Pêches et Océans Canada / Fisheries and Oceans Canada - Gouvernement du Canada / Government of Canada
 
Gestion des pêches et de l'aquaculture

Gestion des pêches et de l'aquaculture - Rapports et publications
Opens Print version in new window

Rapport de la Table ronde sur l'amélioration de la gestion des stocks de poissons chevauchants

tenue au
Marine Institute de la Memorial University
St. John's (Terre-Neuve-et-Labrador)

Le 20 février 2003

Modérateur

Donald M. McRae
Titulaire de la chaire Hyman-Soloway du droit des affaires et du commerce
Université d'Ottawa (Ontario)

Secrétaires de réunion

Dre Moira L. McConnell
Professeure, Programme de droit maritime et environnemental
Dalhousie Law School, Halifax (Nouvelle-Écosse)

Susan Newhook
Consultante, chercheuse, rédactrice
Halifax (Nouvelle-Écosse)


Introduction

1. Le présent rapport résume les exposés officiels et les discussions tenues lors de la Table ronde sur l'amélioration de la gestion des stocks de poissons chevauchants tenue au Marine Institute de la Memorial University, à St. John's, le 20 février 2003.

2. Dans le but de favoriser l'expression ouverte des opinions, l'échange d'idées et l'exploration d'options chez les participants, seuls les exposés ont été attribués à des personnes précises. En conséquence, les interventions et discussions qui se sont déroulées tout au long de la journée sont résumées sans attribution. La liste complète des participants à la Table ronde et de leurs affiliations est jointe au présent document.

3. Bien que le présent rapport ne vise pas à constituer un compte rendu mot à mot, il est généralement fidèle à l'ordre du jour. Il se divise en quatre parties (I, II, III, IV) représentant le principe d'organisation de l'ordre du jour et des exposés. Le glossaire des abréviations utilisées est également joint au présent document.

I. Mot d'ouverture du modérateur

Modérateur : Professeur Donald McRae, faculté de droit de l'Université d'Ottawa

Le professeur McRae oeuvre la séance en soulignant que les travaux de la journée doivent constituer une occasion d'exploration complète des options de règlement du problème de la surpêche des stocks chevauchants. Pour faciliter les discussions, des experts de renommée internationale du droit international, du droit de la mer et des pêches ont été invités à donner des exposés sur les questions clés et à prendre part aux discussions de la Table ronde. L'ordre du jour a été organisé de façon à débuter par un aperçu initial de l'histoire des régimes juridiques et de gestion actuels et par une réflexion sur ce sujet, suivie de la présentation de propositions sur les façons de réagir au problème. Cette étape est suivie d'un échange d'idées et de l'étude, par les participants, des diverses propositions. Les exposés officiels ont pour but de susciter des idées et des discussions, ce qui demeure l'objectif essentiel de la Table ronde.

Le professeur McRae expose brièvement la nature du problème et des points d'intérêt qui l'entourent. La question de la surpêche des stocks chevauchants peu être vue, d'une part, comme le résultat de pratiques de gestion différentes des mêmes stocks, une approche étant appliquée dans la zone de 200 milles de compétence nationale et l'autre étant gérée par l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (OPANO), au-delà de la zone de 200 milles, où règnent le régime juridique de la haute mer et la liberté de pêche. La médiocrité de la gestion des pêches hors des eaux canadiennes a mis en péril l'existence même des stocks chevauchants. Le modérateur rappelle que ce problème n'a rien de nouveau et que, même si la situation actuelle ne semble pas avoir atteint ses proportions des années 1980 et 1990, les problèmes demeurent fondamentaux. Il faut se poser deux questions : pourquoi le régime appliqué au-delà de la zone de 200 milles sous les auspices de l'organisme régional de gestion des pêches (ORGP), l'OPANO, ne fonctionne-t-il pas? Et, point plus important encore, pourquoi ne fonctionne-t-il toujours pas après tout ce temps? Les échecs de la gestion des pêches sous l'égide de l'OPANO sont largement documentés et bien connus; ils comprennent des cas comme le défaut des États du pavillon de réglementer les bateaux de pêche, l'absence de soumission uniforme et cohérente de rapports, le dépassement des quotas et le recours abusif aux procédures de l'OPANO ainsi que le refus généralisé de mettre en pratique les avis scientifiques. Ces échecs peuvent être considérés comme des défauts de conformité et d'application de la loi menant, dans les faits, à la non-réglementation des stocks au-delà de la zone de 200 milles. Comment en sommes-nous venus là et quelles possibilités avons-nous de repenser la situation et d'essayer de la redresser? Ces questions sont au coeur des travaux de la Table ronde d'aujourd'hui.

II. Le contexte

Exposé : Le droit de la mer - Les 40 premières années et les événements survenus au cours de la dernière décennie

Présentateur : Professeur Gudmundur Eiriksson, Université de la paix de l'ONU, Costa Rica

Le professeur Eiriksson relate l'évolution générale du droit de la mer au cours des 40 dernières années, jusqu'à la signature, en 1982, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Il s'est agi d'une période de changements immenses. Le mythe de l'infinité des ressources marines et halieutiques, prédominant pendant les périodes de l'avant-guerre et de l'après-guerre, a fait place à la compréhension du fait que, bien que renouvelables, les ressources halieutiques ne sont pas inépuisables. Il signale que le problème posé par un niveau élevé de surpêche en haute mer existe depuis longtemps et rappelle les mesures prises, avant l'adoption de l'UNCLOS, par l'Islande, qui avait étendu et commencé à exercer sa compétence sur les pêches au-delà de ses eaux territoriales, en haute mer. Bien que ce geste ait été contesté devant la Cour internationale de Justice (CIJ), il exprimait un consensus émergent selon lequel les États côtiers devraient avoir la propriété de la ressource, des droits de gestion et des responsabilités couvrant une zone dépassant la mer territoriale. Cet événement a mené au concept juridique de la zone économique exclusive (ZEE), qui dépasse d'au plus 200 milles les eaux territoriales, décrite dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982). On croyait à cette époque que la Convention avait réglé la plupart des problèmes et, surtout, qu'elle avait créé une gamme efficace de processus de règlement des différends.

Le professeur Eiriksson fait remarquer que le problème de la surpêche en haute mer a aussi mené à l'élaboration d'ORGP dans diverses parties du monde. Selon son expérience, ils sont tous affligés des mêmes faiblesses structurelles : l'incapacité de s'entendre sur les mesures à prendre, une tendance marquée à l'abstention de participation, la médiocrité de l'application et l'absence de contrôle sur les non-membres.

La Convention de 1982 ne fait nulle allusion aux ORGP et ses dispositions ont fait l'objet de critiques acerbes de la part d'organismes non gouvernementaux (ONG) et d'autres organismes également critiques du défaut des gouvernements de réagir aux nouveaux défis qui se posent à l'une des ressources alimentaires les plus importantes, la pêche. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a souligné les conséquences désastreuses de la non-réaction au problème. Parmi les grands stocks de poissons du monde, un sur cinq est exploité à outrance et ne donne aucun signe de rétablissement, tandis qu'un sur dix est épuisé ou en lent rétablissement. Les sommes qui doivent être consenties pour permettre le rétablissement d'un stock sont très lourdes.

Ayant brossé ce tableau, le professeur Eiriksson indique que le besoin de « nouveaux outils » pour résoudre cette crise des pêches mondiales en évolution rapide a été exprimé, mais qu'à ses yeux, la difficulté réside dans le refus d'utiliser les outils juridiques et de gestion existants.

Ces outils permettent un certain nombre d'options dont l'exploration dans le contexte canadien serait profitable; un certain nombre ont été adoptés avec succès ailleurs pour faire face à des problèmes comparables. Il poursuit, décrivant et explorant le recours à ces « outils de gestion », c'est-à-dire les dispositions de l'UNCLOS et d'autres instruments juridiques internationaux, particulièrement là où ils touchent la capacité d'utiliser les diverses options de résolution des différends, comme l'arbitrage, la conciliation et l'accès à un tribunal spécialisé dans le règlement des différends entre les États qui ont ratifié la Convention.

Il signale que les États commencent maintenant à se tourner vers le Tribunal international du droit de la mer, dont la chambre des pêches spécialisées s'occupe des stocks chevauchants et d'autres questions. Un différend récemment soumis au tribunal, par exemple, concernait l'Union européenne (UE) et des préoccupations relatives à la surpêche des stocks d'espadon au-delà de la zone de 200 milles du Chili. L'UE, en tant que partie signataire de l'UNCLOS, est assujettie à ses processus de résolution des différends. Le professeur Eiriksson rappelle que même si le Canada a signé l'UNCLOS, il ne l'a pas ratifiée et ne peut, par conséquent, #9; tirer parti de ces procédures. Il peut, toutefois, être en mesure de s'en servir dans des différends avec d'autres parties à l'Accord aux fins de l'Application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (Accord des Nations Unies sur les pêches) (ANUP).

