Discours et interviews
le 2 avril 1998
Allocution par Perrin Beatty prononcée devant le Comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des communes
Ottawa (Ontario) — Perrin Beatty
Merci, Monsieur le président,
de nous avoir fourni l'occasion de nous retrouver ici aujourd'hui.
J'ai à mes côtés la première vice-présidente
aux Ressources, Mme Louise Tremblay, et le vice-président
directeur et chef de l'exploitation, M. Jim McCoubrey. À votre demande, nous avons
accepté avec plaisir de vous fournir un aperçu de notre planification institutionnelle
et de vous faire part de notre point de vue sur les questions que vous devez étudier,
nommément les répercussions des nouvelles technologies, l'évolution de l'économie
mondiale et la libéralisation des échanges commerciaux.
En
premier lieu, permettez-moi de vous expliquer comment nous avons remonté la pente
au cours des trois dernières années et de vous décrire
les nouvelles mesures que nous comptons mettre en œuvre dans les prochains
mois.
Quand j'ai assumé la présidence
de la Société le 1er avril 1995, l'institution était en pleine crise.
Mon prédécesseur venait de démissionner en raison des énormes compressions budgétaires
annoncées et le gouvernement s'apprêtait à mandater un comité chargé d'examiner
le mandat particulier de Radio-Canada. La Société a connu très peu de répit au
cours des trois dernières années. Les compressions budgétaires n'ont cessé de
s'amplifier, la concurrence s'est intensifiée pour les radiodiffuseurs traditionnels
et la Société a entamé des négociations avec ses syndicats qui l'auraient réduite
au silence si elles avaient avorté. Radio-Canada a dû revoir de fond en comble
ses grilles-horaires, se restructurer, offrir de nouveaux services et recourir
à de nouvelles technologies. Nous avons procédé aux compressions les plus marquées
de toute l'histoire de la Société, éliminé plus de 3 000 postes, pour absorber
un manque à gagner dépassant les 400 millions de dollars.
Ce
fut une période extrêmement difficile et je ne veux pas diminuer le coût que cela
a représenté pour nos employés ni la frustation qu'ils
ont éprouvée devant l'insuffisance des ressources pour servir pleinement les Canadiens.
Mais Radio-Canada a relevé tous ces défis et, à l'aube d'un nouvel exercice, elle
se sent plus forte, plus centrée sur son mandat, plus sûre d'elle et plus déterminée
que jamais à servir ses auditoires.
Grâce
à l'engagement du gouvernement à stabiliser notre financement pour les cinq
prochains exercices, nous profitons maintenant d'une
certaine accalmie. Nous avons de bonnes raisons d'être optimistes. Nous avons
su négocier le virage pour la Société et nous pouvons maintenant réorienter notre
énergie créatrice vers ce que nous faisons le mieux : diffuser des émissions de
radio et de télévision de grande qualité, et non nous préparer pour la prochaine
série de compressions.
Nous
avons fait un bon bout de chemin. Tout en ayant considérablement diminué les coûts
pour les contribuables canadiens, nous avons réussi
à respecter encore plus fidèlement notre mandat, qui consiste à aider les citoyens
à poser un regard canadien sur eux-mêmes et sur le monde. Le contenu de nos grilles
des réseaux est encore plus canadien qu'avant et il reflète les régions du
Canada plus fidèlement que jamais. De plus, nos émissions continuent de gagner
des prix au pays et à l'étranger. Lors de la remise des prix Gemini le mois
dernier, plus de la moitié des prix ont été décernés à des productions ou co-productions
de la Société.
Bien que nous ayons considérablement
réduit notre personnel au cours des trois dernières
années, nous n'avons pas fermé une seule station régionale. Certaines émissions
ont été annulées, tandis que d'autres sont maintenant réalisées à moindre
coût. Plusieurs postes de vice-président ont été abolis, l'immeuble qui
abritait notre siège social ici, à Ottawa, a été vendu et le personnel de l'administration
nationale a été réduit de plus de la moitié. Nous avons fait appel à de nouvelles
technologies qui nous permettront de réaliser des économies tout en offrant un
meilleur service. Et nous sommes le seul radiodiffuseur canadien qui ait établi
une présence forte dans les nouveaux médias.
Permettez-moi
de vous démontrer concrètement comment nous avons réussi à améliorer le
service offert aux Canadiens tout en réduisant les coûts.
En février, cette année, les francophones
de Terre-Neuve ont finalement obtenu ce qu'ils
demandaient depuis plus de 10 ans. Au lieu de regarder le bulletin de nouvelles
de début de soirée en provenance de Montréal, ils peuvent maintenant voir Moncton
Ce soir, dont certains reportages sont présentés par un journaliste se trouvant
sur place, à St. John's — ce qui donne au bulletin de nouvelles une
saveur locale certaine. Radio-Canada a également affecté des journalistes à Kapuskasing
et à Hawkesbury, en Ontario, ainsi qu'à Victoria, en Colombie-Britannique.
