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Dossier : 2004-4369(EI)

ENTRE :

MICHEL TREMBLAY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Appel entendu le 4 juillet 2006, à Rivière-du-Loup (Québec)

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocat de l'appelant :

Me Frédéric St-Jean

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

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JUGEMENT

          L'appel est rejeté pour la période du 13 avril 1998 au 24 décembre 1999 et la décision rendue par le ministre du Revenu national est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2006.

« François Angers »

Juge Angers


Référence : 2006CCI113

Date : 20060328

Dossier : 2004-4369(EI)

ENTRE :

MICHEL TREMBLAY,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Angers

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) rendue le 11 mai 2004 soutenant que l'emploi de l'appelant n'était pas un emploi assurable durant la période allant du 13 avril 1998 au 24 décembre 1999 (la « période en litige » ) alors qu'il travaillait pour Service Agromécanique inc. (le « payeur » ). Le ministre a décidé que l'appelant et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance dans le cadre de cet emploi et il était convaincu qu'il n'était pas raisonnable de conclure qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre eux s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance au sens de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ).

[2]      L'appelant admet qu'il est une personne liée au payeur au sens des articles 251 et 252 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La décision du ministre est fondée sur les circonstances suivantes qui ont été admises ou niées par l'appelant tel qu'indiqué :

a)          le payeur exploitait une entreprise de vente et d'entretien de machinerie agricole; [admis]

b)          le payeur avait 2 places d'affaires l'une à St-Clément et l'autre à St-Pascal et il employait environ 25 personnes; [admis]

c)          le payeur était en activité à l'année longue avec une période plus achalandée entre avril et décembre de chaque année; [admis]

d)          l'appelant a été engagé par le payeur en tant que vendeur de machinerie agricole; [admis]

e)          l'appelant travaillait pour le payeur depuis plus de 15 ans comme vendeur et représentant; [admis]

f)           les tâches de l'appelant consistaient à faire de la vente et de la démonstration de machinerie et à faire du démarcharge de nouveau client; [admis]

g)          l'appelant avait un salaire déterminé selon les ventes de l'année précédente et selon les profits générés par ses ventes; [admis]

h)          l'appelant était rémunéré 821,82 $ pour des semaines de 42 heures; [admis]

i)           l'appelant utilisait son véhicule personnel sans recevoir d'allocation pour ses dépenses automobiles; [nié]

j)           l'appelant rendait des services au payeur des semaines où il n'était pas inscrit au journal des salaires; [nié]

k)          l'appelant rendait des services au payeur sans rémunération déclarée; [nié]

l)           une personne, sans lien de dépendance, n'aurait pas travaillé sans rémunération; [ignoré]

m)         le 29 décembre 1999, le payeur remettait à l'appelant un relevé d'emploi qui indiquait comme premier jour de travail le 13 avril 1998 et comme dernier jour de travail le 24 décembre 1999, et qui indiquait 1 680 heures assurables et 22 182,74 $ comme rémunération assurable; [admis]

n)          le relevé d'emploi de l'appelant n'est pas conformes à la réalité quant à la période travaillée ni quant au nombre d'heures travaillées; [nié]

o)          l'appelant et le payeur ont conclu un arrangement afin de permettre à l'appelant à recevoir des prestations de chômage tout en continuant à rendre des services au payeur. [nié]

[3]      L'avocat de l'appelant soulève la question de savoir si, dans les circonstances, la décision du ministre est raisonnable et, de façon accessoire, si en l'espèce, il y a eu une enquête sérieuse de la part du ministre, soit une enquête qui respecte les principes fondamentaux de justice naturelle, dont la règle audi alteram partem, permettant ainsi au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon quasi-judiciaire tel que la Loi le prescrit.

[4]      Ce deuxième argument a été soulevé en raison de circonstances particulières lors du déroulement du présent appel et d'autres appels devant cette Cour mettant en cause le même appelant. En effet, l'appelant a porté en appel devant notre Cour une décision du ministre rendue le 7 février 2000 voulant que son emploi avec le même payeur durant différentes périodes s'échelonnant de 1993 à 1997 ne soit pas un emploi assurable en raison du lien de dépendance.

