [emphasis added]
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[25] Le
paragraphe 42(2) indique clairement que l’invalidité d’un demandeur doit
être grave et prolongée avant qu’une pension puisse lui être payée en vertu de
l’alinéa 44(1)b). En l’espèce, il n’est pas contesté que
l’invalidité du demandeur est prolongée. La seule question est de savoir si
elle est grave. L’intérêt de la présente demande porte sur la définition
législative d’une invalidité « grave » qui est donnée au
sous-alinéa 42(2)a)(i). La Cour n’a pas encore eu l’occasion de
commenter cette définition. Toutefois, les circonstances de l’espèce justifient
une analyse approfondie du critère juridique servant à déterminer si une
invalidité est « grave » au sens du Régime.
a) Principes applicables à l’interprétation de la loi
[26] L’article 12
de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 dispose
comme suit :
12. Tout texte est censé apporter une solution de
droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit
compatible avec la réalisation de son objet.
L’adoption de ce
principe général a aboli la distinction traditionnelle entre les lois pénales
et les lois réparatrices pour les fins de l’interprétation des lois (voir R.
Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd.
(Toronto : Butterworths, 1994), page 356). En vertu de cette
distinction traditionnelle, les lois pénales étaient interprétées de façon
stricte alors que les lois réparatrices recevaient une interprétation large et
libérale. La méthode libérale suivie pour les lois réparatrices découle de la
notion que ces lois ont une fin de bienfaisance que les tribunaux doivent
s’efforcer de respecter.
[27] Au
Canada, les tribunaux ont été particulièrement soucieux de donner une
interprétation libérale à ces prétendues « lois sociales ». Dans
l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27,
au paragraphe 36, la Cour suprême a insisté sur le fait que les lois
conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et
généreuse et que tout doute découlant de l’ambiguïté des textes doit se
résoudre en faveur du demandeur. Cette méthode d’interprétation de la loi
conçue pour accorder un avantage social a été adoptée dans bon nombre des
décisions de la Cour suprême traitant de la Loi de 1971 sur
l’assurance-chômage (voir Abrahams c. P.G. du Canada, [1983]
1 R.C.S. 2 ; Hills c. Canada (P.G.), [1988]
1 R.C.S. 513 ; Canada (Commission de l’emploi et de
l’immigration du Canada) c. Gagnon, [1988] 2 R.C.S. 29 ; et Caron
c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), [1991]
1 R.C.S. 48).
[28] Il
me semble manifeste que le Régime est une loi conférant des avantages
semblable à la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage. Le Régime
prévoit le paiement de prestations d’invalidité à des personnes qui ont cotisé
au régime. Avant son adoption par la Chambre des communes, quand le Régime n’était
encore que le projet de loi C-136 (26e législature,
2e session, 9 novembre 1964, le Hansard à la
page 9899), la ministre de la Santé nationale et du Bien-être social en
parlait dans les termes suivants :
[TRADUCTION]
[...] une mesure d’assurance sociale exhaustive [...]
qui prévoit qu’une aide sera accordée de plein droit plutôt que selon les
besoins ou des critères de revenus aux personnes qui ont perdu leur soutien de
famille ou aux personnes invalides qui se retrouvent dans l’incapacité de
continuer à travailler. Je pense que mes collègues conviendront qu’il s’agit
d’un pas de géant vers l’adoption d’un programme de sécurité sociale au Canada.
La ministre
était plus précise dans sa qualification des prestations supplémentaires
accordées en vertu du projet de loi (le Hansard, précité, à la
page 9923) :
[TRADUCTION]
Dans un sens, donc, les pensions de prestations
supplémentaires sont plus généreuses, surtout pour les personnes dont les
revenus sont situés dans les tranches inférieures, que les nouveaux régimes de
retraite. Cette méthode est justifiée en raison des besoins spéciaux des
veuves, des orphelins et des cotisants invalides, et elle est certainement
justifiée du point de vue humanitaire aussi bien que du point de vue
économique.
En deuxième
lecture, le ministre du Revenu national a ajouté qu’à son avis le projet de loi
était « la loi sociale la plus ambitieuse [...] qui ait été proposée
depuis de nombreuses années » (le Hansard, page 10140, le
16 novembre 1964).
