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Dossier : 2006-1441(EI)

ENTRE :

ROGER TURCOTTE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RÉNOVATIONS MÉTROPOLITAINES (QUÉBEC) LTÉE,

intervenante.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 22 septembre 2006, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Chantal Roberge

Avocat de l'intervenante :

Me Camille Bolté

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel est accueilli et la décision rendue par le ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 14e jour de décembre 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


Référence : 2006CCI637

Date : 20061214

Dossier : 2006-1441(EI)

ENTRE :

ROGER TURCOTTE,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RÉNOVATIONS MÉTROPOLITAINES (QUÉBEC) LTÉE,

intervenante.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Savoie

[1]      L'appel a été entendu à Montréal (Québec), le 22 septembre 2006.

[2]      Il porte sur le caractère assurable de l'emploi de Roger Turcotte (l' « appelant » ) lorsqu'il était au service de Rénovations Métropolitaines (Québec) ltée (le « payeur » ) du 15 septembre 2003 au 14 février 2004 (la « période en litige » ).

[3]      Le 28 février 2006, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a informé l'appelant de sa décision selon laquelle ce dernier n'occupait pas un emploi assurable.

[4]      En rendant sa décision, le ministre s'est appuyé sur les faits présumés suivants :

a)          le payeur, constitué en société le 16 août 1979, exploitait une entreprise de nettoyage et de rénovation de bâtisse; (ignoré)

b)          l'unique actionnaire du payeur était M. Nagui Labbad; (ignoré)

c)          l'appelant a été embauché pour vendre les produits et services du payeur dans le domaine de la rénovation; (admis)

d)          l'appelant rendait des services au payeur en vertu d'une entente verbale; (nié)

e)          l'appelant devait rencontrer les clients du payeur et tenter de leur faire signer une entente pouvant comprendre le matériel et la main d'oeuvre ou uniquement la main d'oeuvre; (admis)

f)           lors de son embauche, l'appelant a reçu une formation de 10 jours sans être rémunéré par le payeur; (admis)

g)          l'appelant se déplaçait chez le client désigné par le payeur mais avait toute la latitude désirée pour trouver de nouveaux clients dans la région desservie par le payeur; (ignoré)

h)          l'appelant pouvait être remplacé dans le cadre de l'exécution de sa prestation auprès du payeur; (nié)

i)           les heures d'entrées et de sorties de l'appelant n'étaient pas contrôlées par le payeur; (admis avec précisions)

j)           l'appelant était libre de son horaire de travail et de sa façon de faire avec les clients; (admis avec précisions)

k)          l'appelant utilisait son automobile dans le cadre de son travail et devait en assumer tous les frais; (admis avec précisions)

l)           le 4 mars 2004, le payeur a émis un relevé d'emploi au nom de l'appelant indiquant comme premier jour de travail le 27 octobre 2003 et le dernier jour de travail le 23 janvier 2004; (admis)

m)         des déductions à la source ont été faites par le payeur au nom de l'appelant; (admis)

n)          le 3 février 2004, l'appelant confirmait, par écrit au payeur, son accord quant à son statut de travailleur autonome. (admis)

[5]      L'appelant a fait la preuve qu'il ne pouvait pas être remplacé lors de son travail pour le payeur. Son témoignage à cet égard a été confirmé par d'autres travailleurs, Jean-Guy O'Connor et Céline Rouleau.

[6]      L'appelant, qui était alors à la recherche d'un emploi, a indiqué avoir fait une demande d'emploi à la suite d'une annonce parue dans le journal. Le payeur cherchait alors un représentant dans le domaine de la construction. L'appelant a été invité par le payeur à se joindre à un groupe de vendeurs pour suivre une session de formation. Cette formation, d'une durée de deux semaines, a débuté le 15 septembre 2003 et était offerte par le payeur. Le but de la formation était de faire connaître la philosophie de l'entreprise aux nouveaux candidats et de leur enseigner des techniques de vente. Malgré une période difficile, aux dires de l'appelant, le payeur l'a embauché pour vendre ses produits.

