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Gestion des pêches et de l'aquaculture

Gestion des pêches et de l'aquaculture - Rapports et publications
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PLAN DE GESTION DE L'ANGUILLE D'AMÉRIQUE

Version préliminaire : 15 janvier 2007

Groupe de travail canadien sur l’anguille
Pêches et Océans Canada
Ministère des Richesses naturelles de l’Ontario
Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec

AVANT-PROPOS

La présente ébauche du plan de gestion a été élaborée par le Groupe de travail canadien sur l’anguille (GTCA) en vue de faciliter la coordination des mesures de gestion entre les différents ordres de gouvernement du Canada qui ont compétence pour assurer la conservation et la gestion de l’anguille d’Amérique. Une grande partie de son contenu (objectifs à long terme, objectifs à court terme, mesures de gestion et stratégies de mise en œuvre) découle d’un atelier du GTCA qui a eu lieu les 5 et 6 octobre 2006. L’ébauche du Plan de gestion a été examinée par les organismes responsables et par les parties intéressées avant d’être achevée dans sa forme actuelle.

L’ébauche du Plan de gestion fait partie d’un processus continu de renforcement de la gestion de l’anguille d’Amérique, qui vise à stopper la diminution de l’abondance et à créer des conditions favorables au rétablissement de la population. Une version définitive du Plan de gestion sera rédigée en fonction des réactions des parties intéressées. Un plan de mise en œuvre plus détaillé sera aussi élaboré à partir des principes et des objectifs établis dans le Plan de gestion définitif. Celui-ci doit satisfaire aux besoins d’une espèce considérée comme « préoccupante » aux termes de la Loi sur les espèces en péril, même si, au moment de la rédaction du présent document, aucune décision n’avait été prise quant à l’inscription de l’anguille d’Amérique sur la liste de la Loi sur les espèces en péril.

Le GTCA tient à remercier tous ceux et celles qui ont contribué à la présente ébauche du Plan de gestion, soit en participant à des ateliers et à des réunions, soit en formulant des commentaires sur les différentes ébauches. Il remercie également Bob Beecher qui a animé l’atelier d’octobre 2006 et Howard Powles qui a apporté son aide à la rédaction du Plan de gestion.

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TABLE DES MATIÈRES


SOMMAIRE BIOLOGIQUE

Description

L’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata) est le seul membre du genre Anguilla à se trouver en Amérique du Nord. Même si les membres du genre Anguilla sont appelés « anguilles d’eau douce », une partie de leur cycle biologique se passe en mer. Chez certains individus, il se déroule même entièrement en eau salée. L’anguille d’Amérique, tant juvénile qu’adulte, est un poisson allongé au corps serpentiforme, avec des écailles rudimentaires profondément incrustées dans la peau. Historiquement, l’espèce était considérée comme étant commune et abondante dans toute son aire de répartition.

Répartition

L’anguille d’Amérique est largement répartie dans les eaux douces, les estuaires et les eaux marines côtières de l’Atlantique Nord-Ouest, du Venezuela, au sud, jusqu’au Groenland et à l’Islande, au nord. On trouve des adultes dans la mer des Sargasses, où ils frayent. Les larves sont réparties dans la partie ouest de l’océan Atlantique, où elles gagnent les eaux côtières et estuariennes. Au Canada, l’aire de répartition historique de l’anguille d’Amérique englobe toutes les eaux douces accessibles, les estuaires et les eaux marines côtières reliées à l’océan Atlantique, s’étendant au nord jusqu’au milieu de la côte du Labrador et à l’intérieur, jusqu’aux chutes Niagara, dans les Grands Lacs. Les plates-formes continentales sont également fréquentées par les anguilles juvéniles arrivant du lieu de frai et par les anguilles argentées qui y retournent. Les récentes occurrences signalées dans les Grands Lacs, en amont des chutes Niagara (lacs Érié, Huron et Supérieur), résultent d’une dispersion récente par les canaux Érié et Welland et devraient probablement être considérées comme des introductions.

Historiquement, l’anguille possédait l’aire de répartition la plus étendue de tous les poissons de l’hémisphère occidental, et elle tenait une position dominante par son abondance et sa biomasse dans les nombreux habitats qu’elle occupait. L’anguille d’Amérique est donc une composante importante de la diversité biologique au Canada, jouant vraisemblablement un rôle clé dans les habitats qu’elle fréquente.

Une proche parente, l’anguille d’Europe (Anguilla anguilla) est largement répartie sur la côte Est de l’Atlantique, de la Scandinavie à la mer Baltique et au Maroc, en passant par la Méditerranée et la mer Noire. Il existe aussi d’autres anguilles dans les océans Pacifique et Indien (Fishbase, 2006).

Cycle biologique

L’anguille d’Amérique a un cycle biologique complexe dont les différents stades se déroulent en mer, dans les eaux côtières et les estuaires et en eau douce. La reproduction et l’éclosion ont lieu dans la mer des Sargasses. Les larves, dites « leptocéphales » en raison de leur transparence et de leur apparence rappelant celle d’une feuille de saule, sont transportées le long de la côte par le courant du Gulf Stream. Une fois parvenues sur la plate-forme continentale, les leptocéphales se métamorphosent en anguilles transparentes, dont le corps allongé et serpentiforme est semblable à celui de l’adulte mais sans pigmentation. À mesure que les anguilles transparentes se déplacent sur la plate-forme continentale en direction des côtes, elles acquièrent une pigmentation. On les appelle alors « civelles ». Au stade suivant, elles deviennent des anguilles jaunes dont la peau est épaisse et coriace (comparativement à la peau mince des anguilles transparentes et des civelles) et dont la couleur devient foncée sur le dos et varie du jaunâtre au brun olive sur le ventre. Cette transformation a habituellement lieu en eau douce. La différenciation sexuelle se produit au stade de l’anguille jaune, qui est aussi la principale phase de croissance de l’anguille d’Amérique. Au fil du processus de maturation, l’anguille jaune se métamorphose en anguille argentée, dont livrée est grisâtre sur les parties supérieures et blanchâtre sur le ventre. Elle acquiert alors un certain nombre de caractéristiques morphologiques et physiologiques adaptatives qui lui permettent d’entreprendre une migration sur de longues distances : les nageoires pectorales grandissent, les yeux grossissent, les pigments de la rétine se modifient et le pourcentage des lipides somatiques augmente.

La forme larvaire du leptocéphale dure généralement de 7 à 12 mois et la métamorphose survient à un âge moyen de 200 jours, quand les leptocéphales mesurent environ 55 à 65 mm. L’arrivée dans un estuaire des anguilles transparentes a lieu vers 255 jours. Le stade de civelle dure de trois à douze mois, au cours desquels elle pénètre en eau douce et passe une grande partie de cette période à migrer vers l’amont. Dans le Canada atlantique, l’arrivée des civelles varie selon l’endroit. Dans la partie côtière de la Nouvelle-Écosse, la migration des civelles connaît des pointes vers la fin d’avril et la fin de juin, bien qu’elles puissent continuer de pénétrer, en petit nombre, dans les rivières jusqu’en août. Leur longueur totale varie alors généralement entre 50 et 70 mm. À l’Île du Prince Édouard, des civelles ont été prises entre la fin de juin et la fin d’août, tandis que sur la rive nord du golfe du Saint-Laurent, elles arrivent au mois de juillet et mesurent alors entre 60 et 70 mm.

Les anguilles jaunes peuvent continuer de remonter les cours d’eau pendant plusieurs années. La migration peut connaître des pointes, généralement entre juin et août dans les eaux canadiennes pour lesquelles on dispose de données. Les anguilles qui ont accès à l’eau salée peuvent passer de l’eau douce aux estuaires au printemps et retourner en eau douce à l’automne. Dans les eaux canadiennes, les anguilles d’Amérique hibernent dans la vase, entrant dans un état de torpeur à des températures inférieures à 5 °C, bien que certaines observations montrent que les anguilles sont parfois actives pendant leur période normale d’hibernation.

Les anguilles argentées adultes vont frayer dans la mer des Sargasses entre février (pointe) et avril, de sorte que la migration à partir du Canada est synchronisée de manière à permettre aux adultes d’atteindre les frayères au moment approprié. La migration commence donc en mai dans la rivière Richelieu (Québec) et en juin dans le lac Ontario. Les départs se poursuivent jusqu’en novembre à partir de la Nouvelle Écosse.

Taille, âge et croissance

La longueur maximale des anguilles d’Amérique observée au Canada est d’environ un mètre, et l’âge maximal est d’à peu près 32 ans. L’âge moyen à la migration de reproduction est de 19,3 ans, la fourchette étant de 12 à 23 ans. La longueur au moment de la migration varie selon le lieu, les anguilles du fleuve Saint-Laurent étant plus grandes (840 à 1 000 mm) que celles du golfe du Saint-Laurent et des régions atlantiques (650 à 700 mm). Toutes les observations ci dessus portent sur des anguilles d’eau douce, car il est plus facile d’obtenir des données sur ces dernières que sur les anguilles qui passent leur vie en eau salée. La croissance est plus rapide en eau salée qu’en eau douce; une étude d’anguilles vivant dans des baies d’eau salée semble indiquer qu’elles atteignent la taille de la migration (700 mm) à sept ans. Dans les habitats d’eau douce, la croissance paraît plus rapide dans les rivières que dans les lacs.

Les observations présentées ci dessus s’appliquent aux femelles qui dominent dans la plupart des endroits au Canada (les anguilles argentées mâles semblent plus répandues dans les zones situées au sud du fleuve Saint-Laurent et du golfe, ainsi que le long de la côte atlantique américaine). Un seuil de longueur de 400 mm a été établi pour identifier les anguilles argentées mâles (c. à d. que toutes les anguilles argentées de taille inférieure à ce seuil seraient considérées comme des mâles). Des mâles d’une rivière du Rhode Island avaient une longueur moyenne de 340 mm et un âge moyen de 11 ans selon une étude publiée.

La différenciation sexuelle est jugée complète à 270 mm de longueur totale.

Structure de la population

L’anguille d’Amérique est actuellement considérée comme une population panmictique, c’est-à-dire qu’il n’y aurait aucune hétérogénéité génétique décelable entre individus ou sous-groupes de la population (Wirth et Bernatchez, 2003), d’après des échantillons prélevés en différents endroits éloignés les uns des autres dans toute l’aire de répartition; des techniques d’analyse ayant montré une sous-structure génétique chez d’autres espèces de poisson ont confirmé cette conclusion. Les résultats des travaux génétiques sont conformes au tableau général du cycle biologique de l’espèce : tous les adultes matures frayent ensemble au même endroit. Les larves et les juvéniles issus de cette population unique de géniteurs constituent l’unique source d’anguilles pour l’ensemble de l’aire de répartition de l’Atlantique Nord Ouest.