[29] Par
conséquent, le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime devrait
recevoir une interprétation généreuse. Bien entendu, aucune méthode
d’interprétation ne peut exclure les restrictions expressément prévues dans une
loi. La définition d’une invalidité grave donnée par le Régime est
clairement une définition restrictive qui doit être interprétée selon le texte
effectif du sous‑alinéa 42(2)a)(i). Toutefois, le sens des
mots utilisés dans cette disposition doit être interprété d’une façon large et
libérale, et toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur
de la personne qui demande des prestations d’invalidité.
b) L’invalidité est-elle
« grave » ? – L’analyse de la Commission
[30] La
Commission a reconnu d’emblée que, d’après son interprétation du Régime,
les exigences pour conclure à la gravité de toute invalidité alléguée sont
extrêmement strictes. Elle exprime clairement cette opinion dans le passage
suivant tiré de ses motifs dans la décision Marie Atkins c. Le ministre de
l’Emploi et de l’immigration, CP 3408 (le 16 février 1996),
à la page 5 :
[TRADUCTION]
Il a été statué à de nombreuses reprises que
l’intention de la loi était de refuser l’octroi d’une pension d’invalidité sauf
dans les cas d‘invalidité totale, d’incapacité de travailler, au sens du
paragraphe 42(2). Cette loi n’est pas une loi de sécurité sociale. Le fait
que de nombreux requérants soient âgés, ne peuvent reprendre leur ancien
emploi, ni trouver un emploi à temps partiel ou un poste sédentaire (qui leur
permettraient de se rendre utiles) sur le marché du travail très difficile que
nous connaissons aujourd’hui, n’est pas la question à laquelle nous devons
répondre. Ces faits ne constituent pas non plus, dans la réalité, une raison
d’accorder une pension, malgré toute la sympathie que nous éprouvons pour les
requérants.
[31] L’opinion
selon laquelle le sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime ne permet
pas de tenir compte de l’âge, du niveau de compétence, de l’instruction ou des
aptitudes linguistiques d’un requérant pour décider s’il est incapable de
détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice a été reprise
dans bon nombre des décisions de la Commission (voir Antonio Macri c.
Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, CP 3079
(9 janvier 1996) ; Alfred Wilson c. Ministre de l’Emploi et
de l’Immigration, CP 4109 (31 mai 1996) ; Surjit
Bains c. Ministre du Développement des ressources humaines, CP 04153
(24 janvier 1997) ; Ministre du Développement des ressources
humaines c. Steven W. Stewart, CP 07942
(29 septembre 1999) ; Patricia J. May c. Ministre du
Développement des ressources humaines, CP 06197
(22 novembre 1999)).
[32] Toutefois,
il existe une autre série de décisions, antérieures à celles-ci, dans
lesquelles la Commission a adopté une interprétation plus libérale de la
définition d’invalidité grave donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.
Dans ces décisions, la Commission avait choisi d’adopter ce qu’elle avait
qualifié d’analyse « réaliste » pour l’application de l’exigence
concernant la gravité de l’invalidité. Cette analyse obligeait la Commission à
déterminer si un requérant, dans sa situation particulière et selon ses
antécédents médicaux, était régulièrement en mesure de détenir une occupation
véritablement rémunératrice.
[33] L’analyse
« réaliste » a d’abord été adoptée par la Commission dans la décision
Edward Leduc c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, CCH
Canadian Employment Benefits and Pension Guide Reports, classeur
1986-1992, paragraphe 8546, pages 6021-6022
(29 janvier 1988). Dans cette décision, la Commission avait tranché
en faveur du requérant en s’appuyant sur les motifs suivants :
[TRADUCTION]
Les autorités médicales ont informé la Commission,
que, malgré les handicaps dont souffre l’appelant, il pourrait y avoir une
possibilité qu’il puisse continuer à exercer une certaine forme, non précisée,
d’emploi véritablement rémunérateur. Dans un sens abstrait et théorique, cela
pourrait être vrai. Toutefois, l’appelant ne vit pas dans un monde abstrait et
théorique. Il vit dans un monde réel, peuplé d’employeurs réels qui sont tenus
de faire face aux réalités d’une entreprise commerciale. La question est donc
de savoir s’il est réaliste de présumer que, compte tenu de toutes les
difficultés bien documentées de l’appelant, un employeur pourrait même
envisager la possibilité d’engager l’appelant. La Commission ne peut penser à
une situation dans laquelle cela pourrait être le cas. De l’avis de la
Commission, l’appelant, Edward Leduc, est, à toutes fins pratiques,
inemployable.