[7]      Cette situation a duré jusqu'en janvier 2004. À ce moment, la situation a changé. L'appelant a établi que le payeur a tout fait pour le convaincre d'exercer dorénavant ses tâches de vendeur en qualité de travailleur autonome. L'appelant a tout d'abord résisté à cette demande. Puis, selon l'appelant, le payeur est devenu insistant et l'appelant a cédé à sa demande, comme le confirme la lettre du 3 février 2004 produite sous la cote A-9.

[8]      La preuve produite par l'appelant a révélé qu'à partir du 3 février 2004, ses conditions de travail n'ont aucunement changé, à savoir qu'il était traité comme un employé et qu'il devait se soumettre aux mêmes règles édictées par le payeur.

[9]      Lors de sa formation, l'appelant a reçu un document qui, selon lui, résume l'enseignement reçu sur la méthode de travail à suivre afin de réaliser une vente. Il s'agit des « 25 règles de l'engagement » . Le document, destiné au vendeur, se veut un document décrivant les différentes étapes à suivre lors de la présentation d'un produit au client. Ce guide a été distribué à l'appelant ainsi qu'aux autres travailleurs du payeur. Il explique au vendeur les étapes qu'il doit suivre avec le client pour réaliser une vente. Ce document a été produit sous la cote A-6. Il décrit également une journée type d'un vendeur chez le payeur et la procédure à suivre après la réalisation d'une vente.

[10]     Les vendeurs n'avaient pas l'autorisation de fixer des rendez-vous avec des clients. C'est le payeur qui s'en occupait. La preuve a révélé qu'il était strictement interdit à l'appelant et aux autres travailleurs d'offrir leurs services à d'autres employeurs.

[11]     L'appelant a démontré que les vendeurs devaient assister régulièrement à des groupes de formation. Les présences y étaient vérifiées. Les vendeurs ne pouvaient communiquer avec les clients pour déplacer des rendez-vous. C'est le bureau du payeur qui s'en occupait.

[12]     L'appelant travaillait sous l'étroite supervision d'Elias Lazarikis, copropriétaire de l'entreprise. Dès qu'une rencontre avec un client désigné avait lieu, les vendeurs devaient, peu importe l'heure, faire rapport au superviseur et ce, même en l'absence de vente.

[13]     Il a été établi que l'appelant et les autres vendeurs recevaient du payeur un apprentissage qualifié de « vente sous pression » . Cette méthode de vente est décrite dans les pièces produites lors de l'audience sous les cotes A-5 et A-6.

[14]     Il ressort du témoignage des travailleurs que ces derniers subissaient, durant les séances de formation présentées sous la direction de monsieur Lazarikis un enseignement destiné à leur apprendre comment vendre un produit sous pression. Ils étaient blâmés si la vente n'avait pas lieu. La preuve a révélé que bien que les séances de formation étaient structurées et intenses, la tension y était palpable. Les travailleurs décrivaient monsieur Lazarikis comme un superviseur impitoyable exerçant une telle domination sur eux que certains participants en pleuraient.

[15]     La question en litige est de savoir si l'appelant occupait un emploi assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ). La disposition pertinente est l'alinéa 5(1)a) de la Loi, qui énonce ce qui suit :

Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[Je souligne.]

[16]     L'article précité définit le terme « contrat assurable » . C'est l'emploi qu'on exerce en vertu d'un contrat de louage de services, c'est-à-dire en vertu d'un contrat de travail. Cependant, la Loi ne définit pas ce qui constitue un tel contrat.

[17]     Le contrat de louage de services est une notion de droit civil décrite dans le Code civil du Québec. Ce sont les dispositions pertinentes du Code civil qui détermineront la nature de ce contrat.