L’information dont nous disposons est incomplète, du fait que les échantillons des Grands Lacs et du haut Saint-Laurent, une vaste et importante partie de l’aire de répartition de l’espèce en Amérique du Nord, n’ont pas été inclus et que la taille de l’échantillon était relativement petite. Des études génétiques comprenant des échantillons de zones précédemment non échantillonnées sont actuellement prévues.

Des études récentes tendent à démontrer l’existence d’une grande diversité génétique parmi les populations d’anguille européenne, une espèce proche parente de l’anguille d’Amérique qui comprendrait plusieurs groupes reproducteurs identifiables (van Ginneken et Maes, 2005). À la lumière de ces faits, il y aurait lieu de procéder à des études plus poussées de la structure génétique de l’anguille d’Amérique. Les variations importantes des caractéristiques biologiques constatées chez cette dernière sur l’ensemble de son aire de répartition (taille, croissance, rapport mâles-femelles) sont actuellement considérées commes des variations phénotypiques liées aux conditions du milieu, mais elles pourraient aussi être le résultat d’une variabilité génétique.

Les caractéristiques biologiques de l’anguille varient considérablement sur l’ensemble de son aire de répartition. Les rapport mâles-femelles diffèrent beaucoup aussi selon l’emplacement géographique. Dans la plupart des eaux canadiennes, plus de 95 p. 100 des anguilles sexuées sont des femelles; celles du haut Saint-Laurent et du lac Ontario, notamment, sont presque toutes femelles. Les mâles sont plus communs dans la région Scotia-Fundy. Dans des échantillons prélevés lors d’études, les mâles formaient 7 p. 100 de la population dans la rivière Saint Jean (baie de Fundy) et plus de 55 p. 100 dans la rivière East (Nouvelle-Écosse). Par ailleurs des civelles capturées dans la baie de Fundy et conservées dans un lac sur la rive sud du fleuve Saint Laurent ont produit 27 p. 100 de mâles après quatre ans de croissance (cette étude pourrait ne pas correspondre à des conditions naturelles). Dans une rivière du Rhode Island, la proportion d’anguilles argentées mâles est passée de 77 p. 100 en 1977 à 94 p. 100 en 1991. Les études menées dans des régions précises semblent indiquer que des densités élevées d’anguilles sont associées à une plus forte proportion de mâles et que les bassins hydrographiques avec un pourcentage d’habitats lacustres plus élevé produisent une plus forte proportion de femelles.

Comme il est indiqué plus haut (Taille, âge et croissance), on constate aussi une grande variabilité géographique dans le taux de croissance ainsi que dans la taille à la maturité et au moment de la dévalaison. En général, les anguilles des zones plus septentrionales croissent moins vite et sont plus longues, plus lourdes et plus âgées au moment de la dévalaison. Elles comptent aussi une plus forte proportion de femelles.

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ÉTAT DE LA POPULATION ET TENDANCES

L’abondance de l’anguille d’Amérique a diminué au Canada depuis le milieu des années 1980, et de façon précipitée dans le haut Saint-Laurent et les Grands Lacs, l’une des plus importantes zones de production de géniteurs qui migrent vers le lieu de frai. Le seul endroit où une stabilité relative a été observée est la zone au sud du golfe du Saint-Laurent, où la mortalité attribuable à des facteurs anthropiques est faible. Bien qu’on ne connaisse pas toutes les causes de cette baisse, on a pu cerner les principaux facteurs de menace. Les sections suivantes donnent une description de certains aspects des conditions naturelles de production, des menaces anthropiques ainsi que de l’ampleur et de la nature des déclins dans les différentes zones.

Conditions de l'habitat et de l'environnement

La complexité du cycle biologique des anguilles est telle que leur survie dépend des conditions qui prévalent dans un large éventail d’habitats aquatiques, notamment en haute mer et sur les plates-formes continentales ainsi que dans les zones côtières, les estuaires et les eaux intérieures. En eau douce, les anguilles sont très polyvalentes dans leur utilisation de l’habitat, s’accommodant d’une grande diversité d’habitats et de conditions : couvert, substrat, température de l’eau et densité de prédateurs.

Tout changement dans les conditions écologiques dans la mer des Sargasses et dans les zones tropicales et subtropicales de l’Atlantique Ouest (courant du Gulf Stream) peut avoir une incidence sur la productivité et l’abondance des anguilles. On juge peu probable qu’une diminution du transport par le Gulf Stream ait été à l‘origine du déclin des populations d’anguilles canadiennes observé jusqu’au début des années 1990 (Castonguay et coll., 1994), toutefois d’autres diminutions ont été signalées depuis (Knights, 2003), et l’hypothèse d’un lien entre le transport par le Gulf Stream et l’abondance des anguilles mérite qu’on s’y attarde un peu plus. Une forte corrélation négative a été observée entre l’indice d’oscillation de l’Atlantique Nord (un indice environnemental lié à un certain nombre de changements récents observés chez les populations de poissons marins) et les indices d’abondance des anguilles (anguilles passant vers l’amont au barrage Moses-Saunders sur le Saint-Laurent, anguilles capturées au cours de relevés par pêche à l’électricité sur la rivière Miramichi) semblent indiquer un effet possible des changements de conditions océaniques sur le recrutement des anguilles dans le haut Saint-Laurent et le lac Ontario (COSEPAC, 2006; Cairns et Caron, 2006). On a aussi émis l’hypothèse qu’un réchauffement dans la mer des Sargasses pourrait réduire la production de nourriture et ralentir la dérive des larves leptocéphales, ce qui aurait des effets négatifs sur le recrutement (Knights, 2003).

Répercussions anthropiques

Pêches

La pêche de l’anguille d’Amérique est pratiquée au Canada depuis des siècles. Cette espèce était importante pour les Autochtones d’Amérique et les premiers colons, puisqu’elle constituait une source alimentaire prévisible et accessible à certaines saisons. Ces deux groupes en faisaient donc des captures substantielles (Casselman, 2003; COSEPAC, 2006). Un peu plus près de nous, l’anguille était pêchée dans toute son aire de répartition au Canada, notamment en Ontario (lac Ontario et haut Saint-Laurent), au Québec (lac Saint-Pierre, lac Saint-François, rivière Richelieu et estuaire du haut Saint-Laurent), dans le golfe du Saint-Laurent, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve (Peterson éd., 1997; COSEPAC, 2006). Toutes les pêches ciblent les anguilles jaunes et argentées, à l’exception des pêches expérimentales de civelles entreprises au début des années 1990 en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve et se poursuivant encore aujourd’hui en Nouvelle-Écosse. Depuis le milieu des années 1990 des restrictions ont été imposées sur le nombre de permis et les saisons de pêche des grandes anguilles et des civelles dans toutes les régions. Toutes les pêches d’anguilles ont été interdites en Ontario en 2004 pour contrer une baisse brutale de l’abondance. Au Québec, la mortalité par pêche a été réduite par suite de la fermeture complète de la pêche dans la rivière Richelieu en 1998 et grâce à la mise en œuvre d’un vaste programme de rachat de permis de pêche dans le lac Saint-Pierre (où le nombre de permis est passé de 42 à 18). Dans l’estuaire du Saint-Laurent, la baisse de l’abondance de l’anguille a entraîné une diminution graduelle de l’effort de pêche (de 34 km de pêcheries à fascines en 1997 on est passé à 12 km en 2006), ce qui a aussi contribué à la réduction des prises. Dans la Région des Maritimes, on a haussé les tailles minimales et exigé l’installation de dispositifs d’évasion dans les pièges et les viviers. De plus, un gel sur le nombre de permis de pêche de la civelle et une réduction de quota 10 p. 100 ont été décrétés, ce qui a contribué à une baisse générale des prélèvements par pêche.

La récolte totale a varié entre 500 et 1 200 t/an entre 1961 et 2003; elle a diminué de 1 100 t/an à la fin des années 1980 à environ 500 t/an en 2003. Les prises non déclarées ne sont pas jugées importantes, étant estimées à moins de 5 p. 100 des prises déclarées dans le lac Ontario et à moins de 8 p. 100 des prises déclarées dans le Saint-Laurent. Il n’y a pas de pêche commerciale sur la rive nord du golfe du Saint-Laurent, ni dans la plupart des habitats d’eau douce du sud du golfe du Saint-Laurent, de la Nouvelle-Écosse et de la baie de Fundy. Une pêche sportive restreinte se pratique dans certaines de ces zones.

Bien que la pêche de l’anguille ait été pratiquée dans de nombreuses parties de l’aire de répartition de l’espèce, de grandes zones n’ont encore jamais été exploitées. On estime que la mortalité par pêche est relativement élevée dans les quelques localités où des évaluations ont été faites, mais, dans l’ensemble, on n’en sait pas grand chose. Les prélèvements atteindraient 90 p. 100 d’anguilles jaunes et argentées dans le cadre de la pêche commerciale à l’Île-du-Prince-Édouard. Selon des expériences de marquage-recapture, on estime que les taux d’exploitation annuels dans l’estuaire du Saint-Laurent étaient de 19 p. 100 en 1996 et de 24 p. 100 en 1997. Les captures locales de civelles pourraient être importantes – estimées entre 30 et 50 p. 100 des civelles qui arrivent dans un cours d’eau de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, cette pêche n’est pas répandue et ses conséquences sont probablement localisées.

Barrages

La présence de barrages a deux conséquences potentielles sur les populations d’anguilles, d’abord en restreignant l’accès à l’habitat en amont, puis, dans le cas des barrages hydroélectriques, en causant des mortalités dans les turbines lors de la dévalaison.

Dans le bassin du Saint-Laurent, plus de 8 000 barrages restreignent l’accès des anguilles à plus de 12 000 km² d’habitat d’eau douce. Cette restriction pourrait avoir réduit l’échappée annuelle potentielle par plus de 800 000 grosses anguilles femelles et ce, pour trois affluents seulement (Verreault et coll., 2004, cité dans COSEPAC, 2006). Cependant, ces données pourraient avoir quelque peu changé par suite de l’installation de passes à poissons dans la rivière Richelieu et le fleuve Saint Laurent. Bien que peu de barrages restreignent l’accès dans la partie sud du golfe du Saint-Laurent, on en trouve plusieurs en Nouvelle-Écosse, dans la baie de Fundy et à Terre-Neuve. Les petites anguilles (moins de 10 cm de longueur) peuvent escalader des obstacles verticaux humides comme les barrages, mais les grandes anguilles sont généralement incapables de franchir les chutes et les barrages, de sorte qu’il faut prévoir des passes migratoires afin de réduire les restrictions au passage vers l’amont.