[34] L’analyse
« réaliste » a été appliquée dans bon nombre de décisions de la
Commission depuis la décision Leduc (voir Danells c. Ministre de la
Santé nationale et du Bien-être social, CP 2657
(18 juin 1993) ; Reuben Daly c. Ministre de l’Emploi et de
l’Immigration, CP 2919 (11 août 1994) ; Elaine
Gaudreau Morley c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration,
CCH Employment Benefits and Pension Guide Reports, classeur 1993-1997,
paragraphe 8592, pages 6115-6116 (23 novembre 1995) ;
Constance M. Osachoff c. Ministre du Développement des ressources humaines,
CP 05635 (7 juillet 1997) ; Appleton c. Ministre du
Développement des ressources humaines, CP 04619
(21 novembre 1997) ; Paul M. Scott c. Ministre du
Développement des ressources humaines, CP 10014
(30 septembre 1999).
[35] En
fait, la première décision concernant une invalidité publiée après l’adoption
du Régime, et dont je connaisse l’existence, adoptait une interprétation
généreuse de l’exigence relative à la gravité, qui était analogue à l’analyse
de la Commission dans la décision Leduc. Toutefois, cette interprétation
n’avait pas été formulée en utilisant la terminologie « réaliste »
utilisée par la Commission dans la décision Leduc et répétée dans les
décisions ultérieures. Dans la décision Ministre de la Santé nationale et du
Bien-être social c. Jaeger, CCH Employment Benefits and Pension Guide
Reports, classeur 1968-1985, paragraphe 8546, pages
6066-6068 (25 août 1971), la Commission appliquait ce qui était alors
le sous-alinéa 43(2)a)(i) de la manière suivante :
[TRADUCTION]
D’après le bien-fondé du cas, la preuve médicale et
les autres éléments de preuve qui ont été produits nous convainquent que
l’arthrite dégénérative de l’intimé, qui l’empêche et qui continuera de
l’empêcher d’exercer un travail normal ou ce qui pourrait même de loin
ressembler à une occupation convenant à ses compétences et aptitudes
particulières, doit être qualifiée d’invalidité grave [...]. Nous concluons que
l’intimé est, comme l’indique le sous-alinéa 43(2)a)(i) de la Loi,
« incapable de régulièrement détenir une occupation véritablement
rémunératrice ». Il faut mettre l’accent voulu sur les mots
« régulièrement » et « véritablement » au vu de la preuve
concernant le relevé de travail de l’intimé, sa situation dans la vie et ses
perspectives économiques. Dans ce cas, il ne fait aucun doute qu’il est
incapable de détenir quelque type que ce soit d’occupation rémunératrice dans
quelque domaine que ce soit pour lequel il est compétent.
De même, dans la
décision Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Raymond G.
Russell, CCH Employment Benefits and Pension Guide Reports, classeur 1968-1985,
paragraphe 8684, pages 6279-6280 (26 juin 1974), la
Commission a reformulé la jurisprudence qu’elle suivait alors dans les mots
suivants :
[TRADUCTION]
La Commission a toujours interprété le libellé de la
Loi comme signifiant exactement ce qu’il dit, et, dans bon nombre de cas, elle
a dû déclarer que le fait qu’un travail convenable ne pouvait être offert à un
requérant n’était pas pertinent à la question de savoir s’il pouvait ou non
avoir droit à une pension. Toutefois, il a été statué que bon nombre de
circonstances ont un impact sur cette question, comme l’âge, l’instruction et
les aptitudes.
[36] Il
ressort clairement de l’analyse des décisions de la Commission en matière
d’invalidité, particulièrement dans la jurisprudence récente, que sa position
concernant l’exigence relative à la gravité contenue au sous-alinéa 42(2)a)(i)
du Régime, a été appliquée de façon contradictoire. Dans les causes
récentes, aucune raison perceptible ne permet d’expliquer le changement
d’analyse à l’égard de la définition du terme « grave » utilisé dans
le Régime. Pour cette raison, la Cour estime qu’il est nécessaire de
donner des instructions concernant le critère juridique approprié qui doit être
appliqué pour déterminer si un demandeur souffre d’une invalidité
« grave » au sens du Régime.
c) Le critère juridique approprié pour
qualifier l’invalidité en vertu du Régime
[37] À
une exception près, aucune des décisions récentes de la Commission n’a analysé
de façon approfondie le texte du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.
