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L’omble chevalier peut-il s’adapter au changement climatique?

Pendant des siècles, dans les coins reculés du Nord, l’omble chevalier a nourri les Inuit du Canada. Et au cours des dernières décennies, d’autres habitants de l’Amérique du Nord en sont venus à apprécier ce beau poisson : les gourmands pour son goût exquis, les pêcheurs sportifs pour et son esprit combatif et sa taille, qui peut atteindre presque un mètre de longueur, et les gens en général pour sa grande beauté. La coloration de l’omble chevalier, varie selon la taille, l’habitat et la saison : bleu foncé, bleu acier ou bleu vert sur le dos, argenté ou rouge orange sur les flancs et blanc ou rouge orange sur l’abdomen.

L’omble chevalier pourrait aussi avoir un important usage scientifique : aider à prédire les effets du changement climatique. L’Arctique comptera parmi les zones les plus durement touchées par ce phénomène et l’omble est l’espèce arctique par excellence. De répartition circumpolaire, l’omble arctique est le poisson le plus répandu dans ces eaux et, au-dessus de 75o de latitude nord, le seul poisson d’eau douce. Ainsi, sa réaction au changement climatique permettra de tirer des leçons applicables à d’autres espèces.

Prédire les effets du changement climatique d’après la réaction de l’omble chevalier est le défi que relève Jim Reist, de l’Institut des eaux douces, situé à Winnipeg, au Manitoba, aidé de collègues du ministère des Pêches et des Océans (MPO) et du monde universitaire. Mais ce n’est pas une mince affaire.

« L’omble chevalier semble l’espèce idéale pour suivre ou extrapoler les changements, a déclaré Jim Reist. Mais nous avons besoin de données de base fiables, qui ont tendance à être rares dans le cas du Nord. Qui plus est, en ce qui concerne l’omble chevalier, nous tentons encore de trouver réponse à certaines questions fondamentales sur sa biologie. »

De fait, dans l’Arctique de l’Ouest, l’identité même de l’omble chevalier peut être difficile à établir. Il ressemble beaucoup à la Dolly Varden, espèce étroitement apparentée, commune dans les rivières escarpées bouillonnantes. Une mauvaise identification des deux espèces peut dérouter le fondement biologique de la gestion des pêches. Pour de nombreuses régions, les chercheurs ont dû vérifier chaque détail taxinomique pour lever la confusion.

« Même au sein de l’espèce, les variations peuvent souvent être déroutantes », a ajouté Jim Reist. La diversité de l’omble chevalier résulte de sa répartition disparate en Amérique du Nord; il se trouve non seulement dans des lacs du nord du Maine et du sud-est du Québec, mais aussi dans l’île d’Ellesmere et d’autres îles situées près du pôle Nord.

Dans les régions de latitude moyenne, de nombreuses populations d’omble chevalier sont anadromes; des lacs et rivières d’origine, il migre en été vers la mer, en direction de la baie d’Hudson, des îles de l’Arctique et de l’Atlantique, puis revient en eau douce à l’automne. Les mêmes lacs et rivières qui abritent des ombles anadromes peuvent aussi abriter des ombles résidents. Ceux-ci, qui ne quittent jamais leur habitat natal, sont plus petits et de coloration moins vive.

En haut et en bas, une femelle et un mâle anadromes de la presqu’île Kent, dans le centre de l’Arctique; au centre, un mâle résident. (Photos : MPO)
En haut et en bas, une femelle et un mâle anadromes de la presqu’île Kent, dans le centre de l’Arctique; au centre, un mâle résident. (Photos : MPO)

La cousine de l’omble chevalier, la Dolly Varden, a une variante résidente de taille encore plus petite, d’une coloration terne. Lorsque les gros individus anadromes frayent, ces petits mâles résidents, qui passent inaperçus, peuvent se faufiler dans les frayères pour fertiliser une couvée d’oeufs sans être vus. Ainsi, au sein de la même espèce, l’évolution rend certains individus colorés et attirants pour les femelles, alors que d’autres se reproduisent à la dérobée.

Au fil des siècles, les peuplements arctiques ont été établis aux endroits où le poisson était abondant. Le nom d’Iqaluit, la capitale du Nunavut, signifie « là où se trouve le poisson ». À partir de nombreux endroits, comme Cambridge Bay, dans l’île Victoria, les Inuit se déplacent le long de la côte en été pour capturer des baleines, de l’omble et d’autres animaux aux fins de subsistance ou de commerce. Mais comparée avec la vaste toundra de l’Arctique, la présence humaine est minuscule.