[18]     Dans un article intitulé Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer? publié au cours du quatrième trimestre de 2005 par l'Association de planification fiscale et financière (APFF) et le ministère fédéral de la Justice dans le second recueil d'études en fiscalité de la collection « l'Harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien » , le juge Pierre Archambault de cette Cour décrit, à l'égard de toute période d'emploi postérieure au 30 mai 2001, la démarche que doivent faire les tribunaux depuis l'entrée en vigueur, le 1er juin 2001, de l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. 1-21, telle qu'elle est modifiée, lorsqu'ils sont confrontés à un litige comme celui en l'espèce. Voici ce que le législateur a édicté dans cet article :

Propriété et droits civils

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

[Je souligne.]

[19]     Il convient de reproduire les dispositions pertinentes du Code civil, qui serviront à déterminer l'existence d'un contrat de travail au Québec pour le distinguer du contrat d'entreprise :

Contrat de travail

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

[...]

Contrat d'entreprise ou de service

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[Je souligne.]

[20]     Les dispositions du Code civil reproduites ci-dessus établissent trois conditions essentielles à l'existence d'un contrat de travail :

1) la prestation sous forme de travail fournie par le salarié; 2) la rémunération de ce travail par l'employeur; 3) le lien de subordination. Ce qui distingue de façon significative un contrat de service d'un contrat de travail, c'est l'existence du lien de subordination, c'est-à-dire le fait pour l'employeur d'avoir un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travailleur.

[21]     Les auteurs de doctrine se sont penchés sur la notion de « pouvoir de direction ou de contrôle » et sur son revers, le lien de subordination. Voici ce que l'auteur Robert P. Gagnon écrivait dans Le droit du travail du Québec, 5e éd. Les Éditions Yvon Blais inc., 2003, Cowansville (QC) :

c) La subordination

90 - Facteur distinctif - L'élément de qualification du contrat de travail le plus significatif est celui de la subordination du salarié à la personne pour laquelle il travaille. C'est cet élément qui permet de distinguer le contrat de travail d'autres contrats à titre onéreux qui impliquent également une prestation de travail au bénéfice d'une autre personne, moyennant un prix, comme le contrat d'entreprise ou de service régi par les articles 2098 et suivants C.c.Q. Ainsi, alors que l'entrepreneur ou le prestataire de services conserve, selon l'article 2099 C.c.Q., « le libre choix des moyens d'exécution du contrat » et qu'il n'existe entre lui et son client « aucun lien de subordination quant à son exécution » , il est caractéristique du contrat de travail, sous réserve de ses termes, que le salarié exécute personnellement le travail convenu sous la direction de l'employeur et dans le cadre établi par ce dernier.

[...]

92 - Notion - Historiquement, le droit civil a d'abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d'application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l'exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l'employeur sur l'exécution du travail de l'employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s'est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l'employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l'exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu'on reconnaîtra alors comme l'employeur, de déterminer le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s'intégrer dans le cadre de fonctionnement d'une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d'un certain nombre d'indices d'encadrement, d'ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d'activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n'exclut pas une telle intégration à l'entreprise.

[Je souligne.]

[22]     Il faut préciser que ce qui caractérise le contrat de travail, ce n'est pas le fait que l'employeur ait effectivement exercé une direction ou un contrôle, mais le fait qu'il avait le pouvoir de l'exercer. Dans l'arrêt Gallant c. M.R.N., no A-1421-84, 22 mai 1986, [1986] A.C.F. no 330 (Q.L.), le juge Pratte de la Cour d'appel fédérale affirme que :

[...] Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

[...]

[23]     Il incombe à cette Cour, qui est chargée de déterminer le type de contrat, selon le droit du Québec, qui s'applique aux parties, de considérer et de suivre l'approche préconisée par le juge Archambault de cette Cour dans l'article précité et dont il a repris le thème dans l'arrêt Vaillancourt c. Le ministre du Revenu national, no 2003-4188 (EI), 27 juin 2005, 2005CCI328 [2005] A.C.I. no. 685, où il écrivait ce qui suit :

15         À mon avis, les règles régissant le contrat de travail en droit québécois ne sont pas identiques à celles de la common law et, par conséquent, il n'est pas approprié d'appliquer des décisions de common law comme les arrêts Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) et 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, 2001 CSC 59. Au Québec, un tribunal n'a pas d'autre choix que de conclure à l'existence ou à l'absence du lien de subordination pour décider si un contrat constitue un contrat de travail ou un contrat de service.