[5]      En l'espèce, le directeur des services fiscaux, section de l'assurance-emploi informait l'appelant le 21 mars 2000 que son emploi durant la période en litige n'était pas un emploi assurable pour les mêmes motifs que pendant les années antérieures, soit le lien de dépendance, ou, plus précisément, qu'en raison des conditions et des modalités de l'emploi, il était d'avis qu'un contrat semblable n'aurait pas été conclu s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre l'appelant et le payeur.

[6]      Le 28 mars 2000, l'appelant recevait une lettre de Développement des ressources humaines Canada l'informant que sa demande de prestations débutant le 26 décembre 1999 était annulée au motif que son emploi n'était pas assurable selon Revenu Canada. La même lettre informait l'appelant que s'il avait des renseignements additionnels qui pourraient changer cette décision ou que s'il désirait d'autres précisions, qu'il pouvait communiquer avec eux. L'appelant était informé de son droit d'en appeler dans les 30 jours suivant la réception de l'avis.

[7]      Le 9 juin 2000, l'appelant a écrit à monsieur André Paquin de Revenu Canada et l'a informé de son désir de faire appel de sa décision visant la période en litige. Il lui a écrit qu'il souhaitait apporter des précisions afin que tous les éléments puissent être analysés adéquatement pour déterminer le caractère assurable de son emploi avec le payeur. Il a indiqué qu'il aimerait assister à l'audition et que Me Jérôme Carrier le représenterait. (Me Carrier était l'avocat de l'appelant à cette époque.) Un accusé de réception lui fut envoyé le 28 juin l'informant qu'un agent des appels communiquerait avec lui pour discuter du dossier et obtenir tout renseignement pertinent.

[8]      Selon le rapport de madame Lyne Courcy, agente des appels pour Revenu Canada, M. Bruno Arguin, qui s'est vu confier le dossier afin de faire enquête, a effectivement communiqué par téléphone avec Me Carrier le 4 juillet 2000 et les deux ont convenu que le traitement du dossier de l'appelant serait mis en suspens jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par cette Cour, puisque les conditions de l'emploi étaient les mêmes que durant les périodes antérieures.

[9]      L'appel de l'appelant pour les périodes antérieures a été rejeté par cette Cour le 10 février 2004, confirmant ainsi la décision du ministre rendue en février 2000. Quelques mois plus tard, soit en mai 2004, madame Lyne Courcy, l'agent des appels, s'est vu confier le dossier de l'appelant afin de faire enquête. Elle a communiqué par téléphone avec Me Jérôme Carrier, le représentant juridique de l'appelant, et, vers le 6 ou le 7 mai 2004, ce dernier informait madame Courcy, en laissant un message dans sa boîte vocale, que l'appelant voulait continuer le processus d'appel et qu'elle pouvait rendre sa décision en fonction de l'information et des renseignements déjà au dossier.

[10]     Devant cette situation, elle a donc procédé à l'analyse des renseignements contenus au dossier, soit ceux recueillis par M. Emmanuel St-Victor à la suite d'une conversation téléphonique avec l'appelant le 21 février 2000 et d'une conversation téléphonique avec M. Pierre Tremblay, actionnaire du payeur, le 14 février 2000, de même que les renseignements tirés du rapport de l'agent des appels sur le dossier de l'appelant pour les périodes visées par la décision du ministre du 7 février 2000. Elle a examiné la demande de prestations d'assurance-emploi, qui indique un salaire hebdomadaire de 821,27 $ pour 42 heures de travail, le relevé d'emploi et les déclarations de revenus de l'appelant. En se fondant sur les observations faites par le conseiller juridique de l'appelant, à savoir qu'il s'agit des mêmes conditions de travail qu'au cours des périodes d'emploi antérieures, madame Courcy a tiré les conclusions suivantes (voir la pièce I-2) :

rétribution

L'appelant a mentionné avoir les mêmes conditions d'emploi. Ainsi au cours des mois de janvier, février, mars et à la mi-avril, l'appelant travaillait pour le payeur sans être rémunéré. Il était alors rémunéré par sa compagnie de déneigement 3098-2165 Québec inc. tout en continuant à faire des ventes pour le payeur.

