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Le 24 septembre 2007

Quel rôle pour le diffuseur public face aux défis de la cohabitation et de la protection des identités culturelles?

Notes pour un discours de Sylvain Lafrance, vice-président principal des Services francais de CBC/Radio-Canada, à la Société Gatineau Monde

Bonsoir,

Je voudrais d’abord remercier la Société Gatineau Monde de son invitation et de l’occasion qui m’est donnée de vous parler de sujets qui me passionnent. En fait, il y a plusieurs raisons qui font que je suis très heureux d’être ici ce soir.

D’abord, je dois vous avouer qu’après 29 ans à Radio-Canada, quand je rentre au travail chaque matin, je ressens toujours la même passion. Chaque jour, on rencontre des géants, les défis sont extraordinaires… Alors, je suis toujours aussi enthousiaste lorsqu’on me demande de parler de Radio-Canada et de nos projets d’avenir.

Une autre de ces raisons, c’est qu’en lisant ce que vous êtes, vous, la Société Gatineau Monde, et ce que vous avez fait ces dernières années, j’ai constaté qu’il y a beaucoup d’éléments dans les objectifs et la mission de la Société Gatineau Monde qui ressemblent à la façon dont on décrit la mission du diffuseur public au pays.

En beaucoup d’endroits, nous nous rejoignons puisqu’on se décrit de plus en plus, à Radio-Canada, comme un outil de démocratie et de culture. Le diffuseur public « crée », en quelque sorte, de la démocratie et de la culture. Radio-Canada est donc là pour enrichir la vie démocratique et culturelle des citoyens. C’est de cette façon que l’on décrit notre travail aujourd’hui, mais c’est plus complexe que l’on pourrait le penser parce qu’une fois qu’on a formulé l’énoncé, il faut définir les notions de démocratie et de culture parce qu’elles ont fort probablement changé de sens au tournant du siècle.

On ne vit pas la démocratie aujourd’hui de la même façon qu’on la vivait en 1980, par exemple. Même chose avec la culture, mais j’y reviendrai. Ce sont donc aujourd’hui des termes extrêmement différents d’alors. Je peux vous donner un exemple en vous posant une question : quels sont ceux d’entre vous qui n’ont pas vu à la télévision les attentats du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center? À peu près personne. Et si je vous demandais combien d’entre vous ont vu ces images moins de cent fois? Il y aurait peut-être un peu plus de gens qui pourraient répondre oui. C’est dire à quel point les images nous ont été montrées souvent. Si je demandais maintenant qui peut expliquer pourquoi c’est arrivé, j’aurais probablement encore très peu de mains levées parce que c’est un problème extrêmement complexe. Cela illustre une chose qui se passe aujourd’hui dans le monde des médias en général : le monde est de plus en plus visible, mais de moins en moins compréhensible.

Cela soulève un défi assez particulier dans le monde des médias parce que tout le monde a vu ce qui s’est passé. La capacité d’explication diminue alors que la complexité des phénomènes grandit chaque jour.

Il est pour nous extrêmement difficile de définir, aujourd’hui, le rôle du diffuseur public face à ces réalités et comment nous devons permettre au citoyen d’appréhender et de comprendre le monde dans lequel il vit. Je vous disais aussi que ces notions ont extrêmement changé parce que créer de la démocratie, créer de la culture, c’est bien joli mais qu’est-ce que cela signifie, exactement, dans le contexte actuel?

Notre première tâche, comme diffuseur public, est probablement de définir qu’est-ce qui a changé dans la façon, pour le citoyen, de vivre la démocratie et la culture. La réponse devrait nous inciter à changer notre façon d’informer le citoyen, de le divertir et de concevoir nos émissions.

Prenons seulement le terme « démocratie ». Dans tout ce qui a changé, je vous dirais que les moyens technologiques de vivre la démocratie ont beaucoup évolué. Internet est devenu un outil puissant qui permet, par exemple, à des groupes de pression ou simplement à des groupes d’intérêts d’un peu partout sur la planète et sans aucune frontière de se retrouver et de vivre une certaine démocratie.