La mortalité des anguilles argentées en migration vers l’aval dépend de leur taille (elle est supérieure chez les grandes anguilles), de l’espacement des turbines, du type de turbine et des conditions d’exploitation. Le taux de mortalité des anguilles qui descendent du lac Ontario et du haut Saint-Laurent serait d’au moins 40 p. 100 à cause de leur passage dans deux barrages hydroélectriques (Moses-Saunders et Beauharnois). La mortalité au cours de la dévalaison n’a pas été estimée à d’autres barrages du Canada, mais elle pourrait être importante. Son taux est probablement supérieur dans les petits barrages que dans les grands en raison de la configuration des turbines.

Entraînement dans les prises d'eau

Même si cet aspect a peu été étudié jusqu’ici, l’entraînement des anguilles dans les prises d’eau (par exemple les prises d’eau des municipales, les prises d’eau industrielles et les centrales thermiques) est une cause importante de mortalité.

Pollution chimique

Les anguilles sont susceptibles de concentrer les contaminants chimiques, car ce sont des animaux benthiques qui vivent longtemps et ont un taux élevé de gras, lequel favorise l’accumulation de contaminants lipophiles comme les BPC (biphényles polychlorés), les pesticides, les dioxines et les furanes. Les habitats des anguilles, dans le haut Saint-Laurent ont été soumis à des taux élevés de pollution chimique en raison des rejets industriels. La forte mortalité estivale des anguilles argentées observée dans les années 1970 a été attribuée à une toxicité aiguë due aux concentrations élevées de contaminants présents dans l’eau. Un lien positif a été observé entre la contamination chimique et la gravité des lésions pathologiques chez les anguilles du Saint-Laurent. En laboratoire, on a noté une diminution de la consommation d’oxygène chez les anguilles présentant une forte concentration de BPC. Qui plus est, au moment de la maturation des gonades, des gras contaminés stockés dans certains tissus (principalement les muscles chez l’anguille) sont transférés vers les gonades. Ainsi, des contaminants liposolubles persistants s’accumulent dans les œufs en développement et risquent d’affecter la croissance et la survie des embryons et des larves.

Les niveaux de contaminants dans le lac Ontario ont beaucoup diminué depuis les années 1970, et rien n’indique que les nivaux actuels ont des effets néfastes sur la reproduction naturelle et la santé des organismes vivant dans le lac Ontario. Malgré l’absence de preuves d’un effet direct de contaminants particuliers sur les anguilles, les effets sublétaux pourrait entraîner une diminution de la performance physiologique et natatoire et, ainsi, nuire à la capacité d’entreprendre la longue migration vers les frayères et contribuer à la réduction du recrutement.

De nombreux cours d’eau du sud des hautes terres de la Nouvelle-Écosse (parties sud et sud-est de la province) ont un faible pH à cause des pluies acides; l’acidité de ces rivières peut limiter la survie des anguilles d’Amérique.

L’expansion de l’agriculture intensive dans de nombreux bassins hydrographiques où vivent des anguilles cause une forte augmentation du ruissellement d’engrais et de pesticides. Les effets de cette source croissante de pollution sur les anguilles sont inconnus, mais ils pourraient être importants.

Nématode parasite exotique

Un nématode parasite de la vessie natatoire, Anguillicola crassus s’est répandu en Europe à partir de cargaisons d’anguilles japonaises importées d’Asie en 1982 pour des installations aquacoles allemandes. En Amérique du Nord, ce parasite a été découvert pour la première fois en Caroline du Sud, en 1995. Depuis lors, il a été décelé chez des anguilles du fleuve Hudson et de la baie de Chesapeake ainsi que dans le Massachusetts et le Maine. Il a aussi été repéré à quelque 40 km de la frontière du Nouveau-Brunswick. Même si A.crassus n’a pas encore été décelé au Canada, son arrivée pourrait être imminente. Les infections graves peuvent donner lieu à des lésions hémorragiques, à la fibrose ou au collapsus de la vessie natatoire, à l’ulcération de la peau, à la baisse d’appétit et à la réduction de la performance natatoire. Compte tenu de la nécessité pour l’anguille d’entreprendre une longue migration de reproduction, une diminution de la performance natatoire pourrait être un effet sublétal important de ce parasite.

Tendances démographiques

Il n’existe aucune évaluation quantitative exhaustive de l’état de l’anguille d’Amérique au Canada, et l’étendue de sa répartition dans un large éventail d’habitats complique l’évaluation de l’état général de la population.

EN 2000, le Groupe de travail sur l’anguille du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM/ICES) a compilé des données pertinentes et tenté d’effectuer une évaluation globale de la population d’anguilles d’Amérique (ICES, 2001). Selon les conclusions du Groupe de travail, l’information qui est insuffisante à l’heure actuelle ne permet ni de procéder à des évaluations ni de formuler des avis détaillés à des fins de gestion. Toutefois, le Groupe de travail a en effet constaté une baisse ou une stabilité de l’abondance sur l’ensemble de l’aire de répartition, une diminution du recrutement dans le réseau du Saint-Laurent, une altération de l’habitat sur une bonne partie de l’aire de répartition et des incidences négatives des conditions océanographiques sur le recrutement. Le Groupe de travail a donc fait les recommandations suivantes :

  • Ne pas accroître l’exploitation dans les zones déjà exploitées; ne pas instaurer de pêches dans les zones non exploitées et s’efforcer, partout où cela est possible, de réduire la mortalité d’origine anthropique;
  • Une coordination internationale devrait être établie pour assurer la gestion future de l’espèce, notamment en créant une tribune internationale, où les scientifiques pourront échanger de l’information et orienter les activités de surveillance et de recherche;
  • Il faudra de meilleurs données sur les prises, l’effort de pêche, l’exploitation, les paramètres du cycle biologique et la démographie pour estimer les taux d’exploitation actuels et durables. Il faut aussi des données sur la capacité de l’habitat de l’anguille et les programmes de surveillance à long terme du recrutement et de la production de géniteurs.

Les résultats des principaux indices de population et d’abondance sont décrits ci dessous, d’après le meilleur résumé récent des données sur l’état de la population (COSEPAC, 2006). Les tendances des prises commerciales n’en font pas partie, car elles ne donnent pas nécessairement une idée juste de l’abondance.

Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et sud de la Gaspésie

L’abondance des civelles dans deux rivières de la Nouvelle-Écosse (rivière East, Sheet Harbour, 1989-2001; rivière East, Chester, 1996-2005) n’affiche aucune tendance à long terme, bien que, dans un cas, elle ait été supérieure pendant la période de 1999-2003 qu’avant ou après cette période. Dans le sud du golfe du Saint-Laurent, des relevés d’anguilles juvéniles effectués par pêche à l’électricité dans deux cours d’eau (rivières Miramichi, 1952-2004, et Margaree, 1957-2004) ont indiqué un déclin vers la fin des années 1970 et ceux qui y ont été réalisés depuis montrent des niveaux d’abondance bien inférieurs aux niveaux historiques; dans une troisième rivière (Restigouche, 1972-2004), la pêche à l’électricité n’a révélé aucune tendance à long terme. Les résultats des relevés à l’électricité dans huit rivières de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick (du milieu des années 1970 à 2004) sont difficiles à interpréter à cause de variations dans les méthodes utilisées au fil du temps et d’une grande variabilité dans les indices. En général, aucune tendance ne peut être décelée dans les cours d’eau du Nouveau-Brunswick (5), tandis qu’on observe des baisses depuis la fin des années 1990 dans ceux de la Nouvelle-Écosse (3). Les prises par unité d’effort des anguilles de taille légale ou inférieure à la limite légale à l’Île-du-Prince-Édouard (1996-2004) ont généralement augmenté depuis le milieu des années 1990.

Terre-Neuve

La pêche à l’électricité dans deux cours d’eau (rivière Highlands, 1979-1999, et ruisseau Northeast, 1984-1998) montre une diminution de l’abondance dans les années 1990 par rapport au début des années 1980.

Lac Ontario/fleuve Saint-Laurent

Les prises d’anguilles argentées par unité d’effort de deux exploitations dans l’estuaire du Saint-Laurent (1985-2004) montrent une certaine baisse du début à la fin de la série, mais elles sont demeurées relativement stables depuis le milieu des années 1990. Les prises d’anguilles argentées de la pêche expérimentale au casier à Saint-Nicolas, près de Québec (1971-2004), ont diminué du début des années 1970 au milieu des années 1980, mais elles se sont stabilisées ou ont augmenté depuis.

Le poids moyen, et vraisemblablement l’âge moyen, des anguilles capturées dans le cadre de la pêche expérimentale de Saint-Nicolas et de la pêche commerciale de l’estuaire du Saint-Laurent ont augmenté depuis le milieu des années 1990, ce qui est le signe d’un vieillissement de la population attribuable à l’insuffisance du recrutement. Le poids moyen des anguilles argentées qui migrent dans la rivière Richelieu au Québec s’est accru de 50 p. 100 entre 1987 et 1997, tandis que les captures totales d’anguilles dans cette rivière (indice approximatif de l’abondance puisque l’effort n’a pas varié substantiellement) ont diminué, passant de 73 t/an en 1981 à 5 t/an ces dernières années. Ce déclin soudain du recrutement vers le lac Champlain est probablement lié en partie à la reconstruction de deux barrages dans la rivière Richelieu (Saint-Ours et Chambly) dans les années 1960 (Verdon et coll., 2003). La pêche a été fermée en 1988. Les échelles à anguilles ont été réaménagées à Chambly (1997) et à Saint-Ours (2001), et elles sont désormais d’une grande efficacité. Toutefois, comme on a pu le constater ailleurs dans le bassin du Saint-Laurent, le nombre de petites anguilles remontant la rivière demeure très faible. Ces dernières années, pas plus de 3 500 individus ont été observés remontant la rivière, alors qu’il en faudrait des centaines de milliers par an pour soutenir une pêche aux niveaux historiques (débarquements d’environ 35 t par an).

Le nombre d’anguilles jaunes qui remontent l’échelle à poisson du barrage Moses-Saunders près de Cornwall, en Ontario, (1974-2004) a diminué d’environ trois ordres de grandeurs au cours des vingt dernières années, passant d’environ un million par année au début des années 1980 à moins de 15 000 pendant la dernière décennie. Les prises au chalut par unité d’effort de l’anguille jaune dans la baie de Quinte du lac Ontario (1972-2004) et les prises effectuées dans le cadre d’une pêche indicatrice à l’électricité dans l’est du lac Ontario (1984-2004) ont aussi chuté d’un ou deux ordres de grandeur entre les années 1980 et les dernières années, pour se situer près de zéro.

