Discours et interviews
le 24 septembre 1998
Une télévision canadienne pour des auditoires canadiens
Présentation devant le CRTC sur l'examen des politiques canadiennes en matière de télévision — Perrin Beatty
(Priorité au discours prononcé)
J'ai aujourd'hui
à mes côtés M. Jim McCoubrey, vice-président directeur et chef de l'exploitation,
Mme Michèle Fortin, vice-présidente de la Télévision française et M. Jim Byrd,
vice-président de la Télévision anglaise.
Hier,
le Conseil a entrepris un processus qui durera plusieurs jours, où seront présentés
des douzaines de mémoires et qui aura produit des centaines de milliers de mots
avant d'être terminé. Vous entendrez de nombreux intervenants qui vous diront
croire fermement au contenu canadien; très peu diront qu'ils n'y croient pas.
Mais vous en entendrez aussi beaucoup affirmer qu'ils ne peuvent faire mieux à
moins de recevoir plus d'argent ou d'obtenir des privilèges spéciaux.
Nous
nous présentons aujourd'hui devant vous comme le plus grand fournisseur de contenu
canadien, en français comme en anglais. Nous avons voulu faire un mémoire franc
et constructif, qui peut se résumer en trois points : - Notre
mission est de présenter des sujets canadiens. Les Canadiens ont le droit de voir
leur propre réalité sur leurs écrans de télévision. Les aider dans ce sens est
notre raison d'être.
- Malgré
tous les défis que nous avons eu à relever ces dernières années sur le plan du
financement et de la concurrence, nous sommes un radiodiffuseur plus canadien
que jamais. Cet automne, la Télévision anglaise de Radio-Canada présente une grille
qui est à 91% canadienne pendant la période de 19 heures à 23 heures, tandis que
la grille de la Télévision française est canadienne presque à 100%.
- Nous sommes fiers de nos réalisations, mais nous croyons
que nous pouvons faire encore mieux. Nous ne demandons pas qu'on impose des restrictions
aux autres. Nous demandons seulement qu'on nous permette d'évoluer en même temps
qu'évolue le marché.
Laissez-moi
d'abord vous parler de notre rôle distinctif.
Radio-Canada
est un élément central d'un système de radiodiffusion qui a été conçu de façon
à équilibrer les composantes publique et privée. Or, les deux composantes doivent
être en bon état et se développer pour pouvoir bien servir les Canadiens.
À
l'instar des radiodiffuseurs privés, notre responsabilité première est de fournir
à nos actionnaires un bon rendement sur leur investissement. Les citoyens canadiens
sont les actionnaires de Radio-Canada. Nous avons le devoir de leur offrir les
meilleures émissions canadiennes qui soient et ce, de façon efficace et rentable.
Voilà ce qui nous importe.
C'est donc pour
ces raisons que Radio-Canada défend officiellement les couleurs de la radiodiffusion
canadienne. Nous prenons des risques qui effraient les autres radiodiffuseurs.
Nous développons de nouveaux talents. Plus important encore, nous atteignons des
auditoires canadiens substantiels.
En fait, les
résultats d'un sondage Crop publié par le CRTC hier, ont révélé que les trois-quarts
(78 %) des personnes interrogées croient que Radio-Canada remplit bien son mandat
de promouvoir et d'accorder la priorité aux émissions canadiennes.
Par
rapport aux autres radiodiffuseurs généralistes, Radio-Canada offre le plus haut
niveau de programmation canadienne aux heures de grande écoute, de façon globale,
et plus précisément dans plusieurs catégories d'émissions. Vous trouverez ci-joint
un tableau représentant les differentes grilles des réseaux.Il n'y a qu'à regarder
les grilles, les couleurs canadiennes sont évidentes.
Il
ne faut pas s'arrêter toutefois à une simple évaluation quantitative de la
programmation canadienne présentée, puisque la qualité des émissions et la taille
des auditoires pèsent également lourd dans la mesure de notre succès. Venons-en
aux faits.
Nous sommes une pépinière où
le talent canadien s'épanouit, tant à l'antenne qu'en coulisse.
On
rencontre partout des anciens de Radio-Canada. Il y a bien sûr les célébrités
qui répondent à l'appel de nos voisins du Sud, mais il y en a d'autres aussi.
Il suffit de regarder ici dans la salle. Qu'il s'agisse de personnalités à l'antenne,
de dirigeants ou du nombre croissant de producteurs indépendants talentueux qui
ont réussi à mettre le Canada à l'écran.
On ne
peut nier que la qualité de nos émissions est en grande partie le résultat de
la créativité et du dynamisme d'un secteur florissant de production indépendante.
