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Dossier : 2005-2043(IT)I

ENTRE :

ALEXANDRE TOUTOV,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appels entendus le 8 mars 2006, à Kingston (Ontario).

Devant : L'honorable juge en chef D.G.H. Bowman

Comparutions :

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                            Me Pascal Tétrault

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002 sont accueillis avec dépens, le cas échéant, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de permettre la déduction des frais de déplacement demandés par l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2006.

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2006.

Marie-Christine Gervais, traductrice


Référence : 2006CCI187

Date : 20060328

Dossier : 2005-2043(IT)I

ENTRE :

ALEXANDRE TOUTOV,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef Bowman

[1]      Les présents appels ont été interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002. Ils découlent du refus par le ministre du Revenu national d'accorder la déduction de certains frais de déplacement que M. Alexandre Toutov a engagés entre sa maison, où il avait un bureau et où il travaillait la plupart du temps, et le bureau de son employeur, où il se rendait de temps en temps pour rencontrer des clients et où il n'avait pas de bureau.

[2]      Bien sûr, la règle générale est que les frais de déplacement engagés entre le domicile d'un contribuable et son lieu de travail ne constituent pas une dépense déductible. Il s'agit d'un principe juridique établi depuis de nombreuses années. L'arrêt de principe à l'appui de cette assertion est la décision de la Chambre des lords dans l'arrêt Ricketts v. Colquhoun, [1926] A.C. 1, qui a été suivie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Hogg v. R., [2002] 3 C.T.C. 177.

[3]      La règle générale n'est pas inflexible, et il est possible d'y faire exception dans certaines circonstances. L'appelant est titulaire d'un doctorat en mathématique de l'Université Queen's de Kingston. Après l'obtention de son diplôme, il a reçu une offre d'emploi d'Oracle Telecomputing Inc. (ci-après « Oracle » ). Voici la lettre que le président d'Oracle lui a envoyée :

[traduction]

Le 1er août 1996

OBJET : Offre d'emploi

Alexandre Toutov

119, rue McMichael

Kingston (Ontario)

K7M 1N1

Monsieur Toutov,

Nous sommes heureux de vous offrir un poste de programmeur. Votre salaire annuel sera de 38 000 $ et fera l'objet d'une révision après six mois.

Nous sommes conscients des difficultés financières qu'un déménagement à Ottawa entraînerait pour vous en raison de la perte du revenu de votre femme. Vous pouvez donc travailler à votre domicile à Kingston, mais vous devrez parfois rencontrer des clients à Ottawa, à Carleton Place (p. ex. pour des revues de conception, des essais, etc.) et à d'autres endroits, selon les exigences des contrats. Toutefois, en raison de la souplesse que nous vous accordons en vous permettant de travailler à la maison, nous nous attendons à ce que vous assumiez les frais de déplacement et de subsistance que vous engagerez quand vous aurez à vous rendre à Ottawa et à Carleton Place.

Veuillez noter les renseignements suivants :

1.           Vous serez payé toutes les deux semaines.

2.           Vous aurez droit à deux semaines de vacances annuelles, puis à trois semaines après cinq ans de service.

3.           Vous êtes obligé de participer au régime de prestations collectif de la compagnie.

Vous êtes tenu de signer une entente de confidentialité.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à communiquer avec moi au numéro susmentionné.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Le président,

Jim Harvey

[4]      La vraie base d'opérations de l'appelant est son bureau à domicile, où il a son équipement (y compris, par moments, six ordinateurs). Il se rend à Carleton Place, où il rencontre des clients, mais il n'a pas de bureau là-bas. Il passe souvent par Carleton Place quand il va à Ottawa. Je crois qu'il est juste de conclure, compte tenu de la preuve, que le bureau de M. Toutov à Kingston constitue le prolongement du lieu d'affaires d'Oracle, ainsi que le lieu de travail principal de M. Toutov. Cette conclusion a été confirmée par M. Jim Harvey, le président d'Oracle. M. Harvey avait précédemment envoyé une lettre à l'Agence du revenu du Canada et cette lettre confirmait son témoignage de vive voix. La lettre était rédigée ainsi :

          [traduction]

Le 30 décembre 2002

Agence des douanes et du revenu du Canada

Centre fiscal

St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

A1B 3Z1

Madame, Monsieur,

Alexandre Toutov travaille pour Oracle Telecomputing Inc. depuis le 19 août 1996. Depuis son embauche, il travaille principalement à partir de son bureau à domicile qui est situé à Kingston (Ontario). La nature de son travail l'oblige à aller au siège de la compagnie, qui est situé à Carleton Place, régulièrement pour y passer un ou deux jours par semaine, ainsi qu'à aller à Ottawa, à Cornwall et à Toronto de temps en temps.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à communiquer avec moi au numéro susmentionné.

Je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.

Le président,

Jim Harvey

[5]      M. Harvey a également indiqué que le fait que M. Toutov était situé près de l'Université Queen's à Kingston, avec laquelle il maintenait une relation professionnelle et qu'il consultait dans le cadre de son travail, était un atout pour Oracle. Je considère que le bureau à domicile de M. Toutov constitue le prolongement du lieu d'affaires d'Oracle, ainsi que le lieu de travail principal de M. Toutov. À partir de là, il se rend à d'autres endroits, notamment à Ottawa, à Cornwall et à Carleton Place, pour rencontrer des clients.