Cette exception est la décision relativement récente de la Commission dans Patricia
Valerie Barlow c. Ministre du Développement des ressources humaines,
CP 07017 (22 novembre 1999). Il est intéressant de répéter le
passage crucial de la décision de la Commission dans cette affaire :
[TRADUCTION]
Son invalidité est-elle suffisamment grave pour
l’empêcher de détenir régulièrement une occupation véritablement
rémunératrice ?
Pour répondre à cette question, nous estimons qu’il
est approprié d’analyser le libellé précité pour établir avec précision
l’intention du législateur :
Le Greater Oxford Dictionary définit ainsi le
mot régulier : « habituel, normal ou ordinaire ».
Régulièrement – « à intervalles
réguliers ».
Véritable – « authentique, qui existe
réellement, non illusoire, dont l’importance ou la valeur est réelle,
pratique ».
Rémunérateur – « lucratif, emploi
rémunéré ».
Occupation – « emploi temporaire ou
permanent, inamovibilité ».
Si
l’on applique ces définitions à l’état physique de Mme Barlow au mois de
décembre 1997, il est difficile, sinon impossible, de conclure qu’elle
était, à l’âge de 57 ans, en mesure de se qualifier pour un emploi
habituel ou ordinaire, qui existe réellement, qui n’est pas illusoire et qui
est d’une importance réelle.
[38] Cette
analyse du sous-alinéa 42(2)a)(i) donne fortement à penser que le
législateur avait l’intention d’appliquer l’exigence concernant la gravité de
l’invalidité dans un contexte « réaliste ». Exiger d’un requérant
qu’il soit incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement
rémunératrice n’est pas du tout la même chose que d’exiger qu’il soit
incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable.
Chacun des mots utilisés au sous-alinéa doit avoir un sens, et cette
disposition lue de cette façon indique, à mon avis, que le législateur a jugé
qu’une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir
pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice. À mon
avis, il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre
en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant,
par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses
antécédents de travail et son expérience de la vie.
[39] Je
suis d’accord avec la conclusion énoncée dans la décision Barlow,
précitée, et les motifs donnés à l’appui de cette conclusion. L’analyse
effectuée par la Commission dans cette affaire était brève et cohérente. Elle
démontre que, d’après le sens ordinaire des mots utilisés au
sous-alinéa 42(2)a)(i), le législateur doit avoir eu l’intention de
faire en sorte que le critère juridique pour déterminer la gravité d’une invalidité
soit appliqué en conservant un certain rapport avec le « monde
réel ». Il est difficile de comprendre quel objectif la Loi pourrait
poursuivre si elle prévoyait que les prestations d’invalidité ne peuvent être
payées qu’aux requérants qui sont incapables de détenir quelque forme que ce
soit d’occupation, sans tenir compte du caractère irrégulier, non rémunérateur
ou sans valeur de cette occupation. Une telle analyse ferait échec aux
objectifs manifestes du Régime et mènerait à une analyse non compatible
avec le langage clair de la Loi.
[40] Ma
décision d’adopter le sens ordinaire des mots employés au
sous-alinéa 42(2)a)(i), tels qu’interprétés par la Commission dans
la décision Barlow, trouve un appui additionnel dans le Règlement sur
le Régime de pensions du Canada, C.R.C. ch. 85. Le
paragraphe 68(1) de ce Règlement exige de quiconque s’adresse au
ministre pour obtenir des prestations d’invalidité en vertu du Régime
qu’il fournisse à ce dernier certains renseignements. Il est rédigé dans les
termes suivants :
68.
(1) Quand un requérant allègue que lui‑même ou une autre personne est
invalide au sens de la Loi, il doit fournir au ministre les renseignements
suivants
sur
la personne dont l'invalidité est à déterminer :
a)
un rapport sur toute détérioration physique ou mentale indiquant
(i) la nature, l'étendue et le pronostic de la
détérioration,
(ii) les constatations sur lesquelles se fondent le
diagnostic et le pronostic,
(iii) toute incapacité résultant de
la détérioration, et (iv) tout autre renseignement qui pourrait être
approprié, y compris les recommandations concernant le traitement ou les
examens additionnels;
b)
une déclaration indiquant l'emploi et les gains de cette personne pendant la
période commençant à la date à partir de laquelle le requérant allègue que
l'invalidité a commencé; et
c)
une déclaration indiquant la formation scolaire, l'expérience acquise au
travail et les activités habituelles de la personne. [Non souligné dans l’original.]
|
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68.