Dans
le secteur de la Radio, nous cherchons à mieux servir nos auditoires et à gagner
de nouveaux publics. Grâce à l'ajout de 10 millions
de dollars du gouvernement, aux progrès technologiques importants et au fait que
nous avons négocié la liberté de mettre en oeuvre la polyvalence, nous pouvons
faire plus que jamais.
Nous
venons tout juste d'ouvrir un nouveau bureau où travaillent deux personnes
à Cambridge Bay. Ce bureau servira et reflétera la région
de Kitikmeot, dans l'est de l'Arctique. De plus, il fait partie des
préparations du Service du Nord pour desservir le nouveau territoire du Nunavut,
qui devrait voir le jour dans un an.
D'ici
le début de juin, nous ouvrirons des bureaux de petite taille à Trois-Rivières
et à Sherbrooke. En juin, nous inaugurerons un bureau
de Radio One à London. Plus tard cette année, nous ouvrirons également une nouvelle
station Radio One à Victoria, la seule capitale provinciale où ce service de base
n'est pas offert. Et, afin d'améliorer la réception de nos signaux, nous
déménageons quelques-uns de nos services radio sur la bande FM, dans les deux
plus grandes villes du Canada. Le processus est déjà enclenché à Montréal et Radio
One fera de même à Toronto, ce mois-ci.
En
janvier, nous avons eu à traiter un tout autre type de crise. Pour faire face
à l'une des pires tempêtes de pluie verglaçante du siècle,
nous avons transformé nos services radio à Montréal et à Ottawa en une véritable
ligne d'assistance-survie — en donnant de l'information sur l'utilisation
d'une génératrice et sur les centres d'hébergement; en présentant des rapports
sur les allées et venues de l'armée canadienne ainsi qu'en diffusant des conversation
consolantes dans la froideur de la nuit, sans doute le réconfort le mieux accueilli,
à certains moments.
En Montérégie,
nous avons même ouvert une nouvelle station radio pour répondre aux besoins
des personnes prisonnières de la noirceur dans le Triangle de glace. La télévision
de Radio-Canada a présenté de l'information et des nouvelles 24 heures par
jour — offrant de l'aide aux personnes directement touchées par la tempête
et informant le reste du pays des derniers développements. L'intervention de la
Société pendant cette crise a prouvé, tout comme ce fut le cas pendant les inondations
au Saguenay et au Manitoba, que le radiodiffuseur national du Canada joue un rôle
essentiel dans toutes les régions du pays.
En février, nous avons emmené nos
auditoires à Nagano, en leur offrant une diffusion de premier
choix, au dire des critiques et des téléspectateurs de toute l'Amérique du Nord.
Au cours de la première semaine, notre part du marché pour nos services de télévision
de langue française et de langue anglaise a atteint les chiffres surprenants de
35,2% et de 28,2%, respectivement. De fait, dans cette même période, environ 17
millions de Canadiens ont regardé la télévision du réseau anglais, pour partager
l'idéal olympique. Aux petites heures du matin, une moyenne de 1,3 million
de Canadiens étaient rivés à leur écran, à la Télévision de Radio-Canada!
Et
non seulement la diffusion a-t-elle été de qualité mais elle a aussi été efficace.
En effet, la participation de Radio-Canada aux Jeux
olympiques a été entièrement autofinancée. La Société n'a pas utilisé de
crédits parlementaires. Nous avons fourni notre couverture des Jeux à nos six
services et aidé le gouvernement japonais à offrir des services de diffuseur hôte
avec un effectif dont la taille se situait entre un quart et un tiers de celui
de CBS. Nous avons diffusé, tous les services de télévision confondus, plus de
600 heures de programmation olympique, comparativement à 135 heures pour CBS.
Notre très populaire site web sur les Jeux olympiques, produit en partenariat
avec Bell, a donné aux Canadiens et aux visiteurs du monde entier une occasion
unique de pouvoir découvrir vraiment les athlètes qu'ils voyaient évoluer
à la télévision.
Nous sommes très fiers de notre
couverture, tant des Jeux d'Atlanta que des Jeux de Nagano
et je suis heureux de vous dire que les Canadiens peuvent s'attendre à voir
la même qualité pour les 10 prochaines années, au moins. En effet, comme vous
l'avez peut-être appris récemment, le CIO a accordé à la Société les droits
de diffusion des cinq prochains Jeux olympiques, en partenariat avec Netstar.