Le salaire de l'appelant était déterminé selon ce qu'il avait vendu l'année d'avant et sur les profits que ses ventes ont générés.

Selon sa demande de prestations, au cours de la période en litige, il a été rétribué au salaire brut hebdomadaire de 821,82 $ pour 42 heures de travail par semaine.

Une personne étrangère aurait été rétribuée pour toutes ses heures travaillées.

modalités de l'emploi et durée de l'emploi

Il a été déterminé que l'appelant travaillait à longueur d'année mais qu'il figurait au livre de paie que certains mois par année.

Il s'agit d'une situation reflétant le lien de dépendance entre les parties.

nature et importance du travail accompli

À titre de vendeur, le travail de l'appelant était requis au payeur. Il n'y avait pas de réel arrêt de travail mais plutôt une diminution du travail car l'appelant continuait à faire des ventes et à entretenir les liens avec les clients.

À la conclusion à l'égard de l'emploi de l'appelant au jugement de la CCI, nous retrouvons :

L'appelant effectuait des ventes pour le payeur dans ses périodes de chômage et il le faisait sans être rémunéré. Le volume des ventes était considérable durant certains mois où il n'a pas été payé. Ce ne sont pas là, à mon avis, des conditions de travail normales et dans lesquelles on peut bénéficier du régime d'assurance de la LAC ou de LAE.

Il en était ainsi au cours de la période en litige car il avait les mêmes conditions qu'au cours de ses périodes antérieures d'emploi.

[11]     Dans son témoignage, madame Courcy a expliqué que lorsque des appelants sont représentés par un conseiller juridique, elle communique directement avec celui-ci dans le but d'établir le processus à suivre aux fins de l'enquête. Dans les autres cas, elle contacte l'appelant directement et l'information recueillie est par la suite soumise à l'employeur pour confirmation. Les deux sont contactés dans 98% des cas. La seule exception est lorsque l'appelant ne fournit aucune information de sorte qu'il n'y a rien à vérifier auprès de l'employeur. En l'espèce, elle a respecté ce que Me Carrier lui a dit, à savoir qu'il s'agit des mêmes faits et qu'elle prenne sa décision en fonction de ça. N'eût été de cette directive, elle déclare qu'elle aurait contacté l'appelant et le payeur pour compléter son enquête. Elle a reconnu que lors des enquêtes, elle n'était pas au courant que l'appelant avait déclaré un revenu de sa propre entreprise de déneigement de janvier à mars 2000 selon la pièce A-5, mais elle ajoute que, de toute façon, cette information se trouve au bureau de l'assurance-emploi qui traite des demandes de prestations d'assurance-emploi et non pas au bureau traitant du caractère assurable d'un emploi.

[12]     Pierre Tremblay est actionnaire majoritaire et administrateur du payeur depuis 1983. Il a expliqué comment sa société a progressé au fil des ans en fonction de son chiffre d'affaires et du nombre d'employés. Il a déposé le relevé d'emploi de l'appelant tel qu'admis dans la réponse à l'avis d'appel. Ce document indique que l'appelant a travaillé durant la période en litige pendant 1 680 heures assurables pour une rémunération assurable totale de 22 182,74 $. Puisqu'il est admis qu'il travaillait 42 heures par semaine, il n'aurait en fait travaillé que pendant 40 semaines avec une rémunération hebdomadaire de 554,56 $. Cela ne correspond donc pas à l'information que l'on trouve à la pièce I-1 dans laquelle l'appelant, dans sa demande de prestations d'assurance-emploi, déclare que son salaire hebdomadaire à la fin de la période est de 821,82 $.