(1) Where an applicant claims that he or some other person is disabled within
the meaning of the Act, he shall supply the Minister with the following
information in respect of the person whose disability is to be determined:
(a)
a report of any physical or mental impairment including
(i) the nature, extent and prognosis of the
impairment,
(ii) the findings upon which the diagnosis and
prognosis were made,
(iii) any limitation
resulting from the impairment, and
(iv) any other pertinent information, including
recommendations for further diagnostic work or treatment, that may be
relevant;
(b)
a statement of that person's occupation and earnings for the period
commencing on the date upon which the applicant alleges that the disability
commenced; and
(c)
a statement of that person's education, employment experience and activities
of daily life. [emphasis added]
|
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D’après
l’interprétation stricte que la Commission a donnée de l’exigence relative à la
gravité de l’invalidité, les renseignements ayant trait à la formation
scolaire, à l’expérience acquise au travail et aux activités habituelles du
requérant qui doivent être fournis au ministre aux termes de
l’alinéa 68(1)c) du Règlement n’auraient absolument aucune
pertinence dans la décision concernant l’invalidité. Bien entendu, l’obligation
pour les requérants de fournir au ministre des renseignements ayant trait à
leur formation scolaire, à leur expérience de travail et à leurs activités
habituelles ne peuvent qu’indiquer que ces détails « réalistes » sont
en fait pertinents à une décision sur la gravité de l’invalidité prise
conformément à la définition donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.
[41] Il ressort
aussi clairement du procès-verbal du comité spécial mixte chargé d’étudier le
projet de loi C-136 que les mots du sous-alinéa 42(2)a)(i) ont
été choisis avec soin par les rédacteurs du Régime. Au cours de l’étude
article par article du projet de loi, l’exigence relative à la gravité avait
été expliquée de la façon suivante par le sous-ministre du Bien-être social de
l’époque, Dr Joseph Willard (voir le comité spécial mixte du
Sénat et de la Chambre des Communes chargé d’analyser le projet de
loi C-136 et d’en faire rapport, procès-verbaux et témoignages, no 2,
page 247 (le mardi 1er décembre 1964)) :
[TRADUCTION]
M. Thorson : [...]
le paragraphe 2 définit ce qu’on entend par le terme
« invalide » dans ce projet de loi [...]
M. Croll : Quelle
est la différence avec la définition qui est donnée dans la loi actuelle sur
l’invalidité ?
Dr Willard :
M. le Président, la loi sur les personnes invalides actuellement en
vigueur donne une définition de l’invalidité permanente et totale, qui est une
définition plus restrictive que celle qui est énoncée ici. Vous noterez que
dans ce projet de loi la gravité se rapporte à l’état d’une personne qui est en
mesure de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Par
conséquent, cela ajoute un concept additionnel d’employabilité [...].
[42] L’explication donnée par le sous-ministre du Bien-être social
est sans ambiguïté. Le critère relatif à la gravité n’est pas celui d’une
invalidité « totale ». Pour exprimer le critère moins rigide de la
gravité en vertu du Régime, les rédacteurs ont donc instauré la notion
de gravité comme étant l’incapacité de détenir régulièrement une occupation
véritablement rémunératrice. Le libellé sans équivoque de la Loi, les
dispositions connexes du Règlement, et l’intention manifeste des
rédacteurs indiquent tous avec autant de force que l’expression essentielle de
la définition de la gravité au sous-alinéa 42(2)a)(i) ne peut être
ignorée ni réduite.
[43] Mais c’est précisément ce que la Commission a fait en l’espèce.
Elle a appliqué la méthode abstraite et stricte à l’exigence de gravité au
sous-alinéa 42(2)a)(i) sans analyser la totalité du libellé de la
Loi. Pour faciliter la consultation, l’analyse de la Commission concernant la
définition de la gravité donnée au sous-alinéa 42(2)a)(i) est
reprise ci-dessous (voir page 10 de la décision) :
[TRADUCTION]
Il
est très important de noter que les mots « régulièrement incapable de
détenir une occupation véritablement rémunératrice [...] » signifie n’importe
quelle occupation. Ce n’est pas, comme certaines polices d’assurance le
déclarent, « [...] n’importe quelle occupation pour laquelle le requérant
est raisonnablement compétent [...] ». Il s’agit de n’importe quelle
occupation, même si le requérant n’a pas la scolarité ou les compétences
spécialisées pour l’exercer ou n’en connaît pas le langage de base.
