![](/web/20071210134656im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/images/title_2.jpg)
Renseignements sur les sciences par:
Renseignements sur les sciences par:
Trouvez des Informations sur:
|
|
De quelle manière l’aquaculture en eau douce affectera-t-elle les lacs?
Devant la croissance de l’aquaculture en eau douce, la question se pose de
savoir quels effets elle risque d’avoir sur les lacs du Canada? C’est
précisément pour répondre à cette question que des scientifiques de
l’Institut des eaux douces, de Winnipeg (Manitoba), ont entrepris l’étude la
plus exhaustive qui soit d’un site d’aquaculture d’eau douce en cage.
À l’échelle mondiale, l’aquaculture produit maintenant près de la moitié des
poissons consommés par les humains, et la pisciculture en eau douce
représente une partie considérable de cet ensemble. Bien que le Canada
compte déjà des centaines d’exploitations à terre, il ne compte encore que
moins de 20 installations de pisciculture en cage en « eaux libres » dans
des lacs. La plupart d’entre elles se trouvent dans le chenal Nord du lac
Huron.
L’industrie de l’aquaculture d’eau douce au Canada n’en est peut-être encore
qu’à ses débuts, mais qu’arrivera-t-il si – comme plusieurs le prévoient –
elle prend de l’ampleur? Cette activité peut s’avérer rentable pour les
exploitants et pour les consommateurs, mais, dans certaines parties du
monde, elle a endommagé l’habitat naturel du poisson et elle a perturbé des
espèces indigènes.
Pour évaluer les effets probables de l’aquaculture d’eau douce en cage, les
scientifiques de l’Institut utilisent ce qui est vraisemblablement le plus
grand laboratoire humide au monde : la région des lacs expérimentaux (ELA),
constituée de 58 petits lacs situés dans un territoire boisé du Nord-Ouest
de l’Ontario. L’ELA jouit maintenant d’une renommée internationale.
Exploitée par le ministère des Pêches et des Océans (P&O), elle attire des
collaborateurs scientifiques de partout au Canada et de l’étranger. Une
station expérimentale ouverte à l’année, munie de dortoirs et de
laboratoires, peut recevoir jusqu’à 50 scientifiques, étudiants de deuxième
cycle, et employés de soutien.
Des études préalables échelonnées sur plusieurs décennies ont permis de
collecter des données de base sur les caractéristiques distinctives de la
région. Les chercheurs peuvent maintenant effectuer l’étude d’espèces ou de
substances nouvelles, peuvent varier le niveau des eaux, et peuvent
effectuer diverses autres expériences à l’aide de ces lacs et de leurs
bassins hydrographiques. Par exemple, c’est sur la base du résultat de
travaux expérimentaux réalisés dans ces lacs que la réglementation actuelle
sur les teneurs en phosphore des détergents à lessive a été adoptée, afin de
prévenir l’eutrophisation qui cause les fleurs d’eau, appauvrit la qualité
de l’eau, et nuit aux poissons.
« Nous voulons une image complète de l’aquaculture », affirme Cheryl
Podemski, Ph.D., directrice de l’équipe de scientifiques participant à ce
projet de recherche auquel participent aussi Ken Mills, Mike Paterson, Mike
Turner, Paul Blanchfield et Ray Hesslein de l’Institut des eaux douces,
Karen Kidd de l’université du Nouveau-Brunswick, et Dominique Bureau de
l’université de Guelph. « Nous surveillons tous les apports et débits
importants de nutriants – phosphore, azote, carbone – dans les lacs, et nous
étudions les différentes voies par lesquelles l’aquaculture peut porter
atteinte à l’écosystème aquatique ».
![Alevins de truite arc-en-ciel d’une écloserie transférés dans une cage d’aquaculture](/web/20071210134656im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/trout_hatchery.jpg)
Alevins de truite arc-en-ciel d’une écloserie transférés dans une cage d’aquaculture
Ce projet d’aquaculture a commencé en 2001, d’abord par deux années d’études
détaillées dans le lac 375. Inutilisé pour aucune des expériences
antérieures, ce lac de 19 hectares constituait un milieu vierge.
En 2003, vint le défi de descendre jusqu’au lac, par sentier boisé, une cage
d’aquaculture de 12 tonnes métriques, mesurant 10 mètres par 10 mètres.
Depuis ce temps, à chaque printemps, les chercheurs ont ensemencé le site de
10 000 truites arc-en-ciel qu’il leur aura fallu nourrir deux fois par jour
et qui auront été récoltées chaque année vers la fin d’octobre. Ces
opérations n’ont rien de différent de celles d’une pisciculture normale,
sauf pour les scientifiques qui doivent mesurer et évaluer chaque détail qui
leur tombe sous les yeux.
Une boue sédimentaire, constituée principalement de matières fécales et
d’une faible quantité de résidus alimentaires, s’est accumulée sur une
épaisseur d’environ 15 centimètres sous la cage. Les créatures normalement
présentes sur le fond jusqu’alors ont déserté l’endroit. Bien que certaines
autres espèces puissent vivre dans de telles conditions, la plupart ne se
disséminent que lentement, de sorte qu’il faudra beaucoup de temps pour
coloniser l’emplacement.