L’âge moyen des anguilles qui remontent le courant au barrage Moses-Saunders a augmenté, passant d’environ 6 ans en 1975 à 12 ans au cours des années 1990.

Résumé

Dans le lac Ontario, région la plus éloignée de la mer, l’abondance des anguilles d’Amérique aurait nettement reculé, tandis que la taille moyenne des anguilles a augmenté substantiellement, comme on peut s’y attendre lors d’une baisse du recrutement. On note aussi une diminution importante de l’abondance dans le bassin hydrographique de la rivière Richelieu et du lac Champlain, comme l’indiquent les prises des pêcheurs, ainsi qu’une augmentation de la longueur moyenne et, ces dernières années, une faible migration en amont. Dans l’estuaire du Saint-Laurent, la taille semble augmenter ces dernières années, mais elle ne serait pas accompagnée d’un déclin aussi catastrophique de l’abondance que dans le lac Ontario. Les indices d’abondance révèlent une stabilité relative ces dernières années après des baisses importantes au cours des années 1980. Dans la région de l’Atlantique, les indices sont plus variables et révèlent des tendances contradictoires. On note des baisses d’abondance à bien des endroits, alors que dans d’autres, on observe une stabilité relative ou même de récentes augmentations.

Même si la population d’Amérique du Nord est apparemment homogène sur le plan génétique, on constate des variations considérables des caractéristiques biologiques dans l’ensemble de l’aire de répartition géographique, dont il faut tenir compte pour évaluer l’état général. Les baisses catastrophiques de grandes anguilles, presque exclusivement des femelles, dans le lac Ontario et le haut Saint-Laurent semblent indiquer que la fécondité de la population pourrait avoir beaucoup souffert de la baisse dans ces zones. L’estimation de la contribution relative des bassins à la fécondité des populations est basée sur de grandes hypothèses non vérifiables, mais il est évident que le bassin hydrographique du Saint-Laurent a contribué dans une forte proportion à l’effectif total de géniteurs.

L’information sur l’abondance de l’anguille d’Amérique aux États-Unis est tout aussi fragmentaire et marquée par l’incertitude, mais l’état de la population suscite de grandes préoccupations (Haro et coll., 2002), si bien qu’une pétition visant à faire inscrire l’espèce sur une liste en vertu de la loi américaine sur les espèces en voie de disparition (US Endangered Species Act) a été présentée en 2004 (http://www.fws.gov/northeast/ameel/). Les populations étroitement apparentées de l’anguille d’Europe ont diminué substantiellement en Europe, où l’indice d’abondance des anguilles jaunes a baissé d’un ordre de grandeur depuis les années 1950 (CIEM, 2004).

Même si les indices disponibles ne peuvent être combinés pour procéder à une évaluation quantitative de la population globale, ils tendent effectivement vers une baisse générale substantielle due à la diminution du recrutement et à la réduction de l’aire de répartition accompagnant la baisse d’abondance. La stabilité relative des indices d’abondance dans les zones situées plus près du centre de la population (Canada atlantique et estuaire du Saint-Laurent) et les baisses survenues dans les zones périphériques (lac Ontario/haut Saint-Laurent) comme on en a observées depuis les années 1980 seraient conformes à ce scénario. Un autre scénario possible serait que certains facteurs environnementaux inconnus font baisser le recrutement vers le lac Ontario et le haut Saint-Laurent, tandis que d’autres régions continuent d’avoir un recrutement « normal ». Toutefois, aucune preuve ne permet de confirmer cette hypothèse. Malgré les incertitudes, toutes les récentes évaluations de la situation de l’anguille d’Amérique au Canada donnent des signes unanimes évidents d’une importante baisse générale de la population (Anon., 2003; Casselman, 2003; COSEPAC, 2006; Haro et coll., 2000).

Bien que les causes du déclin ne puissent être établies avec certitude (Casselman, 2003; Haro et coll., 2000; COSEPAC, 2006), les travaux les plus récents semblent indiquer que la pêche, les barrages et les contaminants sont les facteurs qui auraient vraisemblablement contribué à la diminution de l’abondance des géniteurs et du recrutement au cours des deux ou trois dernières décennies. La mortalité due à certaines autres sources (pêches, barrages dans le haut Saint-Laurent) est connue et a été substantielle.

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PROBLÈMES DE GESTION ET MESURES RÉCENTES

Les défis de la gestion

L’anguille d’Amérique pose d’importants défis aux organismes de gestion. L’espèce, qui possède une aire de répartition très vaste, est considérée comme une population unique partagée en Amérique du Nord. Par conséquent, la protection de son potentiel de production exige une coopération coopération à grande échelle. À cause des variations phénotypiques, certaines zones (c.-à-d. celles où se concentrent les grandes femelles) peuvent jouer un rôle crucial dans le maintien de la population génitrice. Ces zones pourraient exiger une attention particulière. Même si on découvrait des sous-composantes génétiques au sein de la population nord-américaine, cela ne changerait rien au fait qu’il faudra à la fois mettre en œuvre des mesures de gestion dans toute l’aire de répartition et accorder une attention particulière à des zones et à des enjeux précis. L’anguille d’Amérique est soumise à une grande diversité de menaces dans la quasi-totalité des habitats aquatiques de l’Est de l’Amérique du Nord, menaces que constituent les habitats eux-mêmes et la pêche. De plus, l’espèce est soumise à des fluctuations des conditions écologiques dans les milieux océaniques et d’eau douce. L’atténuation de ces menaces exigerait des modifications importantes de certaines activités humaines cruciales, comme la production d’énergie hydroélectrique, le développement urbain et industriel, et la pêche. Au Canada comme aux États-Unis, la compétence en matière de gestion de ces activités est fragmentée, étant partagée entre des autorités fédérales, provinciales/d’État et municipales. Enfin, il existe encore de nombreuses incertitudes dans l’évaluation de la population et des menaces : l’état général de la population ne peut être évalué ou prévu avec précision à partir de l’information disponible actuellement, l’importance relative des menaces et les effets relatifs des mesures d’atténuation ne sont pas entièrement connus, et la contribution relative des changements environnementaux naturels et des effets des activités humaines ne sont pas non plus très bien connus.

Malgré les incertitudes et les lacunes des connaissances, on connaît suffisamment bien la situation de l’anguille au Canada pour justifier la prise de mesures de gestion fermes et urgentes. La mortalité due à certaines des principales menaces est connue (pêches et barrages dans le haut Saint Laurent), et des baisses catastrophiques de l’abondance se sont produites dans des zones qui contribuent largement au potentiel de reproduction. En cas d’incertitude, l’approche à adopter pour prévenir toute atteinte irréversible à la population et celle de la précaution, conformément à la politique du gouvernement du Canada concernant l’application du principe de précaution (Gouvernement du Canada, 2003).

Fondement réglementaire de la conservation et de la gestion de l’anguille d’Amérique au Canada

Le gouvernement fédéral du Canada est chargé de la conservation et de la gestion des pêches et de l’habitat des poissons en vertu de la Constitution du Canada, tandis que les provinces s’occupent du poisson en tant que « bien », une fois qu’il est récolté. Le principal fondement de la conservation et de la gestion des espèces aquatiques est la Loi sur les pêches fédérale, en vertu de laquelle le ministère des Pêches et des Océans du Canada peut gérer les pêches, interdire de tuer des poissons par d’autres moyens que la pêche et interdire de porter atteinte à leur habitat par des modifications physiques ou de la pollution chimique. Conformément à des ententes conclue par le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux, ces derniers se chargent de l’administration des dispositions de la Loi sur les pêches relatives à la gestion de la pêche; les gouvernements de l’Ontario et du Québec s’occupent de la gestion de la pêche de l’anguille en vertu de ces ententes. Le ministère des Pêches et des Océans a délégué à Environnement Canada l’application des dispositions de la Loi sur les pêches concernant les effets des produits chimiques sur l’habitat du poisson. Les provinces ont aussi des lois pour protéger les espèces, y compris les espèces en péril et les habitats.

En raison de ces obligations et de ces engagements, la conservation et la gestion de l’anguille d’Amérique exigent la collaboration de divers organismes gouvernementaux :

  • Le ministère des Pêches et des Océans, pour le leadership général, la gestion des dispositions de la Loi sur les pêches relatives aux passes migratoires, aux obstacles au passage du poisson et aux grilles à poisson, l’autorisation de la destruction du poisson et la protection de l’habitat du poisson, ainsi que pour la gestion des pêches dans les provinces de l’Atlantique.
  • Les gouvernements de l’Ontario et du Québec, pour la gestion des pêches ainsi que pour le poisson et l’habitat protégés en vertu des lois provinciales.
  • Environnement Canada, pour les dispositions de la Loi sur les pêches relatives à la prévention de la pollution.

Conformément à la loi (Loi sur les espèces en péril, 2003), le ministre fédéral des Pêches et des Océans est chargé de la protection et du rétablissement des espèces aquatiques inscrites sur la liste des espèces disparues localement, en danger de disparition, menacées et préoccupantes. L’anguille d’Amérique a été désignée comme étant préoccupante par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) en avril 2006, mais aucune décision n’a encore été prise quant à son inscription sur la liste de l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril.

Le gouvernement fédéral est le principal responsable des relations internationales au Canada. Le ministère des Pêches et des Océans dirige les activités de coopération internationale liées à la pêche et aux océans, comme celles qui seraient requises pour assurer la coopération internationale en vue de la conservation et de la gestion de l’anguille d’Amérique.

Même si le gouvernement fédéral joue un rôle de coordination générale dans les activités mentionnées ci-dessus, la participation de tous les ordres de gouvernement n’en est pas moins essentielle. Les provinces participent activement à la protection des espèces en péril et à leur rétablissement ainsi qu’aux tribunes internationales sur les pêches. Une telle participation serait aussi essentielle dans le cas de l’anguille d’Amérique.

Quaestions institutionnelles et de gouvernance

En raison de la large répartition de l’anguille d’Amérique, toute mesure prise par un ordre de gouvernement, un organisme ou une entreprise unique sera d’une efficacité limitée si elle ne fait pas partie d’un plan d’ensemble. Un certain nombre de mécanismes coopératifs sont déjà en place pour la conservation et la gestion de l’anguille, mais aucun ne s’étend à toute son aire de répartition ni à tout ce qui la menace.