16         L'approche qu'il faut suivre est celle adoptée notamment par le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale qui, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, (2003), 322 N.R. 381, 2003 CAF 453, a conclu à l'absence d'un contrat de travail en se fondant sur les dispositions du Code civil et, en particulier, en constatant l'absence d'un lien de subordination, lien qui constitue « la caractéristique essentielle du contrat de travail » .

[24]     En l'espèce, existerait-il entre le payeur et l'appelant un lien de subordination qui nous permettrait de conclure à la présence d'un contrat de travail? Dans l'exercice du mandat confié à ce tribunal, j'ai trouvé utile le raisonnement du juge Dussault de cette Cour dans l'arrêt Lévesque c. Le ministre du Revenu national, no 2004-4444 (EI), 18 avril 2005, 2005CCI248, [2005] A.C.I. no 183 :

24         Par ailleurs, dans l'affaire D & J Driveway Inc. c. Canada, C.A.F. no A-12-02, 27 novembre 2003, 322 N.R. 381, [2003] A.C.F. no. 1784 (Q.L.) le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale affirmait que ce n'est pas parce qu'un donneur d'ouvrage peut contrôler le résultat du travail qu'il existe nécessairement une relation employé-employeur. Voici comment il s'exprimait à cet égard au paragraphe 9 du jugement :

9 Un contrat de travail requiert l'existence d'un lien de subordination entre le payeur et les salariés. La notion de contrôle est le critère déterminant qui sert à mesurer la présence ou l'entendue de ce lien. Mais comme le disait notre collègue le juge Décary dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), (1996), A.C.F. no 1337, [1996] 207 N.R. 299, suivie dans l'arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 CAF 394, il ne faut pas confondre le contrôle du résultat et le contrôle du travailleur. Au paragraphe 10 de la décision, il écrit :

Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

25         [...] Plusieurs indices peuvent être pris en considération afin de détecter la présence ou l'absence d'un lien de subordination. Dans sa décision dans l'affaire Seitz c. Entraide populaire de Lanaudière inc., Cour du Québec (chambre civile), no 705-22-002935-003, 16 novembre 2001, [2001] J.Q. no 7635 (Q.L.), la juge Monique Fradette de la Cour du Québec a fourni une série d'indices pouvant permettre de déterminer s'il y a subordination ou non. Voici comment elle s'exprimait sur ce point aux paragraphes 60 à 62 du jugement :

60         La jurisprudence exige, pour qu'il y ait un contrat de travail, l'existence d'un droit de surveillance et de direction immédiate. Le simple fait qu'une personne donne des instructions générales sur la manière d'effectuer le travail, ou qu'elle se réserve un droit d'inspection et de supervision sur le travail, ne suffit pas à convertir l'entente en un contrat de travail.

61         Une série d'indices développée par la jurisprudence permet au tribunal de déterminer s'il y a présence ou non d'un lien de subordination dans la relation des parties.

62         Les indices d'encadrement sont notamment :

            - la présence obligatoire à un lieu de travail

            - le respect de l'horaire de travail

            - le contrôle des absences du salarié pour des vacances

            - la remise de rapports d'activité

            - le contrôle de la quantité et de la qualité du travail

            - l'imposition des moyens d'exécution du travail

            - le pouvoir de sanction sur les performances de l'employé

            - les retenues à la source

            - les avantages sociaux

            - le statut du salarié dans ses déclarations de revenus

            - l'exclusivité des services pour l'employeur

[25]     La plupart des indices d'encadrement énumérés ci-dessus se retrouvent dans la cause présentement sous étude. Précisions, toutefois, que l'appelant ne bénéficiait pas de vacances ou d'avantages sociaux autres que ceux assurés par les retenues à la source faites par le payeur.