[13]     Les états financiers du payeur, déposés en preuve, indiquent la masse salariale de 1998 à 2000 pour environ 30 employés. Selon le représentant du payeur, l'appelant a reçu environ 31 000 $ par année. Dans un autre document (pièce A-3), le payeur a produit un tableau des salaires versés à l'appelant selon le livre de paie du payeur à partir du 12 avril 1998 jusqu'au 30 décembre 2000. Dans ce tableau, on constate que l'appelant a reçu un salaire hebdomadaire de 725 $ pour la semaine du 12 avril 1998, de 812 $ pour la semaine du 19 avril 1998 et de 768,50 $ pour les semaines allant du 26 mai 1998 au 3 janvier 1999. L'appelant n'a pas été rémunéré du 10 janvier au 21 mars 1999, de même que pendant la semaine du 26 décembre 1999 et du 2 janvier 2000. Il a été payé par la suite 821,50 $ par semaine jusqu'à la semaine du 1er novembre 1999 et 821,82 $ par semaine jusqu'à la fin de l'année 1999.

[14]     Ce tableau nous permet de constater qu'en 2000, l'appelant a été payé durant les mois de janvier à mars inclusivement, contrairement à ce qui s'est passé durant l'année précédente, mais pour des heures de travail réduites, soit 8 à 15 heures de travail par semaine. Pour le reste de l'année, le salaire de l'appelant est calculé selon le nombre de ventes durant l'année précédente et le profit net réalisé pour chaque vente. Monsieur Tremblay déclare que le salaire est conforme à celui que l'on trouve dans le monde agricole, soit de 30 000 $ à 40 000 $ par année pour les vendeurs. Pour ce qui est du fait que l'appelant ait été rémunéré durant les mois de janvier à mars 2000, il explique que l'appelant fut appelé au besoin et qu'il était plus libre que durant l'année précédente en raison d'une diminution de travail dans son entreprise de déneigement. Il était rémunéré au taux de 19 $ l'heure.

[15]     En ce qui concerne la période de janvier à mars de l'année précédente, il déclare ne pas avoir eu besoin des services de l'appelant. Il ajoute toutefois que si ce dernier avait rendu des services, il l'aurait payé mais que, de toute façon, il était occupé à plein temps à son entreprise de déneigement. Il dit qu'il s'est occupé lui-même de répondre aux clients de l'appelant et que, d'ailleurs, durant cette période, il y a eu une baisse des ventes.

[16]     Dans son témoignage, M. Tremblay a reconnu que l'appelant a utilisé sa voiture personnelle jusqu'à la fin de 1998 mais que par la suite, le payeur lui fournissait une voiture. Si je m'en remets aux informations obtenues lors de la première enquête, l'appelant ne recevait aucune allocation pour ses dépenses d'automobile. Ces dépenses seraient de 1 000 $ à 2 000 $ par année. Il témoigne ne pas avoir été rejoint par un enquêteur de l'intimé concernant la période en litige mais l'avoir été pour les périodes antérieures.

[17]     En contre-interrogatoire, il a confirmé que le salaire de l'appelant était établi en fonction de ses ventes. Il prend le nombre total de ventes et le profit pour chaque vente. Il reconnaît que le profit dépend de l'article vendu. Il n'a cependant pas été capable de produire d'exemple. Interrogé sur le fait qu'il n'y avait pas une grande différence entre le revenu hebdomadaire de 1998, soit 768,50 $, et celui de 1999, soit 821,82 $, M. Tremblay a répondu en affirmant que c'était le résultat des calculs faits pour établir le salaire de l'appelant et il explique aussi le fait qu'en 1999, un véhicule était fourni à l'appelant et donc qu'il y avait un avantage à ajouter. Il déclare aussi avoir mis une valeur pour l'usage du véhicule de l'appelant en 1998 sans donner de détail, mais il affirme que cela n'était pas établi en fonction du nombre de kilomètres.

[18]     Pierre Tremblay reconnaît aussi qu'il est possible que l'appelant ait pu compléter des ventes du 10 janvier au 27 mars 1999 alors qu'il n'était pas rémunéré par le payeur. Il explique cet état de choses en disant que l'on recherche des ventes durant l'année par des démonstrations et que, dans certains cas les négociations traînent, de sorte qu'il arrive que la vente se complète à l'extérieur de la période d'emploi du vendeur. Il ajoute qu'il lui arrive aussi de compléter des ventes durant l'absence des vendeurs.

