Droits économiques et sociaux

Le dialogue bilatéral du Canada avec la Chine


Présentation au

Sous-comité des droits de la personne et du développement international du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, 

Parlement du Canada


le 31 octobre 2006


Je tiens à remercier le Sous-comité des droits de la personne et du développement international d’avoir invité Droits et Démocratie. Normalement, c’est le président de notre organisme, M. Jean-Louis Roy, qui se présenterait devant vous. Pour l’occasion, je remplace M. Roy, car il se trouve à l’étranger en ce moment.

Droits et Démocratie croit que le dialogue bilatéral du Canada avec la Chine sur les droits humains devrait se poursuivre, mais pas sous sa forme actuelle. Il est préférable de discuter que de ne pas discuter. Cependant, la conversation doit mener quelque part et ne pas servir de leurre par rapport aux questions de droits humains fondamentaux.

Dans ce contexte, Droits et Démocratie formule les cinq suggestions suivantes afin d’améliorer l’efficacité du dialogue :


1.
Il faudrait définir clairement la finalité du dialogue. Quels objectifs vise-t-il ? Que tente-t-on de réaliser ? Après neuf sessions, les réponses à ces questions capitales demeurent floues. Il existe une certaine confusion, pour ne pas dire une divergence, entre les opinions des autorités chinoises et celles des représentants canadiens. Le moment est venu d’aller plus loin que la formule « des séances de parlotte » et d’adopter une approche plus ciblée avec des objectifs clairement exprimés. Une des principales constatations du rapport Burton est qu’après une période de près de 10 ans, l’on ne peut même pas prouver que le dialogue a donné un seul résultat significatif.

Il est vrai que chacune des sessions de dialogue portait sur un thème – l’égalité, les mécanismes des Nations Unies, le racisme, les conditions de détention, les droits des femmes, etc. – pourtant, elles n’ont produit aucun résultat concret.

Par conséquent, le dialogue pourrait profiter grandement d’un plan d’action à long terme qui serait adopté d’un commun accord. Cela permettrait aux parties de mesurer les résultats, d’évaluer les progrès à partir de critères et d’établir un lien entre les discussions générales et des changements précis sur le terrain. (Par exemple, on peut prendre des mesures spécifiques en ce qui concerne les listes de prisonniers et le soutien accordé aux défenseurs des droits humains.)

Nous recommandons donc que le Canada et la Chine définissent d’abord la finalité du dialogue, puis qu’ils établissent un plan d’action visant des résultats précis et mesurables.

De cette manière, quand il y aura du progrès sur une question, il sera possible de le prouver. En cas de recul ou d’absence de changement, il sera également possible de le prouver et de prendre des mesures adéquates.


2.
Le dialogue devrait se dérouler avec les interlocuteurs compétents en Chine et dans le cadre d’une approche « pangouvernementale » au Canada. Cela exige trois éléments : (a) Le dialogue devrait impliquer des représentants des échelons supérieurs du gouvernement des deux pays – c’est-à-dire à tout le moins au rang de sous-ministres.

(b) Le dialogue devrait se dérouler avec les ministères chinois qui détiennent bel et bien un mandat par rapport aux questions nationales. Le ministère chinois des Affaires étrangères n’a pas le mandat d’améliorer la situation des droits humains à l’intérieur du pays, mais bien celui de défendre les intérêts du pays à l’étranger. D’autres ministères peuvent jouer un rôle plus pertinent : le ministère de la Justice, le ministère de la Sécurité publique, le ministère de l’Éducation ou des Communications, etc.

(c) À l’intérieur du Canada, l’adoption d’une approche « pangouvernementale » rendra le dialogue beaucoup plus efficace. La coordination entre les diverses directions du gouvernement renforcera le message du Canada. (Par exemple, les programmes de l’ACDI sur les droits humains en Chine peuvent être adaptés ou associés aux thèmes du dialogue.)

Nous recommandons donc d’élargir le dialogue afin d’y intégrer divers autres ministères chinois ayant une compétence utile et d’utiliser une approche « pangouvernementale » au Canada.


3.
Pour tout dialogue, la clé du succès réside dans des communications ouvertes et efficaces – cela signifie la publication de documents dans les langues appropriées, de bons services d’interprétation et l’échange d’information avec les parties intéressées à l’extérieur du processus officiel du dialogue.