Nous sommes fiers de notre contribution, à date et à venir, envers l'épanouissement
du talent canadien et envers la quête d'auditoires qui voudront jouir des fruits
de ce talent.
Radio-Canada prend des
risques que d'autres ne peuvent ou ne veulent prendre.
Nous
faisons ce qu'il y a de pire lorsque nous nous contentons de copier quelqu'un
d'autre. Nous faisons ce qu'il y a de mieux lorsque nous créons quelque chose
d'innovateur.
Radio-Canada regorge de créativité
et d'ingéniosité. Pensez au succès des émissions loufoques This Hour
has 22 Minutes ou The Newsroom, au risque que présentait Sous
le signe du lion et au joyau qui en est ressorti, à la réflexion humoristique
proposée par Un gars, une fille ou à la caricature sociale totalement
débridée de La Petite Vie, dont le premier épisode de cet automne a attiré
2,9 millions d'auditeurs à l'antenne de la Télévision française.
Radio-Canada
attire des auditoires considérables pour les émissions canadiennes.
C'est
grâce à la composition variée de sa programmation que Radio-Canada réussit à conserver
sa pertinence et à demeurer à l'écoute des Canadiens. En fait, en 1996-1997,
entre 19 heures et 23 heures, les auditoires de la Télévision française représentaient
41% de l'écoute globale d'émissions canadiennes, contre 42% pour la
Télévision anglaise.
La saison dernière, la Télévision
anglaise a diffusé huit des 10 meilleures dramatiques canadiennes portant sur
un sujet canadien. De son côté, la Télévision française a diffusé quatre des cinq
meilleures dramatiques canadiennes.
Pour prouver
dans quelle mesure nous aidons à faire connaître le contenu canadien aux téléspectateurs
canadiens, il suffit de dire que les longs métrages canadiens présentés à la Télévision
anglaise de Radio-Canada attirent un public plus nombreux que celui des cinémas,
de la télévision payante et du circuit de distribution vidéo combinés.
Radio-Canada
est reconnue pour la qualité de sa programmation.
Dimanche
prochain, nous saurons combien de nos 185 mises en nomination pour les Gémeaux
auront été primées, et le moment de vérité pour nos 178 mises en nominations pour
les Gemini sera la semaine suivante. Il y a quelques jours à peine, nous avons
appris que l'équipe de la Royal Canadian Air Farce s'était vu accorder
le prestigieux Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène. En faisant
cette annonce, Son Excellence a souligné que les carrières de ces artistes sont
la manifestation de l'émergence d'une force culturelle importante au Canada.
Nous
ne pouvons jouer notre rôle sans financement stable...
Si
Radio-Canada peut aujourd'hui offrir un produit innovateur, divertissant et informatif
dans diverses catégories d'émissions, c'est en grande partie grâce à son accès
garanti à 50% du Programme de participation au capital du Fonds de télévision
et de câblodistribution pour la production d'émissions canadiennes. La rentabilité
pour le système audiovisuel canadien est indiscutable.
Du
côté de la Télévision anglaise (année de production 1996-1997), cet accès à 50%
du Programme de participation au capital permet de produire des émissions qui
attirent 65% des auditoires aux dramatiques subventionnées par le Fonds. Il s'agit
là d'un moyen très efficace d'accroître les auditoires canadiens. Sans cet engagement,
nous ne pourrons pas maintenir la canadianisation de nos horaires.
Prenons
un moment pour examiner les défis les plus importants qui attendent le système
canadien de radiodiffusion et pour suggérer quelques solutions possibles.
- Premièrement, nous voulons attirer davantage de téléspectateurs
aux émissions canadiennes — en particulier à la Télévision anglaise.
- Deuxièmement, nous devons accroître le nombre d'émissions
des catégories «sous-représentées» aux heures de grande écoute.
- Et, troisièmement, nous devons maintenir et recibler les
ressources affectées à cette programmation.
La
réalité est simple. Il en coûte au moins cinq fois plus pour produire une émission
canadienne que pour importer une émission étrangère. La croissance du contenu
canadien disponible est très réelle, mais elle se trouve diluée par l'éventail
des choix offerts aux téléspectateurs. De toutes les émissions de langue anglaise
s'adressant aux enfants et regardées par ces derniers, plus de 60% sont américaines.
Et la situation est encore plus grave pour les
émissions dramatiques, où la proportion est de près de 93%.
Radio-Canada
a posé au secteur de la radiodiffusion le défi d'accroître le contenu canadien
et les auditoires des dramatiques, des documentaires et des émissions pour enfants.
Toutefois,
j'aimerais réitérer le fait qu'il ne suffit pas de produire du contenu canadien.
Ce contenu doit intéresser les Canadiens, porter sur des sujets canadiens et être
mis en marché en fonction d'auditoires canadiens.
