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le 20 mars 1998

Faire face à la convergence : Changements sociaux et culturels à l'ère de la technologie numérique

Allocution prononcée à l'Université Western Ontario London (Ontario) — Perrin Beatty

La technologie est-elle foncièrement mauvaise?

Il n'est guère étonnant que tant de gens voient d'un œil soupçonneux la révolution numérique que nous vivons aujourd'hui. Beaucoup soutiennent, par leurs commentaires et leurs observations empiriques, que la science et la technologie ont une influence pernicieuse sur la société contemporaine.

Parfois, notre appréhension face à la technologie nous amène à freiner son essor. Par exemple, au début du 19e siècle en Angleterre, les membres des guildes ont tenté de détruire la machinerie qui menaçait leur mode de vie. Parfois encore, notre peur nous fait craindre que la technologie a déjà irrémédiablement pris le contrôle. Ce pessimisme semble avoir atteint son apogée dans les années 1950 et 1960, alors que des critiques affirmaient à tour de rôle que le genre humain avait été subjugué par la machine.

Jacques Ellul, sociologue français, a été le premier à exprimer ce point de vue dans son livre La Technique ou l'Enjeu du siècle. Selon M. Ellul, qui emploie le terme «technique» pour représenter à la fois la technologie elle-même et les systèmes d'organisation sociale qu'elle nourrit et requiert, la technique devenue autonome bouleverse l'ordre naturel des choses et impose à l'homme sa propre structure.

L'analyse de M. Ellul est profondément pessimiste, bien qu'il laisse entrevoir que la société puisse être sauvée. D'autres critiques sociaux, dont White, Lewis Mumford, John Kenneth Galbraith, E. F. Schumacher et le Canadien George Grant, ont également sonné l'alarme, en expliquant comment la technologie et une organisation sociale rigide pouvaient dénaturer l'homme.

Leur argumentation est connue de tous, mais vaut la peine d'être reprise ici.

Parlons d'abord de la rapidité du changement qui menace de nous obnubiler. La majorité des connaissances accumulées par l'humanité proviennent essentiellement de notre siècle. Et ce n'est pas fini.

La rapidité avec laquelle se développent les nouvelles technologies nous prive du temps dont nous avons besoin pour prendre des décisions éclairées. L'exemple le plus frappant s'est présenté durant la Guerre froide, alors que des sous-marins soviétiques navigant à proximité de la côte atlantique de l'Amérique du Nord avaient la capacité de lancer des missiles nucléaires pouvant détruire Washington et d'autres villes de la côte Est en moins de 10 minutes. Le gouvernement américain devait alors déterminer s'il était effectivement soumis à une attaque et s'il devait prendre des mesures de représailles susceptibles d'anéantir toute vie humaine.

En outre, on s'inquiète souvent du fait qu'en plus de répondre à nos besoins, la technologie exige également que l'on s'adapte aux siens. Ainsi, l'avènement d'usines mécanisées en Grande-Bretagne au début de la révolution industrielle fit naître un besoin en main-d'œuvre abondante et bon marché auquel on répondit en forçant des enfants, souvent de 10 ans et moins, à travailler dans des conditions lamentables. De même, l'essor de l'automobile obligea la société à s'organiser en fonction de la voiture en investissant des milliards de dollars dans la construction d'autoroutes et dans l'aménagement de banlieues. Voilà un exemple percutant des conséquences inattendues de la technologie, puisque la voiture devait à l'origine permettre au peuple de fuir les agglomérations pour se rendre à la campagne.

Peut-être les mots affichés à l'entrée de l'exposition internationale de Chicago, en 1893, étaient-ils le meilleur moyen d'exprimer ce principe : «Science explores: Technology executes: Man conforms» (la science explore, la technologie exécute et l'homme se conforme).

Tout en reconnaissant que les progrès technologiques ont eu une incidence favorable par le passé, certains critiques affirment qu'ils n'ont plus maintenant la même valeur. Nous sommes en mesure, aujourd'hui, d'anéantir toute vie humaine et l'ordinateur peut remplacer l'homme à bien des égards. Par le passé, la technologie créait plus d'emplois qu'elle n'en éliminait, mais aujourd'hui, l'automatisation risque d'éliminer des millions d'emplois qui ne seront jamais remplacés.

Il existe également des inquiétudes sur le plan moral. De nombreux critiques s'inquiètent du fait que, pendant que l'homme réalise de rapides progrès scientifiques, son épanouissement moral ne suit pas la même cadence. Par conséquent, notre technologie évolue et est mise en œuvre dans un gouffre, nous laissant vivre à une époque où, comme l'affirme Ralph Waldo Emerson, «Things are in the Saddle/ And Ride Mankind» (la technologie est aux commandes et mène l'humanité).

Depuis 50 ans, nous avons le pouvoir de diviser l'atome, nous pouvons aujourd'hui manipuler la génétique, mais nous n'avons aucune entente sur la façon dont ces possibilités devraient être utilisées. Nous sommes hantés par la crainte que des technologies massivement destructives soient inévitablement utilisées tout simplement parce qu'elles sont disponibles.

Enfin, nous sommes hantés par ce que nous avons vu dans le film 2001 : Odyssée de l'espace, soit que les ordinateurs dont dépendent nos vies décident un jour que nous sommes devenus superflus. Nous ne craignons pas tant la révolte des ordinateurs, mais plutôt qu'ils évoluent et nous remplacent insidieusement en exécutant mieux que nous les fonctions que nous croyions jusqu'ici réalisables seulement par l'être humain.

La technologie est-elle foncièrement bonne?

À l'opposé de ces critiques, les millénaristes comme Marshall McLuhan, George Gilder et Nicolas Negroponte, directeur du Laboratoire des médias du Massachusetts Institute of Technology, affirment que, loin de menacer la liberté de l'homme ou de l'humanité, les technologies de l'information transformeront la société en libérant l'homme et en contribuant à protéger l'humanité.

Dans son livre intitulé Being Digital, M. Negroponte reconnaît que toute technologie présente un côté sombre et que les technologies numériques entraîneront d'importantes perturbations sociales, mais cette concession n'est qu'un élément de son argumentaire qui célèbre plutôt une transformation que Negroponte croît déjà enclenchée. La vision qu'il a de notre avenir laisse peu de doute sur son enthousiasme.