Et
pour conclure, sur un autre front, nous avons également entrepris un projet qui
nous permet d'être assurés que nos systèmes financiers
demeureront fonctionnels au moment du passage à l'an 2000, par anticipation
de la problématique du nouveau millénaire et d'obtenir l'information dont
nous avons besoin pour soutenir une Société plus moderne, plus responsable et
plus efficace. Et pour la première fois de notre histoire, nous avons présenté
un rapport annuel à l'antenne, diffusé pour tous nos actionnaires d'un
océan à l'autre.
Le
présent exercice
Nous envisageons les 12
prochains mois avec optimisme, nos crédits parlementaires ayant été stabilisés
à 822 millions de dollars. En outre, nous projetons des recettes nettes d'environ
271 millions. Dans la documentation qui vous a été distribuée, vous trouverez
plus de détails à ce sujet, notamment la ventilation et l'évolution du budget
de Radio-Canada.
Précisions
que, même si Radio-Canada est une société d'état, elle est loin d'être isolée
des réalités du marché. Ainsi, cette année, notre participation
économique au marché dépassera les 411 millions de dollars.
J'aimerais maintenant
décrire nos principales orientations stratégiques pour le présent exercice.
Parlons
d'abord de la télévision. Cette année, nous intensifierons le caractère distinctif
de la Télévision anglaise en poursuivant la canadianisation
de ses grilles. La canadianisation complète des périodes de grande écoute a nécessité
le remplacement d'environ 200 heures de programmation. Il faudra aussi remplacer
près d'un millier d'heures de programmation pour canadianiser la grille de jour.
À la Télévision française,
nous lancerons plusieurs nouvelles séries, nous créerons de nouvelles
émissions pour les jeunes et nous augmenterons le niveau général de contenu canadien.
Tant à la Télévision anglaise que
française, nous diffuserons plusieurs nouvelles émissions
transculturelles et nous maintiendrons nos efforts sur le plan du reflet régional.
Grâce au soutien fourni par le Fonds de télévision et de câblodistribution pour
la production d'émissions canadiennes, nous continuerons de travailler avec des
partenaires du secteur privé afin de produire des émissions canadiennes de qualité
qui sont à l'image de toutes les parties du pays.
Fait important, nous avons amorcé
la production d'une série intitutlée Une histoire populaire du
Canada, le projet historique le plus ambitieux à avoir été entrepris au pays.
Cette coproduction des réseaux français et anglais de télévision marquera l'arrivée
du nouveau millénaire et constituera une illustration épique de l'histoire de
notre pays que nous laisserons à la postérité.
À titre indépendant ou en participation
avec d'autres entreprises, nous avons présenté au CRTC
des demandes de licences pour six nouvelles chaînes spécialisées qui seront pour
nous autant de moyens pour servir nos auditoires.
Passons maintenant
à nos priorités dans le secteur de la radio.
À la Radio française,
nous multiplierons les échanges entre les régions, nous parachèverons le repositionnement
des deux réseaux et nous élaborerons une politique nationale pour la diffusion
d'oeuvres musicales.
À la Radio anglaise, nous continuerons
d'améliorer le service aux Canadiens en leur fournissant
l'information dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin et en faisant
connaître davantage de nouvelles voix aux deux réseaux. De plus, les deux services
participeront au lancement de la radio numérique, et nous envisageons des moyens
innovateurs de mieux servir et d'élargir nos auditoires.
Pour sa part, Radio Canada International
a reçu l'assurance d'un financement à long terme du gouvernement, ce qui nous
a incités à examiner comment nous pourrions présenter le plus
efficacement possible l'image du Canada à l'étranger.
Nous
aurons également recours aux nouveaux médias pour offrir un service plus complet
au public canadien. Nous augmenterons le nombre de sites
conçus spécifiquement pour Internet. Ces sites porteront sur des sujets comme
les nouvelles, les sports, la jeunesse, la culture et la francophonie, et il y
aura aussi des mécanismes pour encourager une rétroaction de la part du public
canadien, qu'il s'agisse de forums ou d'autres sites favorisant une interaction
avec nos auditoires. De plus, nous continuerons de nous servir d'Internet pour
promouvoir nos émissions en ondes ou faire une diffusion simultanée de leur contenu.
Radio-Canada
et la nouvelle technologie
J'aborderai maintenant l'un des
sujets auxquels s'intéresse le Comité en ce moment. Plus
précisément, on m'a demandé de décrire les effets de la technologie sur le secteur
de la culture.
Comme les citoyens
d'autres pays développés, les Canadiens sont engagés dans un débat très
vif sur les avantages et les coûts de la nouvelle technologie. Pour les optimistes,
l'informatique et la technologie numérique sont un remède miracle à la plupart
des maux de la société. D'après les critiques, ces technologies nous écraseront
et feront de nous des esclaves impuissants attachés à nos machines.