Les moyens d’information ont aussi énormément progressé. L’information s’est aujourd’hui multipliée, ce qui crée également un impact majeur sur la démocratie. La mobilité des personnes dans le monde, l’immigration et la mondialisation, ont changé beaucoup de choses et ont suscité de nouveaux débats sociaux extrêmement importants et qui occupent aujourd’hui une large place dans le débat démocratique.

Donc, on peut penser que la définition de la notion de démocratie s’est fondamentalement transformée au tournant du siècle et que l’on doit essayer, en tant que diffuseur public, de s’adapter à ces changements. On doit se demander, comme diffuseur public, quels sont les moyens qu’il faut se donner pour répondre à cette nouvelle réalité et donner aux citoyens les outils pour leur permettre d’avoir une vie démocratique et une vie culturelle saines.

Je pourrais dire la même chose du mot culture, qui a lui aussi beaucoup changé au tournant du siècle. D’abord, on pourrait donner 1 500 définitions du mot culture sans vraiment arriver à le définir complètement. Mais il reste que, encore une fois, les vagues successives d’immigration, la mondialisation et les nouveaux moyens technologiques changent beaucoup de choses dans la manière dont nous vivons notre culture et dans la façon dont nous la définissons. Il n’y a qu’à suivre depuis quelques semaines les travaux de la Commission Bouchard-Taylor pour comprendre que les définitions de culture varient beaucoup, que les gens se sentent parfois menacés et parfois enthousiastes par rapport aux enjeux culturels du siècle. Il reste qu’il s’agit d’une question fondamentale et que la définition de la notion de culture est en constante évolution.

On pourrait réfléchir aussi aux définitions des mots « communication » et « journalisme » parce qu’elles ont aussi évolué. On parle aujourd’hui, au XXIe siècle, de journalisme citoyen, c’est-à-dire que le citoyen devient capable d’informer lui-même un grand nombre de personnes grâce à des outils de communication à la portée de tout le monde et faciles d’utilisation. Le monde des communications a complètement changé.

Un autre changement est survenu dans les années 1990 : l’éclatement complet de la notion de proximité. Par exemple, quand je vivais à Maniwaki dans les années 1950 et 1960, alors que j’étais jeune, la notion de proximité était assez élémentaire. Il y avait le village, le perron de l’église et la région autour. Grosso modo, il y avait la radio et pas encore tout à fait la télévision. La notion de proximité était encore assez simple puisque nous rencontrions des gens qui vivaient relativement près de nous. La proximité était une notion encore assez géographique.

Aujourd’hui, avec l’éclatement des moyens de communication, avec la mobilité accrue des personnes sur la planète, la proximité est devenue une notion qui n’est pas que géographique. On peut être proche d’une personne parce qu’on aime la philatélie et communiquer avec elle qu’elle vive au Pakistan, en Birmanie, en Russie ou ailleurs. Il nous est relativement simple de communiquer chaque jour avec des gens qui partagent une même passion, une même religion, une même politique que nous sur l’ensemble de la planète. La notion de proximité a donc complètement changé.

Pour moi qui a passé la majeure partie de ma carrière à la radio, vous savez, quand nous allions dans les congrès aux États-Unis il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années, les Américains nous disaient qu’il y avait trois choses importantes : « Localism, localism, localism. » Ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui parce que l’on peut capter, par satellite ou par Internet, des radios qui se spécialisent dans des centaines sinon des milliers de sujets. Il y a des gens qui s’identifient à ces radios et qui les écoutent sans que ce soit l’antenne la plus proche de chez eux.

Il y a donc un éclatement complet de la notion de proximité, qui doit nous amener à réfléchir, comme diffuseur public, sur ce que le citoyen veut savoir de sa planète. Quand on regarde les questions de proximité et de démocratie, il faut dire quelque chose d’important : il est très possible que la cour de l’école où vont vos enfants soit menacée sans que cela n’ait rien à voir avec votre conseil municipal ou votre commission scolaire. La décision a peut-être été prise à Atlanta il y a quelques semaines. À part les questions de zonage, c’est comme un train en marche difficile à arrêter parce que c’est une entreprise puissante qui a décidé de s’installer dans votre cour d’école. C’est une réalité qu’il faut bien saisir si nous voulons jouer un rôle actif dans notre démocratie, dans notre environnement et dans notre vie. Il faut bien comprendre les enjeux internationaux, sinon, il nous manque une grande partie du portrait global.

