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Discours et interviews
le 13 mai 1999
Présentation devant le Comité permanent sénatorial des transports et des communications par Guylaine Saucier et l'Honorable
Perrin Beatty
Par Guylaine Saucier, Président du Conseil d'administration, Société Radio-Canada, et l'Honorable Perrin Beatty, Président-directeur général, Société Radio-Canada
(Priorité au discours prononcé)
Monsieur Perrin
Beatty, président-directeur général de Radio-Canada, et moi-même, aimerions remercier
le Comité permanent des transports et des communications, de nous avoir donné
l'occasion de venir discuter avec vous, aujourd'hui, du rôle de Radio-Canada
comme instrument de la politique culturelle du pays, et des orientations stratégiques
que nous avons adoptées.
Nous sommes présentement à un moment crucial pour
la survie de l'identité culturelle canadienne. Les pressions exercées par
la mondialisation sur tous les tableaux — économique, technologique
et culturel — et l'ampleur même du mouvement mettent à rude épreuve
les mécanismes dont nous nous sommes dotés pour préserver notre souveraineté culturelle.
L'heure est plus que jamais à la vigilance; nous devons faire un usage judicieux
des outils dont nous disposons, sous peine de perdre notre identité et la voix
avec laquelle nous nous élevons à titre de nation. Il est essentiel que vous compreniez
toutes les dimensions de la question culturelle pour que Radio-Canada puisse continuer
à porter la voix du Canada au XXIe siècle. Peu importe comment
on évalue la situation, Radio-Canada est une pierre angulaire de notre culture
commune et nous espérons que nos discussions aujourd'hui éclaireront votre
Comité sur cette question et sur le rôle que Radio-Canada est appelée à jouer
dans l'avenir.
Mais cette discussion tombe à point pour d'autres
raisons également : - Premièrement, dans moins d'une quinzaine
de jours, le CTRC tiendra des audiences sur le renouvellement des licences de
la plupart des services de Radio-Canada.
- Deuxièmement, Radio-Canada
a présenté un plan stratégique qui, à notre avis, devrait contribuer à résoudre
le problème de notre identité culturelle et permettre à la Société de s'acquitter
de son mandat.
- Et, troisièmement, l'Organisation mondiale
du commerce émet des signaux d'avertissement qui laissent entendre que bon
nombre des outils dont le Canada s'était servi jusqu'à présent pour
promouvoir et protéger sa souveraineté culturelle risquent de ne plus être tolérés
à l'avenir. Si les mécanismes de protection en place tombent, Radio-Canada,
en tant que radiodiffuseur public national, demeurera alors le dernier bastion
voué à la promotion de la culture canadienne.
Voyons donc le
rôle que Radio-Canada joue dans la promotion de la culture canadienne.
À
l'époque où Radio-Canada a vu le jour, elle devait servir de rempart contre
l'expansionnisme américain. Comme le pays qui en fut le berceau, Radio-Canada
est née non pas pour servir des intérêts mercantiles, mais de la volonté des représentants
du peuple qui voulaient une force pour rassembler les Canadiens.
Mais de
quelle façon, me direz-vous, Radio-Canada contribue-t-elle à la réalisation de
la politique culturelle?
Le premier principe mis en valeur dans le portefeuille
des politiques régissant notre paysage culturel est celui qui consiste à favoriser
l'expression de notre fierté à l'égard du Canada.
De nombreuses
institutions contribuent à la réalisation de cet objectif, et Radio-Canada ne
prétend pas détenir le monopole dans ce domaine. Mais existe-il une autre institution
qui, à elle seule, sans relâche et pendant plus de 60 ans, ait fait davantage
que Radio-Canada pour accroître ce sentiment de fierté des Canadiens?
En
temps de crise comme en période de réjouissance, Radio-Canada joue son rôle de
phare.
En fournissant aux Canadiens des points de référence familiers,
qui recoupent toutes les régions et rejoignent toutes les cultures et toutes les
communautés, Radio-Canada nous offre une tribune où nous pouvons partager nos
valeurs, et favorise ainsi une meilleure compréhension entre nous tous.
Que
ce soit en saisissant le but gagnant de Paul Henderson lors de la Coupe Canada
en 1972, en immortalisant des pages importantes de notre histoire, comme la création
du Nunavut, ou les exploits d'athlètes canadiens au cours des Jeux olympiques...
Que
ce soit en suivant les efforts déployés par tous les Canadiens pour venir en aide
à leurs voisins lors des inondations du Saguenay et du Manitoba, ou de feux de
forêt, en recourant à la technologie pour briser l'isolement des familles
pendant la crise du verglas il y a un peu plus d'un an...
En portant
ces histoires à l'antenne, en saisissant ces moments et en les diffusant
dans nos foyers, Radio-Canada renforce la compréhension et la fierté des Canadiens
à l'égard de leur pays.