[19]     L'appelant n'a pas connu d'augmentation de salaire en 2000. Son salaire est donc le même qu'en 1999. Le représentant du payeur explique cela en disant que l'appelant aurait effectué autant de ventes durant les neuf mois pendant lesquels il a travaillé en 1999 qu'il en a effectuées en 1998. Aucun exemple des calculs établissant son salaire n'a été présenté. Finalement, il admet que le payeur a reconnu sa culpabilité à des accusations d'avoir falsifié des relevés d'emploi. Il explique cette erreur en disant que les dates de retour au travail indiquaient un travail à temps plein alors que les employés travaillaient à temps partiel. Le payeur a reconnu sa culpabilité en suivant les conseils de son avocat. Monsieur Tremblay termine son témoignage en disant que le payeur a congédié son avocat le 10 février 2004, soit la date de la décision de cette Cour dans le litige sur les périodes antérieures au sujet de l'appelant.

[20]     L'appelant travaille pour le payeur depuis plus de 20 ans. Il déclare que du 21 mars 2000 à mai 2004, il n'a eu aucun contact avec des représentants de Revenu Canada ou de Ressources humaines Canada. Il ne se souvient pas d'avoir été contacté par madame Courcy ni d'avoir parlé à M. André Paquin. Il reconnaît que Me Jérôme Carrier était son avocat et celui du payeur et il croit qu'il en a été ainsi jusqu'à la décision de cette Cour en février 2004. Il dit qu'il n'a pas parlé à Me Carrier concernant le présent appel et qu'il n'était pas au courant que son avocat avait consenti à ce que son appel soit mis en suspens dans l'attente d'une décision de la Cour au sujet de ses appels des années antérieures. Il dit ignorer que son avocat a informé madame Courcy qu'elle pouvait rendre une décision en fonction des renseignements déjà aux dossiers pour les périodes antérieures, tout comme il ignore si son avocat avait contacté madame Courcy après février 2004. Il déclare que son frère Pierre lui a dit qu'on avait retenu les services d'un nouvel avocat au début de 2004. En voulant préciser la date du congédiement de l'ancien avocat, l'appelant a déduit que le congédiement a eu lieu entre février et août 2004, puisqu'il a lui-même signé son avis d'appel le 5 août 2004.

[21]     Interrogé sur la pièce A-3, soit le tableau qui indique le salaire hebdomadaire de l'appelant du 12 avril 1998 au 24 décembre 2000, l'appelant déclare que durant la période de janvier à mars 2000, il exécutait les tâches que son frère lui demandait de faire, soit faire la recherche de clients et qu'il a peut-être conclu des ventes. De plus, durant cette période, il a tiré un salaire de son entreprise de déneigement. Selon lui, le revenu total a été déclaré dans sa demande d'assurance-emploi, ainsi que la pièce A-5 le démontre.

[22]     Pour ce qui est de la période de la semaine du 10 janvier à la semaine du 21 mars 1999, il n'a reçu aucun salaire du payeur, mais il reconnaît qu'il a effectué un travail minime. Il déclare avoir surtout travaillé au déneigement avec son entreprise car il avait un contrat de déneigement plus important cette année-là et car l'hiver 1999 a été plus rigoureux que celui de 1998. Il ne se souvient pas s'il était plus libre pour le payeur durant l'hiver 1998, mais il affirme qu'il était libre durant l'hiver 2000 à cause de la perte d'un contrat de déneigement.

[23]     L'avocat de l'appelant soutient qu'il a réfuté, selon la prépondérance des probabilités, les hypothèses de faits sur lesquelles le ministre a fondé sa décision. Subsidiairement, il soumet qu'en l'espèce, aucune enquête quasi-judiciaire n'a été menée puisque ni l'appelant, ni un représentant du payeur n'ont eu la chance de s'expliquer et d'être entendus selon les principes de la justice naturelle. Il invoque une violation de la règle audi alteram partem. L'avocat du ministère, de son côté, soutient que la décision du ministre a été fondée sur les faits établis par l'enquête menée pour les années antérieures et qu'il a respecté les instructions du conseiller juridique de l'appelant et du payeur. Il soumet que les faits ont été analysés en fonction des critères prévus dans la Loi et que, dans les circonstances, l'enquête a été menée judicieusement nonobstant les contraintes imposées par les instructions du représentant juridique de l'appelant et du payeur et qu'il s'agit, en l'espèce, d'une enquête au sens de la Loi qui a conduit à une décision raisonnable.