[6]      L'avocat de l'intimée, Me Tétrault, il faut le souligner, a porté à mon attention plusieurs décisions où les faits étaient similaires aux faits de la présente affaire et qui énoncent le principe que j'ai l'intention de suivre en l'espèce. La première affaire est la décision Campbell et al. v. The Queen, 2003 DTC 420, où le juge Margeson a conclu que les frais de déplacement engagés entre les bureaux à domicile des appelants et l'immeuble du conseil scolairene constituaient pas un avantage imposable en application de l'alinéa 6(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge Margeson a dit ce qui suit aux paragraphes 13 à 18 :

13         La preuve a établi sans le moindre doute qu'en quittant leurs bureaux situés dans leurs maisons pour aller exercer ailleurs d'autres fonctions, et en retournant à leurs bureaux à domicile, ils se déplaçaient d'un lieu de travail à un autre. La Cour n'accorde pas d'importance au fait qu'ils aient pu, une fois de retour à la maison, aller se coucher, regarder la télévision, manger un sandwich ou faire une razzia sur le réfrigérateur, selon la situation. Ces activités ne contredisent pas la conclusion selon laquelle ils étaient engagés, sur le chemin du retour à leur domicile, dans des activités liées à leurs fonctions.

14         Lorsqu'ils se déplaçaient de leurs bureaux à domicile pour se rendre au conseil scolaire à Port Hastings, ils étaient engagés dans l'exercice de leurs fonctions de membres du conseil scolaire; et il en était de même lorsqu'ils retournaient à la maison. Ils sont clairement visés par les dispositions du sous-alinéa 6(1)b)(vii.1) de la Loi.

15         Dans l'affaire R. v. Deimert, 75 DTC 262, à la page 10, le paragraphe 38 est ainsi rédigé :

Cette variante de la catégorie d'emplois exercés dans plusieurs établissements qui a introduit le concept de deux lieux de travail découle notamment des deux décisions de la Chambre des lords dans les affaires Owen v. Pook, [1969] 2 All E.R. 1, et Taylor v. Provan, [1974] 1 All E.R. 1201. Essentiellement, la personne qui doit se déplacer d'un lieu de travail à un autre peut déduire ses frais de déplacement parce qu'elle se déplace pour les fins de son emploi, mais elle ne peut pas déduire les frais de déplacement pour se rendre de son lieu de travail à son domicile, ou vice versa, à moins que son domicile soit un lieu de travail. L'application de ce concept exige la preuve que le travail ou l'emploi soit accompli dans deux endroits. Il ne suffit pas que la personne choisisse d'accomplir une partie du travail ailleurs que l'endroit où l'emploi est objectivement situé.

16         En l'espèce, la Cour est convaincue qu'il existait deux lieux de travail. Les voyages qui ont donné lieu à la demande de déduction de frais et à leur déduction ont toujours été des déplacements d'un lieu de travail (le bureau situé dans la maison) à un autre lieu de travail (le bureau du conseil scolaire) à Port Hastings. Tous les frais dont ils ont demandé l'exonération étaient liés à l'usage de leurs véhicules pour voyager dans l'accomplissement des fonctions de leur charge de membres du conseil scolaire.

17         L'avocat a également mentionné l'affaire Goldhar v. M.N.R., [1985] 1 C.T.C. 2187, 85 DTC 202, dans laquelle le juge Taylor a permis les déductions demandées par la contribuable parce qu'il avait été prouvé que celle-ci travaillait à partir de son domicile, qui constituait sa « base d'opérations » . On peut en dire autant de la présente affaire. L'affaire de la Cour d'appel fédérale Hoedel c. La Reine, C.A.F., no A-572-85, 22 octobre 1986 (86 DTC 6536) appuie également les demandes des appelants. L'avocat a également cité l'affaire Sword v. M.N.R., [1990] 2 C.T.C. 2298, 90 DTC 1798, que la Cour ne trouve pas particulièrement utile en l'espèce.

18         Dans l'affaire McDonald c. R., C.C.I., no 97-2209(IT)I, 27 juillet 1998 ([1998] 4 C.T.C. 2569, 98 DTC 2151), le juge Rip a indiqué ce qui suit :

[...] un employé peut aussi n'avoir qu'un seul lieu de travail fixe mais être obligé de se rendre à d'autres endroits où l'employeur fait des affaires ou de s'y rendre pour une fin professionnelle. S'il est plus efficace ou plus rentable pour l'employeur que l'employé parte de chez lui pour s'y rendre ou retourne chez lui après s'y être rendu, de tels déplacements ne doivent pas être considérés comme personnels.

Cette situation est identique à celle que la preuve a révélée en l'instance.

Je souscris au raisonnement et à la conclusion du juge Margeson.

[7]      Dans l'arrêt Daniels v. The Queen, 2004 DTC 6276, la Cour d'appel fédérale a établi une distinction entre sa décision et la décision du juge Margeson, à laquelle elle a cependant renvoyé et qu'elle a apparemment approuvée. La jurisprudence sur la question est considérable au Royaume-Uni. Il y a une analyse très détaillée à ce sujet dans la décision Kirkwood v. Evans, [2002] 1 W.L.R. 1794, 74 T.C. 481.

[8]      Je n'ai pas l'intention d'aborder la jurisprudence anglaise parce que la législation anglaise est quelque peu différente et, quoi qu'il en soit, je souscris entièrement au raisonnement du juge Margeson qui, selon moi, tranche la question.

[9]      Les appels sont accueillis avec dépens, le cas échéant, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel et examen et nouvelle cotisation afin de permettre la déduction des frais de déplacement demandés par l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de mars 2006.

« D.G.H. Bowman »

Juge en chef Bowman

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2006.

Marie-Christine Gervais, traductrice


RÉFÉRENCE :

2006CCI187

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2005-2043(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alexandre Toutov c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 8 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge en chef D.G.H. Bowman

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 mars 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Pascal Tétrault

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada




SOURCE: http://decision.tcc-cci.gc.ca/fr/2006/html/2006cci187.html Générée le 2007-02-24