Cette nouvelle réalité nous donne une responsabilité particulière, celle d’aider les gens, dans le domaine de l’information ainsi que dans les domaines culturel et musical, à appréhender le monde dans lequel ils vivent parce que ce n’est pas simple. Nous, à Radio-Canada, sommes des « créateurs » de communication. C’est donc une question qui doit nous obséder.

De façon générale, comment réagissent les grands diffuseurs, les grands opérateurs, les grands financiers qui influent sur le monde des médias face à ces enjeux? Généralement, la réponse que l’on voit est plutôt technologique et économique.

D’abord, sur le plan technologique, on dit : « Les gens ont besoin d’information, super! On va lancer de nouveaux ‘tuyaux’ et de nouveaux bidules pour diffuser l’information. » On peut diffuser sur un téléphone cellulaire, sur un iPod, sur une montre, etc. On trouve toutes sortes de nouvelles façons de communiquer l’information. Alors, il s’agit d’une réponse technologique intéressante, mais on diffuse plus souvent qu’autrement un peu la même chose sur différentes plateformes. On ne réfléchit pas vraiment aux questions fondamentales quand on fait cela, et il y a de plus en plus de bidules et de « tuyaux » pour diffuser l’information.

Les réponses économiques sont les mêmes. On se demande quels sont les modèles économiques qui nous permettront de lancer de nouveaux bidules et de nouveaux
« tuyaux » pour diffuser du contenu.

Bien sûr, plus on crée de nouveaux bidules, plus cela fait rouler l’économie, mais cela empêche de se poser des questions qui sont beaucoup plus fondamentales. Ces nouveaux « tuyaux » et ces nouveaux bidules servent à se dire quoi? Est-ce qu’ils nous amènent à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons? Est-ce qu’ils créent un certain « vivre ensemble » qui devrait exister au XXIe siècle? Est-ce qu’ils nous aident à comprendre l’autre et à comprendre le siècle dans lequel on vit? Si la réponse est non, on pourrait quadrupler le nombre de « tuyaux » sans régler quoi que ce soit dans le domaine de la communication, parce que la communication humaine n’est pas une affaire de « tuyaux ».

Souvent, les réponses qu’apportent les grands groupes médias sont justement des réponses technologiques et économiques alors que les enjeux ne sont ni technologiques ni économiques. Ce sont des enjeux culturels et sociaux. En bout de ligne, ce sont des enjeux de civilisation.

Parallèlement, dans nos sociétés démocratiques – au Canada comme ailleurs – il se produit trois grands phénomènes qui avancent de front et qui frappent le monde des médias. Le premier phénomène est celui de la concentration des médias. Le CRTC termine justement des audiences sur cette question de la diversité des voix. On s’interroge à savoir s’il y a trop de concentration des médias au Canada ou s’il n’y en a pas assez parce que si nos médias ne sont pas assez gros, ils ne pourront pas faire le poids sur la scène internationale. Donc, cette question de la concentration des médias est actuellement au centre de beaucoup de réflexions au pays.

Le deuxième phénomène qui se produit est celui de la déréglementation. Là aussi, l’ensemble des sociétés industrialisées réfléchit à la question de la déréglementation. Est-ce qu’il y a trop de réglementation? Est-ce que l’on aurait bâti un « château » réglementaire tellement complexe que les entreprises ne pourraient plus y vivre?

Le troisième mouvement, après la concentration et la déréglementation, c’est la mondialisation. Elle aussi avance à grands pas et on pense qu’elle pourrait menacer les identités culturelles, suffisamment pour que l’UNESCO se penche sur cette question et adopte une convention pour protéger la diversité des expressions culturelles.