En sa qualité d'instrument au service
de la politique culturelle, Radio-Canada est le gardien de notre patrimoine.
Le
terme « patrimoine » peut signifier bien des choses pour bien des gens.
Mais il ne fait aucun doute que les Lorne Greene, Bruno Gerussi, Roger Baulu,
Anne Murray et Louis Quilico en font partie, de même que des athlètes
comme Gordie Howe, Maurice Richard et Frank Mahovlich — or tous ceux-ci
sont connus du pays entier grâce à Radio-Canada.
Le patrimoine comprend
également tous les bouleversements sociaux, politiques et économiques qui ont
façonné notre pays : la Révolution tranquille, la quête d'un gouvernement
autonome par les autochtones, le déclin de la pêche à la morue à Terre-Neuve,
la montée du populisme dans l'Ouest. Radio-Canada a toujours été là pour
tout enregistrer, pour aider les Canadiens à comprendre, faisant ainsi partie
intégrante de nos vies et de notre perception des personnages et des événements
qui constituent notre patrimoine.
Nous produisons des émissions que le
secteur privé ne voudrait pas réaliser — des émissions qui servent avant
tout à nous faire mieux apprécier notre patrimoine. Il n'y a que Radio-Canada
pour réaliser une série comme Le Canada — Une histoire populaire,
un documentaire de 30 heures, qui sera présenté aux heures de grande écoute. Réalisé
en français et en anglais, un tel projet serait trop ambitieux et trop risqué
pour intéresser les radiodiffuseurs du secteur privé. Ces derniers ne voudraient
pas non plus fournir un service radiophonique en français à toutes les régions
du Canada, quelle que soit la taille du marché, ou produire huit bulletins de
nouvelles régionaux distincts pour le public francophone, encore moins assurer
un service régional dans le Nord du pays diffusant en huit langues autochtones.
Le
caractère indépendant de notre service de nouvelles et d'information, garanti
par la Loi sur la radiodiffusion, conforte solidement notre riche tradition
de liberté et de démocratie. Il est important de s'en souvenir —
surtout lorsqu'il arrive que l'exercice de cette indépendance journalistique
soit source de tension avec le gouvernement du moment.
Enfin, pour préserver
notre culture, notre identité et notre autonomie culturelles, il est primordial
de nous assurer l'accès aux moyens d'expression canadiens et à nos
espaces communs.
C'est précisément cela, Radio-Canada. C'est
ce que nous faisons tous les jours.
Radio-Canada est le seul radiodiffuseur
qui desserve toutes les régions du Canada, à la fois en français et en anglais,
par le truchement de la radio, de la télévision et d'Internet. Nous avons
la responsabilité d'enrichir notre héritage linguistique, et nous allons
un peu plus loin encore dans ce domaine.
Que ce soit à la radio ou à la
télévision, Radio-Canada offre une programmation pancanadienne, appelée dans un
proche avenir à refléter encore davantage la diversité régionale du pays.
Radio-Canada
est le seul radiodiffuseur qui possède des moyens de production et de distribution
dans le pays entier. Aucun autre radiodiffuseur n'a le mandat, ni l'infrastructure,
ni même de raison, de s'adresser à tous les Canadiens. Aucun autre radiodiffuseur
n'a consacré autant de ressources pour que les Canadiens puissent voir des
images d'eux-mêmes et du reste du monde sur leurs ondes.
Permettez-moi
donc de récapituler ces trois objectifs que nous servons : - Favoriser
l'expression de notre fierté à l'égard du Canada
- Préserver
le patrimoine canadien
- Assurer l'accès aux moyens d'expression
canadiens et à nos espaces communs
Quelle autre institution, dites-moi,
contribue jour après jour à définir et à façonner l'identité canadienne d'un
océan à l'autre, et à en rendre compte?
La conclusion est claire :
si Radio-Canada n'existait pas, il faudrait l'inventer.
La bonne
nouvelle, c'est que les Canadiens ont déjà fait l'investissement nécessaire
en bâtissant progressivement Radio-Canada depuis une soixantaine d'années.
Nous faisons d'ores et déjà partie intégrante du tissu de cette culture et
de cette identité canadiennes que nous contribuons à renforcer.
Sans doute
aucun, nous pouvons affirmer que la Société Radio-Canada est un outil essentiel
à notre identité et une ressource précieuse pour tous les Canadiens.
J'aimerais
maintenant céder la parole à M. Beatty, qui va vous parler de notre plan stratégique.
Merci,
Guylaine.
Je suis heureux de l'occasion qui m'est offerte de
vous présenter le plan stratégique qui, à mon avis, donnera à Radio-Canada le
positionnement nécessaire pour défendre les objectifs culturels canadiens au cours
du prochain millénaire.