Au Canada, deux groupes intergouvernementaux ont récemment été formés afin de coordonner les mesures de gestion de l’anguille : le Groupe de travail canadien sur l’anguille (GTCA), qui comprend des représentants du gouvernement du Canada (MPO) et de ceux de l’Ontario (ministère des Richesses naturelles) et du Québec (ministère des Ressources naturelles et de la Faune), et le Groupe de travail sur l’anguille du Conseil des ministres des pêches et de l’aquaculture de l’Atlantique (CMPAA), qui comprend le Canada, le Québec et les provinces de l’Atlantique. Le GTCA a créé quatre groupes de travail sur des questions précises : le Groupe de travail scientifique canadien sur l’anguille (GTSCA), le Groupe de travail des gestionnaires de pêches, le Groupe de travail sur les questions internationales et un comité directeur sur les obstacles au passage et autres problèmes connexes liés à l’habitat dans le Saint Laurent. Toutefois, aucun d’entre eux n’englobe toute l’aire de répartition de l’anguille d’Amérique, puisque les zones de l’Atlantique ne font pas partie du mandat du GTCA et que l’Ontario ne participe pas aux travaux du Groupe de travail du CMPAA.

Le Groupe de travail scientifique canadien sur l’anguille (GTSCA) a tenu sa première réunion en décembre 2003. Il se compose de représentants des gouvernements de l’Ontario et du Québec ainsi que du ministère des Pêches et des Océans, y compris des scientifiques de toutes les régions du MPO de l’Est du Canada. Des spécialistes d’organismes non gouvernementaux peuvent également y être invités. Le GTSCA apporte un soutien scientifique au GTCA et aux ordres de gouvernement responsables de la gestion de l’anguille.

Le Comité sur les obstacles au passage et autres problèmes connexes liés à l’habitat dans le Saint-Laurent a réalisé une analyse décisionnelle afin de déterminer quelles mesures de gestion prioritaires prendre pour réduire la mortalité attribuable aux barrages dans la région du lac Ontario et du haut Saint Laurent. Ce comité, créé par le GTCA, comprend des représentants des sociétés de production d’électricité ainsi que d’organismes d’État.

À l’échelle internationale, la Commission des pêches des Grands Lacs (CPGL) a récemment formé un Groupe de travail sur l’anguille d’Amérique relevant de son conseil de comités des lacs afin de favoriser la coopération internationale pour la conservation et la gestion de l’anguille dans les Grands Lacs et le bassin du Saint-Laurent. Des représentants du gouvernement du Québec participent à ce groupe, bien que le Québec ne fasse pas partie de la CPGL. Le groupe de travail a entrepris l’élaboration d’un plan d’action international pour l’anguille d’Amérique dans son champ de compétence. Aux États-Unis, l’Atlantic States Marine Fisheries Commission (ASMFC) est chargée d’assurer la coopération des États pour la gestion des pêches de l’anguille, mais elle joue un rôle limité dans la gestion des questions liées à l’habitat.

Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), dont le Canada et les États-Unis sont membres, sert de tribune à la coopération internationale en matière de travaux sciences sur l’anguille, mais l’accent a été mis principalement sur l’anguille d’Europe jusqu’à maintenant (bien que des conseils aient été fournis concernant l’anguille d’Amérique en 2002).

En résumé, malgré les récents développements, il n’existe actuellement pas de tribune intergouvernementale au Canada qui regrouperait tous les ordres de gouvernement s’intéressant à la gestion de l’anguille et s’occupant de toutes les questions pertinentes (science, habitat, pêche), ni de tribune internationale pour la coordination des mesures prises par le Canada et les États-Unis relativement à la population d’anguille dans son ensemble.

Connaissances scientifiques

L’information scientifique joue un rôle clé dans la conservation et la gestion des espèces aquatiques. On dispose de données sur bien des aspects de la biologie de l’anguille d’Amérique concernés par les menaces anthropiques, bien que cette information comporte des lacunes et qu’il y ait un degré élevé d’incertitude scientifique.

Il existe de l’information sur les éléments de base de la biologie et de la répartition de l’anguille, les tendances de l’abondance et la mortalité dans des zones précises, les incidences de restrictions de l’habitat sur la production de géniteurs dans des zones données, le rapport entre des indices environnementaux précis et les tendances de l’abondance à des endroits particuliers, ainsi que l’âge, la croissance et la maturité dans des zones données.

Les principales incertitudes sont liées aux aspects suivants :

  • La structure génétique de l’ensemble de la population.
  • Une idée d’ensemble de l’âge, de la croissance, des caractéristiques de maturité et des paramètres biologiques connexes, englobant tous les habitats représentatifs, de façon à pouvoir brosser un tableau « moyen » ou « type » de la population d’anguilles.
  • Une idée d’ensemble de la mortalité due aux différentes menaces. Il faut en particulier de l’information sur la mortalité pendant l’avalaison attribuable aux barrages dans toute l’aire de répartition ainsi que sur la mortalité par pêche en général. Actuellement, on dispose de données sur la mortalité pendant l’avalaison à deux grands barrages et des estimations de la mortalité dans le cadre de certaines pêches.
  • Les effets de la détérioration de l’habitat, notamment le blocage de la migration vers l’amont, sur l’abondance des géniteurs dans toute l’aire de répartition.
  • La contribution relative des géniteurs de différentes parties de l’aire à l’abondance générale des géniteurs et au recrutement.
  • Les effets non mortels de la pollution et des parasites, en particulier sur la performance natatoire (compte tenu de la nécessité d’entreprendre une longue migration de reproduction).
  • Les effets possibles des changements environnementaux sur le recrutement et la production, particulièrement si l’on tient compte des données récentes concernant la diminution de l’effet de transport du Gulf Stream.
  • À partir d’une compilation de l’information ci-dessus, un modèle de population permettant d’évaluer les effets de l’augmentation ou de la diminution du taux de mortalité à des points précis du cycle biologique sur l’abondance générale et sur le recrutement.

L’obtention des données nécessaires pour constituer un tableau complet de la population d’anguilles d’Amérique serait un projet à long terme exigeant une coopération intergouvernementale et internationale.

Compte tenu des incertitudes, de ce que l’on connaît à propos de certaines causes de mortalité ainsi que de la baisse apparemment substantielle du recrutement et de l’abondance générale, il est essentiel d’adopter des mesures de prévention pour empêcher toute atteinte irréversible, conformément à la politique du gouvernement du Canada sur l’application du principe de précaution (Gouvernement du Canada, 2003). Il faut prendre des mesures pour assurer le maintien l’abondance dans toutes les parties de l’aire de répartition canadienne, compte tenu de la variabilité géographique des caractéristiques biologiques et du potentiel de régions données de contribuer de manière disproportionnée à la biomasse de géniteurs ou à d’autres caractéristiques importantes de la population.

Initiatives de gestion récentes

Un certain nombre de mesures de gestion ont été prises relativement aux préoccupations que suscite l’état de la population.

En 2004, le ministre des Pêches et des Océans a annoncé un objectif de réduction de la mortalité de l’anguille de 50 p. 100 en deux ans et a appelé les intervenants et les différents ordres de gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. Le GTSCA avait antérieurement (décembre 2003) recommandé une réduction immédiate de 50 p. 100 de la mortalité attribuable à des causes anthropiques, par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.

En 2005, le Groupe de travail sur la planification et la mise en œuvre, composé de représentants d’organismes gouvernementaux et de groupes d’intervenants du Canada et des États-Unis dans la région du lac Ontario et du haut Saint-Laurent, a procédé à une « analyse décisionnelle » visant à identifier les principales menaces à la conservation de l’anguille d’Amérique dans cette région et les meilleures mesures pouvant être prises à court terme et à long terme pour contrer ces menaces (Greig et coll., 2006). Les mesures à court terme comprenaient l’ensemencement pour soutenir la population en déclin, la recherche de moyens de réduire la mortalité au cours de l’avalaison et des recherches fondamentales pour améliorer les connaissances sur la population. Les mesures à long terme comprenaient la capture d’anguilles dans des casiers en amont des barrages en vue de les transporter en aval et des recherches sur des mécanismes efficaces d’évitement des barrages. L’installation d’une grille sur les prises d’eau d’un petit barrage hydroélectrique dans la rivière Rimouski, au Québec, a permis de réduire la mortalité à cet endroit.

L’ensemencement a commencé en 2001 et s’est intensifié en 2005-2006, avec l’introduction de civelles et de jeunes anguilles de l’Atlantique canadien dans la rivière Richelieu et le lac Ontario. Les fonds nécessaires pour l’ensemencement ont été fournis par les sociétés de production d’électricité et les gouvernements provinciaux.

En Ontario, la pêche commerciale de l’anguille d’Amérique a été interdite en 2004 et les pêches sportives, en 2005. Au Québec, le retrait de permis a permis de réduire les prélèvements par pêche dans le Saint-Laurent au cours des deux dernières années. La pêche dans la rivière Richelieu a été interdite en 2000. Dans le sud du Golfe, on a réussi à obtenir une réduction considérable de la mortalité par pêche grâce à l’application de mesures strictes pour restreindre l’effort et d’autres mesures de gestion à compter de 1998. Dans la Région des Maritimes, la taille minimale de capture a été augmentée à 35 cm, et l’installation de dispositifs d’évasion est devenue obligatoire sur tous les engins de pêche et les viviers en 2005. Le nombre de permis de pêche de civelles a été gelé au niveau actuel, les quotas ont été réduits de 10 p. 100, et la possibilité pour les titulaires de permis de demander une hausse de 30 p. 100 du quota a été retirée. Un prélèvement équivalent à la réduction de 10 p. 100 du quota peut être effectué à condition que les anguilles capturées servent à ensemencer des cours d’eau canadiens à des fins de conservation.

Des négociations sont en cours avec les sociétés de production d’électricité de l’Ontario et du Québec en vue de la mise au point d’un plan général de réduction du taux de mortalité attribuable aux barrages. Une des solutions envisagées consisterait à réduire encore davantage les prélèvements par pêche au Québec au cours des cinq prochaines années en jumelant le rachat de permis à l’achat de la récolte.

La recherche sur la dynamique des populations, les méthodes de capture et de transport et la surveillance se poursuit.

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PRINCIPES DIRECTEURS

La gestion de l’anguille d’Amérique au Canada sera guidée par les principes suivants :

  • Application du principe de précaution : l’absence de certitude scientifique ne pourra plus servir de prétexte pour éviter de prendre des mesures.
  • Le but ultime est la pérennité de l’anguille d’Amérique au Canada.
  • Empêcher toute perte d’habitat et réaliser des gains d’habitat grâce à la mise en œuvre de mesures de gestion.
  • La conservation et la gestion seront guidées par la Stratégie canadienne de la biodiversité.
  • Les agences et organismes responsables de la conservation et de la gestion de l’anguille d’Amérique travailleront en étroit partenariat afin de garantir la réalisation des objectifs de gestion.