On peut trouver un compte rendu aussi enthousiaste des effets de la technologie numérique sur notre société dans les travaux du Canadien Don Tapscott. Dans son dernier livre, intitulé Growing up Digital, il fait valoir que nos enfants, la «génération des internautes», sont transformés par l'informatique et par Internet de telle sorte que cela ne peut que contribuer à leur épanouissement personnel, aux conventions sociales et à l'économie. Selon M. Tapscott, la perception qu'ont ces enfants du travail est différente de celle de leurs parents. La collaboration leur réussit et beaucoup d'entre eux considèrent la notion de patron quelque peu étrange. Internet est leur premier repère. Ils sont motivés par l'innovation et ont le sens de l'immédiat exigeant des résultats rapides.

La technologie est porteuse de valeurs — elle n'est ni bonne, ni mauvaise en soi.

Les nouvelles technologies nous mènent-elles vers un univers de despotisme mécanique ou vers un nouvel âge de liberté et d'évolution individuelles? Je crois qu'il est simpliste et trompeur de suggérer que la technologie par elle-même puisse mener à l'un ou à l'autre. Cela nourrit de fausses craintes et confond publicité extravagante et réalité.

Les grandes révolutions passées, dont la révolution industrielle, sont nées d'une combinaison de facteurs — scientifiques, économiques, politiques et culturels. C'est la synergie de ces facteurs qui dicte l'évolution d'un événement. Les percées technologiques ne surviennent pas dans un vide social ou historique, mais à un point précis du développement humain.

L'être humain est à la fois le maître d'oeuvre et l'oeuvre de la technologie. Une technologie donnée n'existe que pour satisfaire un besoin ou un désir de l'homme. Le moteur à vapeur ne sommeillait pas dans un filon de minerai, en attendant qu'on le découvre. La première puce de silicium ne se trouvait pas non plus dans un grain de sable qu'il s'agissait simplement d'ouvrir. Chacune des inventions qu'a connues l'humanité, de la charrue à l'ordinateur en passant par l'automobile, fut le résultat de la créativité humaine appliquée à la science. Quoique le débat se poursuive à savoir si la technologie est simplement le produit d'une vérité indépendante ou une forme d'art reflétant des valeurs particulières, il semble raisonnable de conclure qu'elle est, en effet, porteuse de valeurs. Que ces valeurs prennent la forme d'un désir d'efficacité et d'ordre, d'auto-conservation ou de pouvoir sur les autres ou qu'elles soient l'instrument d'autres désirs, l'homme crée ces technologies pour l'aider à atteindre ses buts.

Le pacte que nous avons conclu avec la technologie pour en tirer des avantages nous oblige en retour à faire des concessions. Ce marché semble parfois faustien, comme lorsqu'on a découvert la division de l'atome ou lorsqu'on a mis au point la machine qui nous a permis de créer des chaînes de montage où l'être humain ne devient qu'un élément inefficace et inutile du processus. Pour obtenir les avantages recherchés, nous créons des technologies qui percent la couche d'ozone, dépouillent l'être humain de toute dignité ou peuvent entraîner la mort de millions de personnes.

Le fait que les inventions de l'homme puissent être utilisées à bon et à mauvais escient, parfois simultanément, ne les rend pas neutres pour autant. Cela va plutôt à l'encontre de ceux qui affirment que la technologie a remplacé les débats politiques par des débats techniques. En tant que Ministre de la Défense nationale, j'ai représenté le Canada aux réunions du Groupe des plans nucléaires de l'OTAN, au cours desquelles nous avons discuté des circonstances où l'usage d'armes nucléaires serait acceptable. Cette expérience m'a convaincu de l'urgence d'un débat moral et politique sur la façon de s'assurer que ces armes ne seront jamais plus utilisées. Il en va de même pour les percées scientifiques réalisées dans le domaine du génie génétique. Nous devons maintenant débattre de notre droit de manipuler les éléments de base de la vie.

Dans d'autres cas, ce n'est pas le processus politique mais bien le marché qui fait obstacle à une technologie donnée ou qui lui donne un élan inattendu. La plupart d'entre nous avons entendu parler du Betamax, du visiophone, du transport supersonique, du Télidon et d'un tas d'autres technologies, souvent brillantes, qui ont vu le jour pour se retrouver devant un marché inexistant. Les plus grands succès viennent souvent des technologies que le gouvernement veut promouvoir, comme la télévision à haute définition.

Le gouvernement semble apte à mettre en service des technologies qui serviront à répondre à ses propres besoins d'abord, en matière de défense ou de conquête de l'espace par exemple. Dans bien des cas, ces technologies deviennent autonomes. Par exemple, le réseau Internet est né parce que le gouvernement américain cherchait à créer un système de communication pouvant subsister après une attaque nucléaire.

Priorité aux nouvelles technologies de l'information

La technologie n'est donc ni autonome, ni totalement sous notre contrôle. Nous la façonnons, et elle nous façonne. C'est particulièrement le cas des nouvelles technologies de l'information qui se multiplient à un rythme effrené et qui ont des effets sans précédent. Ces nouvelles technologies envahissent tous les secteurs de la société — de la production alimentaire à la culture en passant par le gouvernement et les soins médicaux — et offrent la possibilité de redéfinir notre performance dans chacun d'eux.

Je vous entretiendrai donc des nouvelles technologies de l'information en raison de leur grande visibilité dans les courants sociaux et politiques actuels; de leur influence envahissante et turbulente dans les industries médiatiques; et de mon propre rôle dans l'élaboration d'une stratégie pour le radiodiffuseur public du Canada par le biais de la révolution informatique — ce qui, en soit, a d'importantes conséquences sur le paysage politique canadien.

Il est difficile aujourd'hui de lire un journal, de regarder une émission d'information ou d'écouter le discours d'un politicien sans y entendre vanter les mérites d'Internet. Pourtant, à l'arrière-plan de toute cette publicité extravagante, qui l'embrouille dans une large mesure, quelque chose de profond prend forme.