Cette observation soulève deux éléments. Premièrement, jusqu’ici, le dialogue s’est déroulé de manière plutôt secrète, ce qui a entraîné bien peu d’échange d’information avec la communauté dans son ensemble qui pourrait bénéficier du contenu des discussions. Deuxièmement, la contribution ou la participation officielle de la société civile au processus du dialogue a été inadéquate (par exemple le manque de suivi avec la société civile au Canada, la sélection d’ONG favorables au gouvernement en Chine et ainsi de suite).

Nous croyons que les organisations de la société civile qui possèdent de l’expertise relativement aux droits humains en Chine devraient jouer un rôle important dans le processus du dialogue. De plus, cela ouvrira la porte à l’établissement d’une collaboration et de liens directs entre la société civile canadienne et les organisations de la société civile chinoise.

Nous recommandons donc que les participants des deux parties au dialogue échangent régulièrement des informations avec leurs sociétés respectives, assurent une intégration plus complète de la société civile au processus du dialogue et encouragent l’établissement de liens directs de société civile à société civile.


4.
Il faut situer le dialogue dans le contexte plus large des inquiétudes croissantes au sujet de la situation des droits humains en Chine. Tout d’abord, le dialogue ne devrait pas être le seul véhicule dont dispose le Canada pour aider à améliorer les droits humains dans ce pays. Les mécanismes multilatéraux tels que le Conseil des droits de l’homme demeurent des instruments efficaces à cet égard.

De plus, d’autres pays ont engagé avec la Chine dans des dialogues semblables sur les droits humains – les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Norvège, la Suède, l’Allemagne, le Japon (pour n’en nommer que quelques-uns). La coordination du Canada avec ces pays à propos du dialogue – connu sous le nom de processus de Berne – est importante pour des raisons d’efficacité et elle devrait être renforcée.

Nous recommandons donc au gouvernement canadien de ne pas considérer le dialogue bilatéral comme une politique du « tout ou rien » et d’explorer d’autres moyens complémentaires de s’impliquer avec la Chine sur les droits humains. Il faudrait aussi continuer à améliorer la coordination dans le cadre du processus de Berne.


5.
Enfin, il s’agit d’une remarque évidente, mais elle vaut la peine d’être faite : pour que le processus du dialogue bilatéral soit efficace et qu’il ait un impact véritable, le gouvernement du Canada doit y investir plus de ressources.


Conclusion

Droits et Démocratie croit que les droits humains devraient être au cœur des relations entre le Canada et la Chine. Nous ne considérons pas que les droits humains s’opposent aux possibilités d’affaires; nous ne croyons pas que la relation entre les droits humains et les intérêts nationaux est une situation gagnant-perdant.

En fait, nous soutenons que les droits humains, la primauté du droit, l’application régulière de la loi et d’autres pratiques démocratiques sont bonnes pour les affaires, pour les investissements, pour le commerce et le développement – en Chine et ailleurs.

Dans sa forme actuelle, le dialogue bilatéral du Canada avec la Chine ne sert pas les droits humains en Chine. Cela ne signifie pas pour autant qu’il devrait être entièrement mis au rancart – peut-être suspendu temporairement –, mais il devrait être revu et amélioré en le dotant d’une orientation, d’une vision et d’une organisation claires.

C’est un cliché de dire que la Chine est une superpuissance en émergence. Le Canada doit s’engager avec elle, de manière constructive, dans le cadre d’un partenariat stratégique clair. Et le dialogue pourrait être un des véhicules à cette fin – mais pas dans sa forme inefficace actuelle.

Merci beaucoup.

Razmik Panossian,

Directeur des Politiques, des programmes et de la planification, Droits et Démocratie

 

Références :

Le présent texte s’inspire largement de recherches et de publications relatives au dialogue bilatéral Canada-Chine sur les droits humains. Veuillez consulter les documents suivants :

1) Lettre au premier ministre Harper, Coalition canadienne pour les droits de la personne en Chine, 6 octobre 2006

2) Preliminary Comments on the Government of Canada Assessment of the Canada-China Bilateral Human Rights Dialogue, Droits et Démocratie, 16 juin 2006 (version préliminaire inédite)

3) Le dialogue bilatéral du Canada avec la Chine sur les droits humains : Considérations en vue d’une révision des politiques, Droits et Démocratie, juin 2005

4) Le dialogue bilatéral avec la Chine affaiblit le système international de protection des droits humains, Droits et Démocratie, janvier 2001

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