Il
est facile, de nos jours, d'être obnubilé par des machines et des appareils plus
rapides, plus petits et moins chers — on trouve
même des aspirateurs avec des circuits intelligents intégrés. Ceux d'entre nous
qui s'intéressent à préserver la culture canadienne ne doivent pourtant pas perdre
de vue le contenu, et considérer la technologie non comme une fin en soi, mais
comme un moyen de parvenir à cette fin.
L'omniprésence
et la puissance sans cesse accrue de la puce ainsi que la convergence de
l'informatique, des communications et de l'électronique grand public ont créé
de nouveaux outils remarquables pour atteindre ou élargir les auditoires. Certains,
comme les satellites de diffusion directe, livrent un contenu familier par des
moyens inhabituels. D'autres, comme le World Wide Web, changent notre façon d'envisager
l'accès à l'information, les valeurs de production et le contrôle personnel sur
le contenu.
Songeons
aux possibilités créées par la technologie :
Le pouvoir de communiquer
devient plus abordable et facile d'accès pour les citoyens. La diminution rapide des coûts de traitement de l'information
a fait que l'ordinateur, qui était autrefois un luxe que pouvaient se permettre
uniquement les administrations publiques et les grandes entreprises, est maintenant
à la portée des petites entités et des particuliers, qui ont donc beaucoup plus
de contrôle sur tous les éléments du processus de création.Les restrictions
techniques liées à la quantité et au type de renseignements que nous pouvons traiter,
transmettre et mémoriser s'estompent, ce qui nous permet de faire des choses qui
auraient été impensables il y a quelques années à peine. Les entreprises concurrentielles
remplacent les monopoles réglementés. Les services de radiodiffusion et de télécommunications
offrent maintenant aux consommateurs des choix attrayants à un tarif on ne peut
plus bas.
Mais les avantages
de la technologie ne sont pas sans conséquences :
Les technologies
de communications modernes éliminent les frontières nationales. Elles posent un défi à notre souveraineté culturelle en rendant
moins efficace la réglementation protectionniste des gouvernements. Elles présentent
plus de choix aux citoyens, mais elles réduisent leur sens du partage de l'expérience.
Elles placent bien des consommateurs dans une situation où ils se sentent dépassés
par le choix qui leur est offert plutôt que de jouir de leur liberté d'action.
Elles créent des bouleversements sans précédent dans nos industries culturelles
et démolissent un grand nombre de nos hypothèses traditionnelles sur la façon
de financer, de réaliser et de distribuer les produits culturels.
La
question essentielle qui se pose ici est la suivante : «Comment devrions-nous
réagir face à cette turbulence?»
La technologie est un élément important
de notre secteur d'activité. Nous comptons sur elle
pour produire nos émissions, les diffuser, préserver notre musique et d'autres
éléments de notre patrimoine, et rejoindre les membres de notre public dans leurs
foyers, que ce soit par l'entremise des médias traditionnels ou nouveaux.
Ce
même secteur d'activité a été ébranlé par la concurrence, l'ouverture des frontières,
la déréglementation et la fragmentation des auditoires.
Au fur et à mesure que les choix se multiplient pour les auditoires, les conditions
deviennent de plus en plus difficiles pour les radiodiffuseurs. L'intensification
de la concurrence fait monter le coût des droits sur les émissions, tandis que
se fragmentent au maximum les auditoires dont les radiodiffuseurs ont besoin pour
accroître leurs recettes.
Par
ailleurs, le radiodiffuseur public est particulièrement sensible à l'évolution
des besoins de ses auditoires, et il doit faire des
frais pour offrir des services au moyen des technologies tant traditionnelles
que nouvelles.
Malgré tous ces défis, je crois
que les nouvelles technologies offrent des avantages réels pour
Radio-Canada.
Premièrement, les nouvelles technologies
numériques encouragent la participation du public et
la personnalisation de ses choix. Grâce à elles, une expérience médiatique passive
devient beaucoup plus active et stimulante. Or, ce sont précisément ces aspects
que nous avons toujours favorisés auprès de nos auditoires. Plus les dispositifs
bon marché, comme la cybertélévision, proliféreront, plus les nouveaux médias
nous aideront à renforcer et à enrichir notre relation avec nos auditoires.
Deuxièmement,
compte tenu des diverses régions qui le composent, le Canada a toujours été
aux prises avec la nécessité de communiquer à distance et d'exprimer le point
de vue de nombreuses collectivités, y compris celles qui vivent dans des endroits
isolés. Maintenant, des réseaux publics comme le World Wide Web offrent aux radiodiffuseurs,
dont nous sommes, de nouveaux moyens de rejoindre les collectivités. En outre,
les citoyens des petites localités ou les membres des minorités linguistiques
peuvent désormais communiquer avec d'autres personnes qui partagent leurs intérêts,
quel que soit leur lieu de résidence.