La percée des technologies de l'information contemporaines dans chaque secteur de la société s'est faite de façon dramatique et s'accentue à un rythme qu'il est difficile de comprendre. Par exemple, il n'y avait dans le monde entier en 1972 qu'environ 150 000 ordinateurs en service mais l'année dernière, il s'est vendu, aux états-Unis, plus d'ordinateurs que de téléviseurs. De même, l'intelligence intégrée à une calculatrice de poche d'une valeur de cinq dollars est considérablement supérieure à celle du premier ordinateur électronique, l'ENIAC, assemblé en 1946. Ce dernier pesait 30 tonnes, occupait une pièce de plus de 1,500 pieds carrés de surface et comptait près de 18,000 tubes à vide.

Nous ne ressentirons tous les effets de l'informatisation que lorsque l'intelligence électronique deviendra à la fois omniprésente et ordinaire dans la vie de tous et de chacun. Ce seuil, encore lointain, ne sera atteint que lorsque nous aurons insisté pour que les ordinateurs personnels deviennent nettement plus accessibles et plus fiables qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Jusqu'ici, nous n'avons pas insisté pour que cette norme soit respectée. On peut l'expliquer en partie parce que l'ordinateur personnel est encore pour nous comme un chien parlant — plus remarquable du fait qu'il parle que de ce qu'il a à dire.

Les grands utilisateurs d'ordinateurs parmi nous en sont tellement fascinés qu'ils oublient qu'il est très peu fiable et convivial. Nous tolérons cette faiblesse, mais ne l'accepterions jamais pour une voiture, un téléviseur ou un réfrigérateur. Nous sommes prêts à nous adapter aux besoins de l'ordinateur plutôt qu'à exiger qu'il s'adapte aux nôtres. Cependant, pour la plupart des gens, l'ordinateur est toujours mystérieux et inaccessible.

La percée s'effectuera lorsque les concepteurs d'ordinateurs utiliseront leur prodigieuse souplesse pour l'adapter à l'utilisateur, plutôt que l'inverse. De même, le consommateur doit commencer à exiger des fabricants une plus grande interopérabilité et une meilleure fiabilité de leurs produits. Lorsque cette percée aura été réalisée et que le prix des ordinateurs chutera, tout sera en place pour accueillir de grands changements dans notre façon de vivre et de travailler.

En termes simples, j'estime que nous faisons face à une technologie en transformation qui touche chacun de nous beaucoup plus rapidement que nous ne le réalisons, et qui entraîne un important déplacement du pouvoir des gouvernements et des autres grandes institutions vers le citoyen. Cela ne signifie pas que les grandes institutions n'ont pas été habilitées à faire des choses qu'elles ne pouvaient faire auparavant — il est clair que les gouvernements et les grandes entreprises bénéficient eux aussi des nouvelles technologies — mais les citoyens et les PME en tirent des gains disproportionnés, comblant ainsi certaines lacunes qui existaient en matière de ressources. Bien que la plupart des incidences de ces nouvelles technologies sur le citoyen soient favorables, certaines peuvent être extrêmement nuisibles. Par exemple, le train de données que nous laissons tous derrière nous en utilisant une carte de crédit ou un téléphone cellulaire, ou en enrichissant la base de données des médecins, des enseignants, du gouvernement, des services de police et des commerces permet, comme jamais auparavant, d'accéder aux détails les plus intimes de notre vie. En outre, comme la société dépend de plus en plus de technologies complexes, tout mauvais fonctionnement peut entraîner de lourdes conséquences. Tout, d'un virus informatique à une panne d'autocommutateur électronique en passant par la rupture d'une liaison de télécommunications, peut coûter à la Société des centaines de millions de dollars, et même nous tuer.

L'avenir : difficile à prédire, difficile à éviter

Yogi Berra a dit qu'il était difficile de prédire quoi que ce soit, surtout l'avenir. Comme tant d'autres, les politicologues et les radiodiffuseurs ont pour rôle de tenter de comprendre ce que les gens feront demain. Le problème, c'est que même nos meilleures suppositions peuvent nous placer dans une fâcheuse position.

Prédire l'avenir de la technologie n'est pas de tout repos, comme on peut s'en rendre compte en jetant un coup d'œil à la page couverture de la revue Popular Mechanics des dernières décennies. La plupart d'entre nous n'avons pas d'hélicoptère privé pour se rendre au travail, ni de trottoir roulant pour se déplacer dans la ville. Nous n'en aurons jamais. La presse populaire n'est pas la seule à s'enthousiasmer pour de nouvelles technologies.

Nous avons appris dernièrement que Microsoft, après avoir investi des millions de dollars pour intégrer des chaînes de télévision sur le web, a abandonné le projet. Si Bill Gates, avec tout son génie technique et toutes les ressources que Microsoft met à sa disposition, n'est pas en mesure de prédire l'avenir, même à court terme, pourquoi vous et moi prétendrions-nous y arriver? Des gens comme Bill Gates pourraient gagner ou perdre des milliards de dollars à parier qu'ils trouveront la solution, mais ils sont dans une ligue dans laquelle vous et moi n'avons pas les moyens de jouer.

Pourtant, il est tout aussi vrai que la plupart d'entre nous ne pouvons ignorer les grandes tendances et ne pas suivre leur évolution. Les tendances technologiques ont un impact sur les relations de pouvoir dans la société tout comme sur la façon dont les gens reçoivent et utilisent l'information provenant des médias. Nous devons faire de notre mieux pour comprendre ces gens, que nous soyons politicologues ou radiodiffuseurs publics.

Si nous ne pouvons prédire l'avenir en détail, encore moins le contrôler, nous pouvons au moins avoir une idée de la direction que prennent les changements technologiques. Nous pouvons également essayer de comprendre ce que nous voulons réaliser à titre d'institution ou de société et acquérir la souplesse et le savoir-faire nécessaires pour préparer notre adaptation au changement, lorsqu'il surviendra.

