Date : 20070122
Dossier : A-117-06
Référence :
2007 CAF 56
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE EVANS
LE JUGE MALONE
ENTRE :
DARSHAN
NURSERIES INC., NIRMALJIT KAUR RANDHAWA ET
PARMINDER
KAUR RANDHAWA
appelantes
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE EVANS
[1]
Il s’agit de l’appel interjeté par deux
employées, Nirmaljit Kaur Randhawa (Nirmaljit) et Parminder Kaur Randhawa
(Parminder), et leur employeur, Darshan Nurseries Inc. (Nurseries), contre une
décision du juge Little de la Cour canadienne de l’impôt. Par la décision
contestée, le juge a rejeté les appels des appelantes contre une décision du
ministre du Revenu national selon laquelle Nirmaljit et Parminder n’occupaient
pas chez Nurseries un « emploi assurable » aux fins de la Loi sur
l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.
[2]
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les
suivantes :
(2) N’est pas un emploi assurable :
i) l’emploi
dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de
dépendance.
(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :
a) la question de savoir si des personnes ont entre
elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de
l’impôt sur le revenu;
b)
l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de
cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre
du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte
tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les
modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail
accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu
près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.
|
2) Insurable employment does not include
(i)
employment if the employer and employee are not dealing with each other at
arm’s length.
3) For the purposes of paragraph (2)(i),
(a) the question of whether persons are not dealing with
each other at arm’s length shall be determined in accordance with the Income
Tax Act; and
(b)
if the employer is, within the meaning of that Act, related to the employee,
they are deemed to deal with each other at arm’s length if the Minister of
National Revenue is satisfied that, having regard to all the circumstances of
the employment, including the remuneration paid, the terms and
conditions, the duration and the nature and importance of the work performed,
it is reasonable to conclude that they would have entered into a
substantially similar contract of employment if they had been dealing with
each other at arm’s length.
|
[3]
Les périodes d’emploi en cause dans le présent
appel sont celles du 8 mars au 3 juillet 1999, du 7 février au
27 juillet 2000 et du 5 avril au 1er septembre 2001
en ce qui touche Nirmaljit, et du 20 mars au 7 octobre 2000
ainsi que du 7 mai au 20 octobre 2001 pour ce qui est de Parminder.
[4]
Durant ces périodes, Nurseries était la
propriété exclusive de Darshan Randhawa (Darshan). Nirmaljit est l’épouse de
Darshan. Parminder est mariée au frère de Darshan, Inderpal. Le
juge Little a conclu qu’à l’époque visée par le présent appel, Nirmaljit,
Inderpal et Parminder étaient employés par Nurseries en vertu de contrats de
services. Cette conclusion n’est pas contestée par le ministre dans le présent
appel.
[5]
Après avoir conclu que ces employés étaient liés
à leur employeur aux fins de la Loi, le juge a estimé qu’étant donné la preuve,
le ministre pouvait à bon droit n’être pas convaincu que, « compte tenu de
toutes les circonstances », il était « raisonnable de conclure »
que Nirmaljit et Parminder « auraient conclu […] un contrat de travail à
peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance ». Comme
Nirmaljit et Parminder avaient un lien de dépendance avec leur employeur, elles
n’occupaient pas un emploi assurable. Cependant, le juge a accueilli l’appel
d’Inderpal au motif que ce dernier avait été rétribué au moyen de billets à
ordre et du transfert subséquent à son nom de 50 % des actions de Darshan
dans Nurseries.
[6]
L’essentiel du litige porte sur la mesure dans
laquelle les employés non liés à Nurseries avaient priorité sur les appelantes
pour le paiement de leur salaire. Le ministre a plaidé que, du fait que les
employés non liés à l’employeur étaient payés plus régulièrement et plus
rapidement que les appelantes, il n’était pas raisonnable de conclure que les
employés non liés à l’employeur auraient accepté les mêmes conditions d’emploi
que les appelantes. Le juge a relevé l’irrégularité et les retards avec
lesquels les salaires de Nirmaljit et de Parminder étaient versés et il a
conclu que les employés non liés à l’employeur avaient préséance sur les
appelantes à cet égard.