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BUT À LONG TERME

Rétablir l’abondance générale de l’anguille d’Amérique au Canada à ses niveaux du milieu des années 1980, tels que mesurés par les principaux indices d’abondance disponibles, et plus particulièrement :

  • assurer la présence de l’anguille d’Amérique dans toutes les zones de son aire de répartition historique;
  • instaurer des pêches durables des civelles et des grandes anguilles, qui apportent des retombées économiques aux pêcheurs de toutes les régions où la pêche a été pratiquée dans le passé.

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BUT À COURT TERME

Réduire la mortalité des anguilles de toutes sources de 50 p. 100 par rapport à la moyenne de 1997 à 2002

Contexte et justification. Bien que nos connaissances des menaces auxquelles sont soumises les anguilles comportent des lacunes et des incertitudes, elles sont suffisantes pour justifier la prise de mesures fermes de toute urgence, afin de mettre un frein à la baisse d’abondance et de rétablir la population. Il faut prendre des mesures concrètes en attendant de combler les lacunes sur le plan des connaissances. Il faut aussi agir rapidement afin de redresser la courbe de l’abondance.

La mortalité due à la pêche et aux barrages dans le haut Saint-Laurent est relativement bien connue et considérable. Des déclins catastrophiques de l’abondance se sont produits dans des zones qui contribuent pour une large part à la production totale de géniteurs (lac Ontario et haut Saint-Laurent). Même si des mesures ont été prises pour réduire ou compenser la mortalité de sources connues, il faudra réduire encore davantage. Il sera difficile d’atteindre un taux de réduction de 50 p. 100, compte du défi que pose la réduction des répercussions des barrages à court terme. Néanmoins, comme l’a montré l’analyse décisionnelle de 2006 sur les répercussions des barrages dans le haut Saint Laurent, il est possible de trouver des solutions créatives visant à réduire la mortalité globale. Le présent plan propose des mesures additionnelles pour réduire la mortalité attribuable aux deux sources connues et importantes que sont les pêches et les turbines de barrages, ainsi que la poursuite des efforts visant à concevoir et à mettre en œuvre des mesures d’atténuation pour d’autres sources de mortalité.

Une réduction immédiate de la mortalité de 50 p. 100 a été recommandée par le Groupe de travail scientifique canadien sur l’anguille en 2003, et le ministre des Pêches et des Océans a appelé à une réduction de 50 p. 100 sur deux ans en 2004. Bien que cet objectif n’ait pas été atteint, il demeure un énoncé précis de ce qui doit être fait à court terme pour renverser la tendance à la baisse de l’abondance et préparer la voie au rétablissement.

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OBJECTIFS PRÉCIS ET MESURES

Objectif 1. Élaborer un plan détaillé de mise en œuvre basé sur la définition de mesures prioritaires visant à réduire de 50 p. 100 la mortalité de l’anguille attribuable à toutes les sources.

Contexte. Des mesures visant à réduire la mortalité due à la pêche et aux barrages dans le haut Saint-Laurent ont bel et bien été définies et mises en œuvre, mais il reste encore beaucoup à faire pour réduire la mortalité due à ces deux causes principales. De surcroît, il faudra définir des mesures à appliquer en priorité à toutes les menaces sur l’ensemble de l’aire de répartition canadienne de l’anguille. Une « analyse décisionnelle », comme celle qui a été utilisée pour définir les mesures visant à réduire ou à atténuer la mortalité des anguilles aux barrages du haut Saint Laurent (Greig et coll., 2006) pourrait être un bon moyen de définir les mesures prioritaires destinées à réduire la mortalité des anguilles dans toute l’aire de répartition canadienne. La tenue d’une analyse structurée pour fixer les priorités pourrait peut-être du coup contribuer à officialiser le niveau de référence de 50 p. 100 visé pour la réduction de la mortalité.

Mesures:

  • Préciser la signification de l’objectif de 50 p. 100. Déterminer si l’objectif doit être exprimé en nombre ou en pourcentage; établir et quantifier le point de référence (s’il s’agit de 1997 à 2002, comme le recommande le GTSCA, fournir les données); préciser la date limite fixée pour atteindre la réduction de 50 p. 100; déterminer l’importance relative d’axer la réduction sur les anguilles argentées et les grandes anguilles jaunes.
  • Mettre l’accent sur des mesures visant à réduire davantage et à compenser les mortalités attribuables aux deux sources connues et importantes (soit la pêche sur toute l’aire de répartition canadienne et les deux barrages sur le fleuve Saint-Laurent)
  • Évaluer l’importance relative des menaces par zone. Les Zones écologiques d’eau douce (AEED) définies dans le rapport de situation du COSEPAC pourraient constituer une bonne base d’évaluation.
  • Identifier d’autres sources potentielles de gains en vue d’arriver à des réductions de 50 p. 100 de la mortalité de sources diverses (pêche, habitat, barrages/turbines, pollution, etc.). Veiller à ce que toutes les sources de mortalité soient définies et gérées, y compris celles sur lesquelles on ne s’est pas encore penché jusqu’ici, comme l’entraînement dans les prises d’eau (prises d’eau industrielles et municipales) et la prédation accrue sur les anguilles concentrées en aval des barrages.
  • Énoncer et recommander les mesures prioritaires convenues pour le court et le long terme en vue de l’atteinte de l’objectif de réduction de 50 p. 100 de la mortalité de toutes sources.
  • Évaluer l’efficacité des mesures de gestion instaurées pour réduire la mortalité à ce jour et de façon continue (annuellement) à l’avenir.

Notes pour la mise en œuvre. Le choix des participants à l’analyse sera d’une importance primordiale pour son succès, puisque le résultat dépend des participants. Étant donné qu’il est nécessaire d’avoir un nombre gérable de participants, une solution envisageable serait de réaliser des analyses décisionnelles pour des sous-secteur précis (p. ex. gestion des pêches; barrages ailleurs que dans le haut Saint-Laurent) en tant que modules et de procéder à une récapitulation finale pour résumer les mesures des différents modules et les questions transversales.

Objectif 2. Arriver à un gain net d’abondance et d’échappée en assurant l’accès à des habitats de qualité et au retour en aval des anguilles :

  • Veiller à ce que les nouvelles structures ne causent aucune perte nette d’habitat
  • Assurer un gain net d’habitat par la modification de structures existantes, plus précisément en assurant le passage en amont et en aval de façon à recouvrer 10 p. 100 de plus d’habitat perdu tous les cinq ans dans chaque territoire de compétence
  • Continuer la prise de mesures visant à réduire les répercussions des contaminants et de la pollution

Contexte. Les obstacles nouveaux et existants posent des difficultés et offrent certaines possibilités en ce qui a trait à la réalisation de gains d’habitat pour l’anguille, les nouveaux obstacles offrant un champ d’action bien plus grand. Les travaux visant à réduire les effets des barrages doivent tenir compte de la nature du barrage et de son emplacement : les turbines des petits barrages hydroélectriques ont tendance à produire un plus haut taux de mortalité que celles des grands barrages. Par ailleurs, beaucoup de barrages qui ne servent pas à la production d’électricité entravent l’accès des anguilles à leur habitat mais ne causent pas de mortalité attribuable aux turbines. Bien que les barrages aient reçu le plus d’attention jusqu’à maintenant, beaucoup d’autres obstacles et activités humaines ont des répercussions sur l’habitat de l’anguille (jetées, ponceaux, construction de routes, expansion municipale, destruction de terres humides, etc.), et il faut en tenir compte pour améliorer l’habitat de l’anguille.

L’information sur les effets létaux et sublétaux des contaminants sur tous les stades de développement de l’anguille est loin d’être complète. Les progrès concernant la réduction des niveaux de contaminants dans les eaux fréquentées par des anguilles ont été considérables depuis les années 1970, mais de nouvelles sources de contaminants (nouvelles générations de produits chimiques) et de pollution (ruissellement agricole) sont préoccupantes, tout comme les répercussions continues de contaminants et de polluants existants comme les pluies acides.

Mesures – aucune perte nette causée par de nouvelles installations

  • Appliquer les processus réglementaires fédéraux et provinciaux existants aux nouveaux projets afin de n’autoriser que les projets qui comprennent des installations permettant le passage vers l’amont et vers l’aval
  • Mettre en place un moratoire sur la construction de barrages pouvant avoir des effets négatifs sur les anguilles dans les principaux habitats
  • Collaborer avec l’industrie hydroélectrique à l’élaboration de solutions techniques pour les constructions futures, telles que des turbines à faible taux de mortalité, des mécanismes de passage vers l’aval, etc.

Mesures – gain net aux installations existantes

  • Fixer des priorités pour les travaux touchant l’habitat dans chacun des réseaux hydrographiques, selon un inventaire d’habitats potentiels de l’anguille au Canada (analyse décisionnelle et outil de soutien décisionnel)
  • Retirer les barrages et autres obstacles qui ne sont plus nécessaires, suivant le système de priorités
  • Déterminer et recommander les barrages auxquels il faut assurer en priorité le passage des anguilles vers l’amont et où il faudrait envisager l’application des dispositions de la Loi sur les pêches
  • Effectuer des recherches binationales coordonnées en vue d’améliorer les technologies de capture et de transport et les mécanismes d’évitement afin d’assurer l’avalaison sans danger
  • Travailler avec l’industrie hydroélectrique à établir des solutions techniques pour les structures existantes comme des turbines à faible taux de mortalité, des dispositifs permettant le passage des poissons vers l’aval, etc.
  • Assurer la mise en œuvre de programmes de recherche et de surveillance pour déterminer les taux de mortalité de base et surveiller les mesures de réduction de la mortalité mises en place.
    • Mesures – contaminants et pollution

      • Surveiller les contaminants et polluants de sources ponctuelles (industrielles, domestiques) et non ponctuelles (agriculture, épandage forestier, entretien des routes, transport à grandes distances) qui peuvent avoir des répercussions sur les anguilles
      • Coordonner les mesures avec les organismes chargés de la réglementation des contaminants et des polluants (eau potable, programmes relatifs aux espèces en péril, etc.)
      • S’assurer que l’homologation de nouveaux produits chimiques (par exemple en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement) tient compte des besoins des anguilles
      • Poursuivre les recherches sur les répercussions des contaminants sur les anguilles