Enfin, les nouvelles technologies
nous permettent d'offrir un meilleur service à un moindre coût.
Ainsi, nos journalistes peuvent se rendre sur le terrain malgré des échéances
serrées, produire leurs reportages avec du matériel léger et portatif et les transmettre
presque instantanément à la tête du réseau.
Les nouvelles technologies nous
permettent donc de travailler plus efficacement, dans la
mesure où nous savons exactement qui nous sommes et quelle est notre mission.
En fait, notre identité réside dans notre programmation. Notre mission première
est de renvoyer aux Canadiens une image de leur pays et du monde qui soit fidèle
à leur point de vue. Nous y parvenons grâce à nos émissions. Notre rôle ne s'arrête
pas là, mais faire découvrir le Canada par nos dramatiques, nos reportages et
notre musique en constitue l'élément fondamental. Autrement dit, la technologie
est l'instrument dont nous nous servons pour faire notre travail, mais il ne faut
pas la confondre avec notre mission.
Je
ne veux pas donner l'impression que Radio-Canada a trouvé toutes les réponses
aux questions soulevées par la nouvelle technologie. En effet,
l'un des paradoxes est que nous devons maîtriser de nombreuses technologies en
même temps que nous nous concentrons sur les enjeux plus importants que sont la
création et la distribution du contenu.
La
radiodiffusion hertzienne, la câblodistribution, les services spécialisés, les
disques optiques, le site web et d'autres outils comme
les modems et les lignes numériques à paires asymétriques (ADSL) sont tous des
moyens de pénétrer dans les foyers. Ce métissage des médias représente un défi
pour un radiodiffuseur traditionnel comme Radio-Canada, étant donné que sa réputation
et ses plus importants atouts sont étroitement liés à ses réseaux généralistes.
L'héritage laissé par l'ancienne technologie reposait en partie sur notre intérêt
pour le développement de matériel et d'outils servant à la réalisation et à la
diffusion des émissions.
Nous
devons investir dans les nouvelles technologies tout en évitant les risques que
poserait une incursion trop hâtive dans des secteurs
comme la télévision à haute définition. Nous avons mené le jeu en matière de radio
numérique, et nous substituons graduellement du matériel numérique aux éléments
analogiques de la chaîne de production télévisuelle. La numérisation du dernier
lien entre nos émetteurs et les téléspectateurs n'est qu'une question de temps.
Toutefois, pour ce qui est de la télévision à haute définition, qui absorbe une
partie importante de la largeur de bande et des budgets, nous devrions suivre
la voie tracée par les Américains, compte tenu des enjeux énormes sur le plan
du marketing, de la programmation et de la technologie. Nous les laisserons donc
déterminer s'il existe un marché pour la télévision à haute définition. Cependant,
nous les suivons de très près, nous les observons attentivement et nous pourrons
démarrer rapidement dès qu'il le faudra.
Radio-Canada
à l'heure de la libéralisation des échanges.
Je
vous ai parlé tout à l'heure de la fragmentation des auditoires, une réalité avec
laquelle les radiodiffuseurs ont dû apprendre à composer
dans les années 90. Ce fut pour eux un apprentissage difficile. Le phénomène n'a
toutefois pas été perçu de la même façon par les auditeurs, et pourquoi en aurait-il
été autrement en fait? Le public fait l'objet d'une cour assidue comme jamais
auparavant de la part des programmateurs, des distributeurs, des fabricants de
produits électroniques et des organismes de réglementation, chacun essayant de
surpasser l'autre pour élargir le choix offert aux Canadiens.
Ironiquement,
chaque point marqué dans cette rivalité pour élargir l'offre sur les ondes met
à l'épreuve la politique canadienne de radiodiffusion et la réglementation
qui la soutient. Nous avons abordé un peu plut tôt la question des défis que pose
la technologie. À certains égards, ceux que soulève le mouvement général en faveur
de la libéralisation des échanges commerciaux pourraient s'avérer d'autant
plus sérieux. En effet, les instances canadiennes de réglementation et d'élaboration
des politiques disposent d'un certain pouvoir sur l'avènement de nouveaux moyens
de communication au pays, mais sur la scène internationale, les forces économiques
et politiques en jeu sont d'un tout autre calibre.
On distingue actuellement trois
grands moteurs d'évolution : premièrement, la mise en œuvre de l'ALENA
et des autres traités abolissant les barrières protectionnistes; deuxièmement,
le durcissement de la position de Washington à l'égard des efforts de ses
vis-à-vis pour protéger leur culture nationale;troisièmement, et peut-être
le plus puissant de ces trois facteurs, est l'existence d'une conjoncture
internationale qui favorise la libre concurrence à l'heure de la mondialisation
de l'économie.