Comparons cela au pilotage d'un voilier. Seul un fou tenterait de changer la direction du vent ou des courants; le marin qui lève les voiles sans même avoir le savoir-faire nécessaire ou sans savoir à quel endroit il veut aller se verra entraîné par le vent ou chavirera. Par contre, s'il est adéquatement préparé, qu'il respecte le sens du vent et l'utilise efficacement, il ira là où bon lui semble.

Matériels technologiques : plus rapide, plus compact, plus économique et plus encore...

Même si la technologie numérique a atteint un niveau de complexité impressionnant, toutes les grandes tendances pointent dans la même direction, irrésistiblement simple : plus de puissance et de souplesse, capacité accrue d'envoyer, de traiter et de stocker de grandes quantités de données dont le volume grandit d'année en année de façon exponentielle. Bien entendu, les incidences sociales de ces changements sont loin d'être simples.

Comme nous l'avons déjà mentionné, l'omniprésence de l'intelligence joue un grand rôle dans cette histoire, grâce aux progrès de la puce électronique, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Plusieurs percées technologiques parallèles se combinent pour créer des possibilités inouïes :

  1. Largeur de bande accrue : le principal réseau de base du Canada, CA*Net II est déjà le premier de la deuxième génération de réseaux Internet et sa capacité atteint 310 mégabits. Mieux encore, on vient d'annoncer que CA*Net III sera le premier réseau de base Internet à fibre optique et que sa capacité atteindra un térabit par seconde.
  1. Densité et coût de stockage : on comprime de plus en plus de données sur les disques durs pour y intégrer du matériel comme la vidéo animée, par exemple.
  1. Ordinateurs personnels et autres dispositifs d'accès à bon prix : l'ordinateur personnel à moins de 1 000 $ a gagné en popularité en 1997 et sera rejoint par d'autres dispositifs peu coûteux, comme la cybertélévision.

Bien que l'intelligence et la largeur de bande guident le changement, ces autres facteurs jouent un important rôle de soutien — particulièrement pour rendre la technologie numérique abordable et accessible. Vous aurez sans doute remarqué que la capacité des disques durs s'accroît continuellement, étant passée d'un standard de moins de 200 méga-octets à plus de deux giga-octets en une demi-douzaine d'années. Par contre, peut-être n'avez-vous pas remarqué que tout comme les puces, les unités de stockage sont de moins en moins chères : le méga-octet vendu à 5,23 $ il y a environ six ans ne vous coûtera aujourd'hui que 0,10 $!

Voilà une autre perspective : IBM annonçait dernièrement qu'elle pouvait dorénavant emmagasiner 11,6 gigabits sur un pouce carré d'un disque dur. Bref, chaque pouce carré peut contenir l'équivalent de 750,000 pages de texte à double interligne!

L'impact social de l'intelligence décentralisée

Quels sont les impacts de ces développements?

Notons d'abord, ce qui est d'ailleurs le facteur le plus important, la spectaculaire hausse de puissance alliée à la chute des prix de la puce, qui a succédé au transistor créé par trois scientifiques de Bell Laboratories en 1947. Le transistor fut important, puisqu'il offrait l'unique solution de rechange au tube à vide tout en étant rapide, petit, fiable, moins énergivore et moins coûteux.

Parce qu'ils étaient gros et dispendieux, les ordinateurs, il y a 30 ans, étaient des outils que seules les grandes institutions pouvaient posséder. Même pour ces grandes institutions, le coût d'un ordinateur était si élevé qu'on devait lui donner de très gros travaux pour qu'il devienne rentable. Le pouvoir informatique était centralisé au sein de l'entreprise afin de pouvoir laisser l'ordinateur travailler jour et nuit au traitement de ces imposants lots de données. Depuis, l'évolution de la puce a été si spectaculaire qu'un ordinateur personnel type renferme aujourd'hui 7,5 millions de transistors, à un prix inférieur à celui de leur boîtier.

Selon la Semiconductor Industry Association, la densité d'une puce aura plus que doublé d'ici cinq ans, pour passer à 18 millions de transistors, tandis que la vitesse d'horloge des ordinateurs de bureau haut de gamme aura plus que quadruplé, passant de 350 MHz à 1,500 MHz. Chaque fois que les limites physiques de la puce semblent atteintes, nous faisons plutôt une nouvelle découverte capitale. Dernièrement, des scientifiques ont découvert la façon de rétrécir le câblage d'une puce faisant 0,25 micron (ce qui est relativement large) à 0,08 micron, sans changer systématiquement la fabrication des puces.

D'après moi, si intéressantes soient-elles, ces trouvailles technologiques ne sont guère aussi captivantes que leurs incidences sociales.

Au cours des 40 dernières années, la technologie informatique a suivi une tendance stable voulant qu'on retire le pouvoir informatique des grandes institutions pour le remettre entre les mains des citoyens et des institutions de plus petite taille. Sur le plan géographique, le pouvoir informatique quitte les centres urbains pour accéder aux zones plus rurales ou éloignées, où il est maintenant abordable.

Ce transfert s'est fait sentir de façon dramatique même au sein des grandes entreprises. Leur pouvoir de traitement est maintenant réparti sur une plus grande échelle. Par exemple, certains services publics prévoient pratiquement fournir un ordinateur personnel à chacun de leurs employés.

L'histoire de la technologie a déjà vu ces mêmes incidences sociales auparavant. Avant que M. Gutenberg rende possible l'impression de livres à l'aide de caractères mobiles, on devait les imprimer un à un, à la main. Ils étaient de magnifiques œuvres d'art, mais le petit nombre de livres imprimés et l'importance des coûts en cause ont fait en sorte que les gens devaient aller vers les livres pour les lire et que seule la partie de la population qui savait lire et écrire pouvait les consulter directement. Les autres devaient compter sur le clergé, qui contrôlait les livres et partageait leur contenu avec eux. Grâce à un degré d'alphabétisation plus élevé et à la chute des prix entraînée par une production de masse, le peuple n'a plus à faire appel à des intermédiaires pour avoir accès aux documents imprimés.

La première leçon à tirer du cycle évolutif de ces technologies, c'est que la production croissante et le déclin des coûts donnent plus de pouvoir au citoyen, remplace la rigidité par la souplesse et refaçonne l'organisation de notre société.