L'ANUP, adoptée en 1995, n'a demandé que deux ans de négociations et est peut être perçue comme une partie de la réponse mondiale au problème que le Canada et nombre d'autres pays connaissent dans la gestion de ces stocks. Complémentaire à l'UNCLOS, l'ANUP prévoit un régime complet permettant d'aborder les problèmes dont ne traite pas en détail l'UNCLOS, un fait à la source de beaucoup de critiques. L'ANUP insiste sur le recours à des organismes régionaux composés d'États côtiers voisins et de pays pratiquant la pêche lointaine (PPPL) qui pêchent les mêmes stocks. L'ANUP a un certain nombre d'importantes obligations en matière de conservation et il propose des mécanismes de règlement des différends auxquels les États membres sont tenus de recourir. Le Canada a ratifié l'ANUP mais non l'UE, qui l'a cependant signé.

L'Accord de 1993 visant à promouvoir l'observation, par les navires de pêche en haute mer, des mesures internationales de conservation et de gestion entrera bientôt en vigueur. Il constituait une réponse au problème grandissant du manque de fermeté des États du pavillon en ce qui concerne l'application de la loi.

Le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO, qui date de 1995, n'est pas une convention et, par conséquent, les États ne sont pas tenus de s'y conformer. Néanmoins, il s'agit d'un document dont l'influence est grande; il établit des principes et des politiques qui font autorité en matière de gestion responsable des pêches. Un certain nombre de plans d'action internationaux ont été élaborés selon ses lignes directrices, dont le Plan d'action international visant à prévenir, à décourager et à éliminer la pêche illégale, non réglementée et non signalée [traduction] et le Plan de conservation et de gestion des requins [traduction].

Le professeur Eiriksson estime que la question exige des gouvernements qu'ils fassent preuve de leadership dans le recours aux outils existants (comme ceux qui ont été mentionnés) et qu'ils n'avaient pas pleinement utilisés dans le passé, puis qu'ils tiennent les autres gouvernements responsables à cet égard. Ces lacunes constituent une partie du problème de la gestion des pêches.

Il indique en terminant que la rigueur dans la recherche et les avis scientifiques figure parmi les éléments clés d'une gestion fructueuse des pêches et souligne l'importance de tenir compte des critiques du milieu des ONG.

Exposé : Histoire de l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest

Présentateur : Dr Douglas Johnston, professeur émérite, faculté de droit de l'Université de Victoria (Canada)

Le Dr Johnston effectue un bref survol de ce qu'il considère comme les trois périodes de l'histoire de 79 ans de la réaction au problème des stocks chevauchants : 1929-1949, ou période pré-CIPANO (Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord-Ouest); 1949-1979, ou période CIPANO; et de 1979 à nos jours, sous la régie de l'OPANO. La première et l'essentiel de la deuxième de ces trois périodes appartiennent à une époque où il existait un régime traditionnel de droit de la mer qui se caractérisait par d'étroites limites maritimes territoriales et la prépondérance des libertés hauturières. Cela signifiait que la plupart des grandes pêches, quand elles faisaient l'objet d'une quelconque gestion, devaient être gérées au moyen d'accords multilatéraux dont faisaient partie des traités et d'autres instruments rédigés surtout par des biologistes des milieux marins. Les tâches de gestion étaient empreintes d'idéaux scientifiques : on croyait que la gestion des pêches pouvait être rationnelle et reposer sur des constatations scientifiques et sur « les meilleures preuves disponibles ».

C'est pendant la deuxième moitié de la deuxième période que l'Islande a pris les devants et fait progresser le concept d'un État côtier ayant un intérêt particulier dans les pêches adjacentes à son littoral. Les négociations de l'UNCLOS étaient également en cours à ce moment. La Troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III) a répondu au besoin de reconnaître davantage les revendications des États côtiers et d'arriver à départager avec justice les droits des pays industrialisés et ceux des pays en voie de développement. L'élargissement des compétences des États côtiers à 200 milles visait également à résoudre le problème des stocks chevauchants.

L'UNCLOS a mené à de nouvelles approches de la gestion des pêches, cette fois caractérisées par l'éclectisme. La préoccupation jusque-là prédominante des sciences biologiques devait dès lors faire concurrence aux approches économique, sociologique et autres de la gestion. Nous sommes actuellement aux prises avec une deuxième génération d'« expériences », tentant - souvent en vain - de résoudre le problème. L'OPANO compte parmi ces expériences et la liste de ses imperfections est bien connue.

Selon le Dr Johnston, il y a lieu de se demander si des problèmes comme celui des stocks chevauchants peuvent être résolus par les voies de la diplomatie internationale traditionnelle et si les organismes internationaux peuvent exercer une véritable influence sur le comportement des États. Quelle influence la structure de l'OPANO a-t-elle sur le degré de conformité? Peut-être les attentes à l'endroit d'un organisme comme l'OPANO sont-elles utopiques en ce qui concerne sa capacité à agir.

Pour stimuler la réflexion et la discussion, le Dr Johnston offre trois façons d'envisager les problèmes de l'OPANO :

  • l'angle économique - selon cette vue, qui prend la forme d'une analyse coûts-avantages, le véritable problème vient de ce que les États n'accordent pas beaucoup de valeur aux stocks chevauchants ou à l'OPANO et, par conséquent, consacrent peu de ressources à la résolution des problèmes;
  • l'angle géopolitique - selon cette vue, qui tente d'expliquer le déclin apparent du succès canadien dans les négociations de l'OPANO, ce déclin résulte de facteurs de recoupement. En se joignant à l'UE, l'Espagne et le Portugal ont acquis du pouvoir, donc une aptitude accrue à résister à la pression et à influer sur l'OPANO. La dissolution du bloc soviétique en plusieurs États a aussi dissous la l'influence que la Russie exerçait auparavant sur les activités de ces États. De même, l'effondrement soviétique a réduit le niveau d'investissement dans les sciences, si bien que la recherche n'est pas très développée dans les nouveaux États. Dans le cas de certains stocks, les intérêts d'États côtiers comme le Canada sont tout simplement éclipsés par ceux des pays pratiquant la pêche lointaine (PPPL);
  • l'angle institutionnel - cette approche revient à la théorie des relations internationales et aux questions comme celles de savoir si un organisme international comme l'OPANO peut créer un système centralisé de gestion des pêches, quand tous ses prédécesseurs ont échoué. L'OPANO est-elle vouée à être le jouet de ses États membres les plus influents? Que peuvent faire ses membres pour amener un changement? Cette approche met en jeu des questions comme la possibilité d'éviter un cycle de représailles et les pertes qui s'ensuivraient si, par exemple, le Canada mettait en oeuvre des mesures unilatérales d'application de la loi. Une autre question aussi digne de mention est celle du fonctionnement efficace d'un organisme si les données scientifiques qui sous-tendent la prise de décision viennent en très grande majorité d'un seul pays (le Canada) et n'ont pas, de ce fait, la confiance des autres parties.

Le Dr Johnston conclut en suggérant que plutôt que de se concentrer uniquement sur les aspects négatifs de l'OPANO, il peut être utile d'en rechercher également les points forts. À ses yeux, par exemple, il s'agit d'un organisme de taille adéquate qui compte assez de membres pour permettre à ceux qui n'ont pas d'intérêt immédiat d'influer sur le vote. Par contre, la procédure de vote, qui obéit à la règle de la majorité simple, peut poser problème en ceci qu'un nombre substantiel d'États peuvent ne pas s'entendre sur une décision. Le Dr Johnston se demande également si le Conseil scientifique est à la bonne place dans la hiérarchie organisationnelle : devrait-il prendre un rôle moins subordonné dans le processus décisionnel?

Il signale finalement le besoin de voir le problème dans son ensemble : l'absence de mesures d'application de l'État du pavillon et l'absence de capacité - et parfois de volonté politique - de s'améliorer. Il laisse entendre que les pays pourraient envisager la dévolution de leurs responsabilités et pouvoirs d'application de la loi à l'OPANO ou à un organisme externe, du moins au chapitre d'un stock chevauchant actuellement au sein de l'OPANO.