Ces trois mouvements sont assez importants. Pour ma part, j’aime à dire qu’il n’y a pas un seul de ces mouvements qui m’inquiète en soi. C’est-à-dire, par exemple, que la concentration des médias n’est pas un sujet qui m’empêche complètement de dormir. Bien sûr, il y a concentration des médias. Oui, il faut contrôler cette concentration. Oui, beaucoup de pays industrialisés ont travaillé sur le dossier de la concentration des médias. Mais, en même temps, tout le monde reconnaît qu’il faut une certaine concentration des médias si l’on veut créer des économies d’échelle et améliorer la qualité du contenu qui est produit. Par conséquent, la concentration des médias en soi ne m’empêche pas de dormir.

La déréglementation en soi, ne m’empêche pas non plus de dormir. Effectivement, peut-être que dans les années 1980 et 1990, nos gouvernements – au Canada comme ailleurs – ont construit des systèmes réglementaires qui se sont superposés les uns sur les autres et qui ont fini par devenir assez difficiles à gérer pour tout le monde. C’est vrai qu’il faudrait peut-être revoir toutes ces questions de réglementation. Mais cela ne m’empêche pas de dormir non plus.

La mondialisation non plus ne m’empêche pas tout à fait de dormir parce que, d’abord, je pense que c’est une réalité incontournable du XXIe siècle. MacLuhan l’avait déjà à peu près prédite. Ce phénomène n’amène cependant pas que des conséquences néfastes. Il suscite des réflexions de société et un bouillonnement de culture très intéressants. Donc, la mondialisation, elle non plus, ne m’empêche pas de dormir.

La question est donc : qu’est-ce qui peut bien m’empêcher de dormir, alors? En fait, ce qui m’empêche quelques fois de dormir, c’est que ces trois mouvements – la concentration, la déréglementation et la mondialisation – arrivent en même temps. C’est plus inquiétant parce que, si l’on ne gère pas l’un en pensant à l’autre, il peut se produire quelque chose. Si je caricaturais, je dirais qu’un jour, on concentrera toutes les entreprises de presse, on déréglementera tout – y compris la propriété étrangère – et on vendra tout aux Américains. Là, il y aura une vraie menace pour l’identité culturelle canadienne. Donc, quand je vois ces trois mouvements arriver en même temps, je m’inquiète un peu et je me dis :
« J’espère qu’il y a un pilote dans l’avion car si on concentre tout, si on déréglemente tout et si on mondialise tout, il sera peut-être trop tard pour protéger les identités culturelles. »

Voilà pourquoi il est extrêmement important pour moi de faire ce débat et de poser au moins une question de base : est-ce que l’ensemble de ces mouvements, de ces nouvelles technologies et de ces phénomènes menace l’identité culturelle – notamment l’identité culturelle canadienne mais aussi les identités en général – et est-ce qu’il menace la culture et la démocratie? Ma réponse est : « Pas nécessairement. » Mais elle mérite au moins un questionnement sérieux et que l’on s’y arrête pour ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Quelle devrait être la réponse d’un diffuseur public et quelle réponse offrons-nous, à Radio-Canada, face à l’ensemble de ces phénomènes? Comment réfléchit-on à ces phénomènes et comment voit-on se dessiner la trajectoire de ce que devrait être le service public au XXIe siècle? On a adopté, aux Services français de CBC/Radio-Canada, un « plan global » qui se définit en trois temps.

Le premier élément sur lequel on doit travailler concerne la programmation. Évidemment, c’est notre fonction essentielle. Quel genre d’émissions doit-on offrir? Quelle programmation doit-on diffuser pour répondre à l’ensemble des phénomènes dont on vient de parler et pour aider les citoyens à comprendre le monde? Il est évident que le service public doit offrir une programmation qui est de plus en plus distinctive. Elle doit se distinguer très nettement de ce qui se fait dans le secteur privé. C’est évident que l’on doit le faire et ce, de plus en plus.

Par exemple, si l’on regarde la grille de la Télévision de Radio-Canada cette année, il y a notamment, parmi les nouveautés, une grande émission internationale avec Jean-François Lépine qui commence cette semaine et qui s’appelle Une heure sur terre; une nouvelle grande émission culturelle le dimanche avec Catherine Perrin; une clarification dans l’offre des émissions jeunesse; une révision dans la façon dont on conçoit les bulletins de nouvelles et de nouveaux bulletins régionaux de nouvelles dans certaines régions du pays. En fait, on renforce notre capacité de production en information, en culture et en dramatiques parce qu’il s’agit de secteurs où le diffuseur public est traditionnellement assez fort et où il peut faire une différence.