L'ALENA et les autres traités multinationaux
ont précipité l'abolition des mesures protectionnistes et fait évoluer progressivement la conception
que l'on se faisait de la culture propre à un pays. Ces traités ne remettent pas
en cause le financement direct par les différents gouvernements d'activités purement
culturelles, mais ils sont susceptibles de soulever des interrogations sur diverses
pratiques, dont les subventions indirectes comme celles que le fédéral octroie
au milieu de la production télévisuelle, et les mesures de protectionnisme, notamment
l'interdiction d'accès au marché canadien dont sont frappés une multitude
de réseaux de câblodistribution américains.
Plusieurs
gouvernements ont évoqué des principes du droit commercial international pour
préserver au Canada le droit de soutenir la culture d'ici. Dans le domaine de
la radiodiffusion, ils ont remporté de belles victoires jusqu'à présent, mais
ils ne doivent pas baisser la garde.
En tant qu'institution fédérale,
Radio-Canada jouit en quelque sorte d'un rempart supplémentaire contre les assauts dirigés à l'endroit des
politiques culturelles canadiennes. Si la Société disparaissait, les Canadiens
perdraient du même coup l'un des rares instruments de défense de leur souveraineté
culturelle que les lois régissant le commerce international admettent encore.
Il importe, lorsqu'on se penche
sur ces questions, de bien comprendre la distinction entre
culture et industrie culturelle. Nos voisins du Sud donnent au concept de culture
une acception beaucoup plus étroite que nous ne le faisons. En l'absence
totale de réglementation, les Américains, grâce à l'étendue de leur marché
et à la force de leurs industries culturelles, disposent de plusieurs longueurs
d'avance sur leurs concurrents.
En
ce moment, on assiste à un renversement de vapeur à l'endroit du protectionnisme
dans des domaines étroitement liés aux industries culturelles.
Au début de 1997, des accords multilatéraux ont été conclus dans les secteurs
des télécommunications et des technologies de l'information. L'accord sur
les technologies de l'information conclu en janvier 1997 visait à abaisser
les barrières commerciales régissant la vente de matériel informatique. Un mois
plus tard, un second accord venait libéraliser les services de télécommunications
sous le régime de l'OMC et du GATS. Il y a quelques années à peine, de telles
ententes auraient eu peu d'effet sur un secteur aussi fortement axé sur le
contenu que celui de la radiodiffusion. Mais en cette ère de la convergence, les
pressions exercées pour abolir les frontières dans un secteur finissent inexorablement
par éroder le protectionnisme dans tous les secteurs convergents.
Comme les frontières géographiques
et politiques sont totalement impuissantes à freiner la
progression des nouvelles technologies, c'est l'interaction entre les instruments
de défense des politiques nationales et internationales qui prime. En fait, les
politiques canadiennes élaborées sans tenir compte de la conjoncture internationale
peuvent contribuer à accroître la vulnérabilité du Canada face aux mesures politiques
et économiques adoptées par ses partenaires commerciaux.
Cette
volonté d'ouvrir les frontières, qui menace certaines
politiques culturelles établies, n'est pas le pur produit des facteurs économiques
sous-tendant les échanges commerciaux. Au contraire, c'est la progression inexorable
de la technologie, comme la télévision directe par satellite, qui a permis aux
entreprises étrangères de traverser nos frontières et de contourner notre réglementation,
même si le débordement de la zone de rayonnement du satellite ne faisait pas partie
du plan d'action officiel des exploitants. Qui plus est, l'ubiquité et l'anonymat
qui caractérisent l'Internet créent un contexte encore plus propice à l'effacement
des frontières entre les pays.
Si
l'on veut être juste, par ailleurs, il faut reconnaître que l'abolition des
frontières est favorable aux producteurs canadiens de
contenu désireux de percer le marché international. Le bilan des exportations
qu'affichent les grandes maisons canadiennes de production cinématographique et
télévisuelle est d'ailleurs fort éloquent à ce sujet. Nous souhaitons cependant
rappeler aux membres du Comité que ces succès ne doivent pas nous faire perdre
de vue les problèmes sérieux que la réussite du Canada dans le secteur mondial
du divertissement soulève.
Avant d'aller plus loin, permettez-moi
d'établir une distinction entre la production d'émissions de
télévision pour des raisons commerciales, c'est-à-dire rapporter des dividendes
aux actionnaires, et celle motivée par des raisons d'ordre culturel, soit servir
les intérêts du public et mettre en valeur la condition du citoyen canadien. Cette
disparité dans les motivations premières des deux activités se reflète d'un côté
dans la politique industrielle, et de l'autre dans la politique culturelle. Il
y a tout un monde entre une production de facture canadienne, destinée à un public
canadien, et une production réalisée au Canada qui déguise ses origines pour être
plus facilement exportable.