[24]     Pour appuyer ses prétentions, l'avocat de l'appelant cite deux décisions de la juge Lamarre Proulx dans les affaires Berthiaume c. Canada, no 97-1803(UI), 3 décembre 1998, [1998] A.C.I. no 1067 (QL), et Lebel c. Canada, no 1999-4135(EI), 7 novembre 2000, [2000] A.C.I. no 760 (QL), et une décision du juge suppléant Savoie dans l'affaire 9089-4114 Québec inc. c. Canada, no 2001-3321(EI), 9 décembre 2003, [2003] A.C.I. no 732 (QL). Dans ces trois causes, il était question du mode de l'enquête qu'un agent du ministre doit mener lorsqu'on lui confie un dossier lors d'un appel. Le passage pertinent de la décision Berthiaume est le suivant au paragraphe 32 :

L'avocat de l'appelant, ou un appelant, peut-il dicter à l'agent du Ministre chargé de l'enquête au niveau des appels, le mode d'enquête que celui-ci doit utiliser? Je crois que de poser la question amène déjà la réponse. L'avocat de l'appelant désirait connaître la position de la Cour à ce sujet. Habituellement, la Cour ne se prononce que s'il y a eu un débat judiciaire sur une question. Dans ce cas-ci, la réponse me paraît tellement évidente que je vais la donner. L'agent du Ministre au niveau des appels doit rendre une décision après s'être formé une opinion sur le litige. Il a un rôle quasi-judiciaire. Mais qu'un agent du Ministre agisse dans un rôle quasi-judiciaire ou dans un rôle d'inspection, c'est à lui de déterminer la meilleure façon d'en arriver à connaître la vérité dans les normes de ce qui est raisonnable. Il me semble évident qu'une rencontre avec les appelants ou au moins une conversation téléphonique avec eux est nécessaire pour lui permettre d'évaluer les motifs d'appel et permettre aux appelants d'être entendus. Même une conversation téléphonique ne paraît pas toujours suffisante aux appelants pour exprimer la totalité de leur point de vue. Il se peut toutefois que ce mode soit acceptable pour les fins d'efficacité. Mais sûrement, il n'y a aucune obligation pour l'agent des appels de procéder par questionnaire écrit s'il juge que ce n'est pas ainsi qu'il obtiendra la meilleure lumière sur un dossier. Je suis d'avis que l'appelant, vu son manque de collaboration, ne peut se plaindre de l'absence d'enquête. Mais, de toute façon, je suis d'avis que le Ministre avait suffisamment d'information pour rendre sa décision.

[25]     Ce que je retiens du passage cité ci-dessus, c'est que l'agent du ministre a une obligation de mener une enquête dans les normes de ce qui est raisonnable afin de connaître la vérité et que c'est à lui de déterminer la meilleure façon d'y arriver. Il se peut par contre qu'il y ait des occasions où l'étendue et la profondeur d'une enquête ne correspondent pas aux attentes de l'agent, particulièrement s'il lui est impossible d'obtenir toutes les informations nécessaires en raison d'un refus ou d'un manque de collaboration des personnes touchées par l'enquête. Une telle situation pourrait faire en sorte qu'il soit raisonnable pour un agent de ne pas mener une enquête.