Exposé : L'entente de 1995 des Nations Unies sur les pêches

Présentateur : Dr Stuart Kaye, doyen du droit, University of Wollongong (Australie)

Le Dr Kaye donne un bref aperçu de l'Accord aux fins de l'Application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (Accord des Nations Unies sur les pêches) (ANUP). Il y avait 148 participants, dont l'UE et des ONG, à la démarche de négociations, qui a duré deux ans, de 1993 à 1995, et qui a pris effet en décembre 2001, lors de la 30e ratification. Trente-deux États en sont désormais membres, dont le Canada. L'UE a signé l'ANUP mais ne l'a pas ratifiée et plusieurs des États membres se trouvent dans le Pacifique. L'ANUP est sujet à révision et modification cinq ans après la prise d'effet. Le processus de l'ANUP visait à négocier une entente de précision des droits et responsabilités envers les espèces fortement migratrices et les stocks chevauchants. L'Entente compte 50 articles et deux annexes; elle est conçue de façon à fonctionner de concert avec l'UNCLOS - en fait, à résoudre certaines questions à l'origine de conflits qui n'ont pas été entièrement réglées en 1982, à la conclusion de l'UNCLOS.

Le Dr Kaye cite ce qu'il voit comme les quatre éléments clés de l'ANUP : l'approche prudente, l'obligation de coopération, les procédures de résolution des différends et les dispositions d'application de la loi. L'approche prudente est exposée à l'article 8 :

Les États doivent recourir largement à l'approche prudente de la conservation, de la gestion et de l'exploitation des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs afin de protéger les ressources marines vivantes et de préserver le milieu marin. [traduction]

Il signale qu'à l'heure actuelle, les trois autres éléments ont probablement plus d'importance pour le Canada. L'obligation de coopération impose aux États côtiers et aux PPPL le devoir de collaborer, c'est-à-dire de prendre des mesures compatibles à l'aire biologique du stock. Cette coopération peut être directe ou passer par un organisme régional de gestion des pêches (ORGP) et elle doit se manifester dans un délai raisonnable. Aux yeux du Dr Kaye, l'obligation de coopération inclut le concept fondamental de compatibilité des systèmes et mesures de gestion, c'est-à-dire que les systèmes de gestion des stocks chevauchants dans la zone de 200 milles et au-delà de cette zone doivent être compatibles pour les stocks biologiquement apparentés. Il indique que cette idée d'unité biologique est déjà à la source de certains différends. Le concept de compatibilité comprend également le souci de la dépendance de certains États envers la pêche et la responsabilité de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'effets néfastes. Les ORGP jouent dans ce système un rôle crucial. L'une des difficultés vient de ce que l'ANUP essaie d'imposer son système aux États tiers non membres : on ne sait trop si cela peut se faire en vertu du droit international.

Les procédures de résolution des différends sont aussi très importantes, bien qu'elles soient restreintes du fait qu'elles exigent des deux États en désaccord qu'ils soient membres de l'ANUP. Aux termes de l'ANUP, si une entente ne survient pas après une période raisonnable, les parties peuvent confier l'affaire au groupe de résolution des différends. L'ANUP adopte également les procédures de règlement des différends de la Partie XV de l'UNCLOS, ce qui signifie que des mesures provisoires pratiques peuvent faire l'objet d'un accord ou que les mesures prévues à la Partie XV peuvent être appliquées. Les conflits du thon rouge du Sud en sont des exemples.

Le Dr Kaye décrit brièvement les procédures d'application de la loi en vertu de l'ANUP, qui donnent un rôle en ce sens à l'État du pavillon ainsi qu'un rôle de contrôle à l'État du port et qui confèrent par ailleurs aux ORGP une certaine capacité d'application de la loi, tant en haute mer que dans des situations où un État du pavillon indique ne pas avoir l'intention d'enquêter sur une infraction ni d'y donner quelque autre suite. Il s'agit d'un aspect assez controversé. Quand, par exemple, l'UE a signé l'ANUP, elle y a ajouté une réserve à cet égard, indiquant qu'en sa qualité d'État du pavillon, elle enquêterait sur toute allégation d'infraction.

Discussion de la Table ronde

Au cours de la discussion qui a suivi les exposés, un participant déclare que le problème de la surpêche peut se conceptualiser comme étant formé de deux grands volets : d'abord, la technologie et la pratique de la pêche, qui évoluent rapidement et ne suivent pas la cadence du régime réglementaire, celui-ci se développant trop lentement dans le cadre du droit international et, ensuite, le défaut fondamental de l'UNCLOS qui se trouve à la source des problèmes vécus actuellement à Terre-Neuve-et-Labrador, c'est-à-dire l'existence de régimes séparés pour le plateau continental et la colonne d'eau quand, en fait, tous deux sont proches parents. La limite arbitraire de 200 milles ne tient aucun compte de la distribution des espèces, bien que le régime du plateau continental se soucie de la configuration naturelle du plateau et qu'il admette une certaine souplesse dans la disposition de la « ligne » quant aux ressources du plateau continental.

En réponse à une demande de précision quant à l'éventuelle apparition d'organismes ou d'approches de « troisième génération », le Dr Johnston parle de la possibilité d'une réaction mondiale si, par exemple, une crise de la sécurité alimentaire mondiale était liée au déclin des pêches. En de telles circonstances, il serait possible de défendre un régime en vertu duquel un État côtier pourrait être vu comme le fiduciaire de certains stocks au profit des générations montantes, ce qui reconnaîtrait d'emblée la notion de responsabilité intergénérationnelle.

Un participant se dit d'avis que le problème de l'OPANO découle de la polarisation des conceptions de son rôle. La perspective canadienne, conforme au mandat de l'OPANO, veut que l'organisme soit axé sur la conservation et ait des responsabilités de gestionnaire des stocks. Selon l'autre approche, l'OPANO n'est qu'un système d'attribution de quotas et de droits d'accès aux stocks. On souligne par ailleurs que, bien que l'argument sur la valeur des États désintéressés ne soit pas sans attrait, il entend également que des pays ayant très peu d'intérêts économiques dans les stocks ont une influence importante sur les résultats. Le Canada, en plus, en sa qualité de pays le plus engagé dans la recherche scientifique et dans la question de l'application de la loi, n'est pas perçu comme impartial.

III. Exposés sur les options de gestion

Exposé : Nouvelle approche de la gestion des pêches par-delà la zone de 200 milles - La perspective de Terre-Neuve-et-Labrador

Présentateur : M. Mike Samson, sous-ministre, ministère des Pêches et de l'Aquaculture, gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador (Canada)

Le sous-ministre Samson déclare d'entrée de jeu que sans diminuer l'importance de l'histoire de l'OPANO et du système juridique, il importe également de lui donner un visage humain. Il signale que la population de Terre-Neuve-et-Labrador a décrû de quelque 40 000 personnes depuis le moratoire de 1992. La plupart de ceux qui sont partis étaient des habitants (ordinairement) jeunes des zones rurales qui ont quitté leur collectivité d'origine pour chercher du travail ailleurs au Canada. Il souligne que cette migration se poursuit et que nombre de collectivités sont maintenant en crise. Bien que les autres présentateurs aient déclaré que le droit international a beaucoup changé dans une brève période de 50 ans, les 10 dernières années ont apporté des changements extrêmement rapides à Terre-Neuve-et-Labrador et à sa population.

M. Samson retrace l'histoire de l'OPANO du point de vue de Terre-Neuve-et-Labrador. Il rappelle que l'OPANO a été créée pour « Promouvoir la conservation et l'utilisation optimale des ressources halieutiques de l'Atlantique Nord-Ouest et encourager la coopération et la consultation internationales à l'égard de ces ressources ». Elle n'a pas joué ce rôle, un fait particulièrement évident avant 1995. De graves problèmes se sont soldés par l'effondrement des pêches des stocks chevauchants. Ils comprenaient le recours, par certains pays, à des bateaux battant pavillon de complaisance, des abus de la procédure d'objection (particulièrement dans le cas de l'UE) et la double pratique de l'établissement unilatéral de quotas suivi de leur dépassement.

Après l'incident de l'Estai, en 1995, il y a eu des améliorations marquées, comme un programme de 100 % d'observation et de 100 % de vérification à quai, l'adoption de tailles minimales du maillage des filets pour la pêche du poisson de fond et d'une taille minimale pour le flétan noir.

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador s'inquiète maintenant de constater une recrudescence des problèmes dans toute la zone réglementée par l'OPANO : des pêches dirigées vers les espèces sous moratoire, de fausses déclarations, le dépassement des attributions, des infractions à la taille du maillage, le refus de dépôt des rapports des observateurs, l'adoption de quotas allant à l'encontre des avis scientifiques, la résistance aux mesures de l'ANUP et un effort conscient de réduction de la couverture des observateurs. Au vu du très lent rétablissement des stocks, cette hausse des non-conformités permet de craindre « un autre 1992 ».