[7]
Le présent appel est fondé sur la prétention que
la conclusion du juge est erronée, compte tenu de la preuve dont il était
saisi. Les appelantes expliquent notamment que Nurseries avait un grave problème
de liquidités parce qu’elle ne pouvait pas vendre ses arbres et arbustes avant
qu’ils aient atteint une certaine maturité, ce qui ne se produit que bien après
que les employés ont accompli leur travail. La situation était aggravée par la
gestion inefficace de l’entreprise par Darshan, particulièrement à une époque
où la santé de ce dernier était chancelante. Il ressort de la preuve,
font-elles valoir, que les employés non liés à l’employeur, qui semblent
n’avoir pas été dépendants de leur salaire de Nurseries, sont demeurés fidèles
à Darshan, confiants qu’ils seraient payés un jour, comme ils l’ont d’ailleurs
été lorsque la situation financière de l’entreprise l’a permis.
[8]
Étant donné que les appelantes contestent les
conclusions du juge sur des questions de fait et des questions mixtes de fait
et de droit, elles doivent établir que ses conclusions sont entachées d’une
erreur manifeste et dominante. Il est important de signaler à cet égard que
l’audience devant la Cour canadienne de l’impôt a duré six jours, durant
lesquels de multiples témoins et une masse de documents, dont bon nombre
concernaient les pratiques salariales de Nurseries, ont été présentés.
[9]
Dans ces circonstances, il est particulièrement
salutaire pour un tribunal d’appel de reconnaître l’avantage dont bénéficiait
le juge de la Cour canadienne de l’impôt, qui a vu et entendu les témoins et
s’est absorbé dans la preuve. Il suffit que les conclusions du juge trouvent un
fondement rationnel dans les faits et la preuve pour que la décision soie
maintenue. Nous ne sommes pas convaincus en l’occurrence de l’absence de ce
fondement rationnel.
[10]
Le témoin des appelantes, Hardeep Wadhawan, un
commis de paye au service des comptables de Nurseries, GP Wadhawan Inc., a
préparé un sommaire des feuilles de paye qui expose le revenu annuel des
employés de Nurseries ainsi que les dates et les montants des chèques émis à
leur nom en paiement de leurs salaires. Je suis d’avis que ces données,
conjuguées à d’autres preuves documentaires plus détaillées concernant le
nombre d’heures et les dates de travail des employés ainsi que les salaires
qu’ils ont gagnés, étayent raisonnablement la conclusion du juge selon laquelle
les appelantes étaient payées plus tard et moins régulièrement que les employés
non liés à l’employeur.
[11]
Par exemple, le relevé des feuilles de paye
(dossier d’appel, vol. 2.3, aux pages 736-741) indique (à la
page 736) qu’un employé non lié à Nurseries, Manjit Mann, a reçu
6 chèques en 1999, 8 chèques en 2000 et 5 en 2001, généralement à
intervalles d’environ un mois. Baljit Sidhu (à la page 737) a reçu
8 chèques en 1998, et Sarabjit Rai (à la page 739) a reçu 8 chèques
en 1998, 5 chèques en 1999 et 7 en 2000.
[12]
En revanche, le juge a constaté que Nirmaljit
avait accumulé plus de 22 000 $ de salaire durant les années
d’impositions 2000 et 2001, mais n’a été payée par Nurseries qu’en
mai 2002. D’après le juge, Parminder a gagné plus de 28 000 $ en
2000 et durant la première moitié de l’année 2001, mais aucun salaire ne lui a
été versé avant juillet 2001 et elle n’a été entièrement payée qu’en
mai 2002. L’avocat des appelantes ne conteste pas ces conclusions. De
fait, il admet que contrairement aux appelantes, aucun employé non lié à
l’employeur n’a dû attendre un an, voire plus, avant d’être payé.