Qu’en est-il du fond ailleurs que sous la cage? Utilisant une nouvelle
technique d’évaluation, l’étudiante de deuxième cycle Marilyn Kullman, en
collaboration avec madame Podemski, a prélevé des échantillons de ce
sédiment sous la cage, à intervalles réguliers, les a placés dans des
contenants en plastique, a ajouté des sphaeries géantes (Sphaerium simile)
empruntées d’un autre lac, et a réinstallé ses plateaux d’échantillons sur
le fond. Les sphaeries présentes dans les contenants de sédiment réinstallés
directement sous la cage sont mortes. Celles présentes dans les contenants
de sédiment réinstallés sur le fond à un mètre à peine de distance de la
cage n’ont subi aucun mal. De fait, elles se sont développées davantage et
plus rapidement qu’auparavant, à cause des nutriants ajoutés.
Les aliments en boulettes contiennent de l’azote et du phosphore, et ces
composés chimiques – le phosphore, en particulier – peuvent promouvoir une
eutrophisation des eaux. Mais tout dépend des quantités. Une certaine teneur
en phosphore dans un lac est normale et celui-ci pourra très bien prospérer
si les niveaux de phosphore restent raisonnables.
Peuplé à plus haute densité que la plupart des piscicultures commerciales,
le lac 375 a représenté ce qui pourrait correspondre à un cas de « pire
scénario ». Pourtant, même si les quantités de phosphore dissous dans l’eau
se sont accrues, elle n’ont pas atteint les concentrations que nous avions
prévues. Seulement de 10 à 15 pourcent de cette augmentation fut imputable
aux aliments en boulettes.
![Lac 375 de l’ELA](/web/20071210134656im_/http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/Story/story_images/lake_375.jpg)
Lac 375 de l’ELA
« Les poissons en cage consomment de grandes quantités de phosphore pour
leur croissance », explique madame Podemski; « nous avons des preuves que le
réseau trophique indigène dans le lac en fait autant. Une quantité
considérable de ce phosphore se dépose sur le fond, et nous tentons de
déterminer quelle proportion de ce phosphore s’échappe des sédiments ».
Aucune différence significative de la qualité de l’eau n’a été constatée. «
Les seules différences observées furent une légère détérioration de la
transparence de l’eau et un accroissement de la production d’algues »,
précise madame Podemski. « L’effet le plus notoire fut l’accélération du
rythme de croissance des poissons indigènes ».
Grâce à cet apport supplémentaire de nutriants dans l’eau, le phytoplancton
et le zooplancton (plantes et animaux microscopiques) et les petits «
poissons fourrage » se sont multipliés. Ces espèces constituent une
nourriture de choix pour la truite grise, pour la truite arc-en-ciel, pour
la carpe noire et pour d’autres espèces supérieures de la chaîne
alimentaire. Les poissons autochtones trouvent aussi des particules
alimentaires dérivant de l’aire d’exploitation immédiate de la cage.
« La truite grise dans le lac 375 affiche le rythme de croissance le plus
rapide jamais enregistrée à l’ELA », affirme madame Podemski; « et elle
atteint plus tôt sa maturité sexuelle ».
Que dire maintenant du brassage des espèces? Des poissons de pisciculture
s’échappent souvent des sites d’aquaculture. Certaines estimations évaluent
à environ 4 pourcent le taux d’évadés – mais cela a suffi, dans certains
cas, à déloger les espèces autochtones.
Chaque année, au lac 375, les chercheurs insèrent des microémetteurs dans un
certain nombre de truites arc-en-ciel, les relâchent et en surveillent les
déplacements à l’aide de bouées radioélectriques posées stratégiquement sur
le lac. Ils étiquettent aussi des espèces autochtones dans le lac, et
surveillent ensuite le « cours de l’histoire » pour voir si les évadés
interfèrent avec la fraie ou avec d’autres comportements des poissons
autochtones. Même si le site de la cage est près d’une aire de fraie de la
truite arc-en-ciel, les chercheurs n’ont constaté jusqu’à présent aucun
impact négatif.
Ce ne sont là que quelques-uns des faits saillants qui se dégagent d’une
quantité massive de données obtenues grâce à ces travaux. Mais la question
demeure : l’aquaculture est-elle mauvaise ou bonne pour le lac 375?
Madame Podemski rappelle que le rôle des scientifiques est d’observer des
faits, et non de porter des jugements. En outre, il faudra encore assez
longtemps avant qu’on ait une image suffisamment représentative des impacts
à long terme de l’aquaculture en eau douce pour pouvoir étendre le fruit
d’une telle recherche à des lacs plus grands. Mais jusqu’à présent, pour le
citoyen ordinaire, les effets positifs tels qu’une meilleure croissance des
poissons autochtones semblent l’emporter sur les effets négatifs.
Diffusée par des articles scientifiques, par des ateliers et par des
consultations entre le gouvernement et l’industrie, la recherche effectuée
dans le lac 375 aura assez certainement une influence sur les lignes
directrices du gouvernement en matière d’aquaculture en eau douce dans
plusieurs provinces. Elle pourra être porteuse de nombreuses leçons utiles
pour l’aquaculture marine, déjà bien implantée sur les côtes canadiennes de
l’Atlantique et du Pacifique.
Les chercheurs et les gestionnaires d’autres pays en prendront bonne note
aussi. De nouveau, comme dans le cas d’études antérieures telles que sur
l’eutrophisation, sur la contamination par le mercure et sur les effets des
inondations riveraines, la région des lacs expérimentaux démontre sa valeur
aux yeux du Canada et aux yeux du monde.
|