Il
n'y a rien de mal à faire de l'argent ni à créer des
emplois et à rehausser le prestige du Canada sur les marchés internationaux du
film et de la télévision — au contraire! Toutefois, en ouvrant nos frontières,
on accroîtra assurément la concurrence étrangère avec laquelle nos industries
culturelles devront rivaliser. Par conséquent, les radiodiffuseurs privés canadiens
risquent véritablement de perdre leur part du lucratif marché de l'importation
d'émissions américaines pour diffusion au Canada. Il n'est donc pas étonnant
que le secteur privé reconnaisse de plus en plus l'importance de faire de la production
de contenu canadien une activité économiquement justifiable et non plus une simple
obligation réglementaire.
Les politiques canadiennes en matière
de radiodiffusion préconisent depuis longtemps la coexistence
d'un secteur privé et d'un secteur public dynamiques et entreprenants.
Pour ma part, je suis absolument convaincu que la disparition de l'un ou
de l'autre serait une lourde perte.
J'ai la conviction que cette
coexistence du public et du privé sera toute aussi indispensable
dans l'avenir. Les mécanismes de protection dont jouissent les radiodiffuseurs
privés, comme la substitution de signaux en simultané, les aident à soutenir leurs
efforts d'interfinancement de la production d'émissions canadiennes. Or plus
ces mécanismes sont remis en question, plus l'existence d'un radiodiffuseur public
sans but lucratif comme Radio-Canada devient impérative pour le Canada, et plus
sa mission, qui consiste à produire du matériel culturellement pertinent et de
facture canadienne, revêt de l'importance. Le Canada doit avoir un radiodiffuseur
public dynamique non seulement parce que les mesures protectionnistes qui soutiennent
le secteur privé s'effritent, mais parce que, quelle que soit l'issue des débats
sur les échanges commerciaux, les radiodiffuseurs privés seront moins enclins
que Radio-Canada à consacrer des ressources à des catégories d'émissions
peu rentables. Il ne s'agit pas là d'une critique, mais d'une simple
constatation : les buts qu'ils poursuivent et les principes auxquels ils
obéissent diffèrent de ceux de Radio-Canada.
Nous
admettons volontiers que les radiodiffuseurs à but lucratif, les maisons de production
et les autres types d'entreprises apparentées méritent
le soutien du gouvernement fédéral. Nous voulons seulement que l'on reconnaisse
que les institutions culturelles comme Radio-Canada ont besoin d'une autre forme
de soutien, qui ne repose pas sur le protectionnisme mais plutôt sur un financement
par la voie de crédits parlementaires et de mécanismes comme le Fonds de télévision
et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes.
Quel usage devrions-nous faire des
précieuses ressources que nous confient les contribuables?
Nous entrevoyons deux tâches essentielles auxquelles il faudra nous consacrer
tout en essayant de composer avec la mondialisation de l'économie et de comprendre
les mécanismes intervenant dans l'ouverture des frontières.
Primo, nous devrons accroître la
visibilité des productions canadiennes, surtout dans le domaine
de la radiodiffusion. Puisque nous ne pouvons plus restreindre l'accès à notre
marché à la concurrence étrangère, nous devons assurer une présence tout azimut
— dans les services de radiodiffusion classiques, dans les services spécialisés
et les services audionumériques payants dans le cyberespace et par l'intermédiaire
de tout autre moyen de communication qui pourrait être développé au cours des
prochaines années.
Secundo,
nous devons prendre tous les moyens à notre disposition pour rehausser la qualité
de notre programmation résolument canadienne. Pour y
parvenir, il nous faudra pouvoir compter sur le financement public, car ce genre
d'émissions est peu susceptible de trouver preneur chez les acheteurs américains.
La qualité des émissions que nous produirons devra cependant leur permettre de
rivaliser avec les autres produits offerts au public canadien — il est vain
de penser que les auditeurs se précipiteront à notre antenne par pur sens du devoir.
Compte tenu de l'hégémonie américaine
dans les milieux internationaux du cinéma et de la télévision,
il ne sera pas facile d'élargir notre linéaire, mais Radio-Canada peut y arriver,
pourvu qu'elle ait les ressources et la souplesse d'exploitation dont elle a besoin.
Il faudra notamment qu'elle puisse accroître ses points de distribution à la fois
dans les médias réglementés, comme les services de télévision spécialisés, et
dans ceux qui ne le sont pas, comme le web.
Évolution
sociodémographique
Tandis que Radio-Canada complétait
sa métamorphose, le Canada poursuivait lui aussi son
évolution. Les métropoles affichent une diversité culturelle plus grande que jamais,
et les centres urbains continuent de s'étendre. L'effet du baby boom se fait
encore sentir, mais les générations plus jeunes et moins denses qui suivent cette
couche de la population vivent un rapport totalement différent à leur culture.
