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La génomique et le mystère du saumon rouge du Fraser

Le saumon rouge du fleuve Fraser est l’habitant de deux mondes très différents. Il passe la première des quatre années de son cycle de vie en eau douce, son lieu de naissance, pour migrer par la suite vers l'océan où il parvient à maturité. Ensuite, il remonte les cours d’eau en luttant contre les courants forts pour revenir dans l’eau douce de sa naissance où il fraie et meurt.

Le fleuve Fraser abrite environ quatre-vingt-dix populations de reproducteurs et chaque population de saumons rouge revient, fidèle, dans les eaux de sa naissance pour frayer à la même époque de l’année, soit le printemps, le début de l’été, l’été ou l’automne. Ce phénomène se produit avec une précision horlogère depuis des milliers d’années. Durant les années de pointe, quelque quinze millions de saumons remontent les cours d’eau pour frayer dans le Fraser et ses affluents.

Une des plus importantes migrations est celle des saumons de montaison tardive qui reviennent tous dans le fleuve vers la fin du septembre au nombre de deux à cinq millions. Ces dix dernières années toutefois, il y a eu un changement inquiétant dans leur calendrier de migration de retour. Certaines années, les saumons de montaison tardive sont revenus dans le Fraser quatre à six semaines plus tôt que d’habitude en remontant les cours pendant des périodes de températures aquatiques de pointe auxquelles ils ne sont pas adaptés. À la suite de cette migration tardive, 95 p. 100 sont morts avant de frayer. Ce phénomène a eu un effet dévastateur sur la conservation du poisson et sur la gestion des stocks. Même dans les conditions les plus favorables, faire des prévisions sur les nombres de poissons afin d’établir des quotas représente une tâche délicate, car il faut analyser chaque stock en se servant de toutes sortes de variables. Les changements intervenus rendent cette tâche encore plus difficile.

Les saumons dans le fleuve.
Les saumons dans le fleuve.

Étant donné que le Fraser est l’une des plus importantes rivières à saumon du monde et qu’il favorise une industrie de la pêche florissante, il était de la plus grande urgence d’élucider le mystère de changements dans les calendriers de migration et de mortalité massive. À la lumière des preuves de plus en plus solides en matière de réchauffement de la planète, il est devenu également nécessaire d’élaborer des outils qui aident les gestionnaires de pêches à exercer leur métier dans ces conditions nouvelles. Il n’est donc pas étonnant que, depuis presque dix ans, une équipe de spécialistes mène toute une série de recherches sur ces problèmes, qui ont fait intervenir, depuis 2003, des techniques de la génomique tellement nouvelles qu’elles doivent être inventées au fur et à mesure que les recherches avancent.

Kristi Miller, une chercheuse scientifique du ministère des Pêches et des Océans (MPO) fait partie de l’équipe. D’autres membres proviennent d’universités (Colombie-Britannique et Carleton), d’autres sections du MPO et de l'industrie, soit les entreprises LGL Ltée et Kintama Research. Une partie du financement est assurée par CBS Genomics, la Commission du saumon du Pacifique et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie. Mme Miller dirige le groupe de génétique moléculaire de la Station biologique du Pacifique à Nanaimo en Colombie-Britannique, qui appartient au MPO. Le groupe travaille à l’élaboration d’outils génétiques et génomiques pour aider et appuyer la gestion des méthodes de pêche axées sur la conservation. Comme Mme Miller l’explique, « les méthodes génétiques sont utilisées depuis environ quinze ans et sont très recherchées, mais la génomique est un terrain nouveau qui commence à se développer rapidement. » Pourquoi? Parce que, alors que la recherche génétique permet d'analyser en même temps quelques marqueurs différents, la génomique permet d'en examiner des milliers. » Pour illustrer l’immensité d’échelles possibles, le groupe du MPO travaille sur des microréseaux de saumons génomiques qui sont des platines pouvant contenir à présent quelque 16 000 gènes et leur capacité ne cesse de croître.

Les microréseaux, contrairement à ce que leur nom indique, sont des jeux de données immenses pouvant actuellement contenir 16 000 transcrits de gènes de saumons sauvages. Ils ont été d'abord mis au point avec des gènes humains pour classer des types de sarcomes chez l'humain.
Les microréseaux, contrairement à ce que leur nom indique, sont des jeux de données immenses pouvant actuellement contenir 16 000 transcrits de gènes de saumons sauvages. Ils ont été d'abord mis au point avec des gènes humains pour classer des types de sarcomes chez l'humain.