Si l’on regarde le Réseau de l’information (RDI), il faut s’assurer, d’une part, qu’il est toujours en mode d’information continue et, d’autre part, qu’il reflète véritablement l’ensemble du pays et des régions. C’est fondamental pour nous et nous devons nous diriger dans cette direction.

En radio, personne ne pourra accuser, par exemple, la Première Chaîne de ressembler aux autres radios. Elle se différencie complètement des autres radios et elle remplit, sur ce plan, une mission qui est extrêmement importante. Espace musique doit devenir un outil réel de diversité musicale et faire entendre toutes les musiques avec lesquelles nous vivrons dans les années à venir. Il faut élargir le spectre musical d’Espace musique, c’est très important. Radio Canada International (RCI) fait aussi partie de notre groupe et doit devenir non seulement une radio qui parle du Canada aux étrangers, mais elle doit aussi être une radio qui parle aux nouveaux arrivants.

Avec RCI, Radio-Canada dispose d’une radio qui diffuse en huit langues, soit l’arabe, le russe, le chinois, le portugais, l’espagnol, l’ukrainien, l’anglais et le français. Cette radio, jusqu’à récemment, ne s’adressait qu’aux étrangers. Devant le fait que 50 pour cent des nouveaux arrivants au Canada ne parlent ni le français ni l’anglais, on s’est interrogé sur ce que l’on pourrait faire et, depuis un an, RCI conçoit des émissions pour les immigrants dans la langue qui est la leur, non pas pour les enfermer dans leur langue, mais pour les préparer à ce qu’est le Canada et pour les informer, par exemple, sur les CLSC, les commissions scolaires, le fonctionnement d’un conseil municipal et le processus électoral. C’est donc un nouveau rôle très important pour RCI.

L’ensemble de ces caractéristiques donne une radio et une télévision assez distinctives. Ce soir, par exemple, si vous n’étiez pas assis à écouter cette conférence, voici ce que vous pourriez retrouver en faisant le tour de ce qui est offert à Radio-Canada : à Espace musique, vous pourriez écouter un concert de musique classique enregistré cet été lors du Festival du Domaine Forget; sur RDI, vous pourriez suivre les travaux de la Commission Bouchard-Taylor en direct de Saint-Jérôme; à la Télévision, vous pourriez voir une dramatique canadienne écrite et jouée par des Canadiens, ce qui est extrêmement intéressant; à la Première Chaîne, vous pourriez écouter Je l’ai vu à la radio, une émission culturelle; sur Radio-Canada.ca, vous auriez accès à des millions de pages sur autant de sujets. Alors, quand on me dit que le service public n’est pas tout à fait différent de ce qui se fait ailleurs, je suis toujours un peu surpris. Je pense que ce que l’on offre est tout à fait distinct du contenu produit ailleurs et que cela doit continuer ainsi.

Toujours sur ce premier objectif des programmes, un autre enjeu extrêmement important est celui de la diversité. Pour nous, la diversité signifie beaucoup de choses. Quand on pense diversité, on pense d’abord à la diversité culturelle. Les nouveaux arrivants au Canada doivent se retrouver et se reconnaître dans notre programmation et il faut que l’on soit le reflet du pays réel. Mais il y a aussi d’autres diversités auxquelles il faut s’attaquer. Je pense notamment à la diversité territoriale. Il faut que l’on parle de l’ensemble des régions et que celles-ci se reconnaissent dans la programmation. J’ajouterais aussi à cette liste la diversité des opinions. Il faut que l’ensemble des opinions puissent être entendues à l’antenne du diffuseur public. Nous avons lancé une grande réflexion sur cette question de diversité pour nous assurer que le diffuseur public soit un outil de diversité parce que c’est un élément fondamental s’il veut être un outil de démocratie.