Je me réjouis grandement de
la promotion du multiculturalisme sur nos ondes. Nous avons
amélioré la représentation des groupes culturels à l'antenne autant qu'en coulisse.
En fait, nous venons de lancer une nouvelle émission bihebdomadaire sur Radio
One intitulée Out Front. Cette émission consacrée aux nouveaux visages
de la musique diffusera à des moment précis ce qui se fait de mieux sur la scène
internationale. Nous ne pourrons cependant arrêter là, surtout pour ce qui est
de notre objectif d'attirer les jeunes. Leur vision du monde est fortement influencée
par leur expérience directe du multiculturalisme et souvent du bilinguisme. Je
sais qu'il faut faire plus pour être sur la même longueur d'ondes que la population
canadienne d'aujourd'hui.
Comme
la moyenne d'âge de notre public traditionnel dépasse celle de la population en
général, nous devons trouver de nouvelles façons d'attirer
les jeunes et de conserver leur intérêt si nous voulons être encore pertinents
demain. Les nouvelles technologies nous aideront dans cette entreprise de séduction
du groupe des 18 à 35 ans en nous donnant de nouveaux moyens de mieux servir
ce marché convoité.
Quel
doit être le rôle du gouvernement?
Comme je l'ai mentionné un peu plus
tôt, le gouvernement, en mettant en œuvre des mécanismes
de soutien novateurs tels que le Fonds de télévision et de câblodistribution pour
la production d'émissions canadiennes, contribue énormément à l'épanouissement
d'une culture riche et florissante au pays. Nous souhaitons qu'il accentue
ses efforts en ce sens pour soutenir d'autres secteurs de l'industrie qui contribuent
à la qualité des produits culturels canadiens. La création d'un fonds d'aide à
la production et à la distribution de longs métrages permettrait à ce genre cinématographique
de prospérer. Nous avons déjà fait part au gouvernement de notre désir de voir
l'industrie canadienne du film connaître le succès qu'elle mérite, et nous sommes
prêts à faire tout en notre pouvoir pour l'aider.
Je crois que la création d'un
tel fonds aurait un effet bénéfique sur le secteur des
nouveaux médias, car s'il est un marché où la notion de frontières perd tout
son sens, c'est bien celui des nouveaux médias. En nous dotant d'un
fonds voué à la production de matériel et de services défendant haut et fort
les couleurs du Canada mais dotés d'un attrait indéniable pour les marchés
internationaux des nouveaux médias, nous assurerions au moins à nos enfants un
lien avec leur patrimoine culturel, qui en est un d'une grande richesse.
Il est certain que ce fonds faciliterait grandement la création de contenu de
langue française et renforcerait un secteur d'activité qui commence à poindre
au Canada. Radio-Canada qui est un créateur important de contenu français est
prête à aider le gouvernement à accroître la place de cette langue en général
sur l'Internet, et celle en particulier du matériel canadien d'expression
française.
Par ailleurs, le gouvernement doit
exercer son pouvoir de réglementation pour soutenir les
industries culturelles nationales en ces temps de profonds changements. Il a notamment
un rôle de premier plan à jouer dans le domaine du droit d'auteur et de l'attribution
des fréquences du spectre.
Enfin, en ce qui concerne Radio-Canada,
il importe que le gouvernement et le Parlement continuent de conférer à cette institution le statut d'organisme
de radiodiffusion publique au service de l'ensemble des Canadiens. Il est
essentiel pour cette institution journalistique et culturelle que les auditeurs
soient convaincus de la crédibilité et de l'intégrité des émissions qu'elle
présente. Si cette confiance ne lui est pas acquise, elle perd toute pertinence.
Tout tient à la perception
que le public a de la Société : la voit-il comme un organe de radiodiffusion publique
et par là, comme un instrument au service de la démocratie, ou comme un organe
de radiodiffusion d'état, et donc un instrument au service de la bureaucratie?
Le Parlement a d'ailleurs pris la précaution de consacrer dans la Loi
l'indépendance de Radio-Canada à l'égard du gouvernement. Il doit maintenant
continuer d'honorer ce principe pour préserver le droit du public canadien
à un service de radiodiffusion publique établissant les standards en journalisme
et en divertissement au Canada et partout dans le monde.
CONCLUSION
Voilà
donc notre point de vue sur les questions que vous nous aviez demandé d'aborder
aujourd'hui. Nous avons connu des heures difficiles mais la vision que nous
avions des moyens d'assurer notre avenir et le courage de nos employés face
aux changements qui s'imposaient, nous ont permis de réussir. Dans l'ensemble,
les défis que doivent relever tous ceux qui croient à la culture canadienne sont
similaires : c'est avec une vision précise de la direction à prendre et le
courage de s'y engager que nous réussirons, en dépit de l'incertitude
de l'avenir.
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