[13]
L’avocat des appelantes fait remarquer que
Darshan, dans son témoignage, a expliqué qu’il ne disposait pas toujours des
liquidités nécessaires pour payer le travail de tous ses employés et qu’il
priorisait le paiement des salaires en fonction des impératifs, sans pour
autant avoir l’intention de favoriser les employés non liés à l’employeur par
rapport aux appelantes. À mon avis, les intentions de l’employeur sont sans
pertinence. La question est de savoir s’il est raisonnable de conclure, compte
tenu de toutes les circonstances de l’emploi, notamment des retards dans le
paiement du salaire aux appelantes et de la régularité du paiement de leur
salaire, que les employés non liés à l’employeur auraient accepté des
conditions de travail semblables. Le fait que Darshan a finalement payé tous
ses employés ne porte pas atteinte à la conclusion du juge.
[14]
L’avocat des appelantes soutient aussi que le
juge a commis une erreur lorsqu’il a déclaré, aux paragraphes 16 et 19 des
motifs, que Paul Wadhawan, le comptable de Nurseries, a dit dans son
témoignage que Nurseries payait les employés non liés à l’employeur avant les
appelantes. L’avocat de l’intimé reconnaît que le juge a fait erreur en
attribuant cette déclaration à Paul Wadawhan. Il aurait dû dire que le sommaire
des feuilles de paye soumis en preuve par Hardeep Wadawhan indiquait que les
employés non liés à l’employeur étaient payés plus régulièrement et avec moins
de retard que les appelantes.
[15]
Il est malheureux que le juge ait erronément
attribué au témoignage de Paul Wadawhan sa conclusion concernant le
traitement des employés liés à l’employeur par rapport à celui des autres
employés pour ce qui est du paiement des salaires. Il aurait certes été utile
que le juge présente une analyse des sommaires de feuilles de paye, lesquels,
étonnamment, n’ont pas fait l’objet de commentaires à l’instruction.
[16]
Néanmoins, je ne suis pas convaincu que ces
failles dans les motifs justifient l’intervention de la Cour et une nouvelle
instruction. La conclusion du juge sur les différences entre le traitement
salarial des appelantes et celui des employés non liés à l’employeur est étayée
par la preuve et justifie sa décision finale, selon laquelle il y avait
suffisamment d’éléments de preuve pour permettre au ministre de n’être pas
convaincu qu’il était raisonnable de conclure que les employés non liés à
l’employeur auraient accepté des conditions de travail à peu près semblables à
celles des appelantes.
[17]
Pour ces motifs, je rejetterais l’appel;
cependant, compte tenu de l’erreur dans les motifs du juge, je n’attribuerais
aucuns dépens.
« John M. Evans »
« Je souscris aux présents motifs.
Gilles Létourneau, juge »
« Je souscris aux présents motifs.
B. Malone, juge »
Traduction
certifiée conforme
Thanh-Tram Dang,
B.C.L., LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-117-06
INTITULÉ : DARSHAN
NURSERIES INC. ET AL.
c.
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE
L’AUDIENCE : VANCOUVER
(COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE
L’AUDIENCE : LE 18
JANVIER 2007
MOTIFS DU
JUGEMENT : LE JUGE EVANS
Y ONT
SOUSCRIT : LE
JUGE LÉTOURNEAU
LE
JUGE MALONE
DATE DES
MOTIFS : LE
22 JANVIER 2007
COMPARUTIONS :
Gregory P.
Bruce POUR
LES APPELANTES
Stacey Michael
Repas POUR
L’INTIMÉ
AVOCATS
INSCRITS AU DOSSIER :
Gregory P. Bruce POUR
LES APPELANTES
Vancouver
(Colombie-Britannique)
John H. Sims,
c.r. POUR
L’INTIMÉ
Sous-procureur
général du Canada