Sur la question des programmes, cela résume à peu près où on en est et la réponse que l’on apporte. Il y a aussi un renforcement des fonctions internationales qui est très important pour nous. Par exemple, les bulletins régionaux de 18 h – ici, par exemple, à Gatineau – présentent maintenant des nouvelles nationales et internationales parce qu’on a compris qu’au XXIe siècle, le cerveau humain ne fonctionne pas en étant parfois en mode national, parfois en mode régional et parfois en mode international. Il se préoccupe de ce qui se passe maintenant, peu importe l’heure du jour. Il est donc important que le diffuseur public soit là pour dire au citoyen ce qui se passe, en partant d’abord de son milieu et en le prenant ensuite par la main pour l’amener sur la planète, lui dire dans quel endroit il est en train de se passer des choses et l’outiller pour que lui, le citoyen, puisse agir en conséquence. C’est donc cela, le rôle du diffuseur public en matière de programme.

Voilà donc la première partie du plan, celle qui traite du programme. La deuxième partie de ce plan touche l’intégration de nos services – le fameux « Radio – Télévision – Internet ». C’est intéressant de voir que, lorsqu’on parle de cette intégration, il y a des gens qui utilisent le mot « méchant » de convergence. Je dis toujours qu’à Radio-Canada, ce n’est pas vraiment de la convergence parce qu’on était déjà une seule entreprise. Il s’agit seulement de gros bon sens et de se dire que si nous travaillons ensemble, partageons nos ressources et communiquons davantage, cela sera mieux pour tout le monde et nous permettra de concevoir une meilleure information. On pourra concevoir cette information de façon à ce que le citoyen puisse l’utiliser où et quand il en aura besoin.

Chez nous, l’intégration n’est, encore une fois, ni un enjeu technologique ni un enjeu économique. On ne l’a pas fait pour couper le nombre de journalistes ou pour réduire nos budgets. On l’a fait pour une question de marque. On veut que, peu importe le support que vous choisirez pour voir, entendre ou lire une production du diffuseur public dans 10 ans, vous puissiez reconnaître la qualité et les valeurs du service public. Voilà notre objectif et pourquoi nous avons procédé à l’intégration de nos services. C’est aussi pour nous assurer qu’un journaliste de Radio-Canada comprend très bien le rôle du diffuseur public, ses valeurs et la qualité qui est attendue du diffuseur public. Alors, toute la question de l’intégration est une question de renforcement de la marque pour nous assurer que cette qualité et ces valeurs se retrouvent sur l’ensemble de nos plateformes.

Voilà pour l’intégration de nos ressources. Un troisième aspect de notre plan porte, je dirais, sur la mobilisation. Il y a toujours un mot anglais qui me vient à l’esprit pour décrire le mot mobilisation, c’est « people ». Mais l’équivalent dans la langue française, « gens » ou « personnes », ne décrit pas vraiment ce que l’on veut dire. On parle plutôt de la mobilisation de tous ceux qui croient au service public. Cela veut dire, d’abord, nos employés, mais aussi les comédiens et les auteurs qui participent à la conception de nos émissions. Cela veut aussi dire les intellectuels, les politiciens et tous ceux qui jouent un rôle dans notre société et qui viennent participer à ce grand projet collectif qu’est la radio-télévision de service public. En fait, beaucoup de personnes contribuent à faire de la Radio et de la Télévision de Radio-Canada ce qu’elles sont. Vous en êtes sûrement. Il faut donc que l’on réussisse à mobiliser tous ces gens qui croient à cette idée de service public – qui est une grande idée citoyenne – et l’on devra y travailler de toutes les façons possibles.

Vous savez, Graham Spry, un des fondateurs de CBC/Radio-Canada, a indiqué dans une allocution d’ouverture en 1936 : « Nous sommes un groupe de Canadiens qui s’est battu pendant huit ans pour doter le Canada d’une radio publique. Vous, vous devrez vous battre toute votre vie pour que ça continue d’exister. » Il était très visionnaire parce que c’est vrai. Le service public n’est jamais une chose gagnée d’avance. On ne crée pas l’unanimité quand on fait du service public : on essaie de créer des consensus. Naturellement, il n’y a pas d’unanimité sur ce que j’appelle le service public et c’est quelque chose qui est toujours un peu menacé. D’ailleurs, il est intéressant de voir que la plupart des pays industrialisés se sont dotés d’une radio-télévision publique, mais que cette dernière est une exception en Amérique du Nord parce que l’on ne trouve pas ce genre de service aux États-Unis. Il y a bien sûr NPR ou PBS, mais ces réseaux fonctionnent selon une logique totalement différente. La radio-télévision publique au Canada est plus proche du modèle européen.