M. Samson souligne que pour éviter cette crise potentielle, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a élaboré une proposition d'amélioration de la structure de gestion, par laquelle il vise :

[l'avènement] d'un régime de gestion axé sur la conservation et fondé sur le savoir scientifique aux deux extrémités des Grands bancs et du Bonnet flamand permettant la reconstitution viable des pêches et des ressources.

Cela fait partie des objectifs des pêches exprimés dans leur ensemble, notamment lors du Sommet mondial sur le développement durable (SMDD) de Johannesburg, qui appuyait la gestion durable des stocks chevauchants. Les pays, incluant le Canada, ont convenu de tenter d'atteindre cet objectif d'ici 2015. Comme l'OPANO demeure inefficace, il faudra prendre d'autres mesures.

La gestion axée sur la conservation figure parmi les solutions proposées. Le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes l'a récemment recommandée comme moyen d'assurer une meilleure gestion, tant à l'intérieur de la limite des 200 milles qu'au-delà. La proposition du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador s'inspire de cette idée et y ajoute quelques éléments. M. Samson laisse entendre que la proposition pourrait fonctionner dans le cadre de l'OPANO si le rôle opérationnel de l'organisme était modifié de façon à augmenter les responsabilités des États côtiers à l'égard de certains stocks particuliers qui présentent le plus d'intérêt pour le Canada.

La gestion axée sur la conservation peut se définir comme :

la gestion, par un État côtier adjacent, de stocks de poissons désignés qui chevauchent la zone économique exclusive de 200 milles aux fins de l'application de mesures cohérentes axées sur la conservation.

Selon la proposition de la province, le Canada, en tant qu'État côtier, prendrait la responsabilité de la gestion des stocks chevauchants, des TAC et des mesures de conservation et veillerait, notamment par le suivi et la surveillance, à l'application cohérente de mesures à l'intérieur de la zone de 200 milles et au-delà de cette zone. Il est également proposé que le Canada respecte les parts historiques des autres pays.

Dans le cadre de cette proposition, tout ce qu'il y aurait à faire consisterait à céder certaines responsabilités à l'État côtier. L'OPANO conserverait la responsabilité du Conseil scientifique, des évaluations des stocks, de la coordination de la recherche et de la prestation d'avis. Elle continuerait également de s'occuper des questions d'accès et d'attribution et de gérer les stocks dans la zone qu'elle réglemente, ainsi que d'élaborer et d'imposer des sanctions.

Du point de vue de Terre-Neuve-et-Labrador, le retrait de l'OPANO n'est pas idéal. De fait, si l'OPANO pouvait commencer à vraiment mettre à exécution son mandat de conservation et de gestion réelle, la province serait satisfaite. Le retrait de l'OPANO ne constitue pas la solution idéale car, à moins qu'elle soit remplacée par une autre structure, les stocks seraient encore moins protégés et encore moins réglementés en son absence.

Après quelque 25 ans de gestion médiocre et d'échecs de l'OPANO, on peut difficilement s'attendre à ce que cet organisme se réforme ou qu'il ne parvienne jamais à accomplir son mandat. Si l'on veut que l'OPANO change, il faut lui donner des objectifs clairs et un échéancier pour les concrétiser. M. Samson insiste sur le fait que l'on ne peut fait abstraction du fait que la plupart des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador sont très désenchantés et déçus de l'OPANO et de son incapacité à prendre des mesures pour redresser la myriade de problèmes qui l'affligent. Il sont d'avis que, dans l'éventualité de nouveaux échecs, le Canada devrait envisager de se retirer de l'Organisation. Il rappelle qu'il y a des précédents d'action unilatérale ayant produit des changements au droit international, comme les proclamations de Truman en 1945, les « guerres de la morue » de l'Islande et la « guerre du flétan noir ».

M. Samson, en terminant, presse le gouvernement fédéral d'agir. À ses yeux, comme il est clair que l'OPANO ne satisfait pas aux objectifs généraux de conservation, le statu quo est inacceptable : la direction de l'OPANO contribue au non-rétablissement des stocks restants. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador est d'avis que le concept adapté de gestion axée sur la conservation qu'il propose constitue une approche unique en réponse à une situation unique. M. Samson dit qu'il faut comprendre qu'il s'agit d'une question d'une importance économique et politique majeure pour les gens de Terre-Neuve-et-Labrador. Un milliard de dollars de produits alimentaires et un mode de vie étant en jeu, le sujet de la gestion de la de la gestion axée sur la conversation fait partie du discours du public et de celui des médias « du matin au soir ». Les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador voient de plus en plus la réticence du gouvernement canadien à poser des gestes décisifs en la matière comme une illustration de son manque d'intérêt pour la question et de l'insignifiance relative qu'elle a à ses yeux parmi les grandes questions internationales et politiques.

Présentation : Incidences de la gestion axée sur la conservation. Rapprochement des objectifs et des résultats en matière de gestion

Présentateur : Professeur Phillip Saunders, École de droit de l'université Dalhousie (Canada)

Le professeur Saunders fait d'abord remarquer que sa présentation a été préparée pour faire suite à la notion de gestion axée sur la conservation évoquée dans le rapport du Comité permanent et que la proposition de Terre-Neuve-et-Labrador semblait une approche plus élaborée.

Avant d'étudier une gestion axée sur la conservation ou tout autre mode de gestion, le professeur Saunders avance qu'il est utile de réexaminer la signification de la notion de « gestion ». En ce qui concerne la gestion des pêches, il y a certains volets globaux qu'il convient d'envisager :

  • Différents genres de connaissances et différents modes de pondération (au niveau scientifique, industriel et socioéconomique);
  • les principes d'organisation fondamentaux en fonction desquels la gestion doit être structurée. Cela signifie d'une part des objectifs, c'est-à-dire un rendement maximum durable, le principe de l'approche prudente;
  • l'allocation de ressources en fonction de limites globales; bon nombre de systèmes de gestion des pêches devront permettre une répartition entre différents utilisateurs, ce qui est l'aspect le plus politisé de tout régime de gestion;
  • la conformité et l'application de la réglementation, ce qui peut entraîner un certain nombre d'éléments, comme la supervision, le contrôle et la surveillance;
  • champ de compétence : volet essentiel. Un État ou une organisation internationale qui possède des pouvoirs reconnus doivent assurer cette forme de gestion;
  • il faut des mécanismes de règlement des litiges.

Le professeur Saunders évoque brièvement la Convention sur le droit de la mer de 1982 compte tenu de ces éléments, et signale un certain nombre de problèmes reliés aux stocks chevauchants. Selon lui, l'un des problèmes les plus importants est l'absence de champ de compétence sur ces stocks. Le litige entre le Canada et l'Union européenne et les négociations dans le cadre de l'ANUP démontrent également qu'il existe un problème fondamental attribuable à cette lacune dans le droit de la mer. D'après lui, on peut juger que l'ANUP représente une solution qui visait à répondre aux problèmes de l'absence de champ de compétence. Toutefois, cette mesure ne résoudra pas ce qui est au coeur d'un problème plus important. Même si on trouve une solution à cette lacune, on constate actuellement une divergence d'opinions sur la nature même de ce champ de compétence. Pour l'UE, le litige à l'OPANO porte sur la répartition des ressources; le Canada en veut davantage. Par contre, le Canada voit ce litige comme un problème concernant les principes de conservation et de gestion. Ces difficultés ont persisté malgré la mise en vigueur de l'ANUP; la proposition du Comité permanent en ce qui concerne une gestion axée sur la conservation constitue une réponse à ce problème.

Une analyse du régime de gestion axée sur la conservation, comme présentée dans le rapport du Comité permanent laisse entrevoir un contrôle unilatéral, sur le plan géographique, de la colonne d'eau jusqu'aux limites du plateau continental. Cela représenterait un prolongement de la ZEE de 200M du Canada bien au-delà de ce qui est accepté par le droit international. Selon ce qui a été reconnu par le Comité, cette hypothèse ferait valoir les intérêts canadiens, ce qui obtiendrait très peu d'appui en-dehors de notre pays. Il importe également de se rendre compte que si le Canada prétend à un tel droit, d'autres États pourraient également prétendre à des zones plus importantes, pour servir leurs propres intérêts.

Cette notion de gestion axée sur la conservation, telle qu'elle a été proposée par le Comité permanent, posait certaines autres difficultés, comme le fait que malgré son titre, elle permet essentiellement d'assumer les mêmes fonctions de gestion que le régime de la ZEE, du moins en ce qui concerne les pêches. La proposition avancée par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pourrait également présenter le même problème.