L'impact social des réseaux de communication décentralisés à bande plus large

La seconde tendance majeure des technologies de l'information a trait à la largeur de bande des communications — soit la vitesse à laquelle les données peuvent être transmises — de même que la décentralisation des réseaux de communication. Lucent Technologies présente un vibrant exemple de l'évolution de la largeur de bande. Elle annonçait récemment avoir quintuplé le nombre de flux de données simultanés à pleine vitesse pouvant être acheminés sur une seule fibre optique, passant ainsi de 16 à 80! Vers la fin de cette année, le matériel faisant appel à cette technologie pourra transporter, à l'aide d'une seule fibre, 400 gigabits de données par seconde! Qu'est-ce que ça signifie? Qu'un seul système, qui utilise huit de ces fibres, pourra transporter 3,2 térabits de données par seconde, soit l'équivalent de 90 000 volumes encyclopédiques par seconde.

L'invention du télégraphe a permis à des gens séparés par une grande distance d'établir rapidement un contact. À l'époque, il s'agissait là d'un progrès remarquable. Cependant, le télégraphe était aussi un instrument hautement centralisé. En effet, comme il n'était pas installé dans la maison des gens mais dans un central, la communication s'établissait d'un central à un autre. De là, le message était habituellement livré par messager.

L'invention du téléphone, qui fut accueillie avec mépris par la Western Union, améliora la qualité des communications. Bien que l'intelligence du réseau téléphonique se trouve encore au central téléphonique de la compagnie de téléphone et que la capacité de transmission des fils de cuivre qui acheminent les communications téléphoniques dans nos maisons soit limitée, le téléphone donne plus de pouvoir aux gens en leur permettant de communiquer entre eux, sans intermédiaire. L'avènement du téléphone permettait, pour la première fois, d'utiliser non seulement des mots, mais également la voix pour envoyer des messages sur de longues distances. En outre, le téléphone est interactif; il permet aux gens de recevoir une réponse immédiate aux questions soulevées. Enfin, même si le téléphone fut d'abord limité aux fortunés, il était de nature démocratique et devint rapidement accessible aux familles ordinaires; il pouvait être utilisé par ceux qui ne savaient ni lire, ni écrire. Par conséquent, la distance devint moins importante dans nos rapports avec les autres.

L'évolution des technologies de radiodiffusion, parallèlement à celle du téléphone, a suivi à peu près la même tendance. La radio et, plus tard, la télévision furent d'abord accessibles aux citoyens, normalement des citadins, qui avaient les moyens de se les procurer. Toutefois, elles furent rapidement accessibles à presque toutes les classes de la société. De nos jours, la présence ou non d'un téléphone ou d'un téléviseur dans une maison est pratiquement toujours une question de choix, rarement une question d'argent.

La radio et le téléviseur créèrent une audience grand public dont l'importance n'avait encore jamais été atteinte. Ce faisant, ils devinrent des outils inestimables à la fois pour les gouvernements autoritaires qui tentaient de contrôler les idées du public et pour les grandes entreprises qui cherchaient un créneau grand public pour leurs produits. Même si la nécessité de créer un marché grand public pouvant être vendu à des annonceurs signifiait que les radiodiffuseurs devaient être sensibles aux goûts de l'auditoire, le modèle de radiodiffusion utilisé jusqu'à tout récemment était hautement centralisé. Comme le spectre était considéré comme une ressource limitée, les gouvernements limitèrent le nombre de licences octroyées. Surtout dans le cas de la télévision, le choix de l'auditoire se limitait à quelques chaînes. Enfin, contrairement au téléphone, la radiodiffusion est unidirectionnelle; elle transmet l'information sélectionnée par le radiodiffuseur à un auditoire essentiellement passif.

L'impact social de la numérisation

La radio numérique atteste de la troisième tendance marquée, à savoir la possibilité de redéfinir complètement la conception des produits et des services. Pour la plupart d'entre nous, la numérisation entraîne simplement une plus grande précision, de la même manière que les disques compact offrent un son plus clair que les disques de vinyle ou les cassettes. En outre, bon nombre d'utilisateurs reconnaissent l'efficacité plus grande de cette technologie, qui nous permet d'emmagasiner davantage d'information de façon plus compacte. Ces deux caractéristiques sont certes importantes. Toutefois, la numérisation présente un troisième avantage de loin le plus important : elle nous offre des moyens tout à fait nouveaux de conserver, de transmettre et de manipuler l'information. De fait, je crois que le terme « radio numérique » est mal choisi. On devrait plutôt parler de multimédia sans fil, étant donné que cette technique permet d'élaborer une gamme de services à partir d'un signal qui offre une qualité comparable à celle reconnue au disque compact.

À mesure que le coût des microprocesseurs diminue et que leur puissance augmente, ils rendent possibles des utilisations qui, hier encore, auraient été inconcevables.

Lorsqu'on a commencé à mettre au point des caméras de cinéma, on les utilisait surtout pour filmer des pièces de théâtre. Les producteurs ont mis des années à comprendre qu'ils utilisaient un média tout à fait nouveau. Aujourd'hui, le même phénomène se manifeste avec l'usage que nous faisons des nouvelles technologies. Jusqu'à présent, nous avons surtout utilisé les produits « intelligents » pour améliorer, en quelque sorte, l'exécution de fonctions établies. Il faudra d'abord repenser fondamentalement la conception des produits et des services avant de pouvoir exploiter au maximum les possibilités offertes par la numérisation. Nicolas Negroponte a fait allusion à cette nouvelle conception lorsqu'il a suggéré de délaisser les atomes et de se familiariser avec les unités d'information binaires.

La nouvelle tendance a des répercussions énormes.