Je sais pertinemment que vous êtes au courant des
bouleversements que subit le monde des communications à l'approche du nouveau
millénaire, au pays comme à l'étranger, puisque ce Comité est justement chargé
d'étudier cette question. J'aimerais toutefois attirer votre attention
sur le secteur de la radiodiffusion en général et sur Radio-Canada en particulier
qui, comme l'a judicieusement fait remarquer Mme Saucier,
en plus d'être le radiodiffuseur public national est aussi l'instrument
le plus important de la politique culturelle canadienne.
Tout d'abord,
on a constaté que les modèles de consommation dans le secteur des médias au Canada
avaient évolué. On a beaucoup parlé de l'explosion de l'offre, or, fait
intéressant, les Canadiens ne passent pas plus de temps devant leur téléviseur
ou à écouter la radio qu'ils ne le faisaient il y a 10 ou 20 ans, soit une
vingtaine d'heures par semaine dans chaque cas. Le nœud du problème
tient au temps qu'ils consacrent maintenant aux services généralistes. Les
consommateurs sont de plus en plus sélectifs dans leurs choix, dans leurs horaires
et dans les modes d'accès qu'ils utilisent.
L'époque où le
téléspectateur moyen répartissait ses 20 heures d'écoute et des poussières
entre deux ou trois chaînes canadiennes et trois réseaux américains est révolue
depuis belle lurette. Sous l'effet de la multiplication des services spécialisés
et des nouveaux moyens de distribution, tous les réseaux de télévision traditionnels
au Canada ont vu leur part d'auditoire chuter. Aujourd'hui, les réseaux
canadiens traditionnels se partagent environ 50% de l'auditoire global; leurs
vis-à-vis américains, environ 20% ; tandis qu'une trentaine de services spécialisés
canadiens et américains raflent les 30% qui restent.
Il faut aussi mentionner
que le taux de pénétration d'Internet dans les foyers canadiens est passé
de 13% en 1997 à 23% en 1998. Compte tenu que les frais d'abonnement mensuels
frisent les 20 dollars, ce taux d'adhésion chez les particuliers est
remarquable. En guise de comparaison, la croissance du taux de pénétration des
services de câblodistribution n'a jamais dépassé 5% par année, même dans
la phase initiale.
Mais pour en revenir au fait, comment évolue le secteur
de la radiodiffusion? Et qu'est-ce qui incite Radio-Canada à vouloir se transformer
elle aussi?
Les multinationales de la communication ont commencé à mettre
sur pied des constellations de services touchant plusieurs axes, comme la distribution
et le divertissement, et gravitant autour d'un réseau de télévision conventionnel.
Il n'y a qu'à penser à Disney et à Warner. Au Canada, on observe le
même phénomène. Des sociétés comme CTV, le groupe CHUM et Vidéotron ont commencé
à se diversifier au-delà de leur gamme de services traditionnels et possèdent
maintenant des intérêts dans plusieurs entreprises de distribution et de diffusion.
Or
Radio-Canada n'a pas suivi le mouvement de diversification. La Société n'a
obtenu en effet que deux des 60 licences de services spécialisés que le CRTC a
accordées depuis 1983. Nos services spécialisés, le RDI et Newsworld, remportent
cependant un franc succès. Si l'on tient compte également des cotes d'écoute
des émissions que nous diffusons comparativement à celles d'autres émissions
canadiennes, il est clair que les Canadiens comptent sur Radio-Canada pour leur
offrir une programmation nationale de grande qualité. Nous ambitionnons seulement
d'être en mesure de répondre à leurs besoins au moment où ils en ont envie
et de la manière dont ils en ont envie; nous voulons nous conformer à leurs nouvelles
perceptions des médias. Et c'est dans cette optique que nous nous préparons
à aborder le marché des nouveaux médias à l'aube de l'an 2000.
Le
plan que nous avons déposé au CRTC est audacieux et ambitieux dans son envergure :
permettez-moi de vous présenter les 12 engagements que nous avons pris envers
le peuple canadien. - Premièrement, nous allons offrir une programmation
qui intéresse tous les Canadiens. Ceci inclut les émissions de sport, qui font
tout à fait partie du patrimoine canadien, et également de notre champ de compétence.
Il est hors de question pour nous de devenir élitiste et d'offrir
des émissions destinées à un segment étroit de la société canadienne.
- Nous allons fournir une perspective pancanadienne dans un spectre de plus
en plus large de notre programmation. Même du sommet du Mont Royal et de la Tour
du CN, nous n'atteignons pas encore l'altitude nécessaire pour embrasser
d'un même regard l'essence de cet immense pays qui est le nôtre. Si
nous voulons que notre identité culturelle survive, il faut que les Canadiens
puissent se voir sur leurs ondes. Aussi devrons-nous augmenter le nombre de voix
nouvelles qui représentent notre diversité culturelle afin de présenter un tableau
complet et vibrant de notre pays.