Le professeur Saunders signale qu'en principe, il n'existe plus de problème au niveau du champ de compétence, ce qui constitue un élément clé visant toute forme de revendication de légitimité de notre pays; le Canada peut ne pas apprécier la structure et le fonctionnement d'une ORGP qui serait conforme à un régime de l'ANUP, mais notre pays a accepté cette entente. Le fait d'être en désaccord avec une solution ne signifie pas qu'il existe un vide juridique qui doit être comblé. Cela signifie simplement que la situation actuelle est passablement différente de celle qui existait pour le Canada avant 1995.

En guise de conclusion, il convient que la situation actuelle n'est pas acceptable, mais que peut-être la réponse ne consiste pas à faire correspondre un problème de compétence avec un problème de gestion, mais que plutôt il convient de se demander dans quelle mesure le système de gestion doit être modifié. Un élargissement du champ de compétence a été proposé par le Comité permanent, comme solution à deux problèmes :

  • la structure de prise de décisions de l'OPANO, les procédures en cas d'objections et l'absence ou l'échec de mécanismes de règlement des litiges;
  • des mesures inadéquates en matière d'application de la réglementation et de conformité à cet égard.

Si ce genre de problèmes existe, on peut envisager de meilleures solutions, comme la ratification de la Convention sur le droit de la mer et l'adoption de ses procédures de règlement des litiges. Le professeur Saunders fait remarquer qu'il importe également de s'assurer qu'une nouvelle approche en matière de gestion ne reprenne simplement que des idées ancrées qui se sont déjà révélées incorrectes ou infructueuses.

Présentation : L'expérience du Pacifique sud

Présentateur : Dr Stuart Kaye, Doyen de la faculté de droit, université de Wollongong (Australie)

Le Dr Kaye met l'accent sur l'importance d'avoir recours à des mécanismes traditionnels comme la diplomatie et les négociations ciblées, notamment lorsqu'il s'agit de régler des problèmes concernant les bateaux battant pavillon de complaisance et la pêche non autorisée de stocks chevauchants. Il décrit ainsi l'expérience de l'Australie dans deux affaires récentes. Le plateau continental de l'Australie s'étend au-delà de la ZEE dans bon nombre de secteurs, autour de la masse continentale de l'île et autour des îles en zone hauturière. En outre, dans certaines zones, il existe des monts sous-marins qui remontent dans la colonne d'eau, qui sont très riches en biodiversité et qui attirent des stocks de poisson (comme la bordure du Grand Banc).

Dans le premier cas, il évoque la question des stocks d'hoplostète orange (Orange Roughy). Le manque de connaissance sur le cycle de vie de cette espèce (elle ne se multiplie pas avant l'âge de 40 ans) a entraîné une surpêche et un épuisement quasi-total du stock dans les eaux nationales. Ce stock évolue également en-dehors de la ZEE. Les zones du massif de Tasman et du plateau Challenger sont deux zones de pêche importantes qui ont fait l'objet de litiges. Depuis 1998, il existe un protocole d'entente entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui permet de réglementer les activités de pêche dans ces zones. L'Australie s'occupe des modalités d'application de la réglementation et de la conformité et du contrôle dans un secteur, et la Nouvelle-Zélande prend en charge l'application de la réglementation dans l'autre zone dans la mesure où les bateaux de pêche déchargent leurs prises en Nouvelle-Zélande. On peut interpréter ce protocole d'entente comme un mécanisme d'établissement d'ORGP selon les définitions de l'ANUP, avec la capacité, notamment en ce qui concerne les bateaux qui battent pavillon d'un autre État membre relevant de cette entente, d'exclure les bateaux battant pavillon des pays qui ne font pas partie de ce genre d'organisation.

Il y a eu situation de crise en 1999, alors que trois navires battant pavillon sud-africain et un quatrième immatriculé à Belize ont commencé à pêcher dans une zone à proximité de l'Australie assujettie au protocole d'entente. Lorsque les quatre navires n'ont pas respecté l'ordre de quitter cette zone, l'Australie a fait appel auprès de l'État du pavillon. Le gouvernement de l'Afrique du Sud, signataire de l'ANUP (bien que l'Accord n'était pas en vigueur à l'époque) a collaboré et a ordonné à ses navires de quitter les lieux ou de perdre leur immatriculation. Les navires ont quitté les lieux immédiatement. Une décision du même ordre a été prise par le gouvernement de Belize (bien qu'il ne soit pas signataire de l'Accord) dont n'a pas tenu compte l'exploitant du navire jusqu'à ce que ce gouvernement autorise par la suite l'application de ses lois par les autorités australiennes, ce qui donne à la marine australienne le droit d'arraisonner le navire selon les lois de Belize. Le navire a donc quitté les lieux avant que le navire de guerre australien n'intervienne.

Le Dr Kaye fait remarquer que cette affaire a fait les manchettes dans les médias australiens et l'on a prétendu à un élargissement unilatéral de la ZEE australienne. Toutefois, cette affaire a été rapidement réglée après deux semaines d'efforts diplomatiques, sans recours à la force et sans grand engagement financier. Les ultimatums ont porté fruit, de façon ponctuelle et à plus long terme : les autres bateaux ont évité cette zone depuis.

La deuxième étude de cas du Dr Kaye portait sur la légine australe de Patagonie. Ce stock évolue au large d'un territoire australien éloigné dans l'océan austral plus près de l'Antarctique que l'Australie, dans une zone visée par la Convention pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique. Le Canada, les États-Unis, l'UE et l'Afrique du Sud sont parmi les États signataires de cette Convention.

Étant donné la grande distance de l'Australie et les conditions climatiques et océanologiques extrêmes dans cette zone, il y est difficile de contrôler les activités et de faire appliquer les lois dans le secteur de la pêche. On y constate souvent des activités de pêche non autorisées. Dans le cas décrit par le Dr Kaye, un bateau pêchait dans les eaux australiennes, au large de l'île Heard. Un navire patrouilleur de l'Australie est intervenu et s'est lancé à la poursuite des contrevenants pendant 14 jours, tandis que le bateau de pêche en question se dirigeait vers l'Afrique du Sud. Dans le cadre d'efforts diplomatiques, l'Australie a pu obtenir l'aide des autorités sud-africaines, qui ont utilisé un de leurs navires pour permettre aux Australiens d'intercepter le bateau de pêche en haute mer. Les Australiens ont alors arraisonné ce bateau à partir d'un bateau plus petit qui battait pavillon australien. Encore une fois, selon l'opinion du Dr Kaye, un message sans équivoque a été communiqué par l'Australie, c'est-à-dire que ce pays prendrait tous les moyens pour faire respecter sa zone de compétence et qu'il prenait ses responsabilités au sérieux. Il s'agissait encore une fois d'un exemple d'action concertée, sans doute facilitée par le fait que l'Afrique du Sud a signé cette Convention. Certains de ses territoires sont visés par cette Convention et ce pays éprouve également des problèmes au niveau de la pêche illégale.

On a également signalé qu'une autre stratégie visant à contrer la pêche non autorisée de cette espèce a été établie à l'aide d'un mécanisme de réglementation fondé sur le marché. Ainsi, un régime de certification des prises de cette espèce a été élaboré dans le cadre duquel les parties signataires de cette Convention n'achèterait les prises que si elles sont certifiées conformément à la réglementation. Toutefois, le caractère légal de ce régime, qui exige également un enregistrement des prises, n'a jamais été évalué en fonction du droit commercial international.

Le Dr Kaye conclut que les deux cas démontrent un point important : des efforts diplomatiques bilatéraux bien déployés, combinés à une volonté politique et à des ressources gouvernementales peuvent être très efficaces pour protéger les stocks de poisson et permettre de communiquer sans équivoque à d'autres pays que les pêches seront bien protégées.

Présentation : Quelles sont les solutions?

Présentateur : Dr Douglas Johnston, professeur émérite, Faculté de droit, Université de Victoria (Canada)

Le Dr Johnston, dans sa présentation, met l'accent sur certaines réponses particulières en ce qui concerne le problème des stocks chevauchants pour le Canada. Bon nombre d'entre elles se fondent sur des idées qu'il avait exprimées au début de sa présentation sur l'historique de l'OPANO et sur les façons de cerner ce problème pour l'Organisation. Il énonce ainsi une vaste gamme d'options pour faire avancer les dossiers à l'OPANO, dont certaines pourraient être élaborées en fonction de la structure de l'Organisation et d'autres qui feraient intervenir des efforts diplomatiques bilatéraux ou multilatéraux, ou qui amèneraient le Canada à prendre des mesures unilatérales. Il fait remarquer qu'aucune option n'est entièrement satisfaisante, mais que comme élément d'une stratégie bien orchestrée, bon nombre d'entre elles pourraient se révéler fructueuses (un énoncé de ces options est présenté en annexe).