La
disponibilité du travail est un autre facteur. Ce n’est pas là une question que
la Commission analyse ou dont elle peut tenir compte. Ainsi donc, la situation
du marché du travail local n’est pas pertinente : il y a une présomption
légale selon laquelle il y a du travail disponible. [Souligné dans l’original.]
À mon avis, il est évident que la Commission en l’espèce a effectivement
exclu de la définition de gravité les mots « régulièrement »,
« véritablement » et « rémunératrice ». De cette façon, la
Commission a réduit le critère juridique à ce qui suit : Le demandeur
est-il incapable de détenir une occupation ? Cela équivaut presque aux
critères d’invalidité « totale » évités par les rédacteurs du Régime.
En fait, l’accent répété de la Commission sur l’expression « n’importe
quelle » semble avoir contribué à son erreur d’interprétation du critère
législatif concernant la gravité.
[44] En toute déférence, je crois que la Commission a utilisé le
mauvais critère juridique pour ce qui est de l’exigence selon laquelle cette
invalidité doit être « grave ». Le critère qu’il convient d’appliquer
à la gravité est celui en fonction duquel chaque mot de la définition apporte
sa contribution à l’exigence légale. Ces mots, lus ensemble, donnent à penser
que le critère de gravité comporte un aspect d’employabilité.
[45] Malheureusement
pour les décideurs en vertu du Régime, l’employabilité n’est pas un
concept qui se prête facilement à l’abstraction. L’employabilité existe dans le
contexte des réalités commerciales et de la situation particulière d’un
requérant. Cela ne veut pas dire que le ministre, le tribunal de révision ou la
Commission doivent élaborer des hypothèses complexes concernant l’employabilité
d’un requérant pour en arriver à une décision sur la gravité de son invalidité.
En outre, je tiens à préciser que je ne dis pas que l’employabilité doit être
déterminée en faisant purement référence à l’occupation choisie par un
requérant. Contrairement au paragraphe 3 de l’article 95 du Régime
de rentes du Québec, L.R.Q., ch. R-9, qui prévoit spécifiquement
qu’un requérant âgé de 60 ans ou plus sera considéré comme ayant une
invalidité grave si celle-ci « rend cette personne régulièrement
incapable d’exercer l’occupation habituelle rémunérée » qu’elle
détenait au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité. Le Régime
fédéral ne contient aucune disposition qui permette de conclure à la gravité
d’une invalidité lorsqu’un requérant est simplement incapable de conserver son
occupation ordinaire en raison de l’invalidité alléguée. En fait, le critère
établi en vertu du Régime a trait à une occupation véritablement
rémunératrice.
[46] Ce que le
critère légal applicable à la gravité de l’invalidité exige, cependant, c’est
un air de réalisme pour évaluer si un requérant est incapable de détenir
régulièrement une occupation véritablement rémunératrice. Naturellement, les
décideurs ont déjà adopté un certain degré de pragmatisme dans leurs décisions
relatives à la gravité. Pour n’en donner qu’un exemple patent, la gamme des
occupations véritablement rémunératrices convenant à un requérant d’âge moyen
ayant terminé son cours primaire et parlant difficilement le français ou
l’anglais n’inclut habituellement pas les professions d’ingénieur ou de
médecin.
[47] Toutefois,
dans d’autres cas, les décideurs ignorent le libellé de la Loi en concluant par
exemple que, puisqu’un requérant est capable d’effectuer certaines tâches
ménagères ou, à strictement parler, de demeurer assis pendant de courtes
périodes, il est en mesure, en théorie, d’exercer un certain type d’occupation
sédentaire non spécifiée qui correspond à « n’importe quelle »
occupation au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime.