- Nous allons assurer
une présence originale plus forte dans les régions. Pour une vaste partie de l'auditoire
national n'ayant pas le câble, Radio-Canada constitue la seule source d'information,
de divertissement et de repères canadiens. Même aujourd'hui, avec un taux
de pénétration du câble frôlant les 80%, 44% de l'auditoire de la Télévision
de Radio-Canada est constitué de foyers non câblés, ce qui démontre bien l'importance
de nos services pour les Canadiens hors des grands centres facilement desservis
.
- Nous allons revitaliser notre Télévision anglaise
en poursuivant notre campagne de canadianisation. Je peux vous assurer que nos
efforts commencent à porter leurs fruits. Cette année, neuf des 10 séries canadiennes
les plus populaires en anglais étaient des émissions présentées à la Télévision
anglaise de Radio-Canada. Dans cette lutte pour garantir la survie d'une
culture canadienne indépendante et forte, il est essentiel de nous assurer que
tous les Canadiens — et surtout nos enfants — comprennent
bien leur propre histoire et leurs institutions.
- Nous
voulons être le premier choix des Canadiens en matière de nouvelles et d'information.
Notre rôle de chef de file et nos compétences dans le secteur journalistique sont
en effet parmi nos plus grands atouts. Nous pouvons compter sur un effectif de
quelque 800 journalistes couvrant l'actualité d'un océan à l'autre
et aux quatre coins du globe, en anglais et en français.
- Nous allons assurer le rayonnement de la langue et de la culture françaises
partout au pays. Dans le contexte actuel de la mondialisation des communications
où la langue anglaise exerce une dominance croissante, cet aspect du rôle de Radio-Canada
est plus important que jamais. Pour les minorités francophones, Radio-Canada constitue
un outil vital de promotion de la langue et de la culture d'expression française.
- Nous allons jeter des ponts entre les cultures et les communautés francophones
et anglophones, en multipliant nos efforts de production d'émissions transculturelles
comme Culture-choc/Culture Shock, réalisée conjointement par le RDI et
Newsworld, ou Le Monde à Lanvers à la Radio française et C'est
la Vie à la Radio anglaise.
- Nous allons promouvoir
les arts et la culture du Canada. Radio-Canada constitue la scène électronique
du pays. Certaines de nos plus grandes vedettes canadiennes ont fait leurs débuts
à la télévision et à la radio de Radio-Canada. Avec un mandat renouvelé et dynamisé,
Radio-Canada continuera à présenter les artistes, les écrivains, les musiciens
et tous les créateurs de notre pays.
- Nous voulons
mettre sur pied une constellation de nouveaux services pour mieux répondre aux
besoins des Canadiens. Dans l'avenir, Radio-Canada devra être à la portée
de tous les Canadiens, aux endroits et aux moments qui leur conviendront. D'ailleurs
les demandes de nouvelles chaînes de diffusion spécialisées que nous avons déposées
l'année dernière visent à remédier à des lacunes dans la programmation de
notre pays qui sont bien réelles et qu'un radiodiffuseur public devrait combler.
à la radio, nous proposons deux nouveaux services.
- Nous
allons jouer un rôle de chef de file dans le secteur des nouveaux médias et des
nouvelles technologies. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que Radio-Canada
a sa place — et qu'elle réussira très bien — dans ce
nouveau secteur en pleine effervescence. Sans notre présence, les voix canadiennes
risquent fort d'être étouffées dans ces services.
- Nous allons moderniser notre culture d'entreprise pour pouvoir profiter
davantage des nouvelles occasions qui se présentent et mettre plein cap sur l'avenir.
- Et enfin, nous allons refléter l'image du Canada à l'étranger. Plus
le monde se rapproche de nous, plus il importe d'exporter l'image du
Canada au-delà de nos frontières. Grâce à l'assurance d'un financement
permanent qu'il a reçu du gouvernement, RCI peut continuer d'offrir
ses services sur ondes courtes en sept langues. En outre, grâce à nos sites Internet,
les Canadiens de partout au pays et à l'étranger peuvent garder le contact
avec le pays et la région qui leur tient à cœur.
Ces engagements
serviront à orienter les activités de Radio-Canada de l'avenir. Ce sont des
objectifs ambitieux, mais à notre portée.
J'encourage les membres
du Comité à réfléchir sur les possibilités immenses de Radio-Canada comme instrument
de promotion de la culture canadienne au pays et partout dans le monde. Radio-Canada
est vouée à la réalisation des aspirations culturelles de tous les Canadiens;
prenons soin d'en faire bon usage.
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