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De quelle manière l’aquaculture en eau douce affectera-t-elle les lacs?

Devant la croissance de l’aquaculture en eau douce, la question se pose de savoir quels effets elle risque d’avoir sur les lacs du Canada? C’est précisément pour répondre à cette question que des scientifiques de l’Institut des eaux douces, de Winnipeg (Manitoba), ont entrepris l’étude la plus exhaustive qui soit d’un site d’aquaculture d’eau douce en cage.

À l’échelle mondiale, l’aquaculture produit maintenant près de la moitié des poissons consommés par les humains, et la pisciculture en eau douce représente une partie considérable de cet ensemble. Bien que le Canada compte déjà des centaines d’exploitations à terre, il ne compte encore que moins de 20 installations de pisciculture en cage en « eaux libres » dans des lacs. La plupart d’entre elles se trouvent dans le chenal Nord du lac Huron.

L’industrie de l’aquaculture d’eau douce au Canada n’en est peut-être encore qu’à ses débuts, mais qu’arrivera-t-il si – comme plusieurs le prévoient – elle prend de l’ampleur? Cette activité peut s’avérer rentable pour les exploitants et pour les consommateurs, mais, dans certaines parties du monde, elle a endommagé l’habitat naturel du poisson et elle a perturbé des espèces indigènes.

Pour évaluer les effets probables de l’aquaculture d’eau douce en cage, les scientifiques de l’Institut utilisent ce qui est vraisemblablement le plus grand laboratoire humide au monde : la région des lacs expérimentaux (ELA), constituée de 58 petits lacs situés dans un territoire boisé du Nord-Ouest de l’Ontario. L’ELA jouit maintenant d’une renommée internationale. Exploitée par le ministère des Pêches et des Océans (P&O), elle attire des collaborateurs scientifiques de partout au Canada et de l’étranger. Une station expérimentale ouverte à l’année, munie de dortoirs et de laboratoires, peut recevoir jusqu’à 50 scientifiques, étudiants de deuxième cycle, et employés de soutien.

Des études préalables échelonnées sur plusieurs décennies ont permis de collecter des données de base sur les caractéristiques distinctives de la région. Les chercheurs peuvent maintenant effectuer l’étude d’espèces ou de substances nouvelles, peuvent varier le niveau des eaux, et peuvent effectuer diverses autres expériences à l’aide de ces lacs et de leurs bassins hydrographiques. Par exemple, c’est sur la base du résultat de travaux expérimentaux réalisés dans ces lacs que la réglementation actuelle sur les teneurs en phosphore des détergents à lessive a été adoptée, afin de prévenir l’eutrophisation qui cause les fleurs d’eau, appauvrit la qualité de l’eau, et nuit aux poissons.

« Nous voulons une image complète de l’aquaculture », affirme Cheryl Podemski, Ph.D., directrice de l’équipe de scientifiques participant à ce projet de recherche auquel participent aussi Ken Mills, Mike Paterson, Mike Turner, Paul Blanchfield et Ray Hesslein de l’Institut des eaux douces, Karen Kidd de l’université du Nouveau-Brunswick, et Dominique Bureau de l’université de Guelph. « Nous surveillons tous les apports et débits importants de nutriants – phosphore, azote, carbone – dans les lacs, et nous étudions les différentes voies par lesquelles l’aquaculture peut porter atteinte à l’écosystème aquatique ».

Alevins de truite arc-en-ciel d’une écloserie transférés dans une cage d’aquaculture
Alevins de truite arc-en-ciel d’une écloserie transférés dans une cage d’aquaculture

Ce projet d’aquaculture a commencé en 2001, d’abord par deux années d’études détaillées dans le lac 375. Inutilisé pour aucune des expériences antérieures, ce lac de 19 hectares constituait un milieu vierge.

En 2003, vint le défi de descendre jusqu’au lac, par sentier boisé, une cage d’aquaculture de 12 tonnes métriques, mesurant 10 mètres par 10 mètres. Depuis ce temps, à chaque printemps, les chercheurs ont ensemencé le site de 10 000 truites arc-en-ciel qu’il leur aura fallu nourrir deux fois par jour et qui auront été récoltées chaque année vers la fin d’octobre. Ces opérations n’ont rien de différent de celles d’une pisciculture normale, sauf pour les scientifiques qui doivent mesurer et évaluer chaque détail qui leur tombe sous les yeux.

Une boue sédimentaire, constituée principalement de matières fécales et d’une faible quantité de résidus alimentaires, s’est accumulée sur une épaisseur d’environ 15 centimètres sous la cage. Les créatures normalement présentes sur le fond jusqu’alors ont déserté l’endroit. Bien que certaines autres espèces puissent vivre dans de telles conditions, la plupart ne se disséminent que lentement, de sorte qu’il faudra beaucoup de temps pour coloniser l’emplacement.

