ALLOCUTION PRONONCÉE DEVANT UN GROUPE DE SPECIALISTES DES RELATIONS INTERRACIALES
Au cours des deux derniers jours, nous avons beaucoup parlé d?éducation. J?aimerais souligner le rôle fondamental que l?histoire devrait jouer. Cela me rappelle d?ailleurs les propos d?un ami. Il m?a dit qu?un chasseur autochtone a déclaré : « Nous ne connaîtrons jamais le courage des caribous tant et aussi longtemps que leur histoire sera racontée par les chasseurs ».
Jean Claude Icart
Jean Claude Icart est assistant à la recherche au département de sociologie de l?Université du Québec à Montréal. Il est également un chef de file reconnu par la communauté haïtienne.
Bonjour. J?aimerais vous faire part de quelques idées qui me sont venues au cours des deux jours que nous avons partagés.
Je suis tout d?abord préoccupé par l?extrême sophistication des moyens utilisés par les groupes racistes. La prolifération des groupes haineux sur l?Internet est devenue un grave problème, surtout depuis que les messages qu?ils transmettent sont maintenant formulés de façon «politiquement correcte». Nous sommes rendus au point que dans le cas d?une confrontation avec des personnes racistes, l?une d?entre elles peut détenir un diplôme en droit et l?autre peut posséder une arme à feu. Il n?est pas certain que celle possédant l?arme à feu soit la plus dangereuse. L?un des défis que nous posent dorénavant ces groupes, c?est de pouvoir déchiffrer leurs débats. Il est inquiétant de constater qu?ils fonctionnent de façon aussi recherchée.
Deuxièmement, et je ne m?étendrai pas sur ce point puisque monsieur André Jacob en a parlé un peu plus tôt, une autre de mes préoccupations relève de toute la question du développement économique et de la prospérité économique. Lorsque nous parlons de progrès économique, l?image qui me vient à l?esprit est celle d?une bande élastique. Vous pouvez l?étirer, bien sûr, et l?étirer encore davantage, mais la tension exercée peut être trop grande. À mon avis, la tension et les pressions créées par les conditions d?inégalité et d?exclusion ont atteint un point névralgique.
Troisièmement, au cours des deux derniers jours, nous avons beaucoup parlé d?un autre point essentiel, à savoir l?éducation. J?aimerais souligner le rôle fondamental que l?histoire peut jouer dans l?éducation interculturelle. Ce point a d?ailleurs été soulevé par plusieurs conférenciers, notamment Kahn-Tineta Horn, Aoua Bocar Ly et Minnijean Brown-Trickey. Cette discussion m?a rappelé les propos d?un ami. Il m?a dit qu?un chasseur autochtone a déclaré : « Nous ne connaîtrons jamais le courage des caribous tant et aussi longtemps que leur histoire sera racontée par les chasseurs ».
Ma quatrième préoccupation porte sur le débat actuel entourant le concept du multiculturalisme. Ce concept a fait l?objet de nombreuses critiques au cours des dernières années sous prétexte qu?il tend beaucoup trop à être perçu comme une mosaïque culturelle. Auparavant, nous parlions surtout d?interculturalisme; de nos jours, nous parlons davantage des concepts de citoyenneté ou de nationalité. Il peut s?agir d?une évolution, mais comme le professeur Elliston le mentionnait, il y a deux jours, cette discussion peut être extrêmement dangereuse. En effet, en reconnaissant la citoyenneté, l?égalité et les concepts relatifs à la participation entière et équitable de tous, nous risquons d?oublier quelque chose de très important. Il existe une énorme différence entre la reconnaissance de la diversité et de la citoyenneté, et la validation du concept de la diversité et de l?acceptation totale des autres. En nous efforçant de reconnaître la diversité, nous cessons de poursuivre nos objectifs, à peine définis, de tolérance, de participation et d?égalité. Par conséquent, nous risquons de négliger les objectifs établis en faisant ressortir les obstacles véritables aux dépens de la participation entière des autres. Sur ce point, j?aimerais également dire quelques mots sur la vigilance des programmes d?emploi en matière d?équité. Nous avons entendu, dans différents ateliers, que les taux d?embauchage étaient relativement satisfaisants. En moins d?un an, cependant, il a été remarqué que la plupart des gens embauchés avaient quitté leurs emplois, la plupart d?entre eux parce qu?ils étaient découragés. Peut-être devrions-nous nous pencher davantage sur la gestion de la diversité au lieu de nous concentrer uniquement sur les taux d?embauchage.
Enfin, nous devons agir avec prudence et faire en sorte que nos discussions sur le racisme n?auront pas pour effet de le promouvoir. J?aimerais souligner que pour certains jeunes, la tentation d?accepter d?emblée les idéologies fondées sur le racisme, la violence et la discrimination à rebours puisse être très forte. Je vous remercie de votre attention.
Autres questions
En soulevant de nombreuses questions intimement liées, Jean Claude Icart analyse la complexité du racisme et, par conséquent, la complexité des stratégies nécessaires pour lutter contre le racisme. Ces stratégies évolueront selon l?environnement politique et socio-économique contemporain. Les résultats inattendus devront peut-être également faire l?objet d?une analyse .
Répercussions éventuelles
Il est important de se pencher sur les tactiques contemporaines utilisées par les groupes haineux. Des stratégies devront être redéfinies ou modifiées en conséquence.
Les questions économiques relatives aux programmes d?équité ont atteint un point critique.
Il existe un rapport entre le système d?éducation et la dégradation de l?histoire, les réalités contemporaines et les connaissances complexes des groupes marginaux.
Le multiculturalisme ne devrait pas être considéré purement comme une acceptation de la diversité culturelle, mais comme un concept encourageant l?égalité par le truchement d?éléments structurels d?équité et d?intégration complète de la diversité.
Les mouvements de lutte contre le racisme devraient s?appliquer à mettre l?accent sur l?équité et non sur les dissensions, le soupçon et la violence.