Il articule ses propositions sur trois niveaux : d'abord, les mesures qui pourraient être prises immédiatement et qui ne dépendent pas d'autres faits nouveaux comme la ratification par le Canada de la Convention sur le droit de la mer ou la ratification par l'UE de l'ANUP; deuxièmement, les mesures qui pourraient être prises parallèlement avec des options de premier niveau et dans l'éventualité où les initiatives initiales n'ont pas reçu l'appui nécessaire ou qu'elles ne peuvent régler le problème; et troisièmement, les options en ce qui concerne les litiges et la gestion.

Les options de premier niveau portent d'abord sur l'amélioration de l'OPANO sur le plan des opérations. On peut citer à cet égard des pressions visant des inspections plus rapides et des mesures d'application de la réglementation déclenchées plus rapidement lorsqu'il y a des rapports sur des infractions, une meilleure déclaration de l'information, une politique visant les navires « poubelle » lorsqu'il s'agit de contrevenants récidivistes, un système de listes noires, l'appui des assureurs maritimes et coordination et harmonisation des amendes pour les États du pavillon lorsqu'il y a infractions à répétition et lorsqu'il s'agit de bateaux hors-la-loi, et l'établissement d'alliances avec les ONG et l'industrie pour faire valoir la conformité et faire connaître ou censurer les comportements répréhensibles.

Les autres options de premier niveau portent sur la réforme approfondie de l'OPANO : c'est-à-dire des mesures visant à la modifier, et au besoin, la renégociation de sa structure, de ses principes et de ses procédures. Cela comprendrait le système de prise de décisions, les procédures en matière d'objection et le cadre de conformité. En outre, le Dr Johnston propose une réorganisation des mécanismes scientifiques et de gestion, pour accorder un plus grand poids au Conseil scientifique.

D'autres stratégies de premier niveau pourraient être entreprises immédiatement, comme le rachat de quotas non canadiens pour les stocks chevauchants (ce qui pourrait comprendre des mesures de compromis avec l'UE pour un accès aux stocks évoluant à l'intérieur de la ZEE), et des efforts diplomatiques bilatéraux ciblés en-dehors du cadre de l'OPANO, pour rechercher des solutions aux désaccords persistants résultant des politiques et des quotas de l'OPANO.

Bon nombre d'options de deuxième niveau pourraient être recherchées simultanément avec les options de premier niveau, ou pourraient être utilisées dans l'éventualité d'un échec des options de premier niveau ou en cas de difficultés majeures. Elles feraient appel à des efforts diplomatiques multilatéraux et à des mesures unilatérales par le Canada.

Les options multilatérales pourraient comprendre au départ un processus visant à prendre l'initiative en ce qui concerne les dossiers reliés aux océans, notamment préparer la ratification, le réexamen et la révision possibles de la Convention sur le droit de la mer, et le réexamen et la révision éventuelle de l'ANUP, dont le texte pourra être réexaminé et modifié au cours des trois années qui suivent. Bien que le contexte de cette rencontre porte sur les pêches, le Canada manifeste bon nombre d'autres intérêts en matière de ressources océaniques qui pourraient bénéficier de ce genre d'engagement. Ainsi, notre pays manifeste de l'intérêt envers les nouveaux minéraux du fond marin (comme les gisements sulfurés polymétalliques) sur la côte ouest. Le Dr Johnston fait remarquer qu'un engagement dans le processus de réexamen de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer permettrait également de valoriser la réputation trop feutrée du Canada auprès de la collectivité intéressée à ce domaine, pour lui donner une voix et établir les prochaines dispositions de cette Convention et lui permettre de recourir à des options de troisième niveau.

Parmi les options d'application unilatérale, on peut citer une déclaration de responsabilités particulières pour le Canada envers la ZEE la plus près. Ces responsabilités pourraient porter sur la garde, la gérance, la gestion axée sur la conservation ou sur une fiducie (protection de la ressource pour des générations futures). Parmi les autres options d'application unilatérale, on peut citer la sollicitation d'intérêts particuliers d'autres États côtiers (notamment les États-Unis), la promotion d'un organisme international (une ONG ou autre) pour déclarer une crise écologique au niveau des pêches internationales, ou plus précisément dans le Grand Banc, qui pourrait justifier des interventions et des pouvoirs spéciaux, et qui pourrait viser des mesures controversées et comportant beaucoup de risques, comme la poursuite et l'arraisonnement de bateaux hors-la-loi, et des mesures dissuasives comme le gel des biens au Canada des États du pavillon récalcitrants.

Les options de troisième niveau, énoncées par le Dr Johnston. seraient grandement tributaires de la décision du Canada de ratifier la Convention sur le droit de la mer et sur la décision de l'UE de ratifier l'ANUP. Il évoque un certain nombre de solutions de rechange pour la gestion et le règlement des litiges, comme la sollicitation d'une aide technique, la conciliation, les requêtes devant la CIJ, ou peut-être auprès du TIDM, pour obtenir une opinion, un arbitrage, ou en dernier ressort, la présentation du litige devant la CIJ ou le TIDM.

IV. Discussion en table ronde d'options au niveau des lois et de la gestion

L'animateur oeuvre la discussion et fait allusion à la gamme globale d'options qui ont été présentées. Il invite les participants à ajouter des solutions ou des idées qui n'ont pas été déjà envisagées, ou à commenter les options qui ont été discutées.

Un participant propose d'envisager les différentes options en fonction des rubriques suivantes.

D'abord, accepter le statu quo, mais oeuvrer en vue d'améliorer le cadre existant.

Deuxièmement, accepter le fait que la situation a empiré depuis 25 ans, se retirer de l'OPANO, avec, comme conséquence qu'il n'y aurait aucune mesure d'application de la loi au-delà de 200M, où serait pratiquée une pêche qui ne serait pas réglementée.

Troisièmement, réformer l'OPANO en abandonnant le principe de l'application de la réglementation par l'État du pavillon, et déléguer cette responsabilité à un organisme international.

Quatrièmement, adopter une formule de gestion axée sur la conservation, par un élargissement unilatéral de la zone de compétence, ou en collaborant avec l'OPANO pour établir un système selon lequel les stocks seraient surtout situés dans la zone réglementée par l'OPANO et en partie seulement dans la ZEE de 200M du Canada et qui seraient gérés par l'OPANO, et les stocks qui se retrouveraient pour la plupart dans la ZEE canadienne et seulement en partie dans la zone réglementée par l'OPANO et qui seraient gérés par le Canada.

Cinquièmement, modifier la Convention sur le droit de la mer pour permettre à l'État côtier d'exercer sa compétence sur le poisson de fond en-deçà de la limite de 200M et au-delà de la limite extérieure de la plate-forme continentale.

Sixièmement, on associerait le poisson de fond au plateau continental dont cette espèce dépend, pour inclure ces stocks à la définition des espèces assujetties à la compétence sur le plateau continental de l'État côtier.

Les discussions qui suivent portent sur une vaste gamme de domaines. Néanmoins, certains thèmes sont évoqués.

Mesures unilatérales prises par le Canada

Les participants pensent qu'il faut adopter des initiatives audacieuses et des mesures draconiennes dans notre pays et que le Canada devrait reprendre son rôle de leadership en ce qui concerne les pêches et les questions touchant le droit de la mer. Bien que la guerre du flétan noir ait été citée comme exemple de mesures décisives prises par le Canada, on pense dans l'ensemble qu'elles devraient être conformes au droit international. Certains participants mentionnent que le Canada devrait rechercher certaines mesures comme le recours à des sanctions commerciales et la réduction des subventions à la pêche. On fait remarquer que la fermeture des ports et la dénonciation de pays dont les navires contreviennent de façon répétée aux pratiques de conservation et aux allocations de quotas, constituent des mesures qui pourraient être prises selon les critères du droit et des traités internationaux.

On exprime également l'opinion que le Canada devrait prendre des mesures, s'il le juge approprié, pour faire évoluer le droit international. On discute également de l'idée de déclarer une crise écologique dans le Grand Banc. Un participant pense qu'un intérêt accru au niveau international en ce qui concerne la conservation en haute mer de la part des ONG favoriserait un climat de discussion sur les zones visant à protéger les stocks chevauchants. D'autres participants expriment des réserves à cet égard.

Un participant encourage la table ronde à accorder moins d'attention à des modifications au droit international et à évoquer des mécanismes qui existent déjà.