[26]     À mon avis, l'agent des appels en l'espèce avait suffisamment d'information pour rendre une décision. Le représentant juridique du payeur et de l'appelant a admis que les circonstances entourant le contrat d'emploi entre eux étaient les mêmes que celles lors de l'enquête menée par l'agent des appels pour les périodes antérieures. L'appelant et un représentant du payeur ont eu la chance de communiquer leur version des faits pour l'enquête du présent dossier, mais l'aveu de leur représentant juridique rendait presque futile toute tentative de la part de l'agent d'approfondir l'enquête. Il était tout à fait normal dans les circonstances d'agir ainsi, puisque l'agent des appels n'avait aucune raison de croire que le représentant juridique de l'appelant ou du payeur n'avait pas l'autorité d'agir ainsi. Je n'ai aucune raison de ne pas accepter la version des faits de l'agent des appels en ce qui concerne cet aveu et il n'aurait pas été acceptable pour elle de passer outre à l'avocat.

[27]     Devant cette situation, il est difficile de conclure que l'appelant a été privé de son droit d'être entendu ou que l'on n'a pas mené d'enquête. Si l'appelant avait réellement l'intention d'apporter des précisions à une audition comme il le dit dans sa lettre du 9 juin 2000, comment peut-on expliquer qu'il n'ait pas manifesté d'intérêt dans sa cause pendant presque 4 ans, alors qu'il ne savait pas qu'elle avait été mise en suspens par son avocat? À mon avis, lorsqu'un appelant accepte de laisser son employeur engager et congédier l'avocat et accepte que ce dernier le représente, il doit aussi en accepter les conséquences. À mon avis, les aveux de l'avocat à l'agent Courcy ne pouvaient être plus clairs, de sorte qu'il lui était tout à fait raisonnable de mener son enquête comme elle l'a fait. L'appelant, dans de telles circonstances, a renoncé, par son avocat, à son droit d'être entendu. Il est intéressant aussi de constater que lors d'une conversation téléphonique avec l'agent de participation Emmanuel St-Victor le 21 février 2000, l'appelant lui a affirmé que ses conditions d'emploi étaient identiques aux faits mentionnés précédemment pour les années 1993 à 1997. À la lumière de toutes ces circonstances, l'enquête menée par l'agent des appels me paraît raisonnable. L'appelant a été entendu et il y avait suffisamment d'information pour rendre une décision.

[28]     Les tâches du ministre et celles de la Cour ont été définies par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Légaré c. Canada, no A-392-98, 28 mai 1999, [1999] A.C.F. no 878 (QL), au paragraphe 4 :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire.    L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés.    Et la détermination du ministre n'est pas sans appel.    La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés.    La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre.    Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[29]     La Cour d'appel fédérale a d'ailleurs réitéré sa position dans l'arrêt Pérusse c. Canada, no A-722-97, 10 mars 2000, [2000] A.C.F. no 310 (QL). Le juge Marceau, en renvoyant au passage ci-dessus de l'arrêt Légaré, a ajouté ce qui suit au paragraphe 15 :

Le rôle du juge d'appel n'est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l'a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l'interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner.    Le rôle du juge est de s'enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s'expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l'éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur).    La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l'égard de l'appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu'il n'y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.    Mais parler de discrétion du ministre sans plus porte à faux.

[30]     Les dispositions de la Loi qui excluent des emplois assurables les emplois où l'employeur et l'employé ont un lien de dépendance et les dispositions visant la situation où il n'y aurait plus ce lien de dépendance sont rédigées comme suit :

5. [...]

Restriction

(2) N'est pas un emploi assurable :

[...]

i) l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

Personnes liées

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[31]     Le juge Archambault de notre Cour, dans l'affaire Louis-Paul Bélanger c. M.R.N., 2005 CCI 36, a fait l'analyse d'un ensemble de décisions tant de la Cour d'appel fédérale que de notre Cour sur la question du lien de dépendance et sur l'exercice que doit faire la Cour lors de l'appel d'une décision du ministre en fonction des dispositions légales citées ci-dessus. C'est en fonction de toutes ces directives que je vais analyser les faits du présent appel.