[26]     À l'audience, l'intervenante est venue appuyer la prétention du ministre quant à la nature de la relation entre elle et l'appelant. Les témoins ont prétendu que l'appelant et les autres travailleurs n'avaient pas d'horaire à suivre, qu'ils étaient libres d'assister aux séances de formation et qu'ils pouvaient offrir leurs services à d'autres employeurs, bref, que ceux-ci étaient des travailleurs autonomes. Cependant, la prépondérance de la preuve appuie la prétention de l'appelant que ceux-ci étaient au service du payeur en tant que salariés, dans une relation employeur-employé.

[27]     Il convient d'énumérer certains faits établis par la preuve de l'appelant et ses témoins. Notons en particulier les faits suivants :

1.          la formation obligatoire destinée aux vendeurs;

2.          le contrôle des présences aux séances de formation;

3.          la présence obligatoire des vendeurs au complément de formation et de motivation d'après-midi;

4.          l'obligation imposée aux vendeurs de produire des rapports de vente;

5.          l'obligation de préparer un rapport selon les 25 règles établies par le payeur;

6.          la défense absolue de travailler pour d'autres payeurs;

7.          le choix, par le payeur, du client et de l'heure de la rencontre avec celui-ci ;

8.          l'obligation d'accepter le client choisi par le payeur;

9.         l'interdiction au vendeur de se choisir un remplaçant;

10.        le contrôle absolu du payeur sur la méthode de paiement des commissions, ainsi que sur le montant alloué à la vente et du montant de son exigibilité.

[28]     Dans son témoignage en faveur de l'appelant, Jean-Guy O'Connor a voulu illustrer le degré de contrôle du payeur sur les travailleurs. Il a affirmé avoir été pénalisé par le payeur en raison d'une absence du travail pour visiter son fils à l'hôpital.

[29]     Dans la présentation de sa preuve, la Cour a noté que l'intervenante, à l'appui du ministre, s'est appliquée à dénigrer l'appelant et à mettre en doute la preuve orale de l'appelant et des rapports détaillés qu'il a préparés. Cependant, malgré ces efforts, la preuve du payeur est demeurée contradictoire et invraisemblable à bien des égards. En particulier, le témoignage de monsieur Lazarikis n'a rien apporté au débat qui puisse aider la cause de l'intervenante et celle de l'intimé. Son témoignage a été vague et confus, nébuleux et contradictoire, et par conséquent, discutable et douteux. Son témoignage est venu valider l'affirmation de l'appelant selon laquelle il méprisait les travailleurs qui n'étaient pas des travailleurs autonomes. Ce dernier l'a même affirmé à l'audience. Au contraire, la preuve de l'appelant a été claire et précise et bien présentée et rédigée. À mon avis, cette preuve est authentique et crédible.

[30]     La preuve a également révélé que l'appelant travaillait sous le contrôle et la direction du payeur qui dirigeait ses travailleurs à chaque étape de leur prestation de travail. Ce contrôle s'exerçait sur le résultat du travail, mais se manifestait aussi dans la méthode utilisée ainsi que dans l'exercice des fonctions de l'appelant. La rémunération de l'appelant était fixée par le payeur et n'était pas discutable.

[31]     L'appelant a fait la preuve que le payeur détenait l'exclusivité de ses services et que l'appelant recevait du payeur la liste des clients qu'il devait solliciter.

[32]     Il est important de souligner qu'en dépit de l'expérience de l'appelant dans le domaine de la vente, il a suivi une formation durant deux semaines. Le payeur fournissait à l'appelant ainsi qu'aux autres vendeurs des séances régulières de formation.

[33]     La rétribution du travailleur par voie de commission sur les ventes n'empêche pas que le travail soit fait en vertu d'un contrat de louage de services, visé à l'alinéa 5(1)a) de la Loi. Ainsi, la prestation de travail de l'appelant, si elle est conforme aux exigences de l'article 2085 du Code civil du Québec, sera reconnue comme une prestation faite en fonction d'un contrat de travail, peu importe le mode de rétribution.