Renforcement de l'ANUP

On propose que le Canada prenne l'initiative pour améliorer l'image et l'accessibilité de l'ANUP auprès de la communauté internationale. L'objectif de cet Accord visait à aider à résoudre les problèmes de l'OPANO, et ce mécanisme serait particulièrement utile pour étudier les problèmes constatés. Parmi les mesures, on pourrait inciter l'UE à devenir partie à l'ANUP. Un participant propose que les ONG européennes, notamment dans le domaine de l'environnement, devraient être informées du fait que l'UE hésite à envisager une convention importante au niveau de l'approche prudente. Toutefois, on fait remarquer que la ratification de l'Accord par l'Union européenne serait chose faite au cours des prochains mois. Toutefois, on se préoccupe de la décision du Canada d'adopter des mesures plus strictes en ayant recours à l'ANUP et à d'autres mesures coercitives; l'Union européenne pourrait se désister en refusant de ratifier l'Accord.

La décision de l'UE à l'OPANO représente une possibilité d'avoir recours aux dispositions de règlement des litiges de l'ANUP pour résoudre des problèmes qui, autrement, ne trouveraient pas de solutions.

Ratification de la Convention sur le droit de la mer

On a abondamment discuté des options qui font appel à la CDM pour traiter les problèmes présents et futurs. Un certain nombre de participants étaient d'avis que le Canada devait ratifier immédiatement la CDM. Un participant a souligné qu'il serait difficile pour le Canada de sembler sans reproches en appliquant les stratégies que prévoit l'ANUP s'il n'avait toujours pas ratifié la CDM. On se demandait si la ratification de la CDM attirait suffisamment l'attention du gouvernement fédéral. Toutefois, la ratification a suscité également quelques réserves, un participant étant d'avis qu'elle ne devrait pas avoir lieu avant l'acquisition d'une certaine expérience de l'ANUP par suite de la ratification de l'UE.

On se demandait également si, afin de ratifier la CDM, le Canada aurait à modifier ses lois pour lui permettre de prendre des mesures à l'extérieur des 200M. Selon un participant, cela ne serait pas nécessaire. De nombreux pays ont des mesures législatives non conformes à une convention qu'ils ont signée. Dans les faits, la question de conformité à la Convention n'est soulevée que lorsqu'un pays prend des mesures contre une autre partie en se fondant sur une loi qui n'est pas conforme à la Convention.

L'avantage particulier de ratifier la CDM dans ce contexte est considéré comme l'accès à des procédures de recours juridique comme celle de règlement des conflits qui, encore une fois, pourraient être utilisées pour assurer la conformité des États de l'UE aux obligations de l'OPANO.

Comme autre avantage, la ratification de la CDM garantirait que la voix du Canada et ses préoccupations seraient entendues dans toute modification apportée à l'avenir. À ce sujet, les participants ont discuté des modifications possibles à apporter au régime de la CDM. Un ensemble de changements proposés « marierait le droit du plateau et le droit de la colonne d'eau ». Plus particulièrement, la proposition faisait référence à ce qui avait été dit auparavant au sujet de la modification des limites des États côtiers à 200M pour comprendre « la limite de répartition des stocks de poisson de fond sur le plateau continental ». Outre, ce changement de la limite des États côtiers ou de concert avec lui, on a suggéré que la CDM élargisse la définition d'espèces sédentaires (espèces immobiles ou incapables de se mouvoir sauf en contact physique constant avec le fond) pour inclure le poisson de fond ou que les dispositions concernant le plateau soient modifiées pour parler « d'animaux du plateau ».

Comme mise en contexte de cet argument, les participants ont noté que le poisson de fond, comme le nom l'indique clairement, vit en étroite association avec le plateau continental : si le plateau n'était pas là, les poissons ne seraient pas là non plus et, en fait, certaines espèces passent plus de la moitié de leur vie enfouies dans le fond marin. Tout en reconnaissant qu'il s'agit là d'un petit changement pouvant nécessiter des années, compte tenu du rythme des changements dans le droit international, on a noté que toute échéance « inférieure à 25 ans constituait une grande amélioration par rapport à l'OPANO. »

Pour ce qui est de la probabilité d'adopter même de petites modifications à la CDM et les échéanciers requis, on a souligné que même si les discussions des modifications pouvaient débuter dès novembre 2004, il faudrait un processus préparatoire bien avant, car les agendas de divers pays se bousculent pour la priorité dans les débats.

Réforme de l'OPANO

On a examiné des options de réforme de l'OPANO. Un participant a souligné que l'idée de se retirer complètement de l'OPANO allait à l'encontre de nos intérêts. On peut bien dire que le Canada et Terre-Neuve-et-Labrador sont dans une situation pire qu'il y a 25 ans, avant l'OPANO, mais le retrait de l'OPANO ferait perdre au Canada les pouvoirs d'application qu'elle confère à l'extérieur de la limite de 200M; tous les pays pêcheraient impunément à l'extérieur de la limite et, en peu de temps, il n'y aurait plus de poisson.

Il a été suggéré que la réforme la plus utile, quoique radicale, serait d'abandonner le contrôle exercé par l'État du pavillon et de déléguer ces pouvoirs à un nouvel organisme impartial de l'OPANO. Toutefois, il faudrait de l'argent pour que des navires et des employés de l'OPANO appliquent les politiques à tous, y compris à l'État côtier.

De nombreux participants ont fait part de leur frustration en ce sens que le Canada a de si importants enjeux dans la réussite de l'OPANO et si peu d'influence. En partie, on se souciait que le Canada lui-même en était peut-être responsable. Bien qu'on ait rendu hommage à la qualité de la représentation du Canada à l'OPANO, on s'inquiétait qu'en général, les questions de l'OPANO n'attiraient pas suffisamment l'attention du gouvernement fédéral. On se souciait du fait que les questions de l'OPANO étaient ignorées pour éviter de « faire chavirer le navire » dans d'autres discussions ou négociations internationales ou qu'elles étaient utilisées comme monnaie d'échange pour d'autres priorités du MAECI.

On remarque qu'au sein de l'OPANO, avec seulement un vote sur 15, le Canada n'a pas plus d'influence qu'une nation de pêche lointaine qui participe très peu aux pêches de l'OPANO. Cela rend virtuellement impossible toute mesure d'importance vitale pour le Canada. Cette question inquiète particulièrement les participants qui avaient une longue expérience de l'OPANO et qui estimaient que l'Organisation avait changé fondamentalement avec l'arrivée d'États qui dépendent peu et ne se soucient pas des stocks de l'OPANO dont dépend tellement le Canada. On estime qu'il y aura de plus en plus de votes que nous perdrons à chaque fois.

On a examiné la possibilité de modifier le processus de vote pour que les États qui ont des intérêts économiques et de conservation plus grands dans un stock particulier aient plus d'influence sur sa gestion. On ajoute qu'il y a des précédents de votes pondérés dans d'autres organisations internationales, surtout dans l'industrie du transport maritime. Par exemple, dans l'Organisation maritime internationale, l'influence des membres est proportionnelle à leur participation dans l'industrie. On établit cela au moyen d'exigences précises quant au tonnage minimum pour ratifier une convention ou adopter des modifications.

De nombreuses opinions ont été exprimées quant à savoir jusqu'à quel point le Canada devrait être agressif pour convaincre d'autres membres. Certains doutaient que des pressions discrètes mais constantes au sein de l'OPANO et ailleurs puissent être utiles compte tenu surtout du scepticisme au sujet de l'importance des questions de pêche dans les priorités de politiques étrangères canadiennes. D'autres estimaient qu'une persistance discrète pouvait fonctionner, surtout dans le contexte de la ratification éventuelle de l'ANUP par l'UE.

Diplomatie bilatérale

On a discuté abondamment des possibilités qu'offre la diplomatie bilatérale. Beaucoup estimaient qu'on ne pouvait réaliser de progrès en ne travaillant qu'au sein de l'OPANO. Plus particulièrement, on a observé que plus de pays se joignent à l'UE, plus l'OPANO devient une organisation dont les principaux intervenants sont le Canada et l'UE. Il faudrait donc que le Canada traite bilatéralement avec l'UE. Un participant a souligné l'importance de favoriser un genre de mécanisme qui améliorerait les relations entre le Canada et l'UE sur des questions de pêche : « il nous faut trouver un moyen de les convaincre [l'UE] que ça vaut la peine de travailler avec nous. »

Intérêt spécial de l'État côtier

Un certain nombre de participants estimaient qu'il fallait reconnaître d'une façon ou d'une autre l'intérêt spécial de l'État côtier envers les stocks au-delà de 200M. Cela était à la base de la proposition de Terre-Neuve-et-Labrador concernant la gestion axée sur la conservation. On en a également tenu compte dans la discussion des modifications de la CDM et de la réforme de l'OPANO. C'est dans ce contexte que la proposition de compromis de juridiction entre l'OPANO et le Canada a été examinée. Dans ce scénario, le Canada serait responsable des stocks situés « surtout » dans la zone canadienne, et une OPANO renouvelée et améliorée serait responsable de ceux qui sont « surtout » dans la zone de l'OPANO. On a noté que les compromis requis des deux côtés pourraient ou non être acceptables : le Canada devrait céder certains pouvoirs dans sa ZEE et l'OPANO aurait à céder le contrôle sur la morue.