Il faudra donc toujours se battre pour la radio-télévision publique, qui est un projet citoyen et une grande réponse à la diversité des missions et à la diversité des programmes. Il s’agit d’un combat continuel pour nous.

Quelques mots en conclusion. Il y a des enjeux qui sont extrêmement importants dans le monde des médias et je persiste à croire que ce ne sont ni des enjeux technologiques ni des enjeux économiques. La technologie et l’économie à Radio-Canada, on sait faire, ce sont des domaines que l’on maîtrise assez bien. Mais les principaux enjeux, ceux qui sont compliqués à gérer, sont les enjeux sociaux et culturels. Il faut y réfléchir et mettre nos cerveaux au travail pour savoir, quand nous communiquons et développons de nouveaux « tuyaux » pour diffuser de l’information, ce que nous voulons nous dire et à quoi cela devrait servir. Ce sont là les véritables enjeux de la communication au XXIe siècle. Il y beaucoup trop de gens qui l’oublient.

Il faut « créer » de la communication, non pas des « tuyaux » parce qu’il faut apprendre à se parler et qu’il faut créer un nouveau « vivre ensemble ». À Radio-Canada, si nous avons une option politique claire, c’est celle de dire que plus de communication amène, de façon générale, une meilleure compréhension, ce qui amène à son tour plus de démocratie. Pour nous, c’est fondamental. Il faut créer un espace citoyen où l’on pourra débattre, où l’on chantera parfois, où l’on partagera des expériences culturelles, mais, surtout, où l’on créera un univers qui est le nôtre avec la réalité qui est la nôtre. Cela veut dire une réalité d’accueil pour les nouveaux arrivants. Cela veut dire aussi une réalité de référence. Pour Radio-Canada, cela veut aussi dire assumer son patrimoine historique, assumer le patrimoine historique du pays et l’assumer convenablement.

Il faut donc créer, on peut dire, une immense place publique. J’aime à dire que la radio-télévision d’aujourd’hui, et particulièrement la télévision, sont l’équivalent des grandes places publiques du Moyen-Âge, où il y avait des crieurs publics qui débattaient, des saltimbanques, des chanteurs, des troubadours. Il y avait tout cela, sur les grandes places publiques. Aujourd’hui, au XXIe siècle, cela s’appelle la télévision et c’est à l’échelle internationale que cela se passe. Il est très important de créer ces grandes places publiques. Au Québec, dans les années 1960, c’était probablement les perrons des églises qui remplissaient cette fonction. Mais, aujourd’hui, ces lieux d’échanges s’appellent « places publiques ».

En conclusion, je vous dirais ceci : dans toutes les décisions que l’on prend dans le monde des médias et dans toutes les décisions prises par nos gouvernements, dans toutes les décisions prises par les organismes de réglementation, par les financiers et par tous ceux qui doivent gérer, actuellement, le monde des communications et du journalisme, il ne faut jamais oublier que derrière les « tuyaux », derrière les modèles économiques, derrière les satellites et derrière les bidules qui servent à transmettre du contenu, il y a d’abord des hommes, des femmes, des cultures et des civilisations. C’est là que se trouve notre responsabilité : créer de la communication pour, au bout du compte, créer un monde meilleur, une meilleure démocratie et une meilleure culture.

C’est comme cela, à Radio-Canada, que l’on voit le monde et que l’on pense que devrait se développer le diffuseur public. Cela doit se refléter en ondes de différentes façons. Évidemment, cela ne se reflète pas tous les jours dans toutes les émissions exactement de la façon dont on le souhaiterait parce que l’on fait des milliers d’heures de radio et de télévision par semaine. Mais je vous dirai une chose : la trajectoire est claire et nous sommes extrêmement dédiés et obsédés par l’idée de devenir un véritable outil de démocratie et de culture dont le pays a absolument besoin pour créer de la diversité dans le monde des médias.

Je vous remercie.

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