      Notes pour la mise en œuvre. L’établissement de priorités pour l’amélioration de l’habitat des anguilles est un thème central dans les mesures à prendre pour atteindre cet objectif, même si, comme il est indiqué ci-dessus (but à court terme), des mesures sont nécessaires maintenant pendant que l’on acquiert de nouvelles connaissances pour guider les activités. L’analyse décisionnelle (objectif 1) serait un premier pas important vers l’établissement des priorités. L’analyse préliminaire semble indiquer que les mesures visant à réduire la mortalité au cours de l’avalaison aurait un effet plus immédiat dans les petits barrages que dans les grands (il existe des techniques pour réduire la mortalité dans les turbines des petits barrages, mais pas dans celles des grands), et aux nouvelles installations plutôt qu’aux installations existantes. On sait que deux grands barrages du fleuve Saint-Laurent sont responsables de la mort d’un nombre important d’anguilles femelles adultes en migration vers l’aval, et il faut en tenir compte dans les programmes de gestion. Toutefois, comme les grands barrages existants causent des mortalités chez les anguilles, ils doivent être pris en compte dans les programmes de gestion. De même, les mesures visant à améliorer le passage vers l’amont peuvent avoir un effet plus immédiat lorsqu’il existe un habitat substantiel de bonne qualité en amont de l’obstacle et lorsque les risques de mortalité au cours de l’avalaison sont faibles. Afin de s’assurer que l’on tient compte des plus importantes sources de mortalité dans toute l’aire canadienne de l’anguille, il faudra mettre au point un outil de soutien décisionnel, basé sur la compilation et la diffusion de l’information disponible sur l’habitat de l’anguille et la répartition des obstacles (voir l’objectif 4 ci dessous).

      On sait relativement peu de choses sur l’incidence des contaminants sur la survie des anguilles, or la réduction des effets des contaminants et de la pollution exige la prise de mesures par des organisations qui n’ont pas de responsabilité particulière en ce qui concerne la gestion de l’anguille, mais qui s’occupent de la réglementation et de la gestion des rejets de produits chimiques au Canada (par exemple, Environnement Canada). Il y a donc lieu d’identifier les organismes responsables et leurs obligations, ainsi que de veiller à ce que ces organismes collaborent étroitement pour s’assurer que les programmes réglementaires tiennent compte des besoins des anguilles.

      Objectif 3. S’assurer que la mortalité due à la pêche est conforme à l’objectif global de réduction de 50 p. 100 de la mortalité de toutes sources

      Contexte. Au cours des trois dernières années, des mesures ont été prises pour réduire la mortalité due à la pêche : toutes les pêches en Ontario ont été interdites, le nombre de permis a été réduit au Québec (réduction du nombre de permis dans le lac Saint-Pierre et fermeture complète de la pêche dans la rivière Richelieu), et des limites de taille minimale ainsi que des saisons de pêche des grandes anguilles et des limites de capture des civelles ont été fixées dans le Canada atlantique. Les pêcheurs ont subi des pertes de revenus par suite de l’introduction de ces mesures.

      Il faudra trouver d’autres mesures de gestion des pêches pour réduire la mortalité et contribuer l’atteinte de l’objectif global de 50 p. 100 de réduction de la mortalité.

      Il est primordial de recueillir des renseignements précis sur les prises et l’effort des pêcheurs pour bien comprendre l’ampleur de la mortalité par pêche et les tendances de l’abondance (indices des prises par unité d’effort). Des systèmes de journaux de bord obligatoires indiquant les prises et l’effort ont été imposés dans le cadre de la plupart des pêches de l’anguille, ces dernières années. Ceux ci doivent être maintenus et au besoin améliorés. Les données de toutes entités responsables de la gestion des pêches (MPO, Ontario, Québec) devraient être consignées dans un format standard et être facilement accessibles.

      Mesures:

      • Définir et recommander des mesures de gestion additionnelles pour réduire la mortalité par pêche, à l’aide de « l’analyse décisionnelle » ou par d’autres moyens
      • Mettre en place, d’ici trois ans, un système de déclaration obligatoire des prises, de l’effort et du lieu, incluant la déclaration des prises nulles, pour toutes les zones de pêche de l’anguille (civelles et grandes anguilles)
      • Mettre en place un dépôt national de données sur les prises et l’effort permettant d’accéder aux données du MPO, de l’Ontario et du Québec
      • Établir un programme d’information pour les pêcheurs mettant l’accent sur leur obligation de fournir des données exactes sur les prises et l’effort
      • Examiner le potentiel d’inclure les données des acheteurs dans le système pour la vérification des prises (recours possible à l’art. 61 de la Loi sur les pêches)

      Objectif 4. Mettre au point un outil de soutien décisionnel pour définir les mesures à prendre afin d’améliorer l’habitat des anguilles et en fixer l’ordre de priorité

      Contexte. Il est essentiel, afin d’assurer une gestion efficace, d’établir des priorités pour les mesures d’amélioration de l’habitat des anguilles – c’est à dire de déterminer quelles interventions auront le plus d’effet pour un niveau d’effort donné. Dans un premier temps, « l’analyse décisionnelle » (objectif 1) devrait permettre d’identifier les mesures prioritaires pour l’habitat, mais à long terme, il faudra recueillir des données exhaustives, les tenir à jour et s’assurer qu’elles seront facilement accessibles pour guider les mesures prioritaires.

      Il existe un ensemble considérable d’information sur la répartition des habitats de l’anguille ainsi que sur celle des obstacles (barrages ou autres) qui ont des répercussions sur l’habitat de l’anguille. Toutefois, l’information doit être compilée et rendue disponible sous une forme facilement utilisable par les gestionnaires et les parties intéressées. L’information sur les autres facteurs qui ont des incidences sur l’habitat, tels les contaminants, la pollution et autres menaces anthropiques moins connues comme l’entraînement dans les prises d’eau, n’est pas aussi complète que celle dont nous disposons sur les obstacles. Il faut donc entreprendre d’autres études pour améliorer les connaissances à ce sujet. Les données doivent être compilées et organisées sous forme « d’outil de soutien décisionnel » facilement accessible aux biologistes sur le terrain et aux gestionnaires chargés d’autoriser des projets susceptibles d’avoir des répercussions sur l’habitat de l’anguille. L’outil de soutien décisionnel identifierait essentiellement les obstacles et les sources de mortalité en aval (classés selon leur importance relative) et les situerait géographiquement sur une carte de la répartition passée et présente de l’anguille, de manière à faire ressortir clairement les priorités d’atténuation des effets et de remise en état de l’habitat.

      Mesures:

      • Réaliser un inventaire basé sur le SIG de l’habitat passé et actuel de l’anguille, d’après la capacité de charge du bassin hydrographique afin de déterminer quels bassins cibler
      • Inclure dans le système basé sur le SIG une liste et des cartes des obstacles (barrages et autres) classés selon la mesure dans laquelle ils bloquent l’accès à l’habitat de l’anguille et sont cause de mortalité parmi les anguilles (hydroélectrique, non hydroélectriques, etc.)
      • Améliorer la connaissance des besoins relatifs à l’habitat de l’anguille dans les milieux marins et d’eau douce, particulièrement en ce qui a trait à la capacité de charge, et intégrer les résultats à l’inventaire de l’habitat
      • Améliorer les connaissances sur les répercussions des contaminants, de la pollution, de l’entraînement et d’autres facteurs moins connus de l’habitat sur les anguilles

      Notes pour la mise en œuvre. Les mesures ainsi définies sont liées à la fois à l’acquisition de nouvelles données et à la compilation de l’information existante sous une forme facilement accessible. Il faudrait du temps et des efforts considérables pour mettre au point un outil de soutien décisionnel efficace et complet. Il importera donc de continuer à prendre des mesures de gestion basées sur l’information disponible au fur et à mesure que les composantes de l’outil de soutien décisionnel seront mises en place.

      En ce qui a trait à l’entraînement (par exemple aux prises d’eau municipales et industrielles ainsi qu’aux centrales thermiques), une meilleure compréhension et quantification des répercussions aiderait à éliminer la grande incertitude qui nuit à la compréhension des menaces pour l’anguille. Il faudra donc en étudier les incidences sur le terrain et cartographier les installations qui risquent de nuire à l’anguille.

      Objectif 5. Maintenir et, au besoin, mettre au point des indices d’abondance indépendants de la pêche.

      Contexte. Les indices d’abondance à long terme (par exemple les indices de pêche à l’électricité et de capture au chalut, les indices de passage aux échelles à poisson des barrages et le nombre de prises par unité d’effort de pêche) sont essentiels pour comprendre la situation de l’anguille d’Amérique et ses tendances démographiques. Les indices permettent de suivre l’abondance à des stades biologiques précis dans des zones données. Le maintien des indices actuels est essentiel, mais il peut certainement poser des défis. Par exemple, l’indice au barrage Moses-Saunders sera affecté par la construction d’une seconde passe migratoire pour l’anguille, et le maintien des indices de pêche à l’électricité est coûteux et peut varier en fonction des priorités concernant l’espèce ciblée, le saumon atlantique. Les indices actuels ont une portée géographique limitée (il existe seulement 3 ou 4 indices qui permettent de suivre les changements à long terme). Une couverture plus étendue donnerait une idée plus complète de l’abondance de l’ensemble de la population et offrirait une réserve d’information sur laquelle compter au cas où le maintien des indices existants serait menacé.

      Mesures de gestion. Le Groupe de travail scientifique canadien sur l’anguille (GTSCA) prépare actuellement une série d’activités de recherche prioritaires qui comprend l’établissement d’indices d’abondance (Cairns et Caron, 2006). Ce travail devrait servir de base à la détermination et à la recommandation de nouveaux indices, ainsi qu’au maintien et au réétalonnage des indices existants.

      Objectif 6. Assurer la présence d’anguilles dans les zones où l’abondance a chuté en procédant à l’ensemencement de jeunes anguilles

      Contexte. Face aux déclins catastrophiques de l’anguille observés dans certaines zones où elle avait déjà été abondante, l’une des stratégies possibles à adopter pour assurer la présence de l’espèce sur l’ensemble de son aire de répartition naturelle consiste à ensemencer des jeunes. Quoique l’ensemencement semble une solution attrayante, il est soumis à de nombreux risques et incertitudes, et il devrait être considéré comme une mesure à court terme en attendant que le recrutement naturel vienne rétablir l’abondance. Parmi les risques et incertitudes, mentionnons : 1) les enjeux liés à la conservation pour les populations de géniteurs; 2) les risques pour la conservation génétique (s’il s’avère que la population nord-américaine d’anguilles n’est pas homogène); 3) le transfert possible de parasites et de maladies; 4) les interactions négatives potentielles avec la population naturelle d’anguilles remontant vers l’amont; 5) le risque de modifier le rapport mâles-femelles dans les cours d’eau ensemencés, 6) la possibilité que les individus ensemencés ne réussisent pas à migrer et à se reproduire.