Le déchiffrement du mystère de la mortalité massive des saumons du fleuve Fraser et les changements dans les calendriers de migration n’a pas été facile. Toutefois, de nouvelles technologies permettant la production de profils génomiques à grande échelle ont fourni une image détaillée des changements physiologiques et des contraintes associées à la migration de reproduction. Au fait, le saumon doit se reconfigurer au niveau moléculaire pour s’adapter aux conditions d’eau douce et le saumon rouge de montaison tardive a passé entre trois et six semaines à l’embouchure du fleuve Fraser en attendant que ce phénomène se produise. Pour étudier cette transformation, Miller a examiné l’expression des gènes sur des échantillons de tissus du cerveau, du foie et des branchies à diverses étapes de ce processus de reconfiguration. Elle affirme que les résultats de l'analyse des tissus du cerveau étaient extrêmement clairs comme si la lumière s’est faite tout d’un coup là-dessus. Le cerveau est le centre de commande de toute une variété de processus physiologiques mais chez le saumon migrateur les centres de la maturation reproductive, de la mémoire cognitive du retour et du développement sensoriel sont d’un intérêt particulier. Ces processus changent simultanément au cours de la migration.

Les saumons rouges de montaison tardive cessent de se nourrir une fois entre 600 à 1 000 km de l'embouchure du Fraser. Ils doivent digérer leurs propres tissus pour avoir l'énergie nécessaire pendant les deux ou trois mois précédant le frai et la mort, et certains d’entre eux dépensent toute leur énergie avant d'arriver aux frayères. Les modifications métaboliques associées à l'inanition peuvent être observées en faisant la description de l'expression du gène dans le foie qui permet d’évaluer et classifier chaque saumon du point de vue énergétique. Par contre, à la différence du cerveau et du foie, le tissu des branchies peut être analysé sans tuer le saumon et il est pour cette cause le tissu le plus important. Le tissu des branchies est le plus sensible aux changements environnementaux dont la salinité, les agents pathogènes, les toxines et l’oxygène. Les chercheurs peuvent combiner l’évaluation de la physiologie des branchies et l’évolution de la migration en suivant le mouvement des poissons qui ont été pris, échantillonnés, munis d’une étiquette émettrice et relâchés ensuite dans l’océan pour gagner leurs frayères. Grâce au tissu des branchies, des renseignements importants ont été recueillis qui ont permis de relier la préparation pour l’eau douce dans l’océan à la survie dans le fleuve.

Par conséquent, l’équipe de chercheurs a pu confirmer que bon nombre des poissons migrateurs morts avant de gagner leurs frayères n’avaient pas reconfiguré leur système cellulaire pour s'adapter à l’eau douce avant d'entrer dans le fleuve et ont été ainsi plus vulnérables au stress et aux maladies. De plus, leur entrée prématurée dans le fleuve s’est faite à un moment où les températures du fleuve étaient cinq fois supérieures aux températures auxquelles ils étaient habités. Cet élément a augmenté leur degré de stress et leurs besoins d’énergie les exposant plus facilement aux agents pathogènes et aux parasites d’eau douce. Par contre, les facteurs environnementaux qui ont déclenché la migration précoce des saumons ne sont pas encore complètement connus.

Un résultat très important de la recherche est la découverte d’un nombre de biomarqueurs de prévision indiquant le niveau d’adaptation des saumons. En effet, Mme Miller est d'avis que la physiologie et l’adaptation sont des éléments clés des modèles futurs d’évaluation des stocks. Le développement des biomarqueurs de prévision sera d’une grande valeur. Grâce à eux, les gestionnaires des pêches pourraient être capables de prévoir le moment de l’entrée en eau douce des poissons en cours de migration de reproduction et de prédire le nombre de poissons mal adaptés, tout en ciblant les poissons plus susceptibles de mourir en route vers leurs frayères à cause des conditions défavorables du fleuve. Somme toute, cela signifie qu’ils seront capables de prendre des décisions plus éclairées quant à l’ouverture ou à la fermeture des saisons de pêche.

Qu’en est-il de l'avenir? L’ADN fournit des évaluations exactes, fiables et précises sur la composition des stocks, et le groupe de Mme Miller peut continuer son analyse pendant 18 heures. Mais ce ne n'est là que le début. Elle prédit qu’une nouvelle série de méthodes génomiques sera élaborée, qui changera profondément la façon dont les chercheurs comprennent, prédisent et gèrent les ressources fauniques surtout dans le contexte des changements climatiques mondiaux. Heureusement, nous sommes placés à l’avant de cette vague. À présent, le Canada est le seul pays du monde qui gère déjà ses pêches en temps réels au moyen de méthodes génétiques.
 

   

   

Dernière mise à jour : 2007-11-13

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