[32]     Le ministre, dans son appréciation des circonstances de l'emploi de l'appelant pour le payeur, en était arrivé à la conclusion que le relevé d'emploi de l'appelant n'était pas conforme à la réalité quant à la période de travail ni au nombre d'heures de travail. Le relevé d'emploi (pièce A-1) de l'appelant indique que la période de travail s'étend du 13 avril 1998 au 24 décembre 1999 et qu'il a reçu une rémunération assurable de 22 182,74 $ pour 1680 heures assurables de travail. Dans sa demande de prestations d'assurance-emploi (pièce I-1), l'appelant renvoie à la même période de travail mais déclare travailler 42 heures par semaine et avoir une rémunération hebdomadaire normale avant retenues de 821,82 $. Or, si on divise les 1 680 heures assurables par les 42 heures de travail par semaine, l'appelant aurait travaillé 40 semaines durant la période avec un salaire hebdomadaire de 554,56 $. Il y a déjà là des informations qui sont erronées.

[33]     Le payeur, de son côté, a indiqué les semaines de travail de l'appelant durant la période en litige (pièce A-3) et on y trouve un total de 78 semaines rémunérées. En 1998, il y avait 38 semaines de travail avec un salaire de 768,50 $, sauf pour une semaine avec un salaire de 725 $, soit un total de 30 740 $. En 1999, il y avait 40 semaines de travail avec un salaire de 768,50 $ pour une semaine, de 821,82 $ pour 7 semaines et de 821,50 $ pour 32 semaines, soit un total de 32 809,24 $. Aux fins de la période en litige, l'appelant n'a pas travaillé pour le payeur du 10 janvier au 27 mars 1999. Cette absence du travail n'est pas indiquée dans le relevé d'emploi et il est impossible de réconcilier le relevé d'emploi et les semaines de travail de l'appelant selon la pièce A-3. À mon avis, le ministre avait raison de conclure comme il l'a fait.

[34]     On ne peut pas laisser sous silence l'aveu de l'appelant et celui du représentant du payeur lorsqu'ils reconnaissent qu'il est arrivé que l'appelant a conclu des ventes alors qu'il n'était pas rémunéré. Non seulement a-t-il rendu des services au payeur sans être rémunéré, mais les ventes effectuées permettaient d'établir son salaire pour l'année suivante, de sorte que l'appelant ne perdait rien durant son absence. C'est d'ailleurs durant cette absence que l'appelant travaillait au déneigement pour son entreprise durant les mois d'hiver. Pourtant, lorsqu'il a perdu un important contrat de déneigement en 2000, il est allé travailler pour le payeur. Si le payeur avait besoin de ses services durant l'hiver 2000, comment se fait-il qu'il n'en avait pas besoin durant les hivers 1998 et 1999? Aucune explication n'a été avancée. À mon avis, l'appelant est allé travailler pour son entreprise durant les hivers 1998 et 1999 parce qu'il le voulait et non parce qu'il y avait un manque de travail chez le payeur. Cela était évidemment possible en raison du lien de dépendance qui existe entre lui et son employeur. En 2000, lorsque le travail a diminué, il est retourné travailler pour le payeur. On ne peut non plus faire abstraction du fait que durant l'année 1998, l'appelant mettait gratuitement son automobile au service du payeur. Une personne sans lien de dépendance n'aurait pas accepté de telles conditions de travail.

[35]     Lorsqu'on tient compte de la rétribution versée, des modalités et de la durée de l'emploi tout comme de la nature et de l'importance du travail accompli, il était tout à fait raisonnable pour le ministre de conclure que l'emploi de l'appelant avec le payeur durant la période en litige n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi en raison du lien de dépendance. L'appelant n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités que la décision du ministre n'était pas raisonnable dans les circonstances et ce, malgré le fait que le ministre ait exercé sa discrétion sans connaître la version de l'appelant ou du payeur au moment de son enquête. L'appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2006.

« François Angers »

Juge Angers


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI113

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2004-4369(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Michel Tremblay et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Rivière-du-Loup (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 4 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                    le 28 mars 2006

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :

Me Frédéric St-Jean

Avocat de l'intimé :

Me Jean Lavigne

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                              Me Frédéric St-Jean

                   Étude :

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada




SOURCE: http://decision.tcc-cci.gc.ca/fr/2006/html/2006cci113.html Générée le 2006-04-03