Qu’en est-il du fond ailleurs que sous la cage? Utilisant une nouvelle technique d’évaluation, l’étudiante de deuxième cycle Marilyn Kullman, en collaboration avec madame Podemski, a prélevé des échantillons de ce sédiment sous la cage, à intervalles réguliers, les a placés dans des contenants en plastique, a ajouté des sphaeries géantes (Sphaerium simile) empruntées d’un autre lac, et a réinstallé ses plateaux d’échantillons sur le fond. Les sphaeries présentes dans les contenants de sédiment réinstallés directement sous la cage sont mortes. Celles présentes dans les contenants de sédiment réinstallés sur le fond à un mètre à peine de distance de la cage n’ont subi aucun mal. De fait, elles se sont développées davantage et plus rapidement qu’auparavant, à cause des nutriants ajoutés.

Les aliments en boulettes contiennent de l’azote et du phosphore, et ces composés chimiques – le phosphore, en particulier – peuvent promouvoir une eutrophisation des eaux. Mais tout dépend des quantités. Une certaine teneur en phosphore dans un lac est normale et celui-ci pourra très bien prospérer si les niveaux de phosphore restent raisonnables.

Peuplé à plus haute densité que la plupart des piscicultures commerciales, le lac 375 a représenté ce qui pourrait correspondre à un cas de « pire scénario ». Pourtant, même si les quantités de phosphore dissous dans l’eau se sont accrues, elle n’ont pas atteint les concentrations que nous avions prévues. Seulement de 10 à 15 pourcent de cette augmentation fut imputable aux aliments en boulettes.

Lac 375 de l’ELA
Lac 375 de l’ELA

« Les poissons en cage consomment de grandes quantités de phosphore pour leur croissance », explique madame Podemski; « nous avons des preuves que le réseau trophique indigène dans le lac en fait autant. Une quantité considérable de ce phosphore se dépose sur le fond, et nous tentons de déterminer quelle proportion de ce phosphore s’échappe des sédiments ».

Aucune différence significative de la qualité de l’eau n’a été constatée. « Les seules différences observées furent une légère détérioration de la transparence de l’eau et un accroissement de la production d’algues », précise madame Podemski. « L’effet le plus notoire fut l’accélération du rythme de croissance des poissons indigènes ».

Grâce à cet apport supplémentaire de nutriants dans l’eau, le phytoplancton et le zooplancton (plantes et animaux microscopiques) et les petits « poissons fourrage » se sont multipliés. Ces espèces constituent une nourriture de choix pour la truite grise, pour la truite arc-en-ciel, pour la carpe noire et pour d’autres espèces supérieures de la chaîne alimentaire. Les poissons autochtones trouvent aussi des particules alimentaires dérivant de l’aire d’exploitation immédiate de la cage.

« La truite grise dans le lac 375 affiche le rythme de croissance le plus rapide jamais enregistrée à l’ELA », affirme madame Podemski; « et elle atteint plus tôt sa maturité sexuelle ».

Que dire maintenant du brassage des espèces? Des poissons de pisciculture s’échappent souvent des sites d’aquaculture. Certaines estimations évaluent à environ 4 pourcent le taux d’évadés – mais cela a suffi, dans certains cas, à déloger les espèces autochtones.

Chaque année, au lac 375, les chercheurs insèrent des microémetteurs dans un certain nombre de truites arc-en-ciel, les relâchent et en surveillent les déplacements à l’aide de bouées radioélectriques posées stratégiquement sur le lac. Ils étiquettent aussi des espèces autochtones dans le lac, et surveillent ensuite le « cours de l’histoire » pour voir si les évadés interfèrent avec la fraie ou avec d’autres comportements des poissons autochtones. Même si le site de la cage est près d’une aire de fraie de la truite arc-en-ciel, les chercheurs n’ont constaté jusqu’à présent aucun impact négatif.

Ce ne sont là que quelques-uns des faits saillants qui se dégagent d’une quantité massive de données obtenues grâce à ces travaux. Mais la question demeure : l’aquaculture est-elle mauvaise ou bonne pour le lac 375?

Madame Podemski rappelle que le rôle des scientifiques est d’observer des faits, et non de porter des jugements. En outre, il faudra encore assez longtemps avant qu’on ait une image suffisamment représentative des impacts à long terme de l’aquaculture en eau douce pour pouvoir étendre le fruit d’une telle recherche à des lacs plus grands. Mais jusqu’à présent, pour le citoyen ordinaire, les effets positifs tels qu’une meilleure croissance des poissons autochtones semblent l’emporter sur les effets négatifs.

Diffusée par des articles scientifiques, par des ateliers et par des consultations entre le gouvernement et l’industrie, la recherche effectuée dans le lac 375 aura assez certainement une influence sur les lignes directrices du gouvernement en matière d’aquaculture en eau douce dans plusieurs provinces. Elle pourra être porteuse de nombreuses leçons utiles pour l’aquaculture marine, déjà bien implantée sur les côtes canadiennes de l’Atlantique et du Pacifique.

Les chercheurs et les gestionnaires d’autres pays en prendront bonne note aussi. De nouveau, comme dans le cas d’études antérieures telles que sur l’eutrophisation, sur la contamination par le mercure et sur les effets des inondations riveraines, la région des lacs expérimentaux démontre sa valeur aux yeux du Canada et aux yeux du monde.  

   

   

Dernière mise à jour : 2007-11-15

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