L'impact social de la convergence

L'autre tendance est celle de la convergence de l'informatique et des télécommunications, amorcée sérieusement au cours des années 60. Ainsi, la puissance informatique considérable, de plus en plus ancrée dans les pratiques à l'échelle planétaire, se prête à des utilisations décidées par les personnes et les établissements qui la maîtrisent. Cette tendance illustre un contraste marqué par rapport à l'ancienne structure, fondée sur un gros ordinateur puissant qui contrôlait des terminaux passifs répartis au sein d'une entreprise. Dans le contexte actuel, l'intelligence est distribuée à grande échelle. En outre, les personnes qui contrôlent les ordinateurs périphériques reliés au réseau peuvent déterminer les éléments qu'elles veulent ajouter à l'ensemble du système et ceux qu'elles veulent en retirer. Lorsqu'elles téléchargent des données, elles peuvent les manipuler puis les retransmettre, après les avoir présentées autrement.

Le modèle qui s'implante rapidement sur le marché actuel est caractérisé par la décentralisation et la démocratie. De fait, le caractère très équitable et décentralisé d'Internet en fait à la fois un outil attrayant et une source de frustration. Le réseau est assujetti à quelques règles officielles, qui portent davantage sur les modalités techniques que sur la déontologie. Les utilisateurs du réseau ont plutôt adopté une culture qui leur est propre.

Internet nous donne accès aux ressources offertes par un millier de bibliothèques. Toutefois, il ne nous aide guère à distinguer les données utiles et valables de celles qui ne le sont pas. Internet diffuse la fausse information aussi rapidement que la vraie. Les messages haineux font l'objet du même traitement que le courrier personnel. Les prédateurs et les fraudeurs jouissent du même accès au réseau que les chefs d'état et les scientifiques.

On a vu diminuer le bien-fondé de l'intervention gouvernementale et le pouvoir d'ingérence des gouvernements à mesure que le progrès technologique a élargi le choix offert aux individus. Le spectre ne constitue plus une denrée rare qu'il faut préserver soigneusement, lorsqu'une chaîne de télévision peut diffuser à l'échelle d'un continent moyennant un coût d'environ 20,000 dollars par mois. De même, les contingents relatifs au contenu perdent de leur impact lorsque le choix des émissions relève des spectateurs eux-mêmes, et non pas des radiodiffuseurs ou du gouvernement. Le problème deviendra encore plus aigu lorsque les spectateurs pourront accéder à une base de données située à New York et transférer, en quelques secondes seulement, des épisodes de comédies hebdomadaires dans leur ordinateur personnel.

Même si nous déplorons le changement, nous ne pouvons pas l'éviter. Cependant, tout bien compté, quels que soient les problèmes engendrés par la nouvelle technologie, la plupart d'entre nous serions plutôt favorables à la voie qu'elle nous indique.

Les défis de la société canadienne

Au début de mon allocution, je vous ai donné un aperçu des critiques à l'égard du progrès technologique. Bien que certaines préoccupations soient partagées par l'ensemble de la planète, les répercussions de la convergence suscitent sans doute une inquiétude particulière au Canada.

Examinons quelques-unes des incidences sociales et culturelles des nouvelles technologies dont nous venons de discuter :

  • Le pouvoir de communication se déplace graduellement vers les citoyens.
  • L'accès à la technologie de l'information et des communications est de plus en plus large et économique.
  • Les frontières tombent.
  • Les politiques protectionnistes des gouvernements sont de moins en moins efficaces.
  • Les entreprises concurrentielles, plutôt que les monopoles réglementés, constituent désormais la norme.
  • Les services de radiodiffusion et de télécommunications offrent un choix intéressant aux consommateurs.
  • On élimine les restrictions techniques liées à la quantité et au type de renseignements que nous pouvons traiter, transmettre et mémoriser.¸
  • Nous sommes libérés de bon nombre de contraintes temporelles et spatiales.

J'estime pour ma part que la plupart de ces changements favorisent l'esprit démocratique et l'autonomie chez les citoyens, non seulement au Canada mais aussi dans d'autres pays, surtout ceux qui ont été soumis à un pouvoir autoritaire. Cependant, pour d'autres observateurs, le verre est à moitié vide. Selon eux, la technologie entraîne un risque pour le Canada parce que :

  • Nous ne pouvons plus protéger notre souveraineté culturelle.
  • Nous perdons le sens du partage de l'expérience.
  • Les consommateurs sont dépassés par le choix qui leur est offert, plutôt que d'en tirer un sentiment d'autonomie.
  • Nos régions et nos collectivités perdent leur identité.
  • La technologie réduit l'influence des institutions culturelles, en particulier celles des services publics comme Radio-Canada.
  • Les nouvelles techniques qui confèrent une autonomie aux utilisateurs peuvent également les isoler. Tandis que la télévision d'antenne destinée au grand public offrait aux spectateurs des occasions d'enrichir continuellement leur bagage d'expériences, le phénomène de la télévision « personnalisée », fondée sur une programmation qui intègre une multitude de formules toujours plus précises, permet au public de refuser les émissions novatrices et stimulantes et de simplement s'immerger dans celles qui lui sont familières.

Les Canadiens sont certes tourmentés par des changements déstabilisants. À cet égard, évoquons seulement quelques faits actuels sur la scène politique nationale et internationale : le gouvernement fédéral est aux prises avec la réglementation en matière de respect de la vie privée; le CRTC s'apprête à tenir, cette année, une vaste audience publique consacrée au contenu canadien; et la négociation de questions comme la propriété intellectuelle devant les organismes de commerce mondial s'avère difficile.

Les défis du radiodiffuseur public national

En sa qualité de radiodiffuseur public national, Radio-Canada se retrouve au coeur du débat, car:

  • Elle constitue le plus important organisme culturel du Canada et, à ce titre, a pour mandat absolu de protéger et de promouvoir nos valeurs et notre patrimoine.
  • Elle dépend beaucoup de nombreuses technologies de communications dont nous avons discuté, pour la réalisation des émissions et pour leur transmission à l'antenne, pour la préservation de notre musique et de nos biens culturels, pour la capacité à rejoindre les foyers par l'intermédiaire de la radio, la télévision et les nouveaux médias.
  • Elle entretient une relation privilégiée avec le public et a une responsabilité particulière à son égard, c'est-à-dire, s'occuper des besoins du public plutôt que des exigences de la publicité.