[48] En fait, la
présente Cour a critiqué cette tendance à s’exprimer en termes de vagues
catégories de travail dans Wirachowsky, précité. Dans cette affaire, le
requérant ne pouvait rester assis ou debout que pendant de courtes périodes, mais
la Commission avait jugé qu’il était en mesure d’effectuer un travail
semi-sédentaire. Au nom de la Cour, le juge McDonald note (au
paragraphe 7) que l’expression « travail semi-sédentaire »
n’avait pas, à son avis, un sens clair au fins de l’appréciation de
l’invalidité prévue par le Régime. Le risque que présente cette façon de
penser en termes de catégories « d’occupations », c’est que toute
référence à une occupation régulière, tangible et rentable, sera
vraisemblablement oubliée. Par conséquent, il se pourrait fort bien qu’un
requérant soit privé de la protection même que le Régime a été conçu
pour lui assurer et pour laquelle il a contribué pendant ses périodes d’emploi
actif sur le marché du travail.
[49] Si l’on
garde à l’esprit que l’audition devant la Commission est de la nature d’une
audition de novo, tant et aussi longtemps que le décideur applique le
critère juridique adéquat pour la gravité de
l’invalidité – c’est-à-dire qu’il applique le sens ordinaire de
chaque mot de la définition légale de la gravité donnée au
sous-alinéa 42(2)a)(i), il sera en mesure de juger d’après les
faits si, en pratique, un requérant est incapable de détenir régulièrement une
occupation véritablement rémunératrice. L’évaluation de la situation du
requérant est une question de jugement sur laquelle la Cour hésite à
intervenir.
[50] Cette
réaffirmation de la méthode à suivre pour définir l’invalidité ne signifie pas
que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et
à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont
toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une « invalidité grave et
prolongée » qui les rend « régulièrement incapables de détenir une
occupation véritablement rémunératrice ». Une preuve médicale sera
toujours nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver
un emploi et de l’existence des possibilités d’emploi. Bien entendu, il sera
toujours possible, en contre-interrogatoire, de mettre à l’épreuve la véracité
et la crédibilité de la preuve fournie par les requérants et d’autres
personnes.
[51] En résumé,
je suis d’avis que la Commission n’a pas attribué le sens qu’il faut au langage
clair utilisé au sous-alinéa 42(2)a)(i) du Régime. Elle a
préféré formuler une version abrégée et délibérément peu généreuse de la
définition légale d’une invalidité « grave », faisant ainsi échec aux
objectifs de bienfaisance de la Loi. Comme je suis parvenu à cette conclusion,
je n’estime pas nécessaire d’analyser les nombreux motifs procéduraux que le
demandeur a formulés dans son argumentation verbale et écrite.
Dispositif
[52] Par
conséquent, pour les présents motifs, je suis d’avis d’accueillir la demande de
contrôle judiciaire avec dépens en faveur du demandeur, d’infirmer la décision
de la Commission en date du 11 février 2000, et de renvoyer l’affaire
à la Commission pour nouvel examen par une formation différente en conformité
avec les présents motifs et en tenant compte du dossier tel qu’il a été constitué,
de même que de toute autre preuve pertinente que les parties souhaiteront
produire.
« Julius A. Isaac »
__________________________________
JUGE
« Je souscris à ces motifs
A.M. Linden,
juge »
« Je souscris à ces motifs
B. Malone,
juge »
Traduction
certifiée conforme
Suzanne
M. Gauthier, LL. L., trad. a.
Date
: 20010803
Dossier
: A-245-00
OTTAWA
(ONTARIO), LE VENDREDI 3 AOÛT 2001
CORAM : LE JUGE LINDEN
LE JUGE
ISAAC
LE JUGE
MALONE
ENTRE :
GIUSEPPE
VILLANI
demandeur
-
et -
LE
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeur
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est accordée avec dépens en faveur du
demandeur. La décision de la Commission en date du 11 février 2000
est infirmée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par
une formation différente, en conformité avec les présents motifs et en tenant
compte du dossier tel qu’il a été constitué, de même que de toute autre preuve
pertinente que les parties souhaiteront produire.
« A.M. Linden »
____________________________
JUGE
Traduction
certifiée conforme
Suzanne
M. Gauthier, LL. L., trad. a.
COUR D’APPEL
FÉDÉRALE
AVOCATS
INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-245-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : GIUSEPPE
VILLANI C. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO
(ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE
4 JUIN 2001
MOTIFS DU JUGEMENT PAR LE JUGE
ISAAC
SOUSCRIVENT À CES MOTIFS : LE
JUGE LINDEN ET LE JUGE MALONE
DATE : LE
4 AOÛT 2001
ONT COMPARU
Giuseppe Villani POUR
LE DEMANDEUR
Mary Tobin Oates POUR
LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Giuseppe Villani POUR
LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR
LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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