[34]     La Cour est d'avis que la preuve orale entendue à l'audience, ainsi que les documents produits, établissent de façon non équivoque le lien de subordination existant entre l'appelant et le payeur. Il suffit de constater la formation fournie par le payeur et les directives et les consignes que contiennent les divers documents produits sous les cotes A-3, A-4, A-5 et A-6.

[35]     Par ailleurs, les formulaires T4 de l'appelant pour les années 2003 et 2004, produits à l'audience sous la cote A-7, confirment que le payeur reconnaît l'appelant comme étant son employé pour la période en litige. Il faut préciser que les arguments avancés par le payeur dans le but d'en réduire l'importance et la pertinence n'ont pas été convaincants. La Cour est du même avis relativement à la teneur, à l'importance et à la pertinence du relevé d'emploi remis par le payeur à l'appelant et produit sous la cote A-10.

[36]     Il est important de souligner également que les documents suivants, produits à l'audience, viennent aussi appuyer les prétentions de l'appelant :

1.          Les pièces A-3 et A-4 sont des formulaires préparés par le payeur pour l'usage des travailleurs où ceux-ci inscrivaient les données propres au client et les modalités de la vente.

2.          La pièce A-5 est un formulaire fourni à l'appelant et aux autres travailleurs où ceux-ci inscrivent leurs rapports sur les ventes selon les critères des 25 règles de l'engagement.

3.          La pièce A-6, décrite ci-dessus, énumère les 25 règles de l'engagement, et trace une journée type d'un vendeur et révèle la procédure à suivre après chaque vente.

4.          La pièce A-7 révèle la nature de la relation de travail de l'appelant avec le payeur. C'est le T4 remis par le payeur à l'appelant, ainsi qu'à Revenu Canada et Revenu Québec, pour les années 2003 et 2004.

5.          La pièce A-10 est représenté le relevé d'emploi de l'appelant préparé par le payeur pour la période en litige. Ce document indique également la relation employeur-employé existant entre l'appelant et le payeur.

L'appelant avait le fardeau de prouver la fausseté des présomptions de fait du ministre et à mon avis, il s'est acquitté de cette tâche.

[37]     Les faits recueillis à l'audience ont clairement établi les trois conditions essentielles à l'existence d'un contrat de travail, à savoir la prestation de travail par le salarié, la rémunération de ce travail par l'employeur et le lien de subordination.

[38]     La Cour d'appel fédérale a énoncé les principes qui s'appliquent à la résolution du problème présenté à la Cour dans l'arrêt Légaré c. Le ministre ministre du Revenu national, no A-392-98, 28 mai 1999, [1999] A.C.F. no 878, dont voici un extrait :

La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L'expression utilisée introduit une sorte d'élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu'il s'agit sans doute d'un pouvoir dont l'exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n'est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l'impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[39]     En raison de la preuve recueillie, la Cour doit conclure que les faits supposés ou retenus par le ministre ne sont pas réels et n'ont pas été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus. La preuve présentée à l'audience mène à la détermination que la conclusion dont le ministre était « convaincu » ne paraît plus raisonnable.


[40]     En conséquence, l'appel est accueilli et la décision rendue par le ministre est annulée.

Signé à Grand-Barachois (Nouveau-Brunswick), ce 14e jour de décembre 2006.

« S.J. Savoie »

Juge suppléant Savoie


RÉFÉRENCE :                                   2006CCI637

N º DU DOSSIER DE LA COUR :       2006-1441(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               ROGER TURCOTTE ET M.R.N. ET RÉNOVATIONS MÉTROPOLITAINES (QUÉBEC) LTÉE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 22 Septembre 2006

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :        L'honorable S.J. Savoie, juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :                    le 14 décembre 2006

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocate de l'intimé :

Me Chantal Roberge

Avocat de l'intervenante

Me Camille Bolté

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

       Pour l'appelant:

                   Nom :                             

                   Étude :

       Pour l'intimé :                              John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada




SOURCE: http://decision.tcc-cci.gc.ca/fr/2006/html/2006cci637.html Générée le 2006-12-22