Pour les scientifiques, les voyages sont dispendieux, alors que les bugets de recherche sont limités. Alors comment, dans les régions isolées, les chercheurs peuvent-ils suivre le cycle vital et les migrations de l’omble anadrome en juillet et août? « Avec beaucoup de difficulté, a répondu Jim Reist. Mais l’analyse des otolithes – un os trouvé dans l’oreille des poissons - est une méthode utile. Les travaux menés par le biologiste du MPO John Babaluk ont révélé que lorsque l’omble passe de l’eau douce en mer, la concentration de certains éléments, comme le strontium, augmente. L’otolithe constitue donc un dossier chimique, établi au fil des saisons et des années, de la destination et du moment de migration du poisson, ainsi que de son sort. »

Pêche de l’omble chevalier à la foène en été et aux filets maillants en hiver. (Photos : MPO)
Pêche de l’omble chevalier à la foène en été et aux filets maillants en hiver. (Photos : MPO)

De nombreuses populations d’omble chevalier passent toute leur vie en eau douce; dans l’Extrême-Arctique, les glaces pérennes les empêchent de se rendre en mer et dans le sud, des chutes ou d’autres obstacles infranchissables peuvent les y cantonner. Dans ces réseaux fermés, en particulier les vastes lacs complexes, plus de variations se manifestent chez ce poisson. La coloration, la taille, la forme et l’écologie d’alimentation sont différentes. Quelques individus qui se nourrissent de leurs propres jeunes congénères deviennent très gros.

« L’omble chevalier du Nord canadien est une espèce relativement nouvelle en regard de nombreuses autres espèces trouvées ailleurs, a précisé Jim Reist. L’omble n’est présent dans certaines régions que depuis le retrait des glaciers, qui remonte à moins de 10 000 ans. La biodiversité actuelle est le résultat d’une évolution qui se poursuit et qui donnera lieu à la formation de nouvelles espèces. »

Aujourd’hui, les perturbations climatiques soulèvent de nouveaux défis, et cela même avant que les chercheurs aient pleinement élucider le passé et le présent de l’espèce. « L’omble change dans un sens inconnu d’un point de départ inconnu à cause du changement climatique », a indiqué Jim Reist.

Cependant, avec des collègues, dont Brian Dempson, de la Région de Terre-Neuve du MPO, Michael Power, de l’Université de Waterloo, et d’autres personnes, y compris des étudiants diplômés, il cherche des moyens de prédire la destinée de l’omble. Au Labrador, un programme pluriannuel a permis de documenter les impacts de la température, de l’enneigement, des niveaux d’eau et d’autres facteurs sur l’espèce. Le comportement actuel de l’omble à diverses latitudes peut laisser présager sa réaction au changement climatique.

Malgré cela, les dizaines de facteurs en jeu rendent les effets futurs difficiles à démêler. Du côté positif, les températures plus élevées devraient donner lieu à la production de nourriture en plus grande quantité dans de nombreuses régions. Dans le Grand Nord, à mesure que la banquise se retirera, l’accès plus facile à la mer devrait se traduire par une capacité plus grande de séjour en mer. De plus longues périodes de séjour en mer et la disponibilité d’une plus grande quantité de nourriture devraient se traduire par une plus forte taille de l’omble. Aux latitudes moyennes, l’omble se trouvant entre le nord de la baie d’Hudson et l’île d’Ellesmere pourrait aussi connaître un taux de croissance plus élevé.

Mais chaque côté positif a un revers. Par exemple, la productivité plus élevée dans de nombreux lacs encouragera un plus grand nombre d’ombles à y rester et moins d’entre eux se rendront en mer pour s’y nourrir en été. Les ombles résidents sont plus petits, plus sujets à être infestés par des parasites et moins prisés par les pêcheurs. Le réchauffement climatique produira aussi plus de sédiments dans les lacs, ce qui réduira la survie des oeufs.

Autour de l’île Baffin, l’omble pourrait perdre du terrain à l’avantage du saumon atlantique et de la truite de mer. Le long de la côte du Labrador, à mesure que les températures plus élevées donneront lieu à un accroissement de la productivité de la mer, l’omble pourrait devenir plus gros. Mais aux latitudes plus au sud, y compris Terre-Neuve, les Maritimes, le sud-est du Québec et le nord du Maine, le réchauffement des lacs mènera à une compression de l’aire de répartition de cette espèce d’eaux froides. De nombreuses populations seront peut-être même appelées à disparaître.

Pour l’omble chevalier en général, le changement climatique qui se produira au cours du présent siècle entraînera probablement plus d’effets négatifs que positifs. Les populations et la diversité des animaux s’appauvriront. C’est là une mauvaise nouvelle pour l’omble chevalier, d’autres espèces de l’Arctique et les Inuit.

Comment faire pour réduire les dommages que pourrait subir l’omble chevalier? C’est là un défi de taille pour les gestionnaires des pêches, aggravé par la rareté fréquente de statistiques sur les prises et d’autres données de base. Continuer dans la même voie peut résulter en de plus graves risques d’appauvrissement ou de disparition de l’espèce, alors que la gérer de façon plus prudente, y compris par une réduction des niveaux des captures, peut soulever la controverse.

« Dans l’ensemble, a dit Jim Reist, nous devons prendre une approche de précaution. » Entre temps, en jouant les détectives scientifiques, ce chercheur et ses collègues peignent un tableau plus clair de la destinée de l’omble chevalier.  

   

   

Dernière mise à jour : 2007-11-15

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