      L’ensemencement de jeunes anguilles (civelles ou anguillettes) s’est révélé efficace en Europe comme moyen pour soutenir les pêches. Cependant, l’ensemencement à des fins de conservation (c-à-d. pour favoriser le retour d’adultes aux lieux de frai ainsi que le frai et le recrutement) n’a pas encore fait ses preuves en Amérique du Nord. La proportion d’anguilles ensemencées à partir de zones éloignées qui survivent jusqu’à l’âge adulte n’est pas connue (bien qu’une forte proportion ait survécu jusqu’ici dans le seul essai mené au lac Morin, au Québec). Toutefois, il n’est pas certain que ces anguilles réussiront à migrer vers la zone de frai en mer et à se reproduire. Tout transfert de poissons d’un lieu à un autre comporte un risque d’introduction de maladies, de parasites ou d’autres organismes associés (espèces non visées). La densité d’ensemencement peut jouer un rôle crucial dans le maintien d’une proportion élevée de femelles dans le lac Ontario et dans la haut Saint-Laurent, étant donné que les milieux où les densités sont plus faibles sont connus pour produire une plus forte proportion de femelles.

      On a ensemencé des cours d’eau avec de jeunes anguilles à plusieurs reprises ces dernières années. En 1999, 40 000 civelles (longueur moyenne de 6 cm) ont été marquées à la tétracycline puis relâchées dans le lac Morin (4 km2) sur la rive sud de l’estuaire du Saint Laurent. D’autres lâchers ont été effectués dans le haut Richelieu en mai 2005 (600 000 civelles) et encore en mai 2006 (1 million de civelles). En octobre 2006, 144 000 anguillettes (~ 10 cm de longueur) ont été ensemencées dans le lac Ontario aux environs des Mille-Îles. Ces juvéniles ont été élevés du stade de civelle au stade d’anguillette dans des installations de rétention commerciales, en partie pour évaluer les risques de transfert de maladies et de parasites. Les analyses des risques de transfert de maladies et de parasites ont été réalisées en conformité avec le Code national sur l’introduction et le transfert d’organismes aquatiques du Canada. Les jeunes anguilles utilisées dans ces transferts provenaient de pêcheries de civelles du Canada atlantique qui sont soumises à des quotas. Elles ont été prélevées dans des cours d’eau affectés par les précipitations acides, où elles n’auraient probablement pas survécu jusqu’à l’âge adulte. Des marques à la tétracycline ont été incorporées aux otolithes pour permettre l’identification des sujets capturés plus tard.

      Mesures de gestion:

      • Élaborer des directives pour un programme d’ensemencement d’anguilles dans les eaux canadiennes à des fins de conservation. On doit entre autres y énoncer les objectifs, les résultats souhaités et le point d’aboutissement des programmes d’ensemencement, ainsi que des éléments tels que la taille idéale pour l’ensemencement, des protocoles de marquage, les densités d’ensemencement, les zones d’ensemencement optimales et des mesures pour contrôler la réussite de l’ensemencement. Les directives pourraient être élaborées au terme de consultations avec des experts européens, d’un ou de plusieurs ateliers et de la rédaction d’un livre blanc sur l’état des plus récentes techniques dans le domaine
      • Élaborer des directives visant à protéger les stocks de géniteurs.
      • Poursuivre les activités d’ensemencement intérimaires, dans la mesure du possible, en utilisant l’information et les protocoles d’introduction et de transfert existants, et en tenant pour acquis qu’il s’agit de mesures expérimentales.
      • Élaborer un programme d’ensemencement en s’appuyant sur les directives convenues et sur une source de financement stable afin d’assurer la présence de l’anguille dans les zones où l’on a observé un déclin massif de l’abondance.

      Objectif 7. Élaborer un plan de gestion binational

      Contexte. Il serait nécessaire, pour assurer la protection et le rétablissement de l’anguille d’Amérique, d’intégrer les mesures de gestion et les activités scientifiques dans l’ensemble de son aire de répartition en Amérique du Nord. L’élaboration d’un plan pancanadien tenant compte de toutes les menaces (plan de gestion actuel et plan de mise en œuvre d’un suivi) sera un excellent premier pas. L’élaboration d’un plan binational contribuerait à améliorer la communication entre le Canada et les États-Unis et la coordination des questions relatives à l’anguille. De plus, elle permettrait de regrouper les diverses initiatives intergouvernementales (ASMFC, CPGL, GTCA, etc.) et favoriserait la mise en place d’une commission binationale ou autre mécanisme semblable pour la gestion de l’anguille.

      Mesures de gestion:

      • Entreprendre des discussions entre organismes canadiens et américains en vue de l’établissement d’un plan de gestion binational
      • Rédiger un plan de gestion binational

      Notes pour la mise en œuvre. Le Groupe de travail canadien sur l’anguille (GTCA), avec ses quatre groupes de travail, s’est révélé un bon mécanisme de coordination des mesures de conservation et de gestion de l’anguille au Canada; il devrait continuer d’être la tribune privilégiée pour l’établissement et la mise en œuvre des mesures coordonnées de gestion au Canada. Le GTCA et ses groupes de travail ont un rôle à jouer dans la planification annuelle (ou continue) du travail et le suivi des progrès, ainsi que dans l’élaboration d’un plan de gestion stratégique.

      Objectif 8. Étudier la possibilité d’établir une commission binationale pour la conservation et la gestion de l’anguille

      Contexte. Un mécanisme permanent de coordination binationale des activités de conservation et de gestion de l’anguille qui porterait sur tous les aspects (pêches, habitat, travaux scientifiques) apporterait un solide soutien à la protection et au rétablissement de l’espèce. L’adaptation des mécanismes existants de manière à les étendre à l’anguille, bien qu’envisagée, ne semble pas possible : par exemple, il est peu probable que la Commission du saumon de l’Atlantique Nord accepte d’élargir son mandat afin d’inclure d’autres espèces, et le Comité d’évaluation des ressources transfrontalières, qui s’occupe des espèces marines du banc Georges, joue un rôle axé davantage sur les sciences que sur la gestion. Au moins un mécanisme binational de conservation de l’anguille a été mis sur pied (le Groupe de travail de l’anguille de la Commission des pêches des Grands Lacs), cependant tous les ordres de gouvernement n’y sont pas représentés ni tous les intérêts touchés.

      Le modèle de la commission a fait ses preuves pour une gamme de questions internationales et binationales (pêches des Grands Lacs, eaux limitrophes) liées à la conservation d’espèces aquatiques. La portée d’une « commission de l’anguille » devrait être examinée : on envisage la possibilité de mettre l’accent d’abord sur l’étude d’une seule question hautement prioritaire, comme le franchissement des barrages, puis, par la suite, d’inclure d’autres espèces diadromes transfrontalières qui font face à des menaces environnementales similaires (esturgeon, alose, bar rayé, gaspareau).

      Mesures de gestion:

      • Proposer des options chiffrées pour une « commission de l’anguille » selon les connaissances actuelles des mécanismes internationaux de gouvernance des pêches
      • Amorcer un dialogue sur l’établissement d’une commission entre les ordres de gouvernement pertinents du Canada et des États-Unis, sous l’égide du Groupe de travail canadien sur l’anguille dans le cas du Canada
      • Si l’on arrive à la conclusion qu’une commission est souhaitable, élaborer une proposition à soumettre à l’étude des autorités au Canada et aux États-Unis.

      Notes pour la mise en œuvre. Le coût sera un élément clé dont il faudra tenir compte dans l’élaboration d’une proposition pour la création d’une « commission de l’anguille ». Une approche minimaliste est probablement appropriée pour s’assurer que les mesures restent bien ciblées et que les ressources sont bien utilisées. Un ouvrage sur la gouvernance des pêches, qui sera bientôt publié par l’American Fisheries Society, pourrait constituer une bonne source d’information pour l’élaboration de la proposition de « commission de l’anguille ».

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      QUESTIONS TRANSVERSALES ET STRATÉGIES DE MISE EN OEUVRE

      Les efforts de conservation et de gestion de l’anguille devraient être axés sur le maintien des niveaux d’échappée (anguilles argentées) nécessaires pour soutenir le recrutement et l’abondance de la population à l’avenir. L’échappée est difficile à quantifier actuellement pour l’ensemble de la population, mais elle un paramètre d’une importance capitale. Il faut tenir compte des variations géographiques de production de géniteurs dans la gestion de la population. La production de grandes femelles dans la région du haut Saint-Laurent et du lac Ontario est probablement très importante, mais il ne faut pas négliger la production de géniteurs dans d’autres régions.

      L’élimination des incertitudes à l’aide de la science continuera d’occuper une place importante dans la gestion de l’anguille, tout comme la coordination au sein du milieu scientifique ainsi qu’entre les scientifiques et les gestionnaires, sera essentielle pour la conservation et la gestion des anguilles. Le GTSCA s’est révélé un mécanisme efficace de coordination des travaux scientifiques sur l’anguille au Canada. L’accroissement des interactions entre les scientifiques spécialistes des aspects biologiques et les spécialistes des aspects physiques (géomorphologues, ingénieurs) contribuerait à la conception de solutions techniques aux problèmes d’habitat, comme l’évitement des barrages. Les interactions entre les scientifiques et les gestionnaires aident à concevoir des stratégies de gestion; les interactions structurées devraient donc se poursuivre. Un certain nombre d’études visant à éliminer les principales incertitudes ont été définies par le GTSCA et il sera important d’avoir une idée très claire des priorités scientifiques afin de s’assurer que les ressources sont utilisées efficacement. Il existe des sources de financement potentielles qu’il faut examiner en vue de trouver un soutien additionnel aux travaux scientifiques sur les anguilles. La coordination des travaux scientifiques dans toute l’aire de répartition de l’anguille en Amérique du Nord offrirait une garantie que les ressources seraient utilisées le plus efficacement possible, qu’on maximiserait les sources de financement et que les scientifiques seraient rapidement mis au courant des résultats obtenus dans d’autres régions. L’approche de la « commission » favoriserait une large coordination scientifique.

      Le Groupe de travail canadien sur l’anguille (GTCA), avec ses groupes de travail connexes, s’est révélé un mécanisme efficace de coordination de la gestion au Canada et devrait continuer de jouer un rôle de chef de file dans la mise au point et la mise en œuvre de ce plan de gestion.

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    Last updated : 2007-02-19

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