On a suggéré également qu'une forme de gestion axée sur la conservation pourrait être appliquée par le rachat de quotas. Lorsque le Canada a la partie principale d'un quota, il chercherait à racheter le reste de ce quota. Une fois qu'il disposerait de 100 p. 100 du quota, le Canada pourrait alors gérer le stock à l'intérieur et à l'extérieur des 200M. Il s'agirait alors vraiment d'une gestion axée sur la conservation. Certaines entreprises s'intéressent beaucoup à cette notion.

Toutefois, on a émis certaines réserves. Le coût de tels rachats et la question de savoir si les rachats seraient permanents ou annuels ont été notés. On a demandé en outre comment la valeur du quota serait établie. Certains ont mentionné les problèmes associés avec les nouveaux venus. On a signalé que rien n'empêchait une entreprise de pêche de l'UE de vendre son quota pour ensuite réenregistrer un plateau sous pavillon de complaisance à l'extérieur de l'OPANO pour revenir sur les mêmes lieux de pêche, vendant essentiellement le même poisson deux fois. Toute tentative du Canada d'arraisonner de tels bateaux donnerait probablement lieu à des plaintes au niveau international.

Dans certains cas, de petits quotas sont détenus par des États pour couvrir les prises accessoires et il y aurait alors peu d'incitatifs à les céder. Un participant était d'avis que la question n'était pas uniquement économique et que certains pays pêchent non pas pour l'argent, mais pour employer des gens et les occuper. Ces pays considéreraient la perte ou la vente de quotas tout à fait inacceptable car elle pourrait entraîner une perte d'un mode de vie qui pourrait être cause de problèmes sociaux.

Conclusion

Le modérateur termine la Table ronde en notant que l'objectif de la journée avait été d'obtenir le plus grand nombre d'options possible ce qui, de toute évidence, a été accompli. L'intention n'était pas d'en arriver à un consensus; cependant, on a pu constater qu'on s'entendait pour dire qu'un objectif commun était d'établir un régime de gestion axé sur la conservation et fondé sur les sciences sur le nez et la queue du Grand Banc et le Bonnet flamand, ce qui donnerait lieu à des pêches durables et au rétablissement de la ressource. Tous se sont entendus pour dire que le Canada devait avoir accès à des recours judiciaires comme ceux que prévoient la CDM et l'ANUP. En outre, bien qu'on ne soit pas optimiste au sujet de changements immédiats dans l'OPANO, on s'entendait pour dire que le retrait de l'OPANO, s'il n'y avait pas d'autres systèmes pour conserver les stocks, ne serait pas dans l'intérêt du Canada. Dans l'ensemble, les discussions de la journée ont fait ressortir l'importance vitale de cette question. Une mauvaise gestion à l'extérieur des 200M exige des mesures judicieuses de la part du gouvernement du Canada.


21 mars 2003

Annexe 1 : Glossaire des abréviations

CCFFMA Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique

NPL Nation de pêche lointaine

UE Union européenne

ZEE Zone économique exclusive

FAO Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

ICNAF Commission internationale pour les pêcheries de l'Atlantique Nord-Ouest

CIJ Cour internationale de Justice

TIDM Tribunal international du droit de la mer

CDM Convention sur le droit de la mer des Nations Unies

M Mille marin

PE Protocole d'entente

OPANO Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest

ONG Organisations non gouvernementales

RFO Organisation régionale de gestion des pêches

UNCLOS III Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer

ANUP Accord aux fins de l'application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relative à la conservation et à la gestion des stocks de poisson chevauchants et des stocks de poisson grands migrateurs


Annexe 2 : PARTICIPANTS À LA TABLE RONDE SUR L'AMÉLIORATION DE LA GESTION DES STOCKS DE POISSONS CHEVAUCHANTS - 20 FÉVRIER 2003

PARTICIPANTS

M. Alastair O'Reilly Fisheries Association of NF & LAB

M. Earle McCurdy Fish, Food and Allied Workers Union

M. Ray Andrews Fishery Products International

M. Michael O'Connor High Liner Foods Inc.

M. Brian McNamara Newfound Resources Inc.

M. Clary Reardon Ministère des Pêches et de l'Agriculture, province de la Nouvelle-Écosse

M. Patrick McGuinness Conseil canadien des pêches

M. John Angel Canadian Association of Prawn Producers

M. Roger Stirling Seafood Producers Association of Nova Scotia (SPANS)

M. Bruce Chapman Conseil des allocations aux entreprises d'exploitation du poisson de fond

M. Tom Dooley Ministère des Pêches et de l'Aquaculture, province de Terre-Neuve-et-Labrador

M. Arthur May Newfoundland and Labrador Provincial Advisory Board

M. Josh Laughren Fonds mondial pour la nature (Canada)

M. Jon Lien Président, Comité consultatif du Ministre sur les océans

PRÉSENTATEURS/MODÉRATEUR/RAPPORTEURS

Professeur Gudmundur Eriksson UN University of Peace, Costa Rica

Professeur Phillip Saunders Dalhousie University, Environmental Law

M. Mike Samson Ministère des Pêches et de l'Aquaculture, province de Terre-Neuve-et-Labrador

M. Stuart Kaye University of Wollongong, Australia

M. Douglas Johnston University of Victoria, (Emeritus)

Professeur Don McRae Université d'Ottawa, Faculté de droit

M. Moira McConnell Dalhousie University, Environmental Law

Mme Susan Newhook Consultant, Beachrock Productions


Annexe 3 : QUELLES SONT LES OPTIONS?

I Niveau un (c.-à-d. mesures qui pourraient être prises immédiatement)

A.  Améliorations environnementales

  1. À la réception de rapports d'infraction, exercer des pressions sur d'autres États de l'OPANO pour qu'ils entreprennent des inspections plus diligentes et prennent des mesures d'application plus rapides
  2. Accroître les périodes et les détails des rapports d'information
  3. Appliquer une politique de « honte » pour les contrevenants récidivistes
  4. Adopter de nouveau un système de liste noire
  5. Faire participer les assureurs maritimes à une politique de divulgation des dossiers de conformité
  6. Poursuivre la coordination/harmonisation des peines imposées par les États du pavillon en cas d'infraction aux mesures de l'OPANO commises par des « bateaux hors-la-loi »
  7. Favoriser des alliances avec des institutions non gouvernementales pour assurer la transparence internationale et exercer des pressions sur les États membres non-conformes
  8. Chercher un rôle pour l'industrie dans la promotion de la conformité

B. Réforme de l'OPANO (c.-à-d. modernisation par modification ou renégociation, au besoin)

  1. Principes et objectifs
  2. Structure
  3. Décision
  4. Sciences et outils de gestion
  5. Cadre de conformité
  6. Résolution de conflits
  7. Procédure de modifications

C.  Rachat d'options non canadiennes

D.  Diplomatie bilatérale ciblée

II Niveau deux (c.-à-d. si les initiatives du niveau I ne sont pas appuyées ou s'avèrent non viables)

A.  Diplomatie multilatérale (c.-à-d. hors de l'OPANO)

  1. "RUNCLOS" (c.-à-d. ratification + examen + révision possible de la Convention de 1982)
  2. "RUNFA" (c.-à-d. examen et révision possible de l'ANUP)

B.  Options unilatérales

  1. Précédents
  2. Intérêt spécial de l'État côtier
  3. Responsabilité spéciale de l'État de la ZEE adjacente
  4. (i) gardien; (ii) intendant; (iii) gestionnaire de la conservation; (iv) fiduciaire (équité intergénérationnelle)
  5. Déclaration de crise écologique
  6. Poursuite et arrestation de bateaux hors-la-loi
  7. Contre-mesure (c.-à-d. riposte « d'autodéfense » par la victime d'actes répréhensibles internationaux) p. ex. gel des biens de l'État du pavillon au Canada

III Niveau trois (c.-à-d. scénarios de gestion des conflits)

A.  Assistance technique

B.  Conciliation

C.  Conseils

D.  Arbitrage

E.  Poursuite devant la CIJ ou le Tribunal international du droit de la mer


    Last updated : 2005-09-27

 Important Notices