Au cours de presque sept décennies, notre institution a dû faire face non seulement au changement technologique, comme le passage aux médias numériques, mais aussi à l'évolution des attentes nationales et à des compressions budgétaires pluriannuelles s'élevant à plus de 400 millions de dollars. Je suis très heureux d'annoncer que nous verrons la fin de ces compressions en mars 1998.

Malgré tous les défis, j'estime que Radio-Canada occupe une position unique qui lui permet de « suivre le courant » des nouvelles technologies, dans l'intérêt de tous les Canadiens. Cette opinion traduit une certaine audace. Comment la Société pourrait-elle concilier la convergence et le tourbillon de changements sociaux qui l'accompagneront?

J'ai employé un peu plus tôt une analogie qui évoquait la navigation. Il est important d'étudier les vents et les marées... non pas pour les détourner, bien sûr, mais pour les mettre à notre service. Toutefois, il est encore plus important de déterminer quels sont nos objectifs. Il s'agit simplement d'avoir le sens de l'orientation. En outre, tout comme un bateau qui navigue sans but, la technologie qui n'a pas de raison d'être risque d'échouer.

Les nouveaux médias et leur incidence à Radio-Canada

Voici les raisons pour lesquelles, à mon avis, les nouvelles technologies conféreront certains avantages à Radio-Canada :

Les nouvelles technologies numériques sont interactives et encouragent la personnalisation et la participation du public. Grâce à elles, une expérience médiatique passive devient beaucoup plus active et stimulante. Or, ce sont précisément ces qualités que nous avons toujours favorisées auprès de nos auditoires. Et oui : nous jouons le jeu de la publicité télévisée. Cependant, en vertu de notre plan directeur, mis en oeuvre en 1996, nous déterminons nous-mêmes notre programmation, selon les besoins de notre auditoire, et non pas ceux des commanditaires, même si nos recettes sont ainsi moins élevées qu'elles ne pourraient l'être. Plus les dispositifs bon marché, comme la télévision intégrée au World Wide Web, proliféreront, plus les nouveaux médias nous aideront à renforcer et à enrichir notre relation avec l'auditoire.

Le Canada a toujours été aux prises avec des problèmes liés à la nécessité de communiquer à distance et d'exprimer le point de vue de nombreuses collectivités, y compris celles qui sont déterminées par leur emplacement géographique. Cette situation a présenté un défi particulier pour Radio-Canada, car il fallait affecter des ressources décroissantes selon les besoins des collectivités. L'émergence de réseaux publics comme le World Wide Web offre désormais aux radiodiffuseurs, dont nous sommes, de nouveaux moyens de rejoindre les collectivités. En outre, elle permet aux citoyens des petites localités et des minorités linguistiques de communiquer avec des personnes qui partagent leurs intérêts, quel que soit leur lieu de résidence.

Toutefois, le véritable avantage du progrès technologique a trait au fait qu'il nous aidera à nous comprendre et à nous connaître. Alors, qui sommes-nous? Notre identité réside dans notre programmation. Fowler l'avait compris il y a 40 ans, lorsqu'il a affirmé que les émissions de Radio-Canada constituaient sa raison d'être et que tout le reste n'était que des détails de « cuisine interne ». Notre mission première est de renvoyer aux Canadiens une image de leur pays et du monde qui soit fidèle à leur point de vue.

Nous ne sommes pas nos édifices, nos caméras, nos studios, nos émetteurs, nos camions ni notre structure organisationnelle. Ces éléments constituent en quelque sorte une « carapace » qui, plutôt que de nous protéger, contribue souvent à nous ralentir ou à nous éloigner de notre but.

Le contenu et la technologie : comment gagner sur un marché libre

Le débat relatif à la technologie, surtout au sein des entreprises de communication comme Radio-Canada, tient en partie à la question suivante : la position prime-t-elle le contenu? En ce qui nous concerne, la réponse est claire, car :

  • Nous sommes conscients que nous devons recourir à de nouveaux moyens technologiques pour rejoindre le public, entrer chez nos téléspectateurs, suivre leur évolution.
  • Nous misons surtout sur le contenu des émissions, et n'utilisons la technologie qu'en guise d'outil.
  • Notre image de marque est très reconnue et suscite une vive admiration. C'est l'impact conjugué de la Société et de chacune de ses émissions qui permettra à notre contenu de se distinguer. Ce dernier est le porte-étendard de Radio-Canada. Au chapitre de l'incidence de l'image de marque sur le contenu, afin de « canadianiser » la programmation de la Télévision anglaise aux heures de grande écoute, Radio-Canada a haussé la part canadienne du contenu de 90% à 98%. Notre auditoire sait qu'aucun radiodiffuseur commercial ne saurait lui offrir une telle valeur!

Un autre facteur crucial nous incite à offrir la meilleure qualité possible aux spectateurs, en particulier dans le contexte de notre programmation singulière. Ce facteur est lié à une question que j'ai abordée plus tôt, à savoir la réduction progressive de la protection à l'égard des radiodiffuseurs et des producteurs canadiens et l'élargissement de la concurrence sur le marché à chaînes multiples. Il rappelle également une question connexe : les accords de commerce international. Les gouvernements auront désormais de plus en plus de difficulté à afficher une attitude discriminatoire fondée sur la nationalité à l'endroit des entreprises. Cette tendance prive le gouvernement du Canada de quelques-uns des principaux outils qu'il a utilisés dans le passé pour promouvoir la culture canadienne. Cependant, elle lui confère le pouvoir de dépenser et celui d'utiliser des organismes comme Radio-Canada. Celle-ci constitue non seulement le plus important outil dont le gouvernement dispose pour mettre notre culture en valeur, mais aussi l'une des rares institutions viables en vertu du droit commercial international.

La leçon devrait être claire pour tout le monde : dans un monde où la technologie traverse les frontières et fragmente les auditoires, il faut miser sur le contenu pour réussir. Autrement, c'est l'échec.

Bien que de nombreux intervenants du secteur refusent d'accepter l'inévitable, l'issue de la bataille se déterminera non pas dans une salle d'audience à Hull, mais sur le marché. La technologie est suffisamment puissante pour ébranler la souveraineté même des pays. Le plus que nous puissions demander aux organismes de réglementation serait de nous ménager une transition ordonnée à un marché beaucoup moins structuré.