Une
partie de la réponse aux défis de la télévision canadienne peut résider dans le
renforcement des règles en matière de contenu canadien pour les catégories de
programmation sous-représentées.
Or, ces mesures
ne constituent qu'une solution partielle. Ce serait prendre un mauvais départ
que de rechercher davantage de fonds gouvernementaux, et de se chamailler sur
la répartition des fonds actuels n'est qu'une perte d'un temps qui pourrait être
mieux employé ailleurs.
Ce qui importe vraiment,
c'est l'utilisation que nous faisons des fonds, les émissions que nous produisons,
leur pertinence pour les Canadiens et leur positionnement dans la grille.
Il
est évident qu'il faut adopter une démarche audacieuse : les Canadiens n'utilisent
plus la télévision de la même façon, et nous devons évoluer avec eux. Si nous
vivons dans le passé, nous resterons confinés au passé. Il faut changer ou disparaître.
En
outre, nous devons reconnaître les changements énormes que subit la télévision
à l'échelle mondiale et exploiter ces changements à notre avantage au Canada.
Nous devons faire nôtre l'approche de nos concurrents et l'adapter aux besoins
de notre pays pour ce qui est des structures économiques, des stratégies de marketing
et des nouvelles entreprises.
Notre monde est
en constante évolution. Au cœur du paysage audiovisuel, l'industrie
se transforme en regroupements de grande envergure que nous appelons constellations.
Il s'agit de réseaux complexes de distribution, de programmation et de production
par lesquels transitent une partie de plus en plus importante des émissions de
télévision dans le monde.
Tout le monde ici connaît
les plus grandes constellations. Disney... Time... Fox Warner... La BBC et l'Australian
Broadcasting Corporation suivent également ce mode de fonctionnement. Au Canada,
nous n'avons qu'à regarder Global, CTV et Shaw pour voir émerger la même tendance.
Il
est plus simple d'évoquer les problèmes de la télévision canadienne que de les
résoudre. Voici néanmoins quelques suggestions.
Considérant
l'avenir de la télévision, nous vous incitons fortement à élaborer une politique
:
- qui accroît le nombre de productions canadiennes
dans des catégories d'émissions sous-représentées dans l'ensemble du système de
radiodiffusion canadien;
- qui crée
de nouveaux débouchés pour ces émissions; et
- qui
procure aux radiodiffuseurs privés et publics la souplesse et les outils nécessaires
pour s'acquitter de leur tâche.
Pour
cette raison, nous saluons la récente décision prise par les instances du Fonds
de télévision canadienne de revoir les critères d'accès relatifs aux émissions
de qualité dans des catégories sous-représentées aux heures de grande écoute.
Nous
demandons en outre au Conseil d'entrevoir la possibilité de libéraliser les règlements
concernant la promotion croisée afin de maximiser les auditoires aux émissions
canadiennes.
La possibilité de convertir les heures
de nouvelles productions en heures d'écoute dépendra de la structure de l'industrie
en place. L'industrie canadienne de la radiodiffusion doit compter davantage sur
ses propres moyens et ne peut exiger du gouvernement et de ses agences qu'ils
règlent le problème de la production dans son ensemble par l'injection de capitaux
additionnels dans les fonds de production.
Compte
tenu du courant mondial en faveur des constellations d'entreprises, et des avantages
que les Canadiens peuvent en tirer, nous recommandons que ces entreprises soient
considérées comme un tout. Lorsque le Conseil évaluera le rendement de celles-ci
ou lorsqu'il attribuera des nouvelles licences, il devrait tenir compte de
l'ensemble des services radiodiffusion impliquées.
Afin
d'être au diapason de l'industrie, Radio-Canada devrait bénéficier d'une marge
de manœuvre suffisante pour lui permettre de se transformer progressivement
en une constellation de services efficace. Libre de suivre le cours normal de
son évolution, par l'octroi de licences pour de nouveaux services qui augmenteront
les «fenêtres» pour sa programmation, la Société sera à même d'évoluer et de se
développer tout comme les autres diffuseurs évoluent et convergent, et se consolident.
Quant à nous, nous nous engageons à mettre à profit ces nouveaux outils pour accroître
de façon substantielle la proportion d'émissions canadiennes disponibles
ainsi que leur auditoire.
Conclusion
La
Société Radio-Canada a grandi avec le Canada. Nous sommes fiers d'avoir eu
pendant plus de 60 ans le privilège de rassembler les Canadiens et les Canadiennes
pour leur parler d'eux. Nous sommes par ailleurs persuadés que si on nous
en donne les moyens, notre contribution future sera encore plus importante.
C'est
avec plaisir que nous répondrons maintenant à vos questions.
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