Aux états-Unis, les représentants du réseau Fox prévoient que la combinaison des anciennes et des nouvelles technologies permettra d'offrir aux spectateurs un choix d'un millier de chaînes, d'ici 2010. Peu importe que ce chiffre soit exact ou qu'il soit décalé de plusieurs centaines, le fait est que, dans le secteur de la radiodiffusion, la concurrence ne sera jamais moindre que ce qu'elle est aujourd'hui.

L'utilisation stratégique de la technologie demeure complexe

Je ne voudrais pas que l'on croie qu'à Radio-Canada nous maîtrisons parfaitement les nouvelles technologies. Ce sont les détails qui posent un problème. À cet égard, la mise en oeuvre des détails de la stratégie que j'ai exposée n'est pas une mince affaire.

La radiodiffusion en direct, la câblodistribution, les services spécialisés, les satellites, les sites web et d'autres outils comme les modems et les lignes d'abonnés numériques à paires asymétriques (ADSL) sont tous des moyens de pénétrer dans les foyers des spectateurs. Ces outils représentent pour nous autant de moyens d'obtenir un même avantage, à savoir rejoindre le public, même s'ils entraînent des exigences très différentes sur le plan de l'exploitation et du budget. Cette structure fondée sur des médias multiples représente un défi pour les radiodiffuseurs conventionnels comme Radio-Canada, étant donné que leur réputation et leurs plus importants atouts sont étroitement liés à leurs principaux réseaux. Nous devons renoncer à une partie de l'« héritage » laissé par l'ancienne technologie, c'est-à-dire le matériel et les outils qui nous permettent de réaliser et de diffuser des émissions.

Les stations de radio et de télévision de demain auront peut-être les dimensions d'un sac à dos ou d'une mallette. Finies les courses contre la montre et la livraison de reportages in extremis. La diffusion des émissions, y compris le montage et l'intégration des voix hors champ, se fera en direct du coin de la rue ou de régions ravagées par un conflit ou par une tempête de pluie verglaçante. Cela veut dire que nous serons 100 fois plus capables de répondre aux besoins des Canadiens en leur fournissant une couverture immédiate de ce qui se passe au pays et à travers le monde.

Il est important que Radio-Canada reste à l'avant-garde de l'innovation, sans toutefois ignorer les risques. Nous avons mené le jeu en matière de radio numérique. En outre, nous substituons graduellement du matériel numérique aux éléments analogiques de la chaîne de production télévisuelle. À mon avis, le remplacement du dernier lien entre nos émetteurs et les spectateurs n'est qu'une question de temps. Toutefois, dans le secteur de la télévision à haute définition, qui absorbe une partie importante de la largeur de bande et du budget, nous devrions suivre la voie tracée par les Américains, compte tenu des enjeux énormes sur le plan du marketing, de la programmation et de la technologie. Nous les suivrons de très près, nous les observerons attentivement afin de pouvoir démarrer rapidement.

Quelle que soit notre neutralité souhaitée en matière de technologie, le numérique modifie notre relation avec le reste du monde et fait souvent tomber de nombreux principes bien établis au sein d'une entreprise traditionnelle comme la nôtre. Notre site web est tout à fait représentatif de ce phénomène. De nos jours, les services que nous offrons par le biais du réseau illustrent souvent notre structure organisationnelle plutôt qu'un intérêt quelconque à l'égard des besoins du public. Lorsque ce dernier cherche un reportage sur un fait d'actualité, il veut que le reportage réponde aux normes journalistiques de Radio-Canada. Que l'auteur soit un journaliste de la radio ou de la télévision importe peu au consommateur.

Les leçons tirées...

Alors, qu'avons-nous accompli jusqu'à présent?

Même s'il y a toujours place à l'amélioration, nous avons lancé l'un des sites web qui connaissent le plus de succès au Canada, et ainsi assuré la réussite de notre transition aux nouveaux médias. Or jusqu'ici, aucun de nos concurrents du secteur privé n'a une présence aussi importante sur le réseau Internet.

Nous aspirons de plus en plus à établir une synergie qui intègre les composantes médiatiques traditionnelles, et mettons en oeuvre des projets destinés à une diffusion par l'intermédiaire de plusieurs médias.

Nous avons demandé six nouvelles chaînes spécialisées, à titre individuel ou de concert avec des partenaires du secteur privé.

Radio-Canada a adopté un rôle de chef de file au sein de l'industrie en ce qui concerne la transition à la radio et à la télévision numériques.

Ce qui nous attend demain

La prolifération des sources d'information et des choix offerts aux divers publics (téléspectateurs, auditeurs et internautes), laisse entrevoir une époque où le mandat et le rôle de Radio-Canada revêtiront une importance accrue. Quelque soit la forme qu'elle adoptera, Radio-Canada jouera un rôle rassembleur et innovateur : elle sera pour les Canadiens, par ses valeurs et son mandat, une source de contenu qui leur permettra de comprendre le monde où ils évoluent.

J'espère que mon exposé vous a permis de constater que, même si je suis loin d'être un défenseur inconditionnel de la technologie et que je ne la considère pas comme une panacée, ni pour Radio-Canada ni pour l'ensemble du pays, je crois qu'elle peut jouer un rôle essentiel et constructif dans la préparation du Canada en vue du XXIe siècle.

Le livre de la Genèse raconte qu'Adam et ève ont été chassés du jardin d'Eden parce qu'ils avaient désobéi à l'ordre de Dieu et goûté le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Dieu les maudit et ils durent dès lors travailler pour se nourrir, tandis que des chérubins armés d'un glaive à lame flamboyante les empêchaient de revenir au jardin d'Eden.

Que nous interprétions la Bible littéralement ou non, elle décrit bien la réalité : l'innocence une fois perdue, ne se retrouve plus, la connaissance une fois acquise ne se désapprend pas. Malgré tous les efforts des hommes au cours de siècles, nous ne pouvons nier avoir goûté au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal et retourner au jardin d'éden. Nous devons assumer notre place dans le monde.

Il n'en tient qu'à